Étymologie :
PERCE-NEIGE, subst.
Étymol. et Hist. 1660 (Oudin Fr.-Esp.). De perce-* et de neige*.
PERCER, verbe
Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 « traverser en faisant un trou l'épaisseur de quelque chose » (Roland, éd. J. Bédier, 2077) ; 2. ca 1230 « se frayer un passage » (Chevalier aux deux espées, 9811 ds T.-L. : percier les rens) ; 3. 1262 fig. (Jean Le Marchant, Miracles N. D. de Chartres, éd. P. Kunstmann, VIII, 54 : Grant douleur le cuer l'en percha) ; 4. 1262 (Id., ibid., XI, 84 : Le tonnel ont tantout percié) ; 5. 1342 perçant (du regard) (Jean Bruyant, Chemin de Povreté ds Menagier de Paris, éd. Sté Bibliophiles fr., t. 2, p. 14) ; 6. 1557 percer de froid (O. de Magny, Souspirs, éd. Courbet, p. 77) ; 7. av. 1593 « se manifester, apparaître » (Amyot, Du vice et de la vertu, 5 ds Littré) ; 8. 1606 « passer à travers (de la pluie) » (Nicot) ; 9. 1636 percer de l'œil (Monet) ; 10. 1651 percer les oreilles de qqn (de cris) (Scarron, Roman comique, II, 14 ds Littré) ; 11. 1666 « pénétrer avec l'esprit » (Boileau, Sat., VIII, ibid.) ; 12. 1680 « sortir (des dents) » (Rich.) ; d'où 1787 percer ses dents (Fer.) ; 13. av. 1742 « passer (de la lumière) » (Massillon, Or. fun. Villars ds Littré) ; 14. 1752 percer qqn (Trév.) ; 15. 1756 « sortir de la foule, se faire connaître » (Voltaire, Mœurs, 121 ds Littré). Du lat. pop. *pertusiare « percer », dér. de pertusum, supin du class. pertundere « id. », v. aussi pertuis.
NEIGE, subst. fém.
Étymol. et Hist. 1329 naige (Watriquet de Couvin, Dits, éd. A. Scheler, 53, 322 [Dit du Connestable]) ; cf. 1461 (Villon, Testament, éd. J. Rychner et A. Henry, 336 : Mais ou sont les neiges d'anten ?) ; 1550 nége eternelle (Ronsard, Le Bocage, XIV, 12 A son retour de Gascongne, ds OEuvres, éd. P. Laumonier, t. 2, p. 199). A. 1. Allus. à la blancheur de la neige a) 1360-70 (Baudouin de Sebourc, XVIII, 52 ds T.-L. : as le barbe plus blanche c'onkes nege ne fu) ; 1555 p. méton. (Ronsard, Meslanges, Ode, Quand je veux en amours, 10, ibid., t. 6, p. 198 : ...ta barbe en tous endrois de nege parsemée) ; b) xive s. (Chevalier au papegau, 30, 21 ds T.-L. : sydone blanc come nege) ; 2. allus. à la fragilité de la neige 1455-75 fig. estre de neige « ne produire aucun effet » (Georges Chastellain, Chron., éd. Kervyn de Lettenhove, t. 5, p. 281) ; 1585 de neige « de rien, sans valeur » (N. du Fail, Contes et discours d'Eutrapel, éd. J. Assézat, t. 1, p. 210) ; 3. allus. à la propriété de la neige de s'agglomérer 1587 (Lanoue, Discours pol. et milit., Bâle, F. Forest, p. 833 : Laissans rouler... ceste petite pelote de neige [l'armée des Princes] ... elle se fit grosse comme une maison) ; 1671, 25 déc. fig. il se fait une pelote de neige « l'affaire grossit et empire » (Sévigné ds Lettres, éd. E. Gérard-Gailly, t. 1, p. 440) ; 4. la neige symbole de l'innocence 1676, 22 juil. (Id., ibid., t. 2, p. 249 : Penautier sortira [de l'affaire des poisons] un peu plus blanc que de la neige). B. P. anal. avec la couleur, la consistance de la neige 1. 1501 chim. neige de corne « phosphate de chaux obtenu par calcination de la corne de cerf » (B. dict. gén. lang. wall. t. 15, p. 49 d'apr. FEW t. 7, p. 154b) ; 2. 