Étymologie :
BOLET, subst. masc.
Étymol. et Hist. Début xive s. (Gloss. Lat.-G., B.N.L., 7692 dans Gdf. Compl. : Boletus, boulet) ; 1505 bolet (Platine de honneste volupté, fo90 vo, ibid.). Empr. du lat. impérial boletus, attesté dans la plupart des cas au plur., dep. Sénèque, Nat., 4, 13, 10 dans TLL s.v. 2066, 72 ; v. André, Bot. s.v.
CÈPE, subst. masc.
Étymol. et Hist. 1798 « bolet » (Nemnich, III d'apr. Behrens ds Z. fr. Spr. Lit., 23 [2e partie], p. 20). Empr. au gascon cep « id. » (Lespy-Raym. ; Palay) issu du lat. cippus v. cep.
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Selon Jean-Baptiste de Panafieu, auteur de Champignons (collection Terra curiosa, Éditions Plume de carottes, 2013),
"On rapproche parfois le mot cèpe du latin caput, la tête. En fait, les étymologistes pensent que cèpe, comme le cep, vient de cippus, qui désigne une borne dans un champ ou une colonne funéraire, des objets qui évoquent aussi bien un pied de vigne que le gros pied du champignon."
Autres noms : Boletus aereus - Bolet à tête noire - Bolet bronzé - Cèpe bronzé - Cèpe noir - Cèpe tête-de-nègre - Ceps - Champignon à tête noire - Gendarme noir - Tête de nègre - Seth -
Boletus edulis - Arcielous - Aricélous - Bolé - Bolet - Bolet comestible - Bolet nègre (Nice) - Brérot - Brucq (Montauban) - Bruguet - Bruquet - Cap-mol - Ceb - Cep - Cèpe - Cèpe d'automne - Cèpe de Bordeaux - Cèpe de Fontainebleau - Cèpe franc - Cèpe franc tête rousse - Cèpe royal - Cépet blanc - Ceps - Cépet - Champignon de pourceaux - Comparol de biou - Coucoumel - Coucoumèlo - Cougoumel - Escumelle - Essalon - Forchin - Fouge - Girolle - Gros-pied - Grosse-queue (Meuse) - Gyrole - Gyroule - Grand mousseux d'été - Michotte - Miquemot (Tarn) - Missol - Mol - Mouillet - Moussar - Mourse - Nissoulous (Languedoc) - Polonais (Vosges) - Porchin - Potiron - Poturon roux - Prourse - Seixh de Pachera - Seps - Sequet -
Boletus pinophilus - Bolet acajou - Bolet pinicole - Cèpe acajou - Cèpe des pins - Cèpe des pins de montagne -
Boletus reticulatus - Bolet d'été - Bolet réticulé - Cèpe d'été - Cèpe réticulé -
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Mycologie :
Édouard Grimard, auteur de L'esprit des plantes, silhouettes végétales. (Éditions Mame, 1875) propose sa propre vision des plantes :
[...] nous ne pouvons pas ne pas citer quelques-uns des Champignons comestibles les plus célèbres.
Nommons en tête les Bolets, dont certaines espèces étaient tellement estimées par les Romains, qu'on les servait avec magnificence sur des vases d'argent, et qu'on ne les coupait qu'avec des couteaux d'ambre. Aujourd'hui encore, ils sont fort estimés par certains gourmets, et le Bolet comestible ou Cèpe, fort reconnaissable à son pédicelle renflé à la base, à son chapeau de couleur brune ferrugineuse, et à sa chair d'une blancheur éclatante, est un des Champignons les plus généralement appréciés, surtout dans le sud-ouest de la France.
Dans son Atlas des champignons comestibles et vénéneux de la France et des pays circonvoisins. (Doin Éditeurs, 1888) Charles Richon nous propose une description du Cèpe :
Chapeau arrondi puis presque plat, glabre, humide, d'un brun fauve ; stipe ferme, brunâtre, presque régulier-cylindrique, réticulé dans la partie supérieure ; hyménium constitué par des tubes presque libres, allongés, étroits, à pores petits, blanchâtres d'abord puis jaunes, et à la maturité d'un jaune verdâtre. Spores olivacées, fusiformes-obtuses.
Chair blanche. Odeur douce, saveur sucrée, agréable.
Fin de l'été et automne. Dans les bois découverts, les forêts peu ombragées, etc.
Espèce comestible des plus appréciées.
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Selon Frédéric Duhart, auteur d'une « Contribution à l’anthropologie de la consommation de champignons à partir du cas du sud-ouest de la France (XVIe -XXIe siècles) », (Revue d’ethnoécologie [En ligne], 2 | 2012) :
À l’inverse, les champignons les plus estimés prirent précocement une valeur marchande qui invita durablement la majorité de ceux qui les ramassèrent à vendre la plus grande partie de leur récolte. Durant les automnes des premières décennies du début du XXe siècle, les femmes et les enfants proposant des cordes de cèpes frais (Boletus edulis et B. aereus essentiellement) ne manquaient pas le long de la route qui reliait Dax et Tartas (CIG 1998 : 47). Il est vrai qu’en Chalosse comme dans les environs de Casteljaloux, le produit de la vente des champignons se transformait parfois en une contribution non négligeable au budget familial et permettait, par exemple, l’achat d’un peu de viande (Bourras 1998 : 49). Si le marché absorbait l’essentiel de beaucoup de cueillettes, une consommation paysanne des bons champignons exista néanmoins. Tous les cèpes récoltés n’avaient pas une fermeté suffisante pour séduire les acheteurs : ils se trouvaient parmi eux des sujets que les habitants de la Montagne Noire appelaient des andouilles et les Bas-Navarrais papunak. Parvenus à un stade de développement avancé, ces champignons plus aqueux et moins parfumés prenaient facilement le chemin des tables familiales sur lesquelles ils apparaissaient préparés en omelettes, poêlés ou grillés (Planchon 1883 : 137 ; Clarac 1992 : 134 ; Etniker 1990 : 295). Les bonnes années, quand les champignons étaient vraiment très abondants, leur rôle saisonnier dans l’alimentation de la petite paysannerie pouvait devenir plus conséquent, ainsi en Pays d’Orthe (Artigues 1887 : 361).
Au cours du XXe siècle, l’attitude des ménages agricoles à l’égard des champignons de qualité évolua remarquablement dans la majeure partie du Sud-Ouest. Ce changement découla d’un lent processus au sein duquel l’amélioration globale des conditions de vie joua un rôle déterminant. Alors que la vente des champignons devenait moins nécessaire du fait d’une intégration accrue de la production des exploitations au marché, les bocaux stérilisés puis la congélation multiplièrent les possibilités de conserver cette denrée prompte à se corrompre. Jusque sur des contreforts d’un Massif Central où la valorisation commerciale des récoltes familiales resta largement pratiquée, les bons champignons s’affirmèrent comme un plaisir pour soi, un mets de qualité qui pouvait être stocké en l’attente des grandes occasions de la vie familiale et dont la consommation au-delà des quantités anciennement admises était une jouissance légitime. Au milieu des années 1970, un habitant des confins du Gévaudan vendait ainsi les grisets (Tricholoma portentosum et T. myomyces) à un collecteur de champignons, mais gardait les bolets pour son propre usage parce que « les cèpes, c’est trop bon » (Larrère & De La Soudière [1985] 1987 : 202). Ailleurs, notamment dans les secteurs où s’installa précocement et fortement une polyculture modernisée, les champignons de qualité devinrent d’autant plus appréciés comme nourriture festive domestique que les nouveaux rythmes de travail ne permettaient pas toujours d’être suffisamment disponible pour aller en ramasser avec régularité. Dans beaucoup d’endroits, l’idée de ramasser les champignons pour les vendre devint même presque étrangère aux agriculteurs qui trouvaient encore le temps d’aller en chercher. Certes, il resta totalement légitime d’en apporter au marché. Mais il parut plus naturel à beaucoup de réserver les précieux champignons pour des transactions plus investies symboliquement : dons à la famille, aux amis ou aux voisins à l’état frais ou sous la forme de conserves voire de plat servi au cours d’un repas festif. De là, une hostilité grandissante à l’égard de ramasseurs venus d’ailleurs et suspectés à tort ou à raison de commercialiser le produit de leurs expéditions forestières. À la fin des années 1980, un habitant de la Lande lot-et-garonnaise décrivait ainsi les « étrangers » qui fréquentaient ses bois préférés : « alors qu’on a jamais interdit à quelqu’un de ramasser un panier de champignons pour son ménage ou ses amis (…) ils vendent, ils sont mal élevés ! Ils vendent ! Alors c’est ça qui est terrible » (Traimond 1992 : 145). Presque trente ans plus tard, alors que la situation est devenue particulièrement tendue entre propriétaires forestiers et cueilleurs de champignons dans diverses contrées boisées de la région, ainsi la Montagne Noire ou les Pyrénées. En ces lieux, le discours se radicalise, mais l’idée que le champignon, qui ne devait pas s’acheter dans l’idéal paysan, ne devrait pas se négocier contre argent continue de sous-tendre bien des prises de position. De Roqueferre à Montjoie-en-Couserans, les habitants de certains villages s’insurgent à l’idée d’avoir à payer un droit pour se livrer à la recherche des champignons, quand des propriétaires appellent de leur vœu une réglementation de la cueillette. Ouvrier ariégeois à la retraite qui ramasse autant qu’il le peut des cèpes pour réaliser des conserves à son usage mais aussi pour les vendre par cageots entiers à des restaurateurs ou des marchands de primeurs, Michel est de ces ramasseurs tant décriés par les forestiers et les paysans (La dépêche du Midi, 10/2007). Son cas souligne le caractère tout à la fois populaire et bourgeois de la consommation de champignons de qualité dans les villes du Sud-Ouest contemporain. Certes, le champignon ramassé n’est pas toujours populaire, le plaisir de la cueillette transcendant les classes sociales même s’il plaît surtout dans des milieux modestes (Coujard 1982 : 264). Mais le champignon acheté reste un aliment cher. Le treize octobre 2007, par exemple, les cèpes (Boletus edulis) de qualité extra étaient vendus à vingt-cinq euros le kilogramme sur le marché de Bayonne.
Après n’avoir tenu qu’un rôle discret dans le service des tables médiévales, les champignons connurent de nouveau les faveurs des gourmets du royaume de France au seuil de l’Époque Moderne, malgré les réserves soulevées par des médecins qui ne regardaient pas d’un très bon œil cette nourriture froide, excrémentielle et exposant en cas de confusion à des risques mortels (Champier 1560 : 547-553). Le bon goût ne consacra néanmoins qu’un nombre réduit d’espèces et désigna l’une d’elle comme le champignon par excellence et par défaut. Autour de Paris et dans bon nombres de provinces, ce champignon fut « rouge par-dessous et blanc par-dessus », c’est-à-dire un agaric à lames rosées (Bonnefons 1655 : 115). Il n’en fut pas de même dans un Sud-Ouest où des bolets jugés de peu de valeur au cœur du royaume jouaient un rôle considérable dans l’approvisionnement des bonnes cuisines. Ici, le champignon générique fut fourni par Boletus edulis, B. aereus, Boletus aestivalis ou Boletus Pinophilus. Cela apparaît fort nettement dans les langues régionales, les sujets de ces espèces étant généralement désignés par des termes signifiant « champignon ». En Aveyron, ils furent notamment connus sous les noms de fóunge ou de sóunge (Vayssier 1879 : 272). Quelques décennies plus tard, ils étaient onduak dans le village souletin de Sunharette (Duvert, Decha & Labat 1998 : 179). Dans les parlers gascons, ces prestigieux bolets furent connus sous les noms de sexh, de set… appellations dérivant du seta español ou partageant une même racine avec lui. Précocement, ces appellations évoluèrent en cep (cèpe) dans le français régional. Dès avant la fin de l’Ancien Régime, elles purent être localement employées par écrit. Toutefois, de telles utilisations ne signifient nullement que le « champignon » n’est alors plus servi à désigner dans la majorité des cas des Boletus (Dufour 1840 : 128 ; Wasson & Pavlovna 1957 : 150-151). Dans de nombreux secteurs du Sud-Ouest, en effet, les bolets continuèrent durablement à tenir le rôle du champignon générique au détriment des agarics. En 1802, un statisticien précisait ainsi que « le petit agaric des Parisiens » ne faisait presque l’objet d’aucun usage et était dédaigné dans une Corrèze où Boletus edulis croissait si abondamment que « les troupeaux [terminaient] une récolte qui [avait] lassé les hommes » (Firmigier : 175-176). En 1840, Agaricus campester n’avait commencé « à prendre rang parmi les champignons comestibles » des Landes que depuis quelques années et les paysans continuaient de ne pas en apporter sur les marchés (Dufour 1840 : 126). Plus tard encore, les Béarnais dédaignaient encore cette espèce et ne se donnaient pas la peine pour cette raison de cultiver des champignons de couche (Bergeret 1909 : 845). Quand Agaricus campester fut admis sur les tables, ce fut d’ailleurs le plus souvent en se pliant aux mêmes préparations que les bolets. Dans l’Agenais de la fin de la première moitié du XIXe siècle, une contrée dans laquelle les amateurs d’agarics champêtres étaient fort peu nombreux, il était d’usage de cuisiner ces champignons « comme le bolet comestible » en friture ou en omelette. Poussant l’analogie de traitement plus avant, certaines ménagères le faisaient même sécher pour réaliser des provisions (Lespiault 1845 : 35).
La pleine satisfaction du goût des élites pour les champignons passait en effet par le dépassement de la saisonnalité de leur disponibilité en frais. Partout, la capacité des cèpes à supporter très honorablement la dessiccation fut mise à profit. À la fin de l’Ancien Régime, le couvent jacobin de Bergerac achetait ainsi de grandes quantités de potirons entre les mois d’octobre et de décembre pour les faire sécher et pouvoir en disposer toute l’année (Ignace & Laborie 2002 : 280, 294). À la même époque, ce procédé de conservation était aussi très employé dans la région de Dax, où quelques personnes prolongeaient de même le temps des cèpes en conservant des champignons entiers dans une saumure (Thore 1803 : 482). Par la suite, la fabrication de conserves appertisées enrichit considérablement les manières de conserver les champignons alors qu’une distinction nette s’établit entre les agarics et les cèpes. À la charnière des XIXe et XXe siècles, la mise en place dans le Bordelais, le Périgord ou les environs d’Angoulême de champignonnières fonctionnant selon le modèle parisien rendit le champignon de couche (Agaricus bisporus) disponible toute l’année en frais. Parallèlement, le changement d’échelle de sa production permit l’établissement d’unités spécialisées dans sa mise en boîtes (Pomiane 1928 : 128). Tout en restant à un prix relativement élevé, le champignon de Paris se transforma à la faveur de ces conditions nouvelles en un ingrédient ordinaire de la cuisine bourgeoise méridionale. De son côté, l’indomptable cèpe bénéficia de l’écho d’une renommée acquise auprès des gourmets parisiens dans le courant de la seconde moitié du XIXe siècle (Soyve 1863 : 733 ; Bontou [1898] 1998 : 282). Il devint un mets apprécié dans toute sa spécificité, quand l’agaric prit le rôle du champignon délicatement ordinaire.
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D'après Jean-Baptiste de Panafieu, auteur de Champignons (collection Terra curiosa, Éditions Plume de carottes, 2013), le cèpe de Bordeaux peut être considéré comme "Le Roi au gros pied".
Géographie du cèpe : Le cèpe de Bordeaux est consommé depuis l'Antiquité. il est bien identifié par les auteurs, souvent sous le nom de champignon de pourceaux ou de potiron. En 1793, le mycologue Paulet le nomme cèpe de Bordeaux, mais il est aussi appelé cèpe de Fontainebleau ou de Pologne. Pourtant, s'il est recherché dans de nombreuses régions d'Europe, il est parfois négligé, comme le fait remarquer le médecin François-Victor Mérat vers 1820 : "A Paris, on ne mange pas ce bolet, quoiqu'il croisse abondamment dans les bois de nos environs, ce qui étonne tous les gens du Midi, qui s'empressent de le récolter ; on se prive ainsi d'un aliment abondant et très sain dont les paysans de la Gascogne et du Périgord font presque leur unique nourriture l'hiver avec le pain."
La guerre du cèpe : Aujourd'hui, on ne sait toujours pas cultiver cette espèce qui fait l'objet de collectes systématiques, notamment dans le sud de la France. Entre les cueilleurs amateurs, les ramasseurs professionnels et les exploitants des forêts, la guerre fait rage chaque année à la fin de l'été. Des règlements communaux ou des arrêtés préfectoraux tentent de limiter les prélèvements. Certains départements ont édité des "cartes de cueilleurs de champignons" et imposent aux commerçants de se déclarer. Les conflits entremêlent fréquemment plusieurs oppositions traditionnelles (amateurs-professionnels, propriétaires-promeneurs, paysans-citadins) et sont exacerbés par les enjeux financiers. Pendant la saison, des groupes de cueilleurs s'installent parfois dans les bois, utilisant des techniques destructrices pour trouver les cèpes sous les feuilles.
Faux cèpes : Malgré cela, la production de cèpes est insuffisante. La demande est telle qu'il faut en importer d'Europe de l'Est, de Turquie, de Tunisie ou de Chine. Le cèpe de Bordeaux est aujourd'hui l'une des espèces les plus connues dans le monde, récoltée et commercialisée dans de nombreux pays. On en trouve des variétés voisines en Asie et en Amérique du Nord. Séché ou en conserve, il est exporté jusqu'en Australie et en Nouvelle-Zélande, où il ne pousse pas naturellement. Mais les cèpes séchés sont parfois difficiles à distinguer d'espèces voisines. Ce n'est pas bien grave quand il s'agit du cèpe d'été" ou du cèpe bronzé, tout aussi savoureux. C'est plus ennuyeux lorsque les prétendus "mélanges forestiers" contiennent des bolets des pins ou de médiocres bolets à chair jaune !
Cèpes et bolets : Il n'existe pas de règle, ni botanique, ni culinaire, qui distingue réellement les deux termes cèpe et bolet. On réserve d'habitude le terme cèpe aux espèces à gros pied es plus réputées ; cèpe de Bordeaux, cèpe bronzé et cèpe d'été (Boletus edulis, Boletus aureus et Boletus aestivalis). Vu son allure, on pourrait parler de cèpe Satan, mais il n'est pas comestible du tout... et reste donc un bolet !"
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Francis Martin, auteur de Sous la forêt, pour survivre il faut des alliés (Éditions humenSciences, 2019) étudie le Bolet à chair jaune afin de voir s'il utilise la même stratégie que l'Armillaire couleur de miel :
Chaque automne, dans la litière s'accumulant au pied de hêtres de plus de 150 ans, s'épanouit un cortège de mycètes inféodés à cette essence. Le long d'une ligne imaginaire traversant l'une des parcelles forestières, nous avions tiré au cordeau trois grands carrés de 100 mètres carrés, dans l'intention de répertorier tous les laccaires [améthyste] et les bolets jaunes qui voudraient bien y pointer le sommet de leur chapeau. [...] Chaque laccaire ou bolet trouvé était collecté, ensaché, soigneusement étiqueté, ses coordonnées spatiales dans la parcelle scrupuleusement notées et, enfin, il était déposé sur un lit de glace afin d'éviter toute dégradation des fragiles fructifications. Après une journée entière passée à cueillir des centaines de laccaires et de bolets, nous sommes retournés au laboratoire où les échantillons, soumis à des analyses ADN, ont permis de révéler leur parenté génétique. [...]
Que ne fut notre surprise de constater que nos deux espèces de champignons avaient des comportements radicalement opposés ! Alors que plusieurs centaines d'individus du laccaire améthyste cohabitaient dans chacune des parcelles, un seul individu de Bolet à chair jaune développait, en unique seigneur, ses ramifications souterraines dans la forêt et produisit toutes les fructifications récoltées. Couvrant plusieurs centaines de mètres carrés, ce bolet avait près de 150 ans - le même âge que les arbres sous lesquels nous l'avions récolté. Il avait certainement réussi à établir une coopération bénéfique, une symbiose, avec les jeunes germinations des hêtres, dès leur plantation au milieu du XIXe siècle. Un patriarche bien établi perpétuant sa descendance, chaque année, et dont les enfants s'envolaient sous forme de spores, emportées par le vent au-dessus des sommets vosgiens. [...]
Pourquoi deux espèces de champignons symbiotiques, associées aux mêmes arbres, partageant le même habitat et un climat identique, optent pour des modes de reproduction si contrastés ? Pourquoi opter pour l'établissement d'une seule immense colonie centenaire ou bien de multiples colonies éphémères de petite taille ? Vingt ans plus tard, nous ne le savons toujours pas. Les gènes contrôlant la taille et la pérennité des colonies fongiques ne sont toujours pas identifiés. L'enquête scientifique se poursuit !
[...]
Le chapeau du [champignon] camoufle et protège ainsi des millions de petites catapultes, capables de projeter une cinquantaine de millions de spores par heure afin d'assurer la propagation de la colonie et d'explorer de nouveaux territoires. Le Cèpe de Bordeaux est un champion dans sa catégorie : il produit 10 milliards de spores en deux semaines !
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Fiche extraite de la thèse de Nicolas FELGEIROLLES soutenue le 2 Juillet 2018 à Montpellier et intitulée La Mycologie dans le bassin alésien ; enquête auprès des pharmaciens d'officine et solutions apportées pour consolider leurs compétences sur les champignons :
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Lyra Ceoltoir autrice d'un magnifique Grimoire de Magie forestière (Alliance magique Éditions, 2021) décrit ceux qu'elle appelle les quatre cèpes royaux de la manière suivante :
La vaste famille des cèpes et des bolets, le genre Boletus, est celle des rois de la forêt. Leur forme même évoque la silhouette type du champignon, avec un chapeau arrondi en forme de coussin, portant une multitude de minuscules tubes sur le dessous formant la « mousse » spongieuse caractéristique de cette famille, et un pied dodu. Le vaste panel de leurs représentants (il en existe plus de 800 espèces), dont beaucoup sont comestibles, fait la joie des cueilleurs et des mycologues.
Le mot « cèpe » est dérivé du latin cippus, qui donna l'occitan gascon cep, signifiant « tronc ». On le retrouve également dans le nom du pied de la vigne, le « cep ». Son entrée dans le dictionnaire est assez récente, puisqu'il faut attendre la sixième édition (datée de 1832 à 1835) pour qu'il soit validé par l'Académie française. Généralement, le terme de « cèpe » est appliqué aux bolets comestibles, pour les distinguer de ceux qui ne le sont pas, même si les deux termes sont souvent interchangeables.
Il faut dire que le terme de « bolet » est bien plus ancien, puisqu'il remonte à l'Antiquité. le latin boletus dérive en effet du grec ancien bolos, signifiant au départ « motte de terre », puis boletus, « champignon de terre ». AU départ, le terme ne s'applique donc pas seulement au genre des bolets, mais à l'ensemble des champignons, et en particulier au plus recherché de tous pour la consommation, la délicieuse Amanite des Césars. Ce n'est qu'au début du XIXe siècle que les mycologues appliquèrent ce terme à une famille plus précise, occupant le genre le plus vaste parmi les champignons les plus prisés/
Il serait impossible d'en faire une liste exhaustive ; nous nous contenterons donc ici de nous attarder sur quatre des représentants les plus prestigieux, comptant parmi les meilleurs comestibles, pour cette raison surnommes les cèpes « royaux ».
Le Cèpe bronzé (Boletus aereus)
Vie de champignon : Le Cèpe bronzé (Boletus aereus, aereus signifiait « bronze » ou « airain ») est facile à reconnaître avec son chapeau d'un brun tirant sur le noir de 10 à 15 centimètres de diamètre, souvent velouté, perché sur un pied d'un brun chamois clair et veiné de blanc. Ses tubes sont très serrés, blancs chez le sujet jeune, puis jaunes et enfin brun verdâtre chez le sujet âgé. Sa chair est très blanche et ne change pas de couleur au contact de l'air, contrairement à certaines autres espèces ayant tendance à bleuir. Très ferme, elle exhale une douce odeur musquée caractéristique et possède une saveur délicate et fine.
Le Cèpe bronzé est en général plutôt petit pour sa famille, même si certains spécimens peuvent briser les moyennes et grandir plus que de coutume. C'est d'ailleurs une habitude chez les Cèpes : ils aiment battre des records et ne pas se plier aux conventions. C'est une espèce aimant la chaleur, qui pousse, sou sa forme juvénile, en « bouchon de champagne », de la fin de l'été jusqu'au début de l'hiver. Ils apprécient la compagnie des chênes (à condition que leur ombre ne soit pas trop dense), des hêtres et des châtaigniers, essentiellement au sud et à l'ouest de notre pays, même si certains ne dédaignent pas un petit voyage un peu plus à l'est ou même au nord, quand les conditions météorologiques sont assez clémentes pour eux.
rare et discret, le Cèpe bronzé est sans doute le plus prisé des gourmands, pour la saveur exquise et la texture croquante de sa chair, qui se plie à toutes les préparations culinaires. Il est aussi bon coupé en tranches que farci, sauté, en sauce, haché, en omelette... C'est la star des Cèpes dans l'assiette !
Le Cèpe des pins (Boletus pinophilus)
Vie de champignon : Le Cèpe des pins (Boletus pinophilus, littéralement « qui aime les pins ») préfère, comme son nom l'indique, la compagnie des résineux, en particulier les forêts de pins sylvestres (Pinus sylvestris) et de sapins blancs (Abies alba) au nord du pays. Il ne dédaigne pas pour autant les feuillus, en particulier les hêtres, châtaigniers et chênes. Son large chapeau, de 10 à 20 centimètres de diamètre (ais serez-vous surpris si je vous dis qu'il peut mesurer davantage ?) présente une belle teinte acajou, beaucoup plus sombre chez le sujet jeune d'un vineux noirâtre, un toucher sec et velouté, parfois agrémenté d'un « duvet » blanchâtre et éphémère sur le bord. Ses tubes sont blancs, puis deviennent jaunes et enfin verdâtres avec l'âge. Son pied est plutôt court et renflé, de 7 à 15 centimètres de haut sur 3 à 10 centimètres de diamètre. D'abord crème il est ensuite d'un brun clair tirant sue l roux, puis veiné de blanc jaunâtre. Sa chair blanche, proche d'une teinte vineuse sous le chapeau, est ferme et dense, et ne change pas de couleur au contact de l'air. Elle exhale une odeur plus marquée que ses cousins, mais possède une saveur douce et très agréable.
C'est une espèce automale, cême s'il apparaît parfois dès la fin de l'été quand les conditions s'y prêtent. Toutefois, sa croissance est capricieuse et il peut se passer des années sans que l'on voie le chapeau d'un seul ! Disons qu'il a l'art et la manière de se faire désirer...
Le Cèpe d'été (Boletus reticulatus)
Vie de champignon : Le Cèpe d'été (Boletus reticulatus), enfin, arbore un chapeau d'un brun-fauve clair, au toucher velouté, souvent crevassé quand le temps est assez sec. Ses pores sont d'abord blancs, puis évoluent vers le jaune et le verdâtre après quelques temps. Son pied est souvent particulièrement dodu et peut devenir plus large que le chapeau, en moyenne entre 13 et 20 centimètres. Il arbore un réseau veineux blanc, en relief, sur toute sa surface, qui lui a donné sn surnom de cèpe « réticulé ». Sa chair blanche, jaunâtre sous les tubes, est dense et épaisse, exhalant une odeur agréable et proposant une saveur douce, plus sucrée que ses congénères.
Il aime la compagnie des feuillus, en particulier du chêne blanc (Quercus alba), son favori, mais aussi des autres chênes, des hêtres, des châtaigniers et des charmes. Il est le plus précoce de tous, apparaissant dès le mois de mai et s'épanouissant tout l'été (d'où son nom) jusqu'eau début de l'automne. Comme il apprécie la lumière et la chaleur, on le trouve essentiellement dans le sud et l'ouest de la France, même s'il peut voyager un peu partout.
Cèpe de Bordeaux (Boletus edulis)
Vie de champignon : Le Cèpe de Bordeaux (Boletus edulis, qui signifie littéralement « champignon comestible ») est sans doute le plus connu et le plus emblématique de sa famille.
C'est le Cèpe par excellence, avec son chapeau atteignant aisément 15 à 20 centimètres de diamètre (souvent plus, il aime battre des records (1)), blond-brun avec des reflets roux, recouvert d'une cuticule (la peau du chapeau) grasse au toucher, donnant la sensation qu'il est couvert de savon. Lui aussi démarre son existence sous forme d'un « bouchon de champagne », avant de s'épanouir au sommet d'un pied robuste, assez cylindrique et un peu plus renflé à la base, mesurant facilement de 6 à 15 centimètres de hauteur (parfois davantage, vous l'avez compris). Son pied est d'un blanc tirant sur l'ocre, parcouru de veines blanchâtres. Ses pores sont d'abord blancs, puis jaunes, et enfin verdâtres chez les sujets les plus âgés. Sa chair épaisse, tendre, est blanche et ne change pas de couleur au contact de l'air, évoluant simplement vers une teinte plus rougeâtre sous la cuticule. Son odeur est assez discrète, mais sa saveur est douce et agréable. Il est rare de confondre ce Cèpe avec d'autres. Bien que, parfois, le Bolet de fiel (Tylopilus felleus) tente de lui ressembler, ses spores roses et sa chair atrocement amère alertent vite sur l'erreur commise !
Le Cèpe de Bordeaux est un habitant typique des forêts, qui aime le couvert des arbres, en particulier ds épicéas dans les zones montagneuses, des chênes, des hêtres et des châtaigniers en plaine. Quand les conditions sont favorables, il apparaît dès la fin de l'été, mais est essentiellement automnal. Contrairement à ce que son nom laisse supposer, il n'est pas cantonné à la région bordelaise, mais se plaît un peu partout. Ce surnom vient du fait que la ville de Paris fut longtemps approvisionnée en cèpes par les récolteurs bordelais, en raison de l'abondance de ce champignon dans cette région.
Délicieux et nutritif, puisque particulièrement concentré en vitamines du groupe D et en ergostérol (qui en font un mets de choix pour les végétariens), il est très recherché par les gourmets. Il se prête à toutes les préparations, même si le séchage est souvent privilégié, car il accentue sa saveur. Pour cette raison, on tenta longtemps de le cultiver, sans succès ! Aujourd'hui encore, la science et l'agriculture n'ont pas compris comment domestiquer ce délicieux compagnon des bois, qui reste doc un sauvage libre que les cueilleurs s'arrachent chaque automne.
Note : 1) Il n'est ainsi pas exceptionnel de tomber sur des sujets arborant fièrement un chapeau de 35 centimètres de diamètre et pesant allègrement leurs 3 kilogrammes.
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Propriétés médicinales :
Marie Rampin, propose une synthèse des vertus thérapeutiques du Cèpe dans Champignons "médicinaux" : de l'usage traditionnel aux compléments alimentaires. (Thèse d'exercice en Pharmacie, Université Toulouse lll - Paul Sabatier, 2017, pp. 45-46) :
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Usages traditionnels :
Selon L.F. Morel, auteur d'un Traité des champignons au point de vue botanique, alimentaire et toxicologique (Germer-Baillière Libraire-éditeur, 1865) :
Bolet comestible. Pour le propager, on en choisit qui soient parvenus à tout leur développement ; on les fait bouillir dans l'eau pendant un quart d'heure environ. Lorsque cette eau est refroidie, on en arrose largement la terre nettoyée et un peu ratissée dans un endroit convenablement ombragé. Le succès est pour ainsi dire infaillible . Ce procédé, emprunté aux habitants des Landes qui en font grand usage, est assurément tout ce qu'on peut trouver de plus simple et de plus facile pour la pratique. Peut-être cependant pourrait-on le rendre plus avantageux encore en remplaçant l'ébullition par une macération à froid ? car on le voit, tout le but de cette opération est de séparer la graine de la plante ; or, il nous semble qu'en prolongeant son séjour dans l'eau, on devrait y arriver tout aussi sûrement que par la chaleur. On cultive exactement de la même manière, le Bolet bronzé, le Palomet, etc.
Charles Gérard explique le nom de ce champignon dans les Vosges grâce à son ouvrage : L’Ancienne Alsace à table. Étude historique et archéologique sur l’alimentation, les mœurs et les usages épulaires de l’ancienne province d’Alsace (Berger-Levrault et Cie, 1877) :
La plus répandue est celle du bolet comestible proprement dit (Boletus edulis). Ce champignon, qui porte en France le nom de cèpe, est récolté dans les bois depuis le mois de juillet jusqu’en septembre ; son chapeau atteint très-souvent un diamètre de 6-7 pouces. Sa saveur est des plus agréables. Jusqu’en 1738, il était dédaigné en Lorraine et en Alsace. Sans les orages politiques qui agitèrent la Pologne, à cette époque, il le serait peut-être encore. Mais le roi Stanislas, chassé de ses États, ayant obtenu le duché de Lorraine de son beau-père[sic] Louis XV, avait amené avec lui une colonie de seigneurs et d’officiers polonais qui ne tardèrent pas à mettre ce bolet en vogue. La gratitude des Lorrains consacra le souvenir de cette révélation gastronomique ; le bolet, dans cette province, n’est désigné dans l’usage que sous le nom de polonais. Les Alsaciens profitèrent d’une révélation si utile.
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Charles Richon, auteur d'un Atlas des champignons comestibles et vénéneux de la France et des pays circonvoisins. (Doin Éditeurs, 1888) rend compte d'usages de nos ancêtres :
Le Cèpe était connu des Romains. S'il reste du doute sur la véritable signification des Fungi farnei d'Apicius, le nom de Suillus que lui donne Pline, conservé par la tradition, permet d'être à cet égard plus affirmatif. Pline le signalait déjà comme étant d'un usage assez dangereux par la confusion qu'on en pouvait faire avec des espèces similaires toxiques. Il rapporte à ce propos les terribles accidents causés par ces Cèpes vénéneux au temps de Néron, en leur attribuant la mort de familles entières et une fois même tous les convives d'un festin : d'Anneus Serenus, préfet des gardes, avec les tribuns et les centurions. Martial en parle comme d'un Champignon moins estimé que l'Oronge. D'après Matthiole, le Cèpe était le Champignon le plus estimé en Toscane, après le Mousseron : on en faisait de son temps des mets fort agréables en ayant soin de les rouler cuits dans la farine et de les faire frire dans du beurre ou de l'huile. Il est seulement à regretter, ajoute t-il, que ce genre de Champignon compte plus d'espèces pernicieuses que tout autre. L'Écluse a pu constater que le Cèpe était, en Hongrie, l'objet d'une consommation générale. Les gens aisés le faisaient hacher, puis sécher rapidement au four et cuire dans l'eau ; ils retiraient ensuite le Champignon, le remplaçaient par des croûtes de pain rôties, laissaient bouillir et passaient ensuite le liquide réduit qui, relevé par du vinaigre , du poivre, du gingembre, etc., servait de sauce au hachis de Cèpe. Les pauvres gens se contentaient de le faire cuire avec des grains d'une sorte de Millet et de l'assaisonner avec du poivre. La réputation de ce Champignon n'a fait que grandir depuis cette époque, et tous les auteurs n'ont pas manqué d'en vanter les excellentes qualités. Sterbeeck en donne une figure que nous reproduisons ci-dessus, comme répondant au Cèpe proprement dit, quoique cette figure semble plutôt représenter le Cèpe bronzé, qui, il est vrai, n'était pas encore connu comme espèce distincte. Micheli a donné également une figure de Cèpe qui laisse à désirer : nous la reproduisons néanmoins ici en la considérant d'ailleurs comme attachée à l'histoire de cette espèce par les premiers résultats de l'étude de l'hyménium qui en ait été faite. « L'une des plus grandes espèces du genre, dit Letellier, elle est aussi une des meilleures pour la nourriture. Sa saveur est douceâtre, et elle est si facile à digérer qu'on peut la manger crue ou à la poivrade, ce que j'ai souvent fait ; mais pour être agréable, elle a besoin d'un assaisonnement bien préparé ». Vittadinidit de même que c'est le Champignon le plus estimé et le plus générale ment consommé : il ajoute qu'il se prête à toutes les préparations culinaires et qu'il peut même se manger cru sans inconvénient. M. Barla dit qu'il est d'une grande ressource pour les montagnards des Alpes-Maritimes qui l'apportent sur les marchés ; il ajoute qu'à l'état frais c'est un mets excellent, mais qu'on le conserve pour l'hiver, soit dans l'huile, soit dans le vinaigre ou la saumure, soit en le coupant en tranches minces que l'on fait sécher au soleil, ce qui permet d'en faire l'objet d'un commerce d’exportation assez important. M. Quélet qualifie ce Champignon de bon, très estimé et fort recherché. Nous pouvons dire à notre tour que c'est certainement après le Champignon de couche, la plus connue et la plus récoltée de toutes nos espèces de Champignons. On sait préparer ce Cèpe de différentes manières, et on le consomme encore soit sec, soit en conserves. Il a ses amateurs un peu partout en France et l'on peut dire qu'il n'est pas de Champignon qui soit recueilli avec autant de plaisir que cette espèce. Il est même curieux de remarquer que la récolte générale qu'on en fait dans toutes les localités ne semble pas trop nuire à sa propagation : s'il paraît en plus petite quantité une année, il abonde l'année suivante, et l'action des agents atmosphériques est plus sensible, relativement à sa reproduction, que ne l'est celle de l'homme ou des animaux acharnés à le faire dis paraître.
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Francis Martin, auteur de Sous la forêt. Pour survivre il faut des alliés. (Éditions HumenSciences, 2019) partage son amour des Cèpes :
Enfin, sur les hauts du vallon, on pénètre dans le royaume des cèpes, au plus profond de la forêt, lin des sentiers battus. Avec les fortes averses de la fin de l'été et les premières nuits fraîches, ils se sont multipliés par centaines - fabuleuses créatures surgies de l'humus profond. Je suis époustouflé par la quantité d'énergie et de nutriments mobilisée pour ériger cette multitude de fructifications - des centaines de kilos par hectare. Le Cèpe à tête noire (Boletus aereus), le Cèpe d'été (Boletus aestivalis) et le très réputé Cèpe de Bordeaux (Boletus edulis) peuvent se côtoyer dans le même sous-bois. Ce dernier est sans aucun doute l'un des meilleurs comestibles, à la saveur délicate de noisette. On le récolte partout en France, mai sil tient son nom de la capitale d'Aquitaine, le premier port d'expédition de ce précieux champignon vers l'Angleterre, au Moyen Âge. Après la longue remontée du vallon, c'est une vraie récompense de remplir son panier d'osier avec quelques beaux spécimens. J'aime les savourer en carpaccio ou rissolés à l'huile d'olive. Et je ne suis pas le seul à les apprécier car, d'après les estimations officielles, 10 000 tonnes de cèpes seraient récoltées en France, chaque année.
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Croyances populaires :
François Daleau dans son ouvrage intitulé Traditions, croyances et supersititions de la Gironde (Imprimerie nouvelle A. Bellier et Cie, 1889) recense certaines croyances relatives aux cèpes :
CEPES. Cep vu ne profite plus. - Si un cep (cèpe) pousse sur une gucille (guenille) ou un morceau de cuir, il est mauvais (vénéneux).
Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :
On croit dans la Gironde qu'un cèpe qui pousse sur une guenille ou un morceau de cuir, est vénéneux.
Selon Frédéric Duhart, auteur d'une « Contribution à l’anthropologie de la consommation de champignons à partir du cas du sud-ouest de la France (XVIe -XXIe siècles) », (Revue d’ethnoécologie [En ligne], 2 | 2012) :
Dans la première moitié du XIXe siècle, les paysans du Lot-et-Garonne et de la majeure partie du Sud-Ouest ne consommaient guère Boletus badius parce que sa chair bleuissait quand elle était entamée (Lespiault 1845 : 22). Une grosse centaine d’années plus tard, même les riverains de la grande pinède landaise, dans laquelle il abondait, continuaient très largement à le dédaigner. Tout changea au cours des dernières décennies du XXe siècle. Aux craintes suscitées par ses tubes bleuissant sous les doigts, se substitua alors l’évidence de son appartenance à la grande famille des bolets. Certes, il n’était pas le vrai (cèpe), mais il devint dans l’esprit de beaucoup le cèpe des pins et fut à ce titre très largement recherché. Ce bleu autrefois décapité à coups de bâton prit même une véritable valeur marchande. Le vingt-quatre novembre 2007, par exemple, il se vendait à un assez bon prix sur le marché de première main de Dax.
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Symbolisme :
Dans La Lettre du Collège de France, hors série n°2 : Claude Lévi-Strauss, centième anniversaire, Collège de France, Paris, novembre 2008, pp. 38-40, l'auteur remarque des attitudes ambiguës face aux champignons :
[...] Les paysans des Cévennes méridionales, où je vais en vacances depuis bientôt trente ans, éprouvent une passion immodérée pour certaines variétés de cèpes (ceux dont la chair est parfaitement blanche et qui ne bleuissent pas). Qu’on annonce leur « sortie » dans la montagne, chacun abandonne sa boutique, son atelier, son verger ou son champ, pour se livrer à la précieuse collecte, qui a presque le caractère d’un rituel, et à laquelle se rattache toute une mythologie. En revanche, les autres variétés de cèpes, même inoffensives, et tous les autres champignons comestibles sont tenus pour des poisons mortels. Les Cévenols se conduisent donc comme des Slaves sous un rapport et comme des Anglo-Saxons sous un autre.
Comment expliquer ces attitudes marquées de passion, ces contrastes saisissants entre des sociétés voisines et qui se réclament de la même civilisation ? Il faut, pensent V.P. et R.G. Wasson, remonter à des croyances très anciennes, disparues en Europe depuis les temps proto-historiques, mais qui auraient laissé leurs traces parmi nous, sous forme d’attitudes et de sentiments irrationnels. Car si les champignons avaient été jadis tenus pour sacrés, on comprendrait comment le mélange de révérence et d’effroi en quoi consiste le sentiment du sacré aurait pu, selon les sociétés, et une fois disparues les motivations primitives, se dissocier et libérer tantôt la dévotion et l’attachement, tantôt une horreur également imprégnée d’une sorte de respect mystique.
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Selon Marie Rampin, auteure de Champignons "médicinaux" : de l'usage traditionnel aux compléments alimentaires. (Thèse d'exercice en Pharmacie, Université Toulouse lll - Paul Sabatier, 2017) :
Le naturaliste romain Pline, contemporain de l'empereur Claude, conseille la prudence en ce qui concerne les champignons. Dans son ouvrage « Histoire naturelle », il précise qu'il est imprudent de consommer les « bolets » même si le goût en est très bon. Que si ceux-ci naissent près d'un morceau de fer rouillé, d'une étoffe pourrie, d'un trou de serpent ou sont touchés par le souffle d'un serpent, ils deviennent alors vénéneux par leur capacité à absorber les poisons. Il mentionne cependant un usage thérapeutique de certains champignons : « les bolets sont bons pour l'estomac, ils remédient au débordement intestinal qu'on nomme rhumatisme, et on en met sur les excroissances à l'anus qu'ils rongent et consument peu à peu. On s'en sert aussi pour le lentigo et les taches du visage chez les femmes. En outre ils se lavent comme le plomb, pour être employés aux maladies des yeux. On en fait un topique avec l'eau pour les ulcères sordides, pour les éruptions de la tête et les morsures des chiens. » (l'Ancien, 1848).
Sur le site Art Stella, on découvre les élixirs de champignons :
Les élixirs de champignons sont nouveaux venus dans la gamme. Ils offrent une possibilité intéressante de combinaison avec les élixirs floraux. Les champignons sont des plantes sans chlorophylle [non, ils appartiennent au règne des Fungi, plus proche du règne animal que du règne végétal ! ] ce qui représente une particularité dans le monde végétal. Ils dépendent de substances organiques qu'ils puisent dans leur environnement. Les élixirs agissent sur le corps émotionnel. Ils amènent cette transformation sur le plan physique et permettent d'intégrer l'énergie au niveau cellulaire.
Cèpe d’été (Boletus aestivalis ou reticulatus) : L'élixir relie à la force de la terre, renforce par cet ancrage solide. Il apporte une protection énergétique à tout l'organisme.
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Dans son Grimoire de Magie forestière (Alliance magique Éditions, 2021) Lyra Ceoltoir rend compte de son expérience magique avec les champignons :
Le Message de l'Autre-Monde : « Je suis le roi de la forêt. Vois comme je suis majestueux. Vois comme je règne sans partage sur mes sujets, sans jamais me laisser dominer par quiconque. Ils ont essayé pourtant. De nombreux hommes ont tenté de me cultiver. Aucun n'y st jamais parvenu. On ne plie pas aussi facilement le souverain de la sylve. Chêne, gui et cerf sont mes homologues dans les autres règnes qui peuplent les bois et les futaies. Ensemble, nous garantissons l'équilibre, la pérennité et la survie de nos forêts. Nous sommes forts, puissants et nobles, mais notre harmonie est fragile, et doit être préservée. Sans nous, le monde ne pourrait plus respirer, et l'homme orgueilleux ferait bien de s'en rappeler. »
Dans le chaudron : Nos quatre cèpes royaux sont les rois de la forêt. Ils sont aux champignons ce que les chênes sont aux arbres, les cerfs aux mammifères et le gui aux végétaux : une image de souveraineté vénéré et respectée depuis l'Antiquité. Il suffit de se remémorer leur étymologie pour s'en convaincre. Pour cette raison, ils sont probablement les champignons emblématiques de la pratique de magie forestière et trouveront leur place dan tout chaudron désireux de renouer avec la sylve.
Sans surprise, ils sont vecteurs de force, d'abondance, de prospérité et surtout de pouvoir. On peut ainsi les utiliser pour dynamiser et renforcer n'importe quelle action magique, à l'image d'un cocktail vitaminé particulièrement profitable.
Étant donné leur excellente comestibilité, ils gagnent à être consommés dans le cadre d'un repas de sabat, d'un rituel ou d'une opération magique pour en absorber les vertus, et soutenir le travail énergétique. Ils trouveront également leur place dans les festins de cérémonie et les rites de passage. Il est particulièrement intéressant de les intégrer aux pratiques de kitchen witchery, en les associant à d'autres aliments choisis pour leurs vertus magiques, car les cèpes concentrent et augmentent les énergies sans pour autant créer une surcharge désagréable pour l'organisme, contrairement à certains végétaux, comme la menthe, par exemple. En compagnie des autres champignons, ils augmentent considérablement leurs pouvoirs et sont donc des alliés de choix de la cuisine sorcière forestière.
Très telluriques (on se souvient de l'origine grecque de leur nom, « motte de terre ») et solaires, ils sont tout naturellement associés aux déités masculines incarnant le Sauvage, comme le grec Pan, le britannique Herne, et les celtes Lugh et Cernunnos, le romain Faunus, l'étrusque Selvans, le scandinave Freyr, ainsi qu'aux créatures forestières come les faunes romains, les satyres grecs, les lechii slaves ou encore les esprits des lieux, dont le plus célèbre est sans doute le genius loci romain Sylvanus. Par extension, ils sont également en lien avec la sexualité masculine et se retrouvent donc dans les sabbats de Lughnasadh et de Mabon, durant lesquels ils constituent un ajout particulièrement profitable aux repas rituels.
Amulette forestière : Un beau jour d'automne, cueillez un joli cèpe de Bordeaux, une feuille de chêne pédonculé (Quercus robur) et un brin de gui (Viscum album) en remerciant chaleureusement la nature pour ses bienfaits; Imprégnez-vous de la sérénité des bois et de la force qui règne sous le ouvert des arbres. De retour chez vous, laissez sécher naturellement vos trois ingrédients, en prenant soin de couper le cèpe en fines lamelles pour faciliter la dessication.
Un mardi (sous la dominance de Mars et de Tyr, divinités guerrières romaine et scandinave) ou un dimanche (jour dédié au Soleil) ensoleillé, glisse vos trois ingrédients dans un sachet en fibres naturelles, vert ou brun, et nouez-en trois fois la lanière pour le fermer en déclamant à chaque nœud :
(1er nœud) Chêne, seigneur des bois,
Force et courage, apporte-moi.
(2e nœud) Oui, souverain des airs,
Donne-moi l'espoir et la lumière.
(3e nœud) Cèpe, roi de l'humus,
Dote-moi d'esprit et d'astuce.
Serrez le sachet contre votre cœur et sentez les rayons du soleil vous envelopper et vous réchauffer, même simplement au travers d'une fenêtre.
Gardez l'amulette de la foret sur vous et touchez-la pour y puiser force, espoir et inspiration chaque fois que vous vous sentez fatigué ou découragé.
Festin de Sabbat : pour régaler vos compagnons de cowens ou votre famille à l'occasion des sabbats, tut en marquant symboliquement le caractère sacré de ce moment via une pratique simple de kitchen witchery, préparez un délicieux plat de pâtes aux cèpes royaux.
Les tagliatelles fraîches se prêtent bien à ce genre de préparation, mais sentez-vous libre de jouer avec la symbolique des pâtes en fonction de votre intuition et de vos goûts. Par exemple, je me sers souvent des fusilli ou des cellentani lors des solstices et des équinoxes pour faire appel à la symbolique de la spirale, des farfalle lors des cérémonies en duo pour leur aspect symétrique et bipartite, des conchiglie pour la magie de la mer ou le travail avec l'élément Eau, des spighe à Lughnasadh pour leur forme d'épi ou encore, dans tous les sabbats, des ruote pour évoquer la roue de l'année. les tagliatelles, en forme de ruban, symbolisent parfaitement le lien entre les êtres et s'invitent idéalement à des repas partagés.
Nettoyez vos cèpes (environ trois à cinq par personne, en fonction de leur taille), et coupez-les en lamelles après avoir ôté les tubes. Faites-les revenir à la poêle (ou mieux, dans un wok) à feu vif avec un filet d'huile d'olive. faites cuire vos pâtes en parallèle, en ajoutant une cuillerée à café de paprika dans l'eau de cuisson. Quand les champignons ont réduit de moitié, ajoutez des épices à votre goût. Pour ma part, j'utilise un mélange à parts égales de paprika, piment d'Espelette, curcuma et cumin. Mélangez quelques instants, puis baissez le feu et ajoutez 15 à 20 cl. (ou plus, selon votre goût) de crème de coco ou de crème fraîche traditionnelle (mais le plat sera plus lourd). Salez, poivrez et ajoutez les pâtes cuites et égouttées. Faites revenir le tout quelques instants à couvert pour éviter que le plat ne se dessèche, en récitant une incantation appropriée, par exemple :
(1er nœud) Chêne, seigneur des bois,
Force et courage, apporte-moi.
(2e nœud) Oui, souverain des airs,
Donne-moi l'espoir et la lumière.
(3e nœud) Cèpe, roi de l'humus,
Dote-moi d'esprit et d'astuce.
Servez avec des légumes, tels que des haricots verts et des brocolis vapeur, qui se marient extrêmement bien avec les champignons, en saupoudrant le tout de parmesan ou de levure de bière maltée.
Joyeux sabbat !
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Antoinette Charbonnel et Lyra Ceoltoir, autrices de L'Oracle de la Magie forestière (Éditions Arcana sacra, 2021) nous en apprennent davantage sur la dimension magique du Cèpe de bordeaux (Boletus edulis) :
Mots-clés : Renouveau - Souveraineté - Destination - Guide - Mentor - Conseiller - Aide extérieure - Vigueur - Sérieux -Dur labeur - Courage -Etude -Science - Connaissance - Ténacité - Récompense.
Promenons-nous dans les bois : Cèpes et Bolets sont les rois de la forêt, avec leur silhouette dodue, leur pied renflé et leur large chapeau en forme de coussin portant une multitude de minuscules tubes sur le dessous. Le Cèpe de Bordeaux est l'un des plus populaires, pour sa saveur très recherchée et des attraits culinaires reconnus aux quatre coins du globe.
Cèpes et Bolets sont aux champignons ce que les Chênes sont aux arbres, les Cerfs aux animaux et le Gui au règne végétal : des souverains respectés et vénérés depuis l'Antiquité. Ils apportent abondance, prospérité, force et pouvoir à toute préparation magique, quelle qu'elle soit. Comestible, le Cèpe de Bordeaux peut naturellement être consommé rituellement pour en absorber les vertus lors des repas de sabbat, des charmes ou des cérémonies. C'est même ainsi qu'il délivre le meilleur de ses capacités : associé à d'autres aliments choisi pour leurs vertus magiques, il est capable de concentrer l'énergie sans pour autant surcharger l'organisme du sorcier gourmand ou de la sorcière gastronome. Il a également la vertu de rehausser les pouvoirs des autres champignons comestibles s'il est cuisiné avec eux ou ajouté aux préparations magiques.
Solaire et terrestre, le Cèpe de Bordeaux est lié aux déités sauvages masculines (les Celtes Lugh et Cernunnos, le britannique Herne, le grec Pan, le Romain Faunus...) et à la sexualité masculine. Il est fréquent de le retrouver au sein des rituels des sabbats de Lugnasad ou de Mabon.
L'Oracle du champignon : Il est un signe de grandeur et de majesté, et dénote souvent la présence d'un protecteur, d'un mentor ou d'un guide digne de confiance. Vous n'êtes pas seul : un pouvoir haut placé, digne et honorable, est placé au-dessus de vous et cherche à dispenser ses bienfaits : ne les refusez pas, même si cela signifie demander de l'aide et que cela vous met mal à l'aise. On ne tire aucune gloire à échouer seul pour avoir refusé de faire appel à plus grand que soi.
Si vous êtes dans une situation qui nécessite un choix, sa présence indique qu'il est temps de suivre la voix de la raison, même si elle manque de fantaisie : les efforts seront grandement récompensés au bout du chemin.
Il encourage à l'étude, au sérieux et à l'accroissement des connaissances. Même si ses directives peuvent sembler difficiles à suivre, elles arrivent à un moment où seul ce travail de rigueur permet de tirer son épingle du jeu. La détente viendra plus tard, ne lâchez rien : vous avez fait le plus difficile. Gardez courage, faites preuve de ténacité, la récompense est proche.
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Contes et légendes :
Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :
Les plantes sont exposées à la fascination, non seulement quand on les sème, mais encore après qu'elles sont sorties de terre. [...] Dans la Gironde, cèpe vu ne profite plus : en Périgord, l'œil de l'homme fait moisir et tue les champignons. [...] Dans la Gironde, si une femme va ramasser des cèpes pendant ses jours menstruels, il n'en repoussera plus, au moins pendant une année, dans le bois où elle les aura cueillis elle fait flétrir et mourir tous ceux qui se trouvent dans la forêt quand elle y entre.
"Riquette et le cèpe enchanté", un conte du patrimoine, écrit par Michel et Dany Jeury.
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Nicolas Bouvier dans son récit de voyage intitulé Le Poisson-Scorpion (Co-Éditions Bertil Galland et Gallimard, 1982 ; Éditions Gallimard, 1996) évoque son séjour dans un dispensaire de la capitale de Ceylan (aujourd'hui Sri Lanka) :
"A travers l'ouate de la fièvre, je vois ces vieux visages ahuris s'allumer comme des gares. Compassion de gens qui n'ont plus rien à perdre et dont je fais en hâte provision. Tout de même cet essaim de sollicitude - ils m'accompagnent jusqu'aux toilettes - fatigue. Quand elle veut me faire une piqûre ou quand elle juge que c'en est trop, l'infirmière chasse mon escorte comme des mouches. Ils se débandent alors en clopinant et en pouffant. Cette déroute qui me fait rire m'a fait aussi penser - éclair de nostalgie burgonde - à une famille de bolets bouffés par les limaces."
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Littérature :
Les Cèpes
Dans son œuvre aux grosses couleurs
Paul de Kock dit : "Vivent les crêpes !"
De son côté, l'auteur des Guêpes
Dit : "Vivent la mer et les fleurs !'
J'ai mes goûts comme ils ont les leurs ;
Je franchirai forêts et steppes
Pour savourer un plat de cèpes,
Mais de Bordeaux, et non d'ailleurs.
Vivent les cèpes ! Ma narine
Croit les sentir dans la bassine
Pleine d'huile et d'ail haché fin.
Ô saveurs ! Ô douceurs ! Ô joies !
De la terre ce sont les foies,
Et par eux renaît toute faim !
Charles Monselet, "Les Cèpes", Sonnets gastronomiques in Le Plaisir et l'amour, 1865.
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Dans La Logique de l'amanite : premier roman (Éditions Grasset, 2015) Catherine Dousteyssier-Khoze évoque un narrateur amoureux des cèpes :
Non, moi, bien qu'indubitablement marqué par la mycomania paternelle, j'étais en quête du cèpe, champignon infiniment supérieur à toutes les espèces communément trouvées, le seule à être entièrement satisfaisant. Voir la photo assez réussie, collée ci-contre, qui arrive, peut-être, à capter une infime particule du grand mystère cépier. Les poètes préférant s'épancher mièvrement depuis l'Antiquité sur les fleurs, les femmes et les oiseaux sont des ânes bâtés, de sombres brutes souffrant d'une atrophie aiguë de la glande esthétique. Klimt aurait pu au moins planter un cèpe de bouleaux dans son célèbre sous-bois ; quant au paysagiste russe Chichkine, son académisme serait beaucoup plus supportable aujourd'hui s'il avait eu l'idée de l'égayer de quelques bolets. J'ai plusieurs idées sur le sujet, et si je n'avais été aussi pris par le projet qui me vaut aujourd'hui d'être Wanted plutôt mort que vif par toutes sortes de types patibulaires dans pas mal de villes d'Europe, j'aurais rédigé un essai intitulé Le Cèpe dans la littérature et les arts visuels : Esthétique(s) de l'absence. Pensez donc, une seule mention (plutôt cavalière) chez Mauriac lors de la promenade de Thérèse Desqueyroux et Jean Azévédo, quelques flous souvenirs nobokoviens, une brève partie de champignons dans Le Boucher de Claude Chabrol où l'on aperçoit à peine le fruit - peu reluisant de la cueillette. Il y a certainement un complot qui se trame, gare au pittoresque, évitez soigneusement le Champignon si vous ne voulez pas passer pour un romancier régional ou un documentariste !
On voudra certainement savoir dans quelles circonstances j'ai découvert mon premier cèpe. Il m'est pénible de confesser que ce qui aurait dû être un moment de triomphe, de joie pure sans aucune adjonction de négativité, est en fait un souvenir aigre-doux, à cause d'Anastasie. Par une belle journée ensoleillée d'été comme il y en avait certainement aussi dans votre enfance, je me promenais en compagnie de ma mère et de ma sœur, le long d'un sentier de feuillus - chênes et hêtres avec ici ou là, un noisetier mutin -, non loin du château. A titre préventif, je refuse fermement d'apporter toute précision topographique supplémentaire. Si vous avez deux sous d'étiquette mycologique, vous n'insisterez pas davantage.
J'avais trois ans et demie. Déjà très en avance pour mon âge, j'avais parfaitement capté le concept cépier grâce à un livre illustré (Le Petit Mycologue, édition de 1923) offert par mon père pour mes deux ans. L'automne précédent, ce dernier m'avait en outre présenté le dit mycôme après l'avoir vu à plusieurs reprises, bien que de façon désinvolte et nonchalante : il ne m'avait même pas laissé ramasser le spécimen. Mon père accordait visiblement peu d'importance au cèpe, sans doute trop commun pour constituer à ses yeux un objet digne d'attention. Fort heureusement, le snobisme mycologique paternel n'eut aucune prise sur moi ; avec l'indépendance d'esprit qui me caractérise, j'avais d'ores et déjà décidé que le cèpe était the one. De taille, de forme, de couleur variables, du frais « bouchon de champagne » à chapeau blanc en passant par la « roue de charrette » moussue de plusieurs kilos, le cèpe m'avait frappé comme étant un champignon extrêmement versatile (au sens anglais du terme, gare au faux ami) et par conséquent peu susceptible de lasser celui qui déciderait de se consacrer à sa quête et à son culte exclusifs. Je n'attendais désormais plus qu'une chose : que mon destin mycologique se scellât par une rencontre en bonne et due forme, rencontre que je m'efforçais de hâter par tous les moyens possibles, notamment en exigeant de ma mère des expéditions forestières post-sieste, et ce dès le mois de juin de cette année-là. Mais on était déjà à la mi-juillet et le capricieux bolet se dérobait toujours à mon attention, ce qui ne laissait pas de me frustrer. Equipé d'un petit panier en osier tapissé de feuilles de fougères fraîchement coupées - en vue de l'obole qui allait bien finir par y être déposée -, j'arpentais le sentier avec plusieurs mètres d'avance sur ma mère et Anastasie. Comme il avait fortement plus la nuit précédente, la mousse ressemblait à cet endroit à une belle éponge verte très imbibée. Au moment précis où j'atteignais le vieux chêne à tronc creux qui marquait à peu près la moitié de notre parcours ( et le début des geignements de ma pénible jumelle qui avait immanquablement chaud / faim /soif / mal aux pieds / était fatiguée / voulait rentrer au château), mon regard fut attiré par une bosse marron, tout au bas du talus.
Je marquait un brusque arrêt.
Bouche bée, figé, hypnotisé comme la musaraigne sur le point d'être avalée par le serpent, je retins ma respiration, tout entier au miracle de la rencontre. Même sans voir le pied, caché par les feuilles, j'étais sûr de mon coup. Hélas, Anastasie avait dû s'apercevoir de mon émoi, avant que je n'eusse le temps de reprendre mes esprits, elle s'écria, la voix vibrante d'une émotion factice :
« Maman, regarde là-bas le champignon ! C'est un cèpe, n'est-ce pas ?
- Mais oui, darling, well done ! Nous allons le ramasser, ton père l'identifiera avec certitude ce soir. Go on, pick up ! On va le mettre dans le panier de Nikonor. »
Alors que la sournoise gamine faisait mine de cueillir mon premier cèpe, je lui sautai dessus en poussant un hurlement de dissuasion. Ma mère n'arriva pas à nous séparer avant que je n'eusse infliger à la voleuse une morsure au cou bien méritée. Le cèpe ne résista malheureusement pas à cet assaut et vola en fragments marron et blanc immaculé. Il s'agissait d'un cèpe de première fraîcheur, épargné par toute présence vermineuse. Je déposai les morceaux dans mon panier et repris seul, et en courant, le chemin du château.
L'affaire provoque des remous familiaux tout à fait déplorables, dont je vous épargnerai le détail. Il suffira de dire ici que je fus injustement réprimandé. Bref, ce qui aurait dû, en toute légitimité, être mon heure de gloire tourna au vinaigre. Sans vouloir a posteriori attribuer à cet épisode une portée allégorique de mauvais goût, il m'est aujourd'hui bien difficile de ne pas y voir, en germe, un signe avant-coureur de la traîtrise qui allait se manifester, sous des formes multiples, au cours des décennies suivantes.
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