Symbolisme :
Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :
SIMORGUE. Sorte de fée qui se montre sous la forme d'un oiseau, que les rabbins nomment jukhneh, et les Arabes anka, Cet oiseau habite les montagnes de Kaf, en Perse, et y consomme pour sa nourriture quotidienne ce qui croft sur un grand nombre d'entre elles. Il est doué de raison, peut causer avec les hommes, et l'on raconte qu'il répondit un jour à quelqu'un qui l interrogeait sur son âge : « Ce monde s'est trouvé sept fois rempli de créatures, et sept fois entièrement vide d'animaux. Le cycle d'Adam, dans lequel nous sommes, doit durer sept mille ans, qui font un grand cycle d'années. J'ai déjà vu douze de ces cycles, sans que je sache combien il m'en reste à voir. Il est aussi question de la si morgue dans les légendes de Salomon.
Dans le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, on peut lire que :
"Le sîmorgh est d'un symbolisme très riche chez les mystiques et dans la littérature persane. C'est le nom donné à une catégorie d'oiseaux mythiques. Dans l'Avesta, c'est l'oiseau cité sous le nom de saéna.
Le saéna rappelle les caractéristiques de l'aigle. Le nid su sîmorgh dans le Shâhnâma est placé au sommet du mont Alburz, ce qui correspond dans l'Avesta à Hara-barazaiti (Yasnâ, 10, 10). Mais dans la littérature islamique persane, c'est la montagne fabuleuse de qâf, qui est le lieu où demeure le sîmorgh, avec les péris et les démons. Sa'di, célébrant les louanges de Dieu, dit que même le sîmorgh sur le mont de qâf a sa part des libéralités divines.
Il possède un langage humain, il sert de messager et de confident ; il transporte les héros à de grandes distances et leur laisse quelques unes de ses plumes, grâce auxquelles on pourra, en les faisant brûler, le convoquer s'il est au loin. Ce thème est très fréquent ; on le trouve, non seulement à propos du sîmorgh, mais aussi des autres oiseaux merveilleux, le homâ et le rokh.
La plume du sîmorgh est réputée guérir les blessures, et le sîmorgh lui-même est considéré comme un sage guérisseur (hakîm). On trouve notamment ce thème dans le Shâhnâma de Firdûsi lorsque le sîmorgh se sépare du héros Zâl, qu'il a élevé ; il lui remet quelques-unes de ses plumes, en lui disant que, s'il a besoin de lui, Zâl n'aura qu'à en brûler une, et il apparaîtra. Ce dernier est fait de multiples usages ; ansi il en frotte la blessure faite au flanc de sa femme, Rûdâba, et la guérit. Il es fait de même pour son fils Rostam.
A l'époque islamique, le sîmorgh symbolise non seulement le maître mystique et la manifestation de la Divinité, mais aussi il est le symbole du moi caché. C'est ainsi que Farîdun-Din 'Attar, dans son Colloque des oiseaux (Mantiq-ut-tayr) parle de cet oiseau fabuleux comme d'un symbole de la recherche de soi. Un jeu de mots s'est opéré entre le nom de cet oiseau et les trente oiseaux (sî morgh), qui partent à la recherche d'un but transcendant, et à la fin découvrent que le sîmorgh était eux-mêmes, les sî morgh (les trente oiseaux)."
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Lire aussi l'article de Amélie Neuve-Eglise, "Sîmorgh : de l’oiseau légendaire du Shâhnâmeh au guide intérieur de la mystique persane", La Revue de Téhéran n°19, juin 2007.
Selon le site http://www.simorg.net/textographie/00-indextexto.html :
"De grande taille, puisqu'il pouvait transporter un chameau ou un éléphant, l'oiseau mythique Simurgh fait montre d'une grande animosité envers les serpents. Son habitat naturel est un lieu où l'eau se trouve en abondance. Dans un récit iranien antique, il est dit que le Simurgh vit 1700 ans avant de plonger de lui-même dans les flammes, et dans d'autres récits plus tardifs, il est dit qu'il est immortel et possède un nid dans l'Arbre du Savoir. D'après la légende iranienne, il est dit que cet oiseau est si vieux qu'il a déjà vu trois fois la destruction du monde. Pendant tout ce temps, Simurgh a tellement appris qu'on pense qu'il possède le savoir de tous les âges. Les Perses Sassanides croyaient que Simurgh amènerait la fertilité sur la terre et scellerait l'union de la terre et du ciel. Il nichait dans l'Arbre de vie, Gaokerena, et vivait dans la terre de la plante sacrée Haoma, dont les graines pouvait guérir de tout mal. Dans les croyances iraniennes ultérieures, le Simurgh est devenu un symbole de divinité. Sên-Murv/Simurgh est aussi identifié dans la littérature persane par le nom de Homa et présenté en Arabe sous le nom de Rukh. Quand le Simurgh s'envolait, les feuilles de l'arbre du savoir tremblaient, causant la chute des graines de toute les plantes. Ces graines se répandirent dans le monde, prenant racine pour devenir chaque espèce de plante ayant jamais vécu, et guérissant toutes les souffrances de l'humanité. On dit que ses plumes étaient couleur de cuivre, et bien qu'il soit initialement décrit comme un chien-oiseau, il a ensuite été connu soit avec une tête d'homme soit avec une tête de chien. Il est naturellement bon et le contact avec ses ailes peut guérir toute maladie ou blessure."
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Littérature :
Farid Al-Din Attar, poète persan auteur de La Conférence des oiseaux (1177 ; Diane de Selliers, 2012, remaniée par Jacques Prévost) fait du Sîmorg le roi des oiseaux :
[...] . Nous avons un roi légitime, il réside derrière le mont Câf. Son nom est Simorg ; il est le roi des oiseaux. Il est près de nous, et nous en sommes éloignés. Le lieu qu'il habite est inaccessible, et il ne saurait être célébré par aucune langue. Il a devant lui plus de cent raille voiles de lumière et d'obscurité. Dans les deux mondes, il n'y a personne qui puisse lui disputer son empire. Il est le souverain par excellence ; il est submergé dans la perfection de sa majesté. Il ne se manifeste pas complètement même au lieu de son séjour, auquel la science et l'intelligence ne peuvent atteindre. Le chemin est inconnu, et personne n'a assez de constance pour le trouver, quoique des milliers de créatures le désirent. L'âme la plus pure ne saurait le décrire, ni la raison le comprendre. On est troublé, et, malgré ses deux yeux, on est dans l'obscurité. Aucune science n'a encore découvert sa perfection, aucune vue n'a encore aperçu sa beauté. Les créatures n'ont pu s'élever jusqu'à son excellence ; la science est restée en arrière, et l'œil a manqué de portée. C'est en vain que les créatures ont voulu atteindre avec leur imagination à cette perfection et à cette beauté. Comment ouvrir cette voie à l'imagination, comment livrer la lune (mâh) au poisson (mâhi). Là des milliers de têtes seront comme des boules de mail ; on n'y entendra que des exclamations et des soupirs. On trouve tour à tour dans ce chemin l'eau et la terre ferme, et l'on ne saurait se faire une idée de sa longueur. Il faut un homme à cœur de lion pour parcourir cette route extraordinaire ; car le chemin est long et la mer profonde. Aussi marche-t-on stupéfait, tantôt riant, tantôt pleurant. Quant à moi, je serais heureuse de trouver la trace de ce chemin, car ce serait pour moi une honte que de vivre sans y parvenir. A quoi servirait l'âme, si elle n'avait un objet à aimer ? Si tu es un homme, que ton âme ne soit pas sans maîtresse. Il faut un homme parfait pour un tel chemin, car il doit savoir introduire son âme à cette cour. Lave-toi bravement les mains de cette vie, si tu veux être appelé un homme d'action. A quoi servirait la vie, si l'on n'aimait pas ? Pour ta bien-aimée, renonce à ta vie chérie, comme les hommes dignes de leur vocation. Si tu livres gracieusement ton âme, tu mériteras que ta bien-aimée te sacrifie sa vie. »
[...]
PREMIÈRE MANIFESTATION DU SIMORG. Chose étonnante ! ce qui concerne le Simorg commença à se manifester en Chine au milieu de la nuit.. Une de ses plumes tomba donc alors en Chine, et sa réputation remplit tout le monde. Chacun prit le dessin de cette plume, et quiconque la vit prit à cœur l'affaire. Cette plume est actuellement dans la salle des peintures de la Chine, et c'est pour cela que le Prophète a dit : « Allez à la recherche de la science, [fût-elle à la Chine. » Si la manifestation de cette plume du Simorg n'eût pas eu lieu, il n'y aurait pas eu tant de bruit dans le monde au sujet de cet être mystérieux. Cette trace de son existence est un gage de sa gloire ; toutes les âmes portent la trace du dessin de cette plume. Comme sa description n'a ni commencement ni fin, il n'est pas nécessaire de dire à ce sujet plus que je ne le fais. Maintenant, vous qui êtes les hommes du chemin, abordez cette route et placez-y le pied.
Tous les oiseaux se réunirent donc, ainsi qu'il a été dit. Ils étaient dans l'agitation en songeant à la majesté du roi dont la huppe leur avait parlé. Le désir de l'avoir pour souverain s'était emparé d'eux et les avait jetés dans l'impatience. Ils firent donc leur projet de départ et voulurent aller en avant ; ils devinrent ses amis et leurs propres ennemis. Mais comme la route était longue et lointaine, chacun d'eux néanmoins était inquiet au moment de s'y engager et donna une excuse différente pour s'en dispenser, malgré la bonne volonté qu'il paraissait avoir.
[...]
L'âme de ces oiseaux s'anéantit entièrement de crainte et de honte, et leur corps, brûlé, devint comme du charbon en poussière. Lorsqu'ils furent ainsi tout à fait purifiés et dégagés de toute chose, trouvèrent tous une nouvelle vie dans la lumière du Simorg. Ils devinrent ainsi de nouveaux serviteurs, et furent une seconde fois plongés dans la stupéfaction. Tout ce qu'ils avaient pu faire anciennement fut purifié et même effacé de leur cœur. Le soleil de la proximité darda sur eux ses rayons, et leur âme en fut resplendissante. Alors dans le reflet de leur visage ces trente oiseaux (sî morg) mondains contemplèrent la face du Simorg spirituel. Ils se hâtèrent de regarder ce Simorg, et ils s'assurèrent qu'il n'était autre que Sîmorg. Tous tombèrent alors dans la stupéfaction ; ils ignoraient s'ils étaient restés eux-mêmes ou s'ils étaient devenus le Simorg. Ils s'assurèrent enfin qu'ils étaient véritablement le Simorg et que le Simorg était réellement les trente oiseaux (sî morg). Lorsqu'ils regardaient du côté du Simorg ils voyaient que c'était bien le Simorg qui était en cet endroit, et, s'ils portaient leurs regards vers eux-mêmes, ils voyaient qu'eux-mêmes étaient le Simorg. Enfin, s'ils regardaient à la fois des deux côtés, ils s'assuraient qu'eux et le Simorg ne formaient en réalité qu'un seul être. Ce seul être était Simorg, et Simorg était cet être. Personne dans le monde n'entendit jamais rien dire de pareil. Alors ils furent tous plongés dans l'ébahissement, et ils se livrèrent à la méditation sans pouvoir méditer. Comme ils ne comprenaient rien à cet état de choses, ils interrogèrent le Simorg sans se servir de la langue ; ils lui demandèrent de leur dévoiler le grand secret, de leur donner la solution du mystère de la pluralité et de l'unité des êtres. Alors le Simorg leur fit, sans se servir non plus de la langue, cette réponse : " Le soleil de ma majesté, dit-il, est un miroir ; celui qui vient s'y voit dedans, il y voit son âme et son corps, il s'y voit tout entier. Puisque vous êtes venus ici trente oiseaux, vous vous trouvez trente oiseaux (sî morg) dans ce miroir. S'il venait encore quarante ou cinquante oiseaux, le rideau qui cache le Simorg serait également ouvert. Quoique vous soyez extrêmement changés, vous vous voyez vous-mêmes comme vous étiez auparavant. " Comment l'œil d'une créature pourrait-il arriver jusqu'à moi ? Le regard de la fourmi peut-il atteindre les Pléiades ? A-t-on jamais vu cet insecte soulever une enclume, et un moucheron saisir de ses dents un éléphant ? Tout ce que tu as su ou vu n'est ni ce que tu as su ni ce que tu as vu, et ce que tu as dit ou entendu n'est pas non plus cela. Lorsque vous avez franchi les vallées du chemin spirituel, lorsque vous avez fait de bonnes œuvres, vous n'avez agi que par mon action, et vous avez pu ainsi voir la vallée de mon essence et de mes perfections. Vous avez bien pu, vous qui n'êtes que trente oiseaux, rester stupéfaits, impatients et ébahis ; mais moi je vaux bien plus que trente oiseaux (sî morg), car je suis l'essence même du véritable Simorg. Anéantissez-vous donc en moi glorieusement et délicieusement, afin de vous retrouver vous-mêmes en moi. Les oiseaux s'anéantirent en effet à la fin pour toujours dans le Simorg ; l'ombre se perdit dans le soleil, et voilà tout. J'ai discouru tant que ces oiseaux ont été en marche ; mais mon discours est arrivé à ce point qu'il n'a plus ni tête ni queue ; aussi dois-je le terminer ici. La voie reste ouverte, mais il n'y a plus ni guide, ni voyageur.
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