1552 neige de creme « crême fouettée » (Rabelais, Quart livre, LIX, éd. R. Marichal, p. 241) ; 1680 neige « sorte de sorbet » (Rich.) ; 1798 oeufs à la neige (Ac.) ; 3. 1921 arg. des malfaiteurs «cocaïne» (d'apr. Esn.). Déverbal de neiger*. A évincé l'a. fr. noif (ca 1100 neif, Roland, éd. J. Bédier, 3319) qu'il a repoussé vers les aires latérales du domaine gallo-rom. ; FEW t. 7, p. 157a. Noif est issu du lat. nix, nivis « neige », de même que l'a. prov. neu (1171-90, Arnaut de Mareuil, Dona genser..., 94 ds Les Saluts d'amour, éd. P. Bec, p. 80), le cat. neu, l'esp. nieve, le port. neve, l'ital. neve, le roum. nea. Le déclin de noif est dû à la fois à son éloignement de neigier qu'on ne sentait plus en rapport avec lui, et à la collision homonymique avec noiz (< lat. nuce). Neige a également évincé le type a. fr. nive (ca 1350, Gilles Li Muisis ds T.-L.) relevé dans les domaines du nord et du nord-est, se rattachant au lat. nivere, FEW t. 7, p. 153a.
Lire aussi la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique.
Autres noms : Galanthus nivalis - Clochette d'hiver - Galantine - Galantine d'hiver - Goutte de lait - Nivéole.
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Botanique :
Découvrir la fiche extraite du site Tela Botanica qui permet de connaître les principales caractéristiques de la petite fleur précoce.
Édouard Grimard, auteur de L'esprit des plantes, silhouettes végétales. (Éditions Mame, 1875) propose sa vision des Perce-neige :
Mais qu'aperçois-je là-bas parmi les branches mortes et sous les feuilles sèches jaunies par la gelée ? Le bois est encore dépouillé, la terre est entièrement nue, et les dernières feuilles de Chêne frissonnent sous la bise glaciale. N'importe, j'ai vu ... du vert, du blanc ... ; c'est une fleur, vous dis-je... Oui, une fleur, et l'une des plus jolies du monde. On l'appelle Galanthine, – c'est-à-dire, en grec, blanche comme du lait, ou bien encore d'un autre nom gracieux : Perce-neige.
La Perce-Neige, l'une des premières fleurs du printemps, émerge, en effet, de la neige quelquefois, en février ou en mars. Son calice est d'un blanc mat ; ses pétales, échancrés en cour et délicatement striés, sont lavés au dehors d'une douce teinte verte. Il est impossible d'imaginer rien de plus charmant et de plus pur.
Toutes les suavités sont résumées dans cette fleurette idéale, qui, toute frissonnante et à peine éclose, doit affronter bise glaciale, pluie, neige et frimas. Aussi, comme elle se fait petite et humble, la pauvrette, quand les grands vents de l'ouest ou du nord font craquer au dessus d'elle les branches nues et les feuilles mortes ! On voudrait pouvoir intercéder pour elle auprès de toutes les rudesses de la nature ; mais les dernières rigueurs de l'hiver sont terribles, et la rafale, insoucieuse de la pauvre Perce-neige, passe hurlante et courroucée, pour aller se perdre au fond des grands bois.
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Symbolisme :
Louise Cortambert et Louis-Aimé. Martin, auteurs de Le langage des fleurs. (Société belge de librairie, 1842) nous livrent leur vision de ce bel arbuste :
Hiver - Janvier.
PERCE-NEIGE - CONSOLATION.
L'aquilon gémit ; le givre surcharge les arbres dépouillés de verdure ; un tapis blanc, uniforme, couvre la terre; les oiseaux se taisent, l'eau captive ne murmure plus ; les rayons pâles d'un soleil décoloré éclairent nos campagnes ; le cœur de l'homme s'attriste, il croit que tout est mort dans la nature. Une fleur délicate apparait tout à coup au milieu du voile de neige qui couvre nos champs ; elle montre, à nos yeux surpris, ses clochettes d'ivoire, qui portent dans leur sein un léger point de verdure, comme si elles avaient été marquées par l'espérance. En s'épanouissant sur la neige, cette aimable fleur semble sourire aux rigueurs de l'hiver, et nous dire : Je viens calmer vos alarmes ; je viens vous consoler de l'absence des beaux jours.
Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :
Perce-neige - Consolation.
Quand la nature grelotte sous son manteau de neige, il est une petite fleur qui vient nous annoncer le retour des beaux jours, c’est le Perce-neige.
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Emma Faucon, dans Le Langage des fleurs (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) s'inspire de ses prédécesseurs pour proposer le symbolisme des plantes qu'elle étudie :
Galantine ou Perce-Neige - Heureux présage - Premier regard d'amour.
Quand la terre est encore ensevelie sous un blanc linceul de neige, une charmante petite fleur, blanc mêlé de vert, montre sa gracieuse corolle pendante ; elle annonce à tous la venue tant désirée du printemps et dit :
J'ai sommeillé six mois sous mon voile de neige :
Oh ! que la neige est froide à l'âme d'une fleur !
Mais je pousse ma tête au ciel qui me protège,
Et je perce mon voile et reprends ma couleur
Et je cause avec l'air dont je pleurais l'absence,
L'air qui m'étreint d'amour et fait pleurer mon front.
Pour leurs premiers bouquets les enfants me prendront
Et l'oiseau réchauffé chantera ma présence.
Mme DESBORDES-VALMORE .
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Dans le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée, Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, on apprend que :
Le perce-neige est une "petite fleur blanche et parfumée, qui fleurit à la fin de l'hiver ; elle annonce le printemps. En Occident, elle est devenue symbole de consolation et d'espérance.
Elle est un symbole du courage, de l'endurance, de la fidélité inébranlable, chez les Indiens de la Prairie."
Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :
Cette petite fleur blanche, annonciatrice du printemps (elle fleurit en février), porte malheur dans une maison, surtout en Angleterre où l'on dit qu'elle fleurit quand un malade est au plus mal. Elle empêche également les poules de couver.
Elle est cependant symbole de consolation et d'espérance ; sa blancheur l'associé également à la pureté. Selon la légende, le perce-neige apparut sur terre lorsque Adam et Eve furent chassés du jardin d'Eden : c'était alors l'hiver, et il neigeait ; pour les consoler, un ange leur promit le printemps et souffla sur les flocons de neige : en retombant sur le sol, ils laissèrent place aux perce-neige.
Dans certaines régions d'Angleterre, mettre dans sa maison des bouquets de perce-neige à la Chandeleur la purifie et protège des mauvaises influences.
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Selon Pierre Dubois et René Hausman qui ont écrit et illustré L'Elféméride, Le grand légendaire des saisons - Automne-Hiver (2013),
"Les légendes à barbe de brume et nez froid racontent qu'à la fin du mois de janvier, la Vieille femme de l'hiver, Cailleach Bheur, Perchta, Holda, se transforme en Belle fille de février, et sous la neige se couche pour attendre son amant... C'est de son haleine fiévreuse que vont naître les perce-neige, les sourires, les soupirs et les rires du printemps.
Au Pays de Galles, le perce-neige est appelé "belle fille de février". c'est parce qu'elle était jalouse des jolies fleurs de cristal de givre que la reine du Gel brodait sur les fenêtres et aux pointes des brindilles, que la Reine des Neiges eut l'idée de créer les perce-neige.
Dans la vieille Ecosse, février est Faoilleach, "le mois du loup" : "En pissant sur la neige, la louve y laisse des fleurs de gouttes de lait." Belle fille de février, fleur d’Ève, goutte de lait, fleur de Bride ou de sainte Brigid, le perce-neige symbolise la pureté, l'espoir, la consolation. Annonciateur du printemps, son bouquet, placé dans la maison, assainit l'atmosphère, chasse la mélancolie, les vampires psychiques, les mauvaises influences, et amène lumière et bonheur.
L'excellent John Flanders rapporte que jadis, dans la vieille Angleterre d'Ingoldsby (1788-1845), les habitants de Tappington se précipitaient dans les bois, aux premiers jours de février, à la recherche d'un brin de "wonderful snowdrop". Le chanceux qui le premier ramenait triomphalement son bouquet au village, devenait durant un mois une sorte d'ordonnateur du temps. "L'homme aux perce-neige" pouvait commander à la neige, à la pluie, aux éclaircies. Il suffisait de le payer d'un pork-pie ou d'un jambon pour en obtenir averses, redoux ou belle onglée. Si le sort avait préféré privilégier une célibataire, elle obtenait le droit d'épouser parmi tous les Tappingtonais le gaillard de son choix."
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Dans l'ouvrage Lehrbuch Gartentherapie de Renata Schneiter-Ulmann, citée par Clemens G. Arvay dans L'Effet guérisseur de l'arbre, les bénéfices émotionnel, cognitif et physique de la biophilie (2016), nous pouvons lire que :
"A la couleur verte, on associe la vie, l'espoir et la jeunesse. Les perce-neige et les hépatiques, qui sont les messagers du printemps et qui apparaissent après un long hiver, annoncent une belle période de floraison, mais également de l'espoir et de la santé. Le vert printanier symbolise le renouveau, une orientation positive vers le futur ainsi que la croissance et l'épanouissement. Il peut être comparé à la situation de vie des patients lorsqu'il s'agit par exemple de nouveau départ et de changement."
Dans La Magie des Plantes, Douze mois avec la Sagesse des Plantes (Édition originale, 2017 ; Éditions Danaé, 2017), Sarah Kynes propose des recettes rituelles liées à de nombreuses plantes :
En Angleterre et en Écosse, on considérait que le perce-neige était la fleur de l'espoir parce qu'il annonçait que le printemps n'était pas loin. Le nombre de pétales intérieurs et extérieurs, le double de trois, nombre sacré, en fait aussi un symbole d'espoir. Malgré cela, on pensait dans certaines parties d'Angleterre qu'apporter un unique perce-neige dans sa maison portait malheur, mais pas en apporter plusieurs. Pour les Victoriens, le perce-neige était signe de mort parce que les fleurs sont si proches du sol, appartenant plus aux morts qu'aux vivants. Cependant, le folklore est volage, parce qu'on croyait aussi que si des perce-neige poussaient sous les fenêtres d'une maison, la famille qui y habitait connaîtrait le bonheur.
Faites un voeu quand vosu voyez le premier perce-neige de la saison, mais ne le cueillez pas. Mettez une offrande paermi les perce-neige pou prendre contact avec les esprits de la nature et les dévas. Brûlez des feuilles séchées pendant des sorts et des rituels pour vosu renforcer quand vous êtes face à des problèmes difficiles. Faites de même quand vous avez besoin de persévérer dans une situation Vous pouvez porter les fleurs séchées dans un sachet pour renforcer votre courage et chasser la peur.
Le perce-neige est associé à l'élément Terre.
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Contes et légendes :
Dans la collection de contes et légendes du monde entier collectés par les éditions Gründ, il y a un volume consacré exclusivement aux fleurs qui s'intitule en français Les plus belles légendes de fleurs (1992 tant pour l'édition originale que pour l'édition française). Le texte original est de Vratislav St'ovicek et l'adaptation française de Dagmar Doppia. Il est conçu comme une réunion de fleurs qui se racontent les unes après les autres leur histoire ; le Perce-Neige raconte la sienne dans un conte venu de Pologne et intitulé tout naturellement "Nivéole" :
"Tu pleures ? " demanda la reine en se penchant sur la petite Perce-Neige.
- Non, mais je suis au bord des larmes, répondit la jolie fillette.
- Et pourquoi es-tu au bord des larmes ? insista la Rose.
- Parce que je suis triste.
- Et, pourquoi es-tu triste ?
- Parce que j'ai des contrariétés, répondit Perce-Neige. La Rose soupira :
- Sais-tu ? Raconte-nous plutôt un joli conte enneigé? " Perce-neige ne se fit pas prier.
Il était une fois une petite fille qu'on surnommait Nivéole, car elle portait toujours un tablier blanc et des sabots blancs. Ses cheveux aussi étaient tout blancs et doux comme des aigrettes de pissenlit. Les parents de Nivéole étant morts depuis longtemps, une fermière avare la recueillit chez elle. La femme cupide se frottait les mains, ravie de sa chance :
" J'aurai une fille de ferme bien dégourdie pour rien ! A quoi bon jeter l'argent par les fenêtres ? "
Et en effet, elle ne la ménagea pas. La petite travaillait durement du matin au soir, tombant littéralement de fatigue. en plus, la fermière chicanait sur chaque bouchée de pain, tant et si bien que la fillette se couchait souvent l'estomac vide. Bien des fois elle pleura en secret, cachée sous son édredon, regrettant sa mère et son père.
Un soir d'hiver, la fermière se prépara pour aller au bal. Comme elle était aussi coquette qu'avare, elle passa la journée à se pavaner devant le miroir, à se parer et à se vêtir. Cent fois, elle changea de jupe et de corselet, sans être vraiment satisfaite. Nivéoles ne savait où donner de la tête. Quoi qu'elle fît, elle contrariait l'arrogante coquette. Défaillant de faim, elle ramassa un pauvre croûton qui traînait sous la table pour l'avaler en cachette. Bien mal lui en prit. La fermière surpris son geste dans le miroir et se mit à invectiver la pauvre petite.
"Je t'y prends, ingrate ! Tu voles le pain derrière mon dos ? C'est ainsi que tu récompenses ta bienfaitrice qui t'a recueillie sous son toit ? gronda-t-elle, hors d'elle. Ecoute-moi bien : si d'ici de soir tu ne m'apportes pas des fleurs des prés pour me tresser une couronne, je ne veux plus te revoir dans cette maison."
Nivéole eut beau la supplier, la fermière resta inflexible.
"Où vais-je trouver des fleurs en plein hiver ? " se lamenta-t-elle. Mais, comme la méchante femme ne voulut pas entendre raison, bon gré mal gré, elle mit son pauvre tablier blanc, chaussa ses sabots blancs et s'en alla. Il gelait à pierre fendre et la petite fille s'enfonçait dans la neige jusqu'aux genoux en claquant des dents. Pendant qu'elle se frayait péniblement un passage, elle aperçut tout d'un coup une petite vieille, assise dans la neige. Elle était blanche, toute blanche, comme le givre, et tremblait comme une feuille. "Bonjour, grand-mère", salua Nivéole. Et, comme elle avait bon cœur, elle défit son tablier pour en envelopper les épaules de la pauvre vieille et les réchauffer un peu. Elle-même était saisie de froid.
"Merci, chère petite, souffla la malheureuse. Que fais-tu dehors par ce temps ?" Nivéole lui fit part de son tourment, tout en versant de chaudes larmes.
"Allons, cesse de pleurer, dit la petite vieille. Nous trouverons bien une solution. " Elle sortit de sa poche une minuscule veste en mousse. "Mets cette veste et mon frère le gel ne te brûlera plus", dit-elle.
Nivéole se dit en elle-même que la veste n'était pas assez grande pour cacher son poing. Et, pourtant, à peine eut-elle introduit son petit doigt dans la manche de mousse que la veste se mit à grandir jusqu'à l'envelopper tout entière comme si elle avait été taillée sur mesure. La grand-mère leva les bras au-dessus de sa tête et appela : "Tombez, tombez, mes petites étoiles de neige, dans le giron de votre grand-mère ! Transformez-vous en fleurs ! "
Et aussitôt, on eût dit que l'édredon des anges s'était déchiré dans le ciel. Des flocons se mirent à tomber en dansant et en virevoltant, en tourbillonnant et en tournoyant. Tous se posaient sur la grand-mère pour s'y transformer aussitôt en fleurettes blanches.
"Prends ce qu'il te faut pour tresser une belle couronne pour la fermière avare, proposa la gentille vieille à Nivéole, avec un sourire bienveillant. Si elle insiste, donne-lui également la veste de mousse et dis-lui que c'est la mère Hiver qui la lui envoie. Tu ne me verras plus cette année, car le printemps n'est pas bien loin. Mais, je te laisserai en souvenir de moi toutes ce jolies fleurs. " Disant cela, elle prit toutes les fleurettes qui restaient encore, et les répandit dans le pré. Elle disparut sans donner à Nivéole le temps de se ressaisir.
Toute joyeuse, la petite se mit au travail. Elle tressa une belle couronne et rentra à la ferme. La méchante femme n'en crut pas ses yeux. Elle voulut savoir où Nivéole avait trouvé ces fleurs et sa jolie veste, mais la petite ne révéla pas son secret. Excédée, la fermière cria :
"C'est un gâchis de laisser une si belle veste à une malpropre comme toi. Donne la moi, et tout de suite ! " La veste de mousse, minuscule, était tout juste à la taille de Nivéole. Mais, quand la fermière voulut la mettre, elle se mit à grandir jusqu'à envelopper la femme comme si elle avait été faire pour elle. Satisfaite, la coquette posa la couronne de fleurs blanches sur ses tresses, et se campa devant le miroir pour s'admirer. Hélas ! Elle faillit tomber de frayeur ! A la place de son visage, une affreuses petite vieille décharnée aux yeux froids, au nez qui pendait comme un glaçon et aux cheveux de givre, grimaçait dans le miroir. La jolie veste de mousse se transforma en boule de neige. Soudain, la porte s'ouvrit en grand et un home enneigé aux griffes glacées apparut sur le pas de la porte. C'était le Vent du Nord.
"Viens donc danser avec moi, ma jolie fiancée ! " tonna-t-il en saisissant la fermière par la taille. Il la fit tournoyer, puis l'emporta devant les yeux épouvantés de Nivéole. Depuis ce jour, celle-ci s'occupe elle-même de la ferme et vit heureuse. Parfois, pendant les longues soirées d'hiver elle a l'impression que quelqu'un gémit dans la cheminée. Certains prétendent que c'est le bruit du vent, mais ne les croyez pas. Depuis ce temps, la vilaine fiancée du Vent du Nord vient s'y lamenter. Aujourd'hui encore, vous trouverez, à la fin de l'hiver, des fleurettes blanches qui s'épanouissent sur le pré où Nivéole rencontra la grand-mère. Petites filles de l'hiver, elles ne craignent n i le froid ni la neige. Ces petites fleurs tendres s'appellent perce-neige, comme moi-même.
"Je sais, Perce-Neige, pourquoi tu as envie de pleurer, dit la Rose en souriant, lorsque la petite acheva son conte. C'est parce que le premiers rayons du soleil t'ont fait sortir des taches de son sur le bout de nez. " Perce-Neige rit et versa une larme qui n'était, après tout, qu'une larme de bonheur."
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Galina Kabakova, autrice de D'un conte l'autre. (© Flies France, 2018) étudie les contes d'origine :
Les étiologies font apparaître les plantes dans des rôles différents, très souvent dans le rôle de protagonistes. Si le démiurge est le créateur de toute chose, la « finition » des créations peut devenir l’affaire des créatures déjà « finies ».
Le conte flamand « La neige et le vent » reprend le grand thème de la distribution des biens. Dieu donne des couleurs à tout et à tous ; mais, ayant oublié la neige et le vent, il leur suggère d’aller en demander aux créatures qui en sont dotées. Toutes les fleurs (coquelicot, tournesol, bleuet) refusent sauf le perce-neige. La conclusion étiologique ne concerne pas que la couleur blanche obtenue par la neige, mais justifie aussi la cruauté de ces phénomènes météorologiques à l’égard des fleurs, sauf le perce-neige (Van den Berg 2000 : n° 19).
Littérature :
Le Perce-Neige
Violette de la Chandeleur,
Perce, perce, perce-neige,
Annonces-tu la Chandeleur,
Le soleil et son cortège
De chansons, de fruits, de fleurs ?
Perce, perce, perce-neige
À la Chandeleur.
Robert Desnos, "Le Perce-Neige" in Chantefables et Chantefleurs, 1952.
Maurice Genevoix, dans un article intitulé "images pour un jardin sans murs" (In : Revue Des Deux Mondes (1829-1971), 1956, pp. 203–23) évoque brièvement la petite fleur des neiges :
Ce sont les perce-neige qui m'ont conduit vers les pervenches et les anémones Sylvie Elles sont vraiment, frileuses encore, le sourire de la prime saison.
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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque lui aussi le Perce-neige :
20 février
(Fontaine-la-Verte)
Partout, dans le nouveau jardin que j'explore, les perce-neiges s'ingénient à justifier leur nom. Je détaille leurs palissades de feuilles. J'écoute la litanie odorante de leurs corolles prosternées.
Placez un œuf de jade au sommet d'une tige bleu-vert ; prolongez cet ide trois sépales blancs et de trois pétales mouchés d'un oméga vert pâle ; secouez l'objet avec un pistil d'ivoire et six étamines orange : vous aurez la fleur que mes doigts effleurent.
Vus de haut, les tourbillons des perce-neige ressemblent à des galaxies-spirales dans un firmament de neige fondante. Je repère la Voie lactée et le bras du Soleil. La Terre est grosse comme une bactérie, mon jardin comme un atome. Je suis un quark élémentaire au sourire niaiseux.
[...]
Légende photographique : "Les perce-neige sont les comètes mouchées de vert d'un soleil de cristal en fusion. Fin d'hiver..."
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Voici l'incipit du roman de littérature jeunesse de Jean-François Chabas intitulé Perce-Neige et les démons :(Éditions Écolé des Loisirs, 2007) :
Chez nous, le perce-neige est un symbole de courage, d'endurance, de fidélité inébranlable. Une petite fleur, mais de grandes vertus. Ma cousine naquit en 1862, pendant la guerre de Little Crow, celle qui vit notre peuple, les Sioux santee, se révolter contre l'oppression des Blancs, à la frontière du Dakota et du Minnesota. Nous en tuâmes ou capturâmes plus de mille ; mais, bien sûr, les Blancs sont puissants et ils se vengèrent.
J'avais cinq ans. Je me rappelle très bien pourtant ce qui arriva, combien d'entre nous furent pendus ou déportés. La faim et la mort régnaient sur nos clans. C'est à ce moment - bien mauvaise idée - que ma cousine pointa le nez entre les jambes de sa mère. Elle ne pesait pas trois livres, il faisait froid, personne n'aurait parié une peau de lièvre sur sa survie. Mais son père la nomma Snowdrop - Perce-Neige -, et qu'on veuille bien me croire si j'affirme que son nom la sauva. Il lui insuffla cette force qui lui permit de ne pas mourir et de mener ensuite sans faillir son extraordinaire existence.
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