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Le Sable

Dernière mise à jour : 5 mars


Étymologie :


  • SABLE, subst. masc. et adj.

Étymol. et Hist. I. A. Ca 1150 « substance pulvérulente due à la désagrégation de certaines roches » fig. semer ses paroles en sable « les prodiguer en pure perte » (Thèbes, éd. G. Raynaud de Lage, 7582). B. Id. « étendue de sable » fém. (ibid., 8195) ; ca 1200 (Chans. de Guillaume, éd. J. Wathelet-Willem, 228). II. A. 1. 1482 soble (A. Montbéliard ds Gdf. Compl.) ; 1483 fém. la sable (A. Nevers, ibid.) ; 1530 sable masc. (Palsgr., p. 265a) ; a) 1552 horologe de sable « sablier » (Rabelais, Quart livre, XXXI, éd. R. Marichal, p. 146, 48) ; 1578-1583 p. abrév. sable (A. d'Aubigné, Printems, Odes, XLI ds Œuvres, éd. E. Réaume et Fr. de Caussade, t. 3, p. 203) ; b) 1636 jeter an sable « faire couler le métal en fusion dans un moule, un chassis de bois ou de fer rempli de sable » (Monet, p. 463b) ; 1684 id. fig. « avaler tout d'un coup et sans perdre haleine » (La Fontaine, Ragotin, II, 7) ; 2. fig. a) ca 1618 bâtir sur le sable (Racan, Stances sur la Retraite, 8 ds Œuvres, éd. L. Arnould, t. 1, p. 177) ; b) 1690 [en parlant d'une pers. qui s'endort] le petit homme luy a jetté du sable dans les yeux (Fur.) ; c) 1827 être sur le sable « être à court d'argent » (Ragot, Vice puni ou Cartouche ds Sain. Sources Arg. t. 1, p. 336). B. 1503 plur. « vaste étendue, désert de sable » se sauver sur les sables (Jean d'Auton, Chron., éd. R. de Maulde la Clavière, t. 3, p. 237) ; 1628 sables mouvants (A. d'Aubigné, Tragiques, V, Les Fers, éd. A. Garnier et J. Plattard, t. 3, p. 219). C. 1588 « calcul urinaire » (Montaigne, Essais, III, 13, éd. P. Villey et V. L. Saulnier, p. 1087: luy avoit cuit le sable dans les roignons). L'a. fr. sable [I], faiblement att. (en a. et m. fr. on trouve surtout sablon* et areine/arène*), est (de même que l'ital. sabbia, le port. saibro, le galicien jebra, REW 7486) issu du lat. sabulum « sable » ; spéc. « gros sable, gravier », forme syncopée sablum (fin vies., Venance Fortunat ; gl.). Étant donné le hiatus chronol. entre I et II, ce dernier est prob. un dér. régr. de sablon* (cf. aussi l'a. fr.-prov. a. fribourgeois sablon 1470-90, Comptes [de Fribourg] d'apr. J. Girardin ds Z. rom. Philol. t. 24, 1900, p. 232 et l'a. prov. sablon dep. le xiies., Peire Rogier, Belh Monruelh, 11 ds Œuvres, éd. C. Appel, p. 92) ; sable fém. s'explique, dans cette hyp., non par un plur. sabula, mais p. anal. avec des groupes tels que glace-glaçon ; FEW t. 11, p. 17b.


  • SABLE, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1. Ca 1170 « fourrure de zibeline » mantiax gris, orlez de sables (Chrétien de Troyes, Erec, éd. M. Roques, 2286) ; 1176-81 (Id., Chevalier à la charrette, même éd., 509) ; 2. ca 1245 hérald. escut d'or à l'aigle de sable (Philippe Mousket, Chron., 22036 ds T.-L.). Prob. empr. à l'a. b. frq. (cf. m. néerl., m. b. all. sabel), lui-même empr. au russe sobol' « zibeline », le commerce de la fourrure entre le nord de la Russie, la Sibérie vers l'Europe occ. se faisant dès le haut Moy. Âge, par la Baltique et l'Allemagne. Il n'est pas impossible que les Vikings aient joué un rôle dans la diffusion de ces peaux vers l'ouest, FEW t. 20, p. 49b ; v. aussi zibeline*. L'empl. du mot en hérald. s'explique par le fait que les boucliers, les écus étaient recouverts de fourrures de diverses couleurs ; le sens de « noir » dans cet empl. s'explique par l'habitude prise de teindre en noir cette fourrure: propr. « couleur noire comme la zibeline », v. A. G. Ott, Ét. sur les couleurs en voc. fr., Paris, E. Bouillon, 1899, pp. 31-32.

Lire aussi la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique.

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Symbolisme :


Selon le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant,


"Le symbolisme du sable vient de la multitude de ses grains. Les âges écoulés, enseigne le Bouddha, sont plus nombreux encore que les grains de sable contenus entre la source et l'embouchure du Gange (Samyutta Nikâya, 2, 178). la même idée se retrouve dans Josué, 11, 4 : Ils partirent, ayant avec eux toutes leurs troupes, une multitude innombrable comme le sable de la mer. La constitution rituelle des monts de sable au Cambodge - substituts manifestes de la montagne centrale - est également lié au symbole de la multitude : le nombre des grains de sable est celui des péchés, dont on se défait, des années de vie qu'on sollicite.

Les poignées de sable jetées lors de certaines cérémonies du Shintô représentent la pluie,, ce qui est encore une forme du symbolisme de l'abondance. Dans des circonstances particulières, le sable peut aussi se substituer à l'eau dans les ablutions rituelles de l'Islam. Il est purificateur, liquide comme l'eau, abrasif comme le feu.

Facile à pénétrer et plastique, il épouse les formes qui se moulent en lui : à cet égard, il est un symbole de matrice. Le plaisir que l'on éprouve à marcher sur le sable, à s'étendre sur lui, à s'enfoncer dans sa masse souple - qui se manifeste sur les plages - s'apparent inconsciemment au regressus ad uterum des psychanalystes. C'est effectivement comme une recherche de repos, de sécurité, de régénération."

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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :


Le sable était considéré par les anciens Hébreux comme « une substance conservant a vie, favorisant la fertilité, assurant le bonheur ».

Il doti sa couleur, dit une légende, au fait que Bacchus, qui avaiit le pouvoir de transformer les objets en or, se lava dans une rivière : le sable devint alors doré.

Après une longe période de sécheresse, les Chinois coient faire pleurvoir en jetnat en l'air sept poignées de sable.

Certains prétendent que si on lance du sable sur le visage d'un enfant, il aura des taches de rousseur.

On peut aire disparaître les verrues et les cors en les frottant de sable, pendant le premier quartier de la lune, tout en fixant l'astre.

Pour se débarrasser des revenants, les Bretons déposaient sur la table « des petits tas de sable qu'ils étaient obligés de compter ».

 

Dans Celui qui marchait avec les esprits, Messages du futur (édition originale 1995, traduction française Robert Laffont, 1997), Hank Wesselman nous raconte que :


"Dans plusieurs régions désertiques du monde - en Chine, par exemple, et dans la péninsule du Sinaï -, il existe ce que l'on appelle des dunes chantantes. Elle produisent des sons bourdonnants, musicaux, que l'on a comparés à des voix graves sortant de terre. Ces sons proviennent du frottement des grains de sable les uns contre les autres quand, par temps sec, le vent souffle sur les dunes. Cela se produit parfois à Sand Mountain.

Je pensai à la rencontre de Moïse sur le mont Sinaï avec le puissant esprit décrit comme un "buisson ardent" (image qui pourrait également s'appliquer au dorajuadiok) et je me demandai si les sons produits par le vent de sable n'avaient pas aidé le prophète à passer dans l'état de conscience qui avait permis cette rencontre visionnaire. Il semblait en tout cas que Guillaume ait connu le pouvoir de ce son et l'ait utilisé pour favoriser la réunion de Naïnoa avec l'esprit. Et avec moi."

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Symbolisme onirique :


Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),


Le sable ! Avec cinq couleurs, l'eau, le soleil et la mer, le sable se place dans le très petit groupe de symboles dont la présence peut être observée dans 25% ou plus des séances de rêve éveillé. Le sable est une image grave. Il est à la fois une image première et la dernière image. Celle qui précède tout ce qui sera et qui demeure quand tout a disparu. Elle est l'origine et le dernier des horizons. Devant le sable, il n'est pas de création de la nature, pas de réalisation humaine, pas même de pensée, qui ne se dissolve dans le dérisoire.

Les pas du chercheur, marquant d'un empreinte éphémère l'étendue sablonneuse, le conduiront-ils à quelque traduction pratique ou près d'un abîme de silence dont il sera tenté de respecter définitivement le mystère ? La fréquence avec laquelle l'imaginaire fait appel au sable pourrait faire supposer une certaine banalisation du symbole. Le peu d'intérêt que lui manifestent la plupart des ouvrages traitant du symbolisme aussi.

Quelle insaisissable influence s'exerce-t-elle pour détourner la réflexion d'une représentation qui s'impose comme l'un des agents les plus actifs de la dynamique de l'imaginaire ? Dans l'Ancien Empire égyptien, ce pays qui devait mener une lutte incessante contre l'envahissement par les sables du désert - au cours de la période historique, le Sphinx a été désensablé cinq fois ! - les textes sont étrangement muets en ce qui concerne cette matière. Au fil des cent quatre-vingt-dix chapitres du Livre es morts, nous n'avons relevé le mot que trois ou quatre fois. Encore s'agissait-il d'évoque la condamnation de défunts, dont l'âme était jugée impure, à - transporter du sable d'est en ouest jusqu'à la fin des temps".

Tout se passe comme si le mental se défendait contre le sable en se couvrant d'un voile qui lui retire sa propre lucidité et que le rêve, au contraire, libérait toute la puissance transformatrice du symbole. Car il sera facile de montrer que le sable rêvé est beaucoup plus qu'une image qu'on se donne à voir. Il est une substance à laquelle le rêveur s'identifie, un lieu où vivre la métamorphose.

Sables du désert ou sables de la mer ? Si nous nous en tenions à la seule observation statistique, la réponse à cette question serait simple et claire. D'une part, le rêve, lorsqu'il place l'action dan n décor sablonneux, choisit les dune sahariennes aussi souvent que celles qui bordent les plages. d'autre part, les corrélations qu'on relève autour de chacun des deux symboles désert et plage se répartissent en proportions identiques entre toutes les familles du répertoire. Souvent la séquence, engagée dans les sables du désert, se poursuit sur la plage sans que le rêveur ait marqué la transition. Dans la très grande majorité des situations, c'est donc bien sur le sable-matière, le sable-substance, que l'imaginaire entend placer l'emphase.

On objectera que le sable du désert et le sable de la mer sont des termes opposés d'une dialectique du sec et de l'humide, du feu brûlant et de l'eau rafraîchissante. La remarque est pertinente mais le rêve échappe habilement - sans la nier - à cette contradiction. L’inconscient sait que la rêverie du sable appelle une rêverie de l'humide et, dans le désert le plus sec, il saura répandre ce qu'un patient appellera les larmes du ciel, la pluie fécondante, pour réaliser l'une des missions du symbole.

Le sable est une substance intime. Un rêveur qui rencontre le sable veut tout de suite participer au destin de la dune. Il a besoin de marcher pieds nus dans cette matière, de s'y rouler, de s'y enfoncer. Pour l'imaginaire, un sable st toujours quelque peu un sable mouvant. L'origine du mot est d'ailleurs sablon qui désignait les sables mouvants. L'aspiration à se mêler au sable est telle, que, parfois, le rêveur ou la rêveuse vont jusqu'à l'absorber, jusqu'à s'en remplir, pour mieux réaliser l'intimité de la fusion.

Le sable rêvé se tient à la limite entre le sec et l'humide. Beaucoup de patients, engagés dans le scénario, éprouvent le désir de préciser qu'ils marchent dans une substance à demi liquide, à demi solide. On se baigne dans le sable, comme on se baigne dans l'eau. Un sable coule, comme liquide, comme le temps. Le sablier rassemble et matérialise ces valeurs de l'imaginaire.

Un sable est sans mémoire, sans projet. Il est. Il est dans un présent qui contient un passé effacé, un devenir non prévu. Il est éternité. Au vent du désert, sous la pression de la vague, le sable devient sans cesse ce qu'il est. Au vent du désert, sous la pression de la vague, toute trace de ce qui était disparaît, rien ne transparaît de ce qui sera. Une âme qui rêve le sable ne connaît plus l'avoir. Elle se déploie dans l'être L’espace mesuré et le temps compté, ces repères du mental, abdiquent leurs prérogatives souveraines devant les dunes du désert.

Nul livre, si volumineux fût-il, n'épuiserait ce qui doit être dit d'un tel symbole. Le sable est un vide, un rien qui contient tout. Il s'inscrit dans le groupe des grandes images qui assument la dynamique de transformation sans se compromettre par un rapport direct avec l'une ou l'autre des catégories pathologiques. Le sable, le verre, le tourbillon et quelques autres symboles sont d'ardents missionnaires qui œuvrent pour l'harmonie psychique avec la puissance illimité de leur foi. Une cure de rêve éveillé dans laquelle ces agents mystérieux ne se manifestent pas est une cure en risque d'échec. ceux-là sont les garants de l'authenticité du désir d'évolution.

Cependant, s'il est d'abord un ferment de métamorphose, le sable du rêve renvoie souvent au besoin d'un retour à l'image maternelle primitive. Un sable accueille, berce, protège, rassure et se prête au renouvellement de l'expérience fusionnelle. Comme il sera facile de trouver des séquences dans lesquelles la dune s'ouvre et devient un ventre de mère ! Par là, la matière sans mémoire se fait complice d'un repli dans le temps sans repère. Le seul souvenir que rien ne peut effacer est celui de l'unité perdue. La dune, le sable, le désert réactualisent des ressentis antérieurs à l'entrée dans le monde. Quelques exemples vont montrer la constance du besoin éprouvé par le rêveur ou la rêveuse de partager intimement la nature du sable.

Une séquence du quatorzième scénario de Véronique, reproduite dans les articles consacrés à la lune et au tournesol, constitue la plus belle mise en scène de la situation œdipienne qu'il nous ait été donné de recueillir. Nous reprenons ici les phrases qui préparent ou contiennent l'apparition du sable :

« ... Là... je suis devant ce pharaon, assis sur son trône au milieu du désert... il me pose trois devinettes et... pour répondre à la dernière, j'ai amené devant le pharaon le soleil et la lune... j'ai bien répondu... [...] Et tout se met à fondre dans le désert... enfin ! tout : il n'y a que nous dans le désert ! Mais tout fond et se mélange au sable... et je me retrouve grain de sable... et là, j'ai l'impression de voir beaucoup mieux... et même d'être un œil ! De voir et de comprendre beaucoup mieux.. il se met à pleuvoir très fort et tout se met à germer dans le désert et je deviens une grain de fleur de tournesol, tournée vers le soleil... »

Lorsque tout fond pour se résoudre en sable du désert, lorsque la rêveuse elle-même devient grain de sable, rien ne subsiste plus des édifices justificateurs du mental. Dès lors, la lucidité est si totale que Véronique non seulement dit son impression de voir et de comprendre beaucoup mieux, mais d'être devenue un œil, c'est-à-dire la vision même. Alors, la pluie, l'indispensable élément féminin, peut arroser le désert et réaliser l'irréalisable : la germination du sable. D'autres rêves associent explicitement les grains de sable et les grains de blé. Un bref extrait du vingt-cinquième scénario de Gilles confirmera ces deux composantes de la rêverie de sable : l'intime désir du rêveur de se confondre avec la matière et l'irrépressible disposition à la transformation par l'eau-anima :

« ... Je suis arrivé en hait de la plage de K... je m'assieds dans le sable... j'enfonce mes pieds dans le sable, je fais des pirouettes... Là... je suis contre un grand rocher arrondi, poli... je le caresse, comme quelque chose de vivant... cela fait une résonance familière dans la main... j'ai la sensation de me coucher au pied du rocher, dans le sable... et de me transformer en sable ! Je suis devenu du sable maintenant... et je me sers d'un tourbillon de vent pur m'emmener jusqu'à l'eau, en spirale... et dans l'eau... je redeviens moi et je ne sais plus très bien si je suis homme ou femme... je suis bien... »

Ainsi, sables du désert et sables de la mer ont également besoin de l'eau pour accomplir leur vocation transformante. L'imaginaire ne connaît pas de désert irrémédiablement sec. la pluie du ciel, l'oasis, un torrent de larmes jaillis de l’œil d'un chameau, des plus communes aux plus insolites, le rêve multiplie les images aptes à unir le sec et l'humide, la valeur animus du sable et la valeur anima de l'eau. Devenu sable, Gilles a besoin de l'eau pour devenir ce qu'il est. Mais il ne sait plus alors s'il est homme ou femme : le rêve célèbre l'union de l'animus et de l'anima.

Nous montrons, dans l'article consacré au rocher, que celui-là se prête au fantasme du contact avec le corps maternel. La main de Gilles, caressant la forme arrondie du rocher, provoque « une résonance familière ». Alors le rêveur s'allonge dans le sable, devient sable, pour se replacer dans les ressentis les plus anciens de la chair. Ce retour au temps maternel est exprimé de manière inégalable dans le vingt-quatrième rêve de Suzanne, dont de larges extraits sont reproduits dans les articles consacrés aux galets et à la lune.

En suivant un chemin de galets, Suzanne s'est enfoncée sans une grotte qu'elle traverse pour ressortir dans une prairie très verte où coule un ruisseau : « ... de l'autre côté du ruisseau, ce n'est plus une prairie... c'est un désert de sable ocre avec, au loin, une caravane et des Bédouins en robes très colorées... la caravane passe, les chameaux se balancent et.. je ne sais pas... j'ai l'impression que le temps ne compte plus ! Que c'est une sorte de rythme éternel... les gens qui passent... le désert... et j('ai envie de prendre un bain de sable... alors, je me roule dans le sable et je descends, en roulant, une dune et je me retrouve en bas de la dune... baignée par le sable chaud... le temps coule... je n'ai envie de rien faire... je regarde le trajet du soleil dans le ciel... [...]. Maintenant, c'est la lune que je vois monter dans le ciel, alors je sors de la tente, sous les rayons de la lune et je me mets à danser pour la lune... je consacre ma nuit à la lune... un immense quartier de lune dans un ciel étoilé... le désert et une femme qui danse... les rayons de la lune ne sont pas froids... ils sont doux... et quand j'ai dansé à la lune, je me couche dans le sable et je dors, baignée dans cette lumière... j'ai l'impression que la lune est ma mère... les rayons de la lune sont les bras d'une mère tendre... et je dors, blottie dans ces bras.. je me roule dans le sable et dans cette lumière... comme si j'étais à nouveau das le ventre de ma mère... »

L'étroite association entre le sable et le temps sans repère de la gestation est ainsi mise en évidence dans de très nombreux scénarios.

Le sable est aussi l'un des termes de la contradiction fondamentale qui oppose l'ambition de permanence et l'acceptation de l'éphémère. Être c'est devenir et devenir c'est renoncer. Unis par leur aptitude commune à symboliser le temps maternel, le rocher et le sable sont des représentations antagonistes par référence à ce temps. Le rocher est ancrage, mémoire, refus de quitter. Il dit la volonté de pérennité. Il aspire à l'immuable dans l'éternité. Le sable est rupture, espérance, adhésion à l'accomplissement. Il dit la mouvance de l'être, la disponibilité pour la métamorphose. Un sable imaginé replace le rêveur dans la confiance de l'être en naissance.

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Le praticien à l'écoute des rêves rencontrera fréquemment des images de sable. Souvent dès la première séance et souvent aussi dans de nombreuses séances d'une même cure. Il devra se rappeler que cette abondance se réduit par la puissance d'un symbole qui compte parmi les agents déterminants de la dynamique de l'imaginaire.

Lié au temps premier, au temps maternel, le sable délivre des résistances du mental. Proche opposé de l'eau, le sable du désert, comme le sable de lamer, se charge d'une délicate mission complémentaire : il crée les conditions de l'union harmonieuse de l'animus et de l'anima.

Si l'absence totale du sable dans une cure donne à penser que l'engagement du patient est neutralisé par de fortes résistances du mental, l'apparition du sable noir révèle une confrontation sévère entre l'élan évolutif et quelque noyau dur de la problématique. L'une des racines de la névrose est sur le point de se laisser démasquer mais tend à compenser sa proche défaite par des productions paroxystiques.

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Littérature :


Jules Verne pointe pour nous la luminosité particulière du sable dans son roman célèbre 20 000 lieues sous les mers (1869-1870) :


Nous marchions sur un sable fin uni, non ridé comme celui des plages qui conserve l’empreinte de la houle. Ce tapis éblouissant, véritable réflecteur, repoussait les rayons du soleil avec une surprenante intensité. De là, cette immense réverbération qui pénétrait toutes les molécules liquides. Serai-je cru si j’affirme, qu’à cette profondeur de trente pieds, j’y voyais comme en plein jour ?

Pendant un quart d’heure, je foulai ce sable ardent, semé d’une impalpable poussière de coquillages. La coque du Nautilus, dessinée comme un long écueil, disparaissait peu à peu, mais son fanal, lorsque la nuit se serait faite au milieu des eaux, devait faciliter notre retour à bord, en projetant ses rayons avec une netteté parfaite. Effet difficile à comprendre pour qui n’a vu que sur terre ces nappes blanchâtres si vivement accusées. Là, la poussière dont l’air est saturé leur donne l’apparence d’un brouillard lumineux ; mais sur mer, comme sous mer, ces traits électriques se transmettent avec une incomparable pureté.

Cependant, nous allions toujours, et la vaste plaine de sable semblait être sans bornes. J’écartais de la main les rideaux liquides qui se refermaient derrière moi, et la trace de mes pas s’effaçait soudain sous la pression de l’eau.

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André Gide quant à lui évoque le sable du désert dans Les Nourritures terrestres (1897) :


- Je veux parler encore du désert.

[…]

Désert de sable – Sables mouvants comme les flots de la mer ; dunes sans cesse déplacées ; des espèces de pyramides guident de loin en loin les caravanes ; monté sur le sommet de l’une, au bout de l’horizon on aperçoit le sommet d’une autre.

Quand le vent souffle, la caravane s’arrête ; les chameliers se mettent à l’abri des chameaux.

Désert de sable – vie exclue ; il n’y a plus là que la palpitation du vent, de la chaleur. Le sable se veloute délicatement dans l’ombre ; s’embrase au soir et paraît de cendre au matin. Il y a des vallées toutes blanches entre les dunes ; nous y passions à cheval ; le sable se refermait après nos pas ; de fatigue, à chaque dune nouvelle, on pensait qu’on ne pourrait pas la franchir.

Je t’aurai passionnément aimé, désert de sable. Ah que ta plus petite poussière redise en son seul lieu une totalité de l’univers ? - De quelle vie te souviens-tu, poussière ? désagrégée de quel amour ? - La poussière veut qu’on la loue.


Mon âme, qu’avez-vous vu sur le sable ?

- Des os blanchis – des coquilles vidées…

Un matin, nous arrivâmes près d’une dune assez haute pour nous abriter du soleil. Nous nous assîmes. L’ombre était presque fraîche et des joncs y croissaient avec délicatesse.

Mais de la nuit, de la nuit, que dirai-je ?

C’est une navigation lente.

Les flots sont moins bleus que les sables.

Ils étaient plus lumineux que le ciel.

- Je sais tel soir où chaque étoile, une à une, m’a paru particulièrement belle.

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Dans L'Œuvre au noir (Édition Gallimard, 1968) Marguerite Yourcenar fait du sable le support d'une méditation sur le temps qui passe :


Une dune lui cacha les feux de Heyst pourtant tout proche. Il se choisit un creux abrié de la brise, et bien en deçà de la ligne de marée haute qui se devinait, même dans le noir, à l'humidité du sable. La nuit d'été était tiède. Il serait toujours temps d'aviser au petit matin. Il étendit sur lui sa casaque. La brume occultait les étoiles, sauf Véga près du zénith. La mer faisait son bruit éternel. Il dormit sans rêves.

Le froid le réveilla avant l'aube. Une pâleur envahissait le ciel et les dunes. La marée montante lapait presque ses chaussures. Il frissonnait, mais ce froid portait déjà en lui la promesse du beau jour d'été. Frottant doucement ses jambes engourdies par l'immobilité nocturne, il regardait la mer informe enfanter ses vagues vite évanouies. Le bruit qui dure depuis le commencement du monde grondait toujours. Il fit couler entre ses doigts une poignée de sable. Calculus : avec cette fuite d'atomes commençaient et s'achevaient toutes les cogitations sur les nombres. Il avait fallu pour émietter ainsi des rochers plus de siècles qu'il n'y avait de journées dans les récits de la Bible. Dès son jeune temps, la méditation des philosophes antiques lui avait appris à regarder de haut ses pauvres six mille ans qui sont tout ce que Juifs et Chrétiens consentent à connaître de la vénérable antiquité du monde, mesurée par eux à la courte durée de la mémoire de l'homme. Des paysans de Dranoutre lui avaient montré dans des tourbières d'énormes troncs d'arbres qu'ils imaginaient apportