Étymologie :
COULEUR, subst. fém.
Étymol. et Hist. I. 1. Ca 1050 « sensation visuelle » (Alexis, éd. C. Storey, 4 : ici fig. perdre sa color « perdre son caractère ») ; 2. a) ca 1100 en parlant du visage, de la peau (Roland, éd. J. Bédier, 441) ; b) 1794 gens de couleur (Staël, Lettres div., p. 426) ; 3. 1393 « couleurs distinctives d'un personnage (livrée, etc.) » (Compte de la Cour de Charles VI, B.N. 6743, f°7 ds Gdf. Compl.) ; 4. 1694 « couleurs des cartes à jouer » (Ac.) ; 5. 1732 liturg. (Trév.). 6. 1790 couleurs nationales (Mirabeau, oct. ds Buchez, Roux, Hist. parlementaire de la Révolution fr., t. VII, p. 416 ds Brunot t. 9, p. 624). II. 1. Ca 1268 « substance colorante » (Étienne Boileau, Livre des métiers, LIV, I, éd. R. de Lespinasse et F. Bonnardot, p. 111) ; 2. a) 1699 peint. couleur locale (R. de Piles, Idée du Peintre Parfait, p. 36 ds Brunot t. 6, p. 738, note 8) ; b) 1772 p. ext. litt. (J.-F. de La Harpe, Éloge de Racine, p. 33 ds Mod. Lang. Notes, vol. LX [1945] p. 98). III. 1. xiiie s. fig. [ms. fin du xiiie s.] « relief (en parlant du style) » (De III dames qui troverent I. vit, 4 ds A. de Montaiglon et G. Raynaud, Fabliaux, t. 5, p. 32) ; 2. ca 1280 « raison spécieuse » (Couronnement de Renart, éd. A. Foulet, 2456) ; 3. 1794 « caractère d'une opinion » (Chamfort, Caract. et anecd., p. 135). Du lat. color « couleur, teint du visage » au fig. « aspect extérieur », « couleur, coloris du style ; argument (donnant aux faits une couleur favorable) ».
Lire également la définition du nom couleur pour amorcer la réflexion symbolique.
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Symbolisme :
Frédéric Portal, auteur de l'ouvrage intitulé Des couleurs symboliques dans l'antiquité : le moyen-âge et les temps modernes. (Treuttel et Würtz, 1857) explique le système symbolique des couleurs :
[...] La physique reconnait sept couleurs , qui forment le rayon solaire décomposé par le prisme ; ce sont : le violet, l'indigo, le bleu , le vert , le jaune , l'orange et le rouge.
La peinture n'en admet que cinq primitives : la première et la dernière sont rejetées par la physique, ce sont : le blanc, le jaune , le rouge, le bleu et le noir. De la combinaison de ces cinq couleurs naissent toutes les nuances.
D'après la symbolique, deux principes donnent naissance à toutes les couleurs, la lumière et les ténèbres. La lumière est représentée par le blanc et les ténèbres par le noir ; mais la lumière n'existe que par le feu dont le symbole est le rouge. Partant de cette base, la symbolique admit deux couleurs primitives, le rouge et le blanc ; le noir fut considéré comme la négation des couleurs et attribué à l'esprit des ténèbres.
Le rouge est le symbole de l'amour divin ; le blanc le symbole de la divine sagesse. De ces deux attributs de Dieu, l'amour et la sagesse, émane la création de l'univers. Les couleurs secondaires représentent les diverses combinaisons des deux principes.
Le jaune émane du rouge et du blanc, il est le symbole de la révélation de l'amour et de la sagesse de Dieu (1).
Le bleu émane de même du rouge et du blanc ; il désigne la sagesse divine manifestée par la vie, par l'esprit ou le souffle de Dieu ; il est le symbole de l'esprit de vérité.
Le vert est formé par l'union du jaune et du bleu, il indique la manifestation de l'amour et de la sagesse dans l'acte ; il fut le symbole de la charité et de la régénération de l'âme par les oeuvres.
On reconnait dans ce système trois degrés :
1º L'existence en soi ;
2° La manifestation de la vie ;
3° L'acte qui en résulte.
Dans le premier degré domine l'amour, le désir ou la volonté marqués par le rouge et le blanc ; dans le second apparaît l'intelligence, la parole ou le verbe, désignés par le jaune et le bleu ; et dans le troisième la réalisation ou l'acte trouve son symbole dans la couleur verte. Ces trois degrés, qui rappellent les trois opérations de l'entendement humain la volonté, le raisonnement et l'acte, se retrouvent aussi dans chaque couleur. On y remarque trois significations d'après le plus ou moins grand degré de lumière ; ainsi, la même nuance indique trois ordres d'idées selon qu'elle apparaît dans le rayon lumineux qu'elle colore, secondement dans les corps translucides et, enfin, dans les corps opaques.
La peinture ne pouvait reproduire ces différences que nous constaterons dans les monumens écrits de l'antiquité. Ainsi, les vêtemens de Dieu brillent comme l'éclair, comme la flamme du feu, comme un rayon du soleil ; c'est la lumière colorée qui révèle au prophète l'amour et la volonté de la Divinité. Les pierres précieuses, transparentes, forment le second degré indiqué par la lumière réflechie intérieurement ; elles se rapporteut à l'intérieur de l'homme ou au monde spirituel ; enfin les corps opaques, comme les pierres et les vêtemens de lin, qui projettent la lumière par leur surface, indiquent le troisième degré ou le naturel, qui se manifeste dans l'acte.
Nous aurons peu à nous occuper de ces différences; il est cependant nécessaire de les indiquer afin de saisir la valeur absolue des symboles. Le blanc, par exemple, signifie la sagesse dans les trois degrés ; mais, dans le premier, la lumière blanche indiquera la sagesse divine qui est la bonté même ; dans le second degré, le diamant et le cristal seront les symboles de la sagesse spirituelle, qui possède l'intelligence intérieure de la divinité ; enfin, dans le troisième degré, la pierre blanche et opaque et les vêtemens de lin indiqueront la sagesse naturelle ou la foi extérieure, qui produit les oeuvres.
Note : 1) ) La symbolique n'entend pas dire que le jaune soit composé de rouge et de blanc, puisque ces deux couleurs réunies forment le rose ; mais le symbole du jaune émane du symbole du rouge et du symbole du blanc ; ainsi la révélation divine, figurée par le jaune, émane de l'amour divin et de la sagesse divine désignés par le rouge et le blanc.
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Selon Emma Faucon, autrice d'un ouvrage intitulé Le langage des fleurs. (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) :
EMBLÈME DES COULEURS
Amarante Constance ; immortalité.
Blanc Innocence ; pureté ; candeur ; pudeur ; bonne foi.
Bleu Amour chaste ; économie ; gesse ; respect ; piété.
Brun foncé. Douleur profonde.
Feuille morte Vieillesse ; destruction.
Gris Douleur tempérée ; mélancolie.
Jaune Gloire ; infidélité ; richesse ; splendeur.
Lilas Amour pur.
Noir Tristesse ; mort ; deuil.
Orangé Amour de la gloire.
Pourpre Souveraineté ; puissance ; orgueil, ;ambition.
Rose Beauté ; amour ; amabilité ; jeunesse.
Rouge Timidité ; amour ; ardeur.
Vert Espérance ; marine ; enfance.
A la suite de cette nomenclature généralement adoptée , on peut placer la série des couleurs que Léon Gozlan, cet écrivain humoristique, appliquait à certains de ses sentiments ou de ses sensations intimes.
Pour moi , disait-il :
La piété est bleu tendre,
La résignation, — gris-perle,
La joie, — vert-pomme,
La satiété, — café au lait,
Le plaisir, — rose velouté,
Le sommeil, — fumée de tabac,
La réflexion, — orangé,
L'ennui, — chocolat,
La pensée pénible d'avoir un billet à payer, — mine de plomb.
Le jour du terme, — couleur terre de Sienne, vilaine couleur.
L'argent à recevoir, — rouge éclatant ou rouge diablotin.
Aller à un premier rendez- vous, — couleur thé léger ou ambrée.
Aller à un vingtième rendez -vous, — couleur de thé chargé.
Le bonheur parfait, — ma foi, disait Gozlan , c'est pour moi une couleur inconnue.
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Dans le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, on peut lire que :
"Si la chromatologie a beaucoup évolué ces dernières années en particulier sous l'influence de Kandinsky, Herbin et Henri Pfeiffer, la symbolique de la couleur garde toute sa valeur traditionnelle. [...]
Le premier caractère du symbolisme des couleurs est son universalité, non seulement géographique, mais à tous les niveaux de l'être et de la connaissance cosmologique, psychologique, mystique, etc. Les interprétations peuvent varier et le rouge, par exemple, recevoir diverses significations selon les aires culturelles ; les couleurs restent, cependant, toujours et partout des supports de la pensée symbolique. Les sept couleurs de l'arc-en-ciel (dans lesquelles l’œil pourrait distinguer plus de 700 teintes), par exemple, ont été mises en correspondances avec les sept notes musicales, les sept cieux, les sept planètes, les sept jours de la semaine, etc. Certaines couleurs symbolisent les éléments : le rouge et l'orange : le feu ; le jaune ou le blanc : l'air ; le vert : l'eau ; le noir ou le brun : la terre. Elles symbolisent aussi l'espace : le bleu, la dimension verticale, bleu clair au sommet (le ciel), bleu sombre à la base ; le rouge, la dimension horizontale, plus clair à l'orient, pus sombre à l'occident. Elles symbolisent aussi : le noir, le temps ; le blanc, l'intemporel ; et tout ce qui accompagne le temps, l'alternance de l'obscurité et de la lumière, de la faiblesse et de la force, du sommeil et de l'éveil. Enfin, les couleurs opposées, comme le blanc et le noir, symbolisent le dualisme intrinsèque de l'être. Un vêtement en deux couleurs ; deux animaux affrontés ou adossés, l'un blanc, l'autre noir, etc. ; toutes ces images colorées traduisent des conflits de forces qui se manifestent à tous les niveaux de l'existence, du monde cosmique au monde le plus intime, le noir représentant les forces nocturnes, négatives et involutives, le blanc les forces diurnes, positives et évolutives.
Il faut cependant retenir que l'obscur est le milieu du germe et que le noir, comme l'a fortement souligne C. G. Jung, est le lieu des germinations : c'est la couleur des origines, des commencements, des imprégnations, des occultations, à leur phase germinative, avant l'explosion lumineuse de la naissance. Peut-être est-ce le sens des Vierges noires, déesses des germinations et des cavernes, comme l'Artémis d’Éphèse à la face sombre et brillante.
Les couleurs présentent un symbolisme cosmique et interviennent comme des divinités dans plusieurs cosmogonies. Elles jouent un rôle important par exemple dans le récit de la création du Soleil chez les Navaho (Hartley Burr Alexander, Le Cercle du Monde, 1962) : Les Navajos avaient déjà partiellement séparés la lumière en ses couleurs diverses. Près du sol était le blanc, indiquant l'aube ; sur le blanc était épandu le bleu, pour le matin ; au-dessus du bleu était le jaune, symbole du couchant du soleil ; et sur ceci était le noir, image de la nuit. Plus avant dans le mythe, le blanc est mis en œuvre sous la forme de perles, tandis que l'on recourt au bleu sous forme de turquoise.
Selon le même auteur le symbolisme cosmique des couleurs chez les Indiens Pueblo est le suivant : Jaune-Maïs = Nord : Bleu ) Ouest ; rouge = Sud ; Blanc = Est : Moucheté = Au-dessus ; Noir = Au-dessous ; lieu du foyer allumé, Centre du Monde = Multicolore. Chez les Indiens de la Prairie : Rouge = Ouest ; Bleu )= Nord ; Vert = Est ; Jaune = Sud. Chez les Andaman, l'homme possède une âme, rouge, et un esprit, noir. De l'âme vient le mal et de l'esprit le bien. Selon Hérodote, la ville d'Ectabane avait sept murailles peintes aux couleurs des sept planètes : elle était conçue comme un microcosme.
Dans certaines traditions agraires d'Europe, on fait à la dernière gerbe de la moisson une tête noire avec des lèvres rouges : originairement les couleurs magico-symboliques de l'organe féminin. Lors de la fête indienne de la végétation, le Loli se déchaîne une orgie collective. Des groupes d'hommes et d'enfants parcourent les rues, en s'aspergeant avec de la poudre de holi et avec de l'eau rougie, le rouge étant la couleur vitale et génésique par excellence.
Les Aztèques, comme la plupart des Amérindiens, n'ont qu'un mot pour désigner indifféremment le bleu et le vert. Le symbolisme des pierres bleues ou bleu-vert est chez eux double : - d'une part un symbolisme solaire, associé à la turquoise, pierre du feu et du soleil, signe de sécheresse et de famine ; le bleu, ou le vert, est ici un succédané du rouge ; - d'autre part, le bleu-vert des pierres chalchiuitl, que l'on introduisait, en guise de cœur, dans le corps des morts, est un symbole lunaire de fertilité, d'humidité et un gage de renaissance. c'est la couleur même du serpent à plumes (les plumes bleu-vert de l'oiseau Quetzal, symbole du printemps) et du poisson-chalchiuitl.
Pour beaucoup d'Indiens d'Amérique du Nord, à chacun des six secteurs cosmiques est associé une couleur sacrée : le Nord est jaune ; l'Ouest bleu ; Le Sud rouge ; l'Est blanc ; le Zénith (le haut) est multicolore ; le Nadir (le bas) noir.
Chez les Mayas, quatre couleurs désignant les génies des quatre points cardinaux dominent la terre et inspirent les sentiments de l'homme, comme des jets de semence : au blanc correspondent le Nord, le premier arbre, le premier homme, la promesse et l'espoir ; au noir, l'Occident, le centre caché et invisible, la mère, la nuit, le malheur et la mort ; au rouge, l'Est, le miel, l'avidité pour les richesses et le pouvoir ; au jaune, le Sud, le maïs, la terre nourricière.
Pour les Alakaluf de la Terre de Feu, l'homme occupe le centre d'une sphère idéale dont les quatre axes sont figurés par quatre couleurs symboliques : bleu : ciel, Nord ; vert : terre, Sud ; rouge : soleil levant, Est ; jaune : rocher, c'est-à-dire les montagnes rocheuses où le soleil se couche, séjour occidental du Tonnerre et des morts.
Les couleurs ont aussi un symbolisme d'ordre biologique et éthique. Chez les Égyptiens par exemple, la valeur symbolique des couleurs intervient très fréquemment dans les œuvres d'art. Le noir est signe de renaissance posthume et de préservation éternelle ; c'est la couleur du bitume qui imprègne la momie, la couleur des dieux Anubis et Min, le premier introduisant les morts dans l'autre monde, le second présidant à la génération et aux moissons. Le vert teinte parfois le noir Osiris, parce qu'il est couleur de vie végétale, de jeunesse et de santé. La peau d'Amon, dieu d'air, se teinte de bleu pur. Le jaune, c'était l'or, la chair des immortels Le blanc aussi était faste et joyeux... Le rouge est, au mieux, violence redoutable ; au pire, méchanceté perverse. Le rouge est est la couleur maudite, celle de Seth et de tout ce qui est nuisible. Les scribes trempent leur plume dans l'encre rouge pour noter les mots de mauvais augure, comme les noms d'Apopis, le démon-serpent de l'adversité, ou de Seth, le dieu du mal, le Typhon du Nil.
Le symbolisme de la couleur peut prendre aussi une valeur éminemment religieuse. Dans la tradition chrétienne, la couleur est une participation de la lumière créée et incréée. Les Écritures et les Pères ne savant qu'exalter la grandeur et la beauté de la lumière. Le verbe de Dieu est appelé lumière procédant de la lumière. Les artistes chrétiens, en conséquence, sont des plus sensibles à ce reflet de la divinité qu'est la structure lumineuse de l'univers. La beauté des couleurs est extraordinaire dans les miniatures et les vitraux... L'interprétation des couleurs se rattache aux normes de l'Antiquité, elle évoque les peintures égyptiennes archaïques. La couleur symbolise une force ascensionnelle dans ce jeu d'ombre et de lumière si prenant dans les églises romanes, où l'ombre n'est pas l'envers de la lumière, mais l'accompagne pour mieux la mettre en valeur et collaborer à son épanouissement... Il y a une présence solaire magnifiée, non seulement dans l'église, mais dans la liturgie qui célèbre l'enchantement du jour.
Toutefois, pour lutter contre la séduction trop sensible de la nature chez ceux qui ne rapportent pas directement à Dieu ses beautés, saint Bernard recommande la grisaille dans l'architecture cistercienne ; un chapitre de son Ordre exige que les lettrines ne soient plus que d'une couleur et sans fioritures. Cependant, Suger broie des saphirs pour obtenir le bleu de ses verreries. Mais il ne faut pas se contenter d'admirer la beauté des couleurs, il faut en saisir la signification et s'élever par elles jusqu'à la lumière du Créateur. L'art chrétien en est venu peu à peu, sans en faire une règle absolue, à attribuer le blanc au Père, le bleu au Fils, le rouge au Saint-Esprit ; le vert à l'espérance, le blanc à la foi, le rouge à l'amour et à la charité, le noir à la pénitence, le blanc à la chasteté.
Pour Philon d'Alexandrie, quatre couleurs récapitulent l'univers, en symbolisant les quatre éléments constitutifs : le blanc, la terre ; le vert, l'eau ; le violet, l'air ; le rouge, le feu. Les habits liturgiques ou les vêtements de cérémonie qui comportent ces quatre couleurs symbolisent l'ensemble des éléments constitutifs du monde et associent ainsi la totalité de l'univers aux actions rituelles.
En Afrique noire, la couleur est un symbole également religieux, chargé de sens et de puissance. Les différentes couleurs sont autant de moyens d'accéder à la connaissance de l'autre et d'agir sur lui. Elles s'investissent d'une valeur magique : le blanc est la couleur des morts. Sa signification rituelle va plus loin encore : couleur des morts. Il sert à éloigner la mort. On lui attribue une puissance curative immense. Souvent, dans les rites d'initiation, le blanc est la couleur de la première phase, celle de la lutte contre la mort... L'ocre jaune est la couleur neutre, intermédiaire, celle qui sert à garnir les fonds, car elle est couleur de terre et couleur de feuilles mortes... Le rouge est couleur de sang, couleur de la vie.... Jeunes mamans, jeunes initiés, hommes mûrs dans les rites saisonniers, tous sont parés de rouge, couverts de Nkula et ruisselants d'onguents. Le noir, couleur de nuit, est couleur de l'épreuve, de la souffrance, du mystère. Il peut être l'abri de l'adversaire aux aguets... Le vert est rare comme couleur employée seule, les feuillages verts sont parures d'initiés, à la phase de la victoire de la vie.
Dans les traditions de l'Islam, le symbolisme des couleurs est très riche et imprégné lui aussi de croyances magiques.
Les animaux noirs sont considérés comme néfastes. Un chien noir cause la mort dans la famille. Les poules noires sont employées en sorcellerie. Le noir est utilisé comme charme contre le mauvais œil, comme moyen d'influer sur le temps, selon le principe de la magie homéopathique.
Le blanc, couleur de la lumière et de l'éclat, est au contraire de bon augure. Une vertu magique est attribuée au fait, partiellement pour sa couleur. A Fez, aux fêtes de fiançailles, on fait boire du lait pour rendre la vie blanche. Dans les mariages à la campagne, on éclabousse la mariée de lait. Farine, laine, œufs blancs sont favorables. La blancheur de l'argent aussi. Quand une personne est malade et qu'"on lit sur elle une incantation ou qu'on lui délivre un charme, il faut qu'elle donne au médecin ou scribe de l’argent ou quelque chose de blanc.
Le vert aussi est de bon augure ; il est symbole de la végétation. Offrir à quelqu'un un objet vert, surtout le matin, lui porte chance. On jette de l'herbe dans la direction de la nouvelle lune pour rendre le mois vert ou béni. La verdure qui pousse grâce à l'eau, source de vie, est censée produire un effet sur le mort, en lui transmettant l'énergie vitale. Dans certaines parties du Maroc, on place aussi des rameaux de myrte ou des feuilles de palmier dans le fond de la tombe.
Le jaune, couleur de l'or et du soleil, possède une vertu magique. Le safran doit ses propriétés prophylactiques à sa couleur.
Mais les couleurs nous transportent en outre à un autre niveau du symbole. Pour les mystiques, un échelle de couleurs représente les manifestations de la Lumière absolue dans l'extase. Ainsi, chez Jelal-ed' Din Rûmi, l'une va du bleu, rouge, jaune en passant par le blanc, le vert, le bleu pâle, jusqu'à la lumière sans couleur. Une autre échelle va du blanc (couleur de l'Islam), jaune (couleur du croyant), bleu foncé (couleur du bienfait), vert (couleur de la paix), azur (couleur de la certitude intuitive), rouge (couleur de la Gnose), au noir (couleur de l'Existence divine, c'est-à-dire la couleur au sens propre dns laquelle sont comprises toutes les couleurs et où l'on ne peut plus reconnaître d'autres couleurs).
Pour Rumî également, le rouge et le vert symbolisent la grâce divine, apportant à l'âme le message de l'espoir, alors qu'elle était dans l'obscurité. Le rouge provient du soleil et est à ce titre la meilleure des couleurs.
Selon la méthode du dhikr (invocation du Nom divin) chez les maîtres naqchabendites, on envisage les centres subtils de l'être humain en leur associant des lumières correspondantes. Ainsi, la lumière du cœur est jaune ; la lumière de l'esprit rouge ; la lumière du centre subtil, appelé le secret, blanche. Le centre appelé le caché est noir. Le plus-caché a une lumière verte. (Petite Philocalie de la prière du cœur, Cahiers du sud, 1953).
Jîlî, dans son traité de L'Homme Parfait (Insân-ul-kâmil) déclare que les mystiques ont vu les sept cieux qui s'élèvent au-dessus des sphères de la terre, de l'eau, de l'air et du feu et qu'il peuvent les interpréter pour les hommes sublunaires ;
Le Ciel de la Lune, invisible en raison de sa subtilité, créé de la nature de l'Esprit, demeure d'Adam ; sa couleur est plus blanche que l'argent ;
Le Ciel de Mercure, demeure de certains anges, créé de la nature de la pensée ; sa couleur est grise ;
Le Ciel de Vénus, créé de la nature de l'imagination, demeure du Monde des Similitudes ; sa couleur est jaune ;
Le Ciel du Soleil, créé de la lumière du cœur, est jaune d'or brillant ;
Le Ciel de Mars, gouverné par Azraël, ange de la mort ; ce ciel créé de la lumière du jugement est de couleur rouge sang ;
Le Ciel de Jupiter, créé de la lumière de la méditation, habité par les anges dont Michel est le chef, est la couleur bleue ;
Le Ciel de Saturne, créé de la lumière de la Première Intelligence ; sa couleur est le noir.
Le même auteur décrit les sept limbes de la terre, auxquels correspondant aussi des couleurs :
La Terre des Âmes, créée plus blanche que le lait, mais devenue couleur de poussière, après qu'Adam eut marché sur elle après la chute, à l'exception d'une région vers le Nord, habitée par les hommes du Monde invisible ;
La Terre des Dévotions, habitée par les Jinns qui croient en Dieu. Sa couleur est celle de l'émeraude ;
La Terre de la Nature, couleur jaune safran, est habitée par les Jinns incroyants ;
La Terre de la Concupiscence, habitée par des démons, est couleur rouge sang ;
La Terre de l'Exorbitance (arzu'l-tughyân), habitée par les démons, est couleur bleu indigo ;
La Terre de l'Impiété (arzu'l-ilhâd), est couleur noire comme la nuit ;
La Terre de la Misère (arzu'l-shaqawâ) ; sol de l'Enfer.
Des sept cieux, des sept terres, nous passons à l'homme intérieur et aux sept couleurs des organes de la physiologie subtile. Selon Alaoddwala Semanami (XIVe siècle), la coloration caractéristique des lumières, qui sont les voiles ténus enveloppant chacun de ses centres subtils, décèle au pèlerin l'étape de la croissance ou de l'itinéraire spirituel où il se trouve.
La lumière du corps (l'Adam de ton être) est de couleur gris fumée, virant au noir ; celle de l'âme vitale (le Noé de ton être) est de couleur bleue ; celle du cœur (Abraham) est de couleur rouge ; celle de l'esprit (David) est de couleur jaune ; celle de l'arcane (Jésus) est d'un noir lumineux ; celle du centre divin (Mohammad) est d'une couleur verte éclatante, car la couleur verte est plus appropriée au secret du mystère des Mystères (Henri Corin, L'intériorisation du sens en herméneutique soufie iranienne, dans Eranos-Jahrbuch, 1958).
Les couleurs ont revêtu également une signification politique en Islam. La couleur noire est entrée avec les Abbassides dans les emblèmes du Califat et de l'Etat en général. Les étendards noirs sont devenus le symbole de la révolte abbasside.
Suivant Bûkhari et Muslim, le Prophète portait un turban noir le jour de son entrée à La Mecque ; on dit aussi que son drapeau personnel, appelé Al-'ikab, était noir. Selon d'autres traditions, il était de couleur verte.
Un dicton rapporte que les Arabes ne portaient le turban noir que lorsqu'ils avaient une vengeance à exercer.
Le noir était la couleur du deuil en Iran. L'usage a persisté en Islam. L'historien maghrébin Makkari dit que, chez les anciens musulmans d'Espagne, le blanc était signe de deuil, alors que chez les Orientaux c'était le noir.
On trouve ainsi conjointes les notions de deuil, de vengeance et de révolte.
Le Calife portait un manteau noir, une haute coiffure de même couleur ; on ne devait se rendre au plais que vêtu de noir ; c'est avec des vêtements noirs que les notables allaient à la mosquée. Les vêtements d'honneur étaient noirs. Comme la garde-robe d'un grand personnage, les étoffes, les rideaux de sa salle d'audience. Le voile de la Ka'ba est noir. Le port de vêtements blancs est ordonné en guise de position.
Comme la couleur noire était l'emblème des Abbassides, les Alides, par opposition, adoptèrent le vert. Au début de son règle, le Calife Ma'inun, sympathisant avec les Alides, abolit l'usage du noir.
Le blanc devint l'emblème de la cause des Ummayades. Les chroniqueurs désignent les mouvements de révolte ummayade par l'expression de blanchir. Peu à peu, le blanc deviendra l'insigne de toute opposition. Les Carmates marchent sous les drapeaux blancs. Par extension, on donne le qualificatif de blanche à une religion qui s'oppose à l'Islam. On appelle la religion des rebelles la religion blanche.
L'expression le Noir et le Blanc signifie l'ensemble des sujets de l'empire, loyaux et rebelles.
Les rebelles de Perse sont parfois appelés les Rouges. Mais cela procède d'un autre ordre d'idées. Dès le temps préislamiques, les Persans et les étrangers en général sont appelés les Rouges par opposition aux Arabes, les Noirs : d'où l'expression le Rouge et le Noir, qui signifie chez eux tout le monde.
Les psychologues ont distingué les couleurs chaudes et les couleurs froides ; les premières favorisent les processus d'adaptation et d'entrain (rouge, orange, jaune) ; elles ont un pouvoir stimulant, excitant ; les secondes favorisent les processus d'opposition, de chute (bleu, indigo, violet) ; elles ont un pouvoir sédatif, apaisant. De nombreuses applications de ces valeurs ont été faites dans les appartements, les bureaux et les ateliers. Elles suscitent ce qu'elles symbolisent.
Il y a lieu de tenir compte également de leur tonalité, de leur éclat, de leur brillance. Claires et lumineuses, elles produisent un effet plus positif, mais qui peut être démesuré jusqu'à l'excitation ; mates, éteintes, leur effet est plus intériorisé, mais peut devenir assez négatif.
Les rêves colorés sont des expressions significatives de l'inconscient. Ils représentent certains états d'âme du rêveur et traduisent les diverses tendances de pulsations psychiques. Dans la conception analytique (selon C. G. Jung), les couleurs expriment les principales fonctions psychiques de l'homme : pensée, sentiment, intuition, sensation.
Le bleu est le couleur du ciel, de l'esprit : sur le plan psychique, c'est la couleur de la pensée. Le rouge est la couleur du sang, de la passion, du sentiment. Le jaune est la couleur de la lumière, de l'or, de l'intuition. Le vert est la couleur de la nature, de la croissance : au point de vue psychologique, il indique la fonction de sensation (fonction du réel), la relation entre le rêveur et la réalité.
Parfois, observe J. de la Rocheterie, un objet ou une zone onirique attire l'attention par la vivacité de ses couleurs, comme pour souligner l'importance du message que l'inconscient adresse au conscient. Rarement, tout le rêve resplendit de couleurs éclatantes. Si c'est le cas, les contenus de l'inconscient sont alors vécus avec une grande intensité d'émotion. Mais ces émotions peuvent être extrêmement diverses car, de même que les couleurs naissent de la variété des ondulations de la lumière, de même la qualité de l'émotion varie avec le ton de la couleur.
D'après la symbolique maçonnique, la couleur blanche correspond à la Sagesse, à la Grâce et à la Victoire ; la couleur rouge à l'Intelligence, la Rigueur et la Gloire ; tandis que le bleu s'accorde avec la Couronne, la Beauté, le Fondement ; le noir enfin correspond à Malkuth, le Royaume. Le bleu est aussi la couleur du Ciel, du Temple, de la Voûte étoilée.
Les compagnons portent des rubans fixés au chapeau, la canne ou à la boutonnière : les Tailleurs de pierre du Devoir de liberté portaient des rubans verts et bleus à la boutonnière du côté droit ; les Menuisiers du même Devoir des rubans verts, bleus et blancs à la boutonnière du côté gauche.
L'écharpe est bleue suivant le Rite Français ; bleue aussi dans le Rite Écossais, mais en outre bordée de rouge : la dualité des couleurs du cordon, dit Henri Jullien, peut être considérée comme la traduction des deux formes, positive et négative, de l'énergie tellurique et du magnétisme universel... Le rouge et le bleu, selon Frédéric Portal, figuraient l'identification de l'amour et de la sagesse.
Le rouge... dit Jules Boucher, rend sensible une irradiation, une extension du sens spirituel.
L'alchimie connaît aussi son échelle des couleurs. Suivant un ordre ascendant, elle attribue le noir à la matière, à l'occulte, au péché, à la pénitence ; le gris à la terre ; le blanc au mercure, à l'innocence, à l'illumination, au bonheur ; le rouge au soufre, au sang, à la passion, à la sublimation ; le bleu au ciel ; l'or au Grand Œuvre."
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Monique Souchier-Bert, autrice de "Anthropologie des couleurs et langage féminin". (In : Langage et société, n°0-1, 1977. Avril 1977. pp. 6- 21) évoque l'usage spécifique des couleurs par les femmes comme outil de rébellion face au pouvoir masculin :
La couleur est une réalité d'expérience qui concerne le Moi. Elle prend sens sur un fond de vécu et se fonde sur les couches archaïques de la personnalité et les formes primitives de la libido, sur le Moi des pulsions élémentaires, violentes, irréductibles.
Plus ou moins forte ou contraignante elle a un pouvoir sur les sensibilités donc sur les conduites des hommes, D'où sa fonction sociale quand elle a une réalité de perception collective et elle joue un rôle dans les pratiques, au niveau des conflits, des tensions et des incohérences, ou des accords et des structures, Elle devient expression symbolique qui renvoie aux relations existentielles, car il existe une étroite concomitance entre les gestes du corps, les centres nerveux et la représentation symbolique.
Comme d'autres symboles les couleurs servent à organiser le monde et restent toujours et partout des supports de la pensée symbolique, le symbolisme chromatique n'est jamais naïf mais opératoire: "le sémantisme du symbole est créateur". [...]
La couleur, comme la nuit, renvoie toujours à une sorte de féminité substantielle : la multi coloration étant liée directement dans l'imaginaire nocturne à la féminité maternelle, à la valorisation positive de la femme, de la Nature, du Centre, de la fécondité. C'est Maya ou Mélusine qui, pour le régime nocturne des fantasmes, sont le symbole de l'inépuisable multiplicité des nuances colorées.
L'image du somptueux vêtement de la Déesse-mère est très ancienne déjà chez les babylonniens.
De même dans le culte de Dionysos, le rouge amené au jour, de femelle nocturne devient mâle solaire, c'est un nouveau rouge associé au blanc et à l'or, symbole de la force vitale, de l'Eros libre triomphateur, symbole de l'amour libérateur. Et l'on sait que dans le culte de Dionysos le rôle principal échoit généralement aux femmes. II surgit de la mer et disparait dans la mer, symbole féminin. [...]
Le symbolisme des couleurs est bien le thème d'une régression vers les aspirations les plus primitives de la psyché, mais aussi le moyen d'exorciser la substance de l'espace et du temps.
Le pouvoir de la couleur, par une sorte de "praxis magique* face à une "praxis rationnelle", récupère donc le pouvoir qui l'a produite, mais dans un fantasme symbolique, car en dehors de l'Histoire, la "pratique colonialiste étant fondée sur le pouvoir de convaincre l'Autre, le colonisé, la femme, qu'il ne peut produire d'histoire", "A un certain moment, le parti le plus puissant créerait une idéologie appropriée pour le maintien de sa position et pour rendre cette position acceptable au plus faible. Dans cette idéologie, la différenciation du plus faible serait interprétée comme une infériorité et il serait prouvé que ces différences sont immuables, fondamentales ou représentent la volonté de Dieu,,," hors de l'Histoire.
Ce colonisé s'emploie, pour parvenir à ses fins, à des pratiques "hors du temps", " an-historique", c'est-à-dire une pratique "orale". La couleur étant un langage "oral" féminin pour tenter de dire le "désir", même et précisément en l'occultant dans le même geste où elle le dit.
Or "parler" est déjà commencer à se libérer, la "parole" fondant une civilisation totalement étrangère aux Cultures de l'Ecrit, et qui possède en puissance une force d'explosion fantastique.
Le langage de la couleur au féminin, exprimant un savoir instinctuel et pulsionnel, un savoir perceptif, esthétique et imaginaire, est donc une parole qui veut dire "autre chose" que ce qu'elle "dit", car il y a des significations qui dépassent les significations immédiates et réellement vécues.
Le langage féminin se différencierait par un statut comportemental et non dialectal.
La "pratique couleur" face à l'idéologie dominante d'une société fondée sur le rendement et l'exploitation, n'entraîne pas exclusivement une modification du monde matériel mais une modification des conduites des individus et de leurs rapports, un va et vient incessant dominant/ dominé , "l'objet couleur" symbolique détenant le fantasme de "pouvoir" et de "contre-pouvoir" et jouant comme un phénomène de communication, Les valeurs symboliques conduisent aux stratégies de la prise de pouvoir (mais quel pouvoir?) par des stratégies de communication.
D'après Douglas Baker, dans le chapitre 11 de son ouvrage Les Sept Rayons, psychologie ésotérique (édition originale 1982, 1ère édition française 1991), chapitre intitulé "Les mystères des couleurs" :
"Il est de nos jours enseigné que seuls les hommes et les serpents possèdent l'habileté à distinguer les couleurs. Aucune autre créature ne possède cette faculté sensorielle, si ce n'est dans une moindre mesure.
On dit aussi que l'homme n'a acquis cette habileté il n'y a que quelques milliers d'années, comme conséquence d'une mutation génétique casuelle. Quoi qu'il en soit, il est certain que les Grecs utilisaient la couleur, soit dans des buts pratiques, soit dans la symbolique de leurs rituels religieux et ésotériques.
Dans les écoles ésotériques de l’Égypte ancienne, on communiquait au candidat à l'initiation la couleur de son Rayon prédominant.
C'est un fait ésotériquement connu que l'habileté à distinguer des nuances subtiles dans les couleurs est un signe de progrès spirituel. On considère aussi que la capacité de rêver en couleurs est une indication du réveil des centres supérieurs du corps éthérique. une des raisons pour lesquelles on prend le Serpent comme symbole de la Sagesse, dans la Bible et dans d'autres œuvres occultes, réside dans sa capacité à distinguer les couleurs.
Le rapport entre la faculté de voir les couleurs et le développement de la Sagesse Divine est directement issu du fait occulte que la nature de l'âme humaine est fondamentalement qualité. La forme que nous revêtons extérieurement dépend beaucoup de cette qualité intérieure (l'âme). L'homme est le produit de l'action réciproque des énergies issues de l'âme et de celles issues de l'environnement. Par homme, nous entendons non seulement le corps physique, le corps astral et le corps mental, et le résultat de leur synthèse, la personnalité.
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Dans Celui qui marchait avec les esprits, Messages du futur (édition originale 1995, traduction française Robert Laffont, 1997), Hank Wesselman nous transmet un aspect inédit des couleurs complémentaires :
"Les deux hommes virent alors se succéder toutes les couleurs suivies de leurs complémentaires - noir, blanc, noir ; orange, vert, orange ; rouge, bleu, rouge. Ils comprirent pourquoi leur planète leur était apparue colorée en rouge. C'était son équivalent spirituel qu'ils avaient vu, "l'ombre" de sa forme telle qu'elle existait dans le monde spirituel, au niveau des archétypes.
L'acquiescement de l'esprit leur parvint sans équivoque, confirmant leur intuition. Ils virent alors sa forme changer, se muer en une tour de lumière aux contours vaguement flous puis redevenir un bloc de ténèbres dressé sur la dune. Au même moment, ils entendirent le son grave et puissant résonner autour d'eux, les rappelait à la réalité, à la colline des esprits. Ils 'efforcèrent alors de rejoindre l'esprit qui commençait à s'éloigner. Un bref instant, ils reprirent contact, avec le dorajuadiok et ils sentirent son infinie tristesse - reflet de la leur."
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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :
Une des principales caractéristiques des couleurs
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Bernard Valeur, dans "La chimie crée sa couleur… sur la palette du peintre" (In : La Chimie et l'art, Éditeur : EDP Sciences, 2010, pp. 129-168) attire notre attention sur un lien entre la couleur et le chiffre 3 :
LES TRILOGIES DE LA COULEUR
Il est remarquable que le chiffre 3 apparaisse de façon récurrente dans toutes les considérations sur les couleurs, de la perception à l’expression artistique. Il existe en effet diverses trilogies :
Trilogie de la perception de la couleur : la rétine de l’œil possède trois types de cônes (sensibles au bleu, au vert et au rouge) ; trois couleurs suffi sent pour réaliser une synthèse additive ou soustractive de la couleur ; trois éléments interviennent dans la perception de la couleur d’un objet : source, objet, observateur.
Trilogie de la caractérisation d’une couleur : trois paramètres caractérisent une couleur : teinte, clarté, saturation.
Trilogie des causes des couleurs : les couleurs sont d’origine chimique, physique et physiologique (selon la classifi cation proposée pour la première fois par Gœthe).
Trilogie des effets physiologiques : contraste de teinte, contraste de clarté, contraste de saturation.
Trilogie de la réalisation d’une œuvre picturale : les trois couleurs primaires et les trois couleurs secondaires jouent un rôle essentiel ; la réalisation d’une œuvre nécessite trois types d’éléments : pigments, liant et médium.
Dans Vert, Histoire d'une couleur (Éditions du Seuil, 2013) Michel Pastoureau s'attache à retracer l'histoire de la perception visuelle, sociale, culturelle de cette couleur en Occident, de l'Antiquité au XIXe siècle. C'est aussi l'occasion de disserter sur la couleur de manière plus générale :
En France, autour des années 1500, le discours sur les couleurs reste plus théorique qu'esthétique. la symbolique du blason et celle des devises exercent encore une forte influence sur la création artistique et littéraire. Les couleurs forment plus un langage qu'une harmonie. Toujours senefiantes, elles sont associées à des vices ou des vertus, à des sentiments et des émotions, à des classes d'âge, à des catégories sociales, à des intentions morales ou à des règles de vie. La littérature et la peinture sont soumises aux codes qui les régissent.
[...]
Héritière des lois somptuaires et des morales religieuses de la fin du Moyen Âge, la Réforme protestante déclare de bonne heure la guerre aux couleurs qu'elle juge trop vives ou trop voyantes et donne ne tous domaines priorité à un axe noir-gris-blanc, plus digne que la "polychromie papiste" et plus en accord avec la civilisation du livre imprimé et de la gravure, alors en pleine expansion.
[...]
Nombreuses sont à partir des années 1600 les spéculations sur la lumière et, par voie de conséquence, sur les couleurs, leur nature, leur hiérarchie, leur perception. A cette date, toutefois, l'ordre normal lorsqu'on les place sur un axe est encore et toujours l'ordre aristotélicien (ou prétendu tel) : blanc, jaune, rouge, vert, bleu, violet, noir. Le blanc et le noir restent des couleurs à part entière ; le vert n'est pas intermédiaire entre le jaune et le bleu, il n'est pas non plus le contraire du rouge ; quant au violet, il est le plus souvent pensé comme un mélange de bleu et de noir et non pas de rouge et de bleu. L'ordre spectral des couleurs est encore loin, même si de nombreux savants cherchent à remettre en cause cette classification séculaire."
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Littérature :
Le blanc
Entre toutes couleurs suis la premiere, Humilité signiffie et simplesse, Dont le lys blanc est des fleurs la maistresse : Saincte Escripture en donne foy planiere.
Et moy qui suis de coulleur celestine, Dont fin azur a son pris et valleur, Signiffiant loyaulté pour meilleur, Je doy au blanc par droit estre voisine.
Rouge ne doit des autres couleurs moindre Soy repputer, car il monstre victoire, Pompe, orgueil, arrogant veyne gloire, Qui ne peult hault et bas ne veult descendre.
Je qui suis gris signiffie esperance, Coulleur moyenne de blanc et noir meslée ; Et soye seulle ou à autre assemblée, Le moyen tiens en commune actrempence.
A l'esmeraulde ressemble precieuse, Me delectant en parfaicte verdeur ; Mal seant suis avec noire couleur Et n'appartiens qu'à personne joyeuse.
De rouge et blanc entremeslez ensamble, Ma coulleur est ressemblant à soucie ; Qui joyra d'amours ne se soussie, Car il me peult porter se bon luy semble.
Je suis de noir et rouge composée Coulleur viollée ainsi m'appelle l'on. Vestu en fut le traistre Gannellon, Dont par le monde encor suis diffamée.
Tanné [roux foncé, fauve]
Je porte ennuy en couverte pencée, Car ma coulleur est de sorte terrestre, De faitz et ditz qui doubteux peuvent estre, je suis changeant et de peu de durée.
Je signiffie dueil et merencolie, Desplaisance, tristesse, aspre courroux ; Obscure noire coulleur desplaist à tous ; Qui son cueur taint en moy fait grant folie.
Riolépiolé
Et moy qui suis riolé piolé, Broille meslé de rouge, noir et blanc, Comparé suis de sorte à Faulx Semblant, Qui a maint homme destruit et afollé.
L'acteur
Prince, qui veult porter coulleur diverse En devise, cecy luy peult valloir ; Chascun choisisse et preigne à son vouloir : Quant est à moy, j'ay prins la blanche et perse.
Jean Robertet (vers 1435-1502), L'Exposition des couleurs
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Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre dans l'Etude X de ses Etudes de la nature (1853) nous régale de sa palette de couleurs :
J.-J. Rousseau me disait un jour que, quoique le champ de ces couleurs célestes soit le bleu, les teintes du jaune qui se fondent avec lui n'y produisent point la couleur verte, comme il arrive dans nos couleurs matérielles, lorsqu'on mêle ces deux nuances ensemble. Mais je lui répondis que j'avais aperçu plusieurs fois du vert au ciel, non-seulement entre les tropiques, mais sur l'horizon de Paris. A la vérité, cette couleur ne se voit guère ici que dans quelque belle soirée de l'été. J'ai aperçu aussi dans les nuages des tropiques, principalement sur la mer et dans les tempêtes, toutes les couleurs qu'on peut voir sur la terre. Il y en a alors de cuivrées, de couleur de fumée de pipe, de brunes, de rousses, de noires, de grises, de livides, de couleur marron, et de celle de gueule de four enflammé. Quant à celles qui y paraissent dans les jours sereins, il y en a de si vives et de si éclatantes, qu'on n'en verra jamais de semblables dans aucun palais, quand on y rassemblerait toutes les pierreries du Mogol. Quelquefois les vents alizés du nord-est ou du sud-est, qui y soufflent constamment, cardent les nuages comme si c'étaient des flocons de soie; puis ils les chassent à l'occident, en les croisant les uns sur les autres, comme les mailles d'un panier à jour. Ils jettent, sur les côtés de ce réseau, les nuages qu'ils n'ont pas employés, et qui ne sont pas en petit nombre; ils les roulent en énormes masses blanches comme la neige, les contournent sur leurs bords en forme de croupes, et les entassent les uns sur les autres comme les Cordillères du Pérou, en leur donnant des formes de montagnes, de cavernes et de rochers; ensuite, vers le soir, ils calmissent un peu. comme s'ils craignaient de déranger leur ouvrage. Quand le soleil vient à descendre derrière ce magnifique réseau, on voit passer par toutes ses losanges une multitude de rayons lumineux qui y font un tel effet, que les deux côtés de chaque losange qui en sont éclairés paraissent relevés d'un filet d'or ; et les deux autres, qui devraient être dans l'ombre, sont teints d'un superbe nacarat. Quatre ou cinq gerbes de lumière, qui s'élèvent du soleil couchant jusqu'au zénith, bordent de franges d'or les sommets indécis de cette barrière céleste, et vont frapper des reflets de leurs feux les pyramides en montagnes aériennes collatérales, qui semblent alors être d'argent et de vermillon. C'est dans ce moment qu'on aperçoit, au milieu de leurs croupes redoublées, une multitude de vallons qui s'étendent à l'infini, en se distinguant à leur ouverture par quelque nuance de couleur de chair ou de rose. Ces vallons célestes présentent, dans leurs divers contours, des teintes inimitables de blanc qui fuient à perte de vue dans le blanc, ou des ombres qui se prolongent, sans se confondre, sur d'autres ombres. Vous voyez çà et là sortir des flancs caverneux de ces montagnes des fleuves de lumière qui se précipitent en lingots d'or et d'argent sur des rochers de corail. Ici, ce sont de sombres rochers, percés à jour, qui laissent apercevoir par leurs ouvertures le bleu pur du firmament ; là, ce sont de longues grèves salées d'or, qui s étendent sur de riches fonds du ciel, ponceaux, écarlates, et verts comme l'émeraude. La réverbération de ces couleurs occidentales se v répand sur la mer, dont elle glace les flots azurés de safran et de pourpre. Les matelots, appuyés sur les passavants du navire, admirent en silence ces paysages aériens. Quelquefois ce spectacle sublime se présente à eux à l'heure de la prière, et semble les inviter à élever leurs cœurs comme leurs vœux vers les cieux. Il change à chaque instant : bientôt ce qui était lumineux est simplement coloré, et ce qui était coloré est dans l'ombre. Les formes en sont aussi variables que les nuances- ce sont tour à tour des îles, des hameaux, des collines plantées de palmiers, de grands ponts qui traversent des fleuves , des campagnes d'or, d'améthystes, de rubis ; ou plutôt ce n'est rien de tout cela ; ce sont des couleurs et des formes célestes qu'aucun pinceau ne peut rendre, ni aucune langue exprimer.
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Jules Verne, dans 20 000 lieues sous les mers (1869-1870) évoque la magnificence des couleurs sous la mer :
Il était alors dix heures du matin. Les rayons du soleil frappaient la surface des flots sous un angle assez oblique, et au contact de leur lumière décomposée par la réfraction comme à travers un prisme, fleurs rochers, plantules, coquillages, polypes, se nuançaient sur leurs bords de sept couleurs du spectre solaire. C’était une merveille, une fête des yeux, que cet enchevêtrement de tons colorés, une véritable kaléidoscopie de vert, de jaune, d’orange, de violet, d’indigo, de bleu, en un mot, toute la palette d’un coloriste enragé ! Que ne pouvais-je communiquer à un Conseil les vives sensations qui me montaient au cerveau, et rivaliser avec lui d’interjections admiratives !
Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque la palette des couleurs de la nature :
7 septembre
(La Bastide)
D'abord, les rouges : le carmin lumineux des baies de l'if ; le pourpre et le rose des raisins du pistachier-térébinthe ; le vermillon vif des grappes de la salsepareille.
Puis les jaunes : un papillon citron de Provence, quatre lames de soufre à feux orange, ressuscite le vieil or des genêts finissants.
Enfin, les verts : partout alentour, en mille nuances qui s'opposent ou qui se fondent.
J'ai des fruits rouges aux doigts, des ailes d'or aux omoplates, et dans le ventre un nid de feuilles vertes mêlées d'herbes acides.
[...] 5 avril
(Fontaine-la-Verte)
Violettes, anémones, ficaires : violet, blanc et or... Ce sont les trois couleurs du drapeau de la forêt printanière. Je piétine la bannière. L'extase me gagne en commençant par les pieds, comme la ciguë de Socrate.
L'esprit des chamans
Frémit dans un chaton
Bouleau blanc
[...] 9 juin
(Fontaine-la-Verte)
[...] La psychologie des couleurs est bizarre. La plupart des aliments et des médicaments modernes sont teints. Les firmes investissent des sommes énormes pour définir les nuances qui se vendent. Où gisent les correspondances primitives ? Sont-elles inscrites dans nos gènes ? J'incline à penser que l'australopithèque robuste avait des a priori sur la couleur (favorable ou néfaste) des baies de sa récolte.
[...] 24 juin
(Tincave)
La prairie alpine est folle. C'est un délire, un rêve, une hallucination imputable au poison des vératres. les fleurs y déploient leurs couleurs absolues. Le jaune solaire des doronics exalte le citron mousseux des rhinanthes et les aplats gris des carottes. Se mêlent la fantaisie le bleu nuit des sauges, le corail des sainfoins, le mauve des vesces, le bleu-violet des campanules à feuilles rondes. Voici encore les chandelles des gentianes jaunes ; les plateaux incarnats des boucages ; les torches noires des raiponces ; les scoubidous roses des bistrotes ; la flottille de montgolfières des silènes enflées...
L'œil le plus botanique se perd dans ce fouillis organisé pour dissoudre la raison. Les écologistes de la tendance « machine à calculer » passent leur temps à compter les représentants de chaque espèce, dans des aires calibrées du biotope? Je me demande comment ils ne se retrouvent pas emportés par les bleus, les rouges et les jaunes, le cul par-dessus tête au bas de la pente.
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Nicolas Bouvier dans son récit de voyage intitulé Le Poisson-Scorpion (Co-Éditions Bertil Galland et Gallimard, 1982 ; Éditions Gallimard, 1996) évoque une nécessaire harmonie de couleurs pour bien prendre possession d'une chambre d'auberge provisoire :
S'installer dans une chambre pour une semaine, un mois, un an, est un acte rituel dont beaucoup de choses vont dépendre et dont il ne faut pas s'acquitter avec un esprit brouillon. Ne pas engorger une frugalité qui est salubre, limiter ses interventions, surtout ne pas bousculer les rapports de tons. Dans une chambre digne de ce nom, les couleurs ont pris le temps de s'expliquer, de parvenir par usure et compassion réciproque à un dialogue souhaité te fructueux. Ici ce bleu et ce noir ont abouti à quelque chose qui ne doit rien au hasard. J'ai défait mon mince bagage sur la pointe des pieds. Étendu sur le lit mon sac dont la lavande passé fait merveille. Dans le coin le plus sombre, là où l'escalier débouche, j'ai posé la guitare qui donne à cette composition une touche de gaieté havane clair et cubiste. Punaisé au-dessus de la table une grande rame de papier blanc : j'aime bien gribouiller debout avec un crayon à grosse mine quand une idée m'attrape à la surprise. Enlevé le paquebot qui navigue dans la mauvaise direction et mis à sa place la photo du Christ goanais déchiré voilà longtemps dans un magazine culturel indien. Les épines sont longues comme le pouce ; il est tout noir de sang, de doutes et de soucis, juste avant « l’Élié Sabacthani ». Un peu de tragique catholico-lusitanien n'est pas de trop : j'ai besoin de protections et ce petit Bouddha roublard ne peut pas se charger de toutes les besognes. L'ampoule nue au bout de son fil n'a pas plus d’éclat qu'une mangue mûre et oscille misérablement. Pour l'enjuponner, j'ai acheté au Bazar un lampion – laissé pour compte du Nouvel An bouddhique – en forme de paon. A mon retour, j'ai trouvé sur l'étagère un crabe rose comme une joue, qui me saluait frénétiquement de sa grosse pince. Je l'ai posé au haut de l'escalier qu'il a descendu en zigzag sans cesser de gesticuler comme si c'en était vraiment trop. J'écris maintenant sous ce volatile bleu au plastron rayé de jaune qui n’éclaire que lui-même. A la lumière du pétrole. Un pot de thé noir à mon coude. Parfaitement installé pour m'échiner gaiement en attendant que la santé revienne. J'ai trois mois d'argent et la vie devant moi.
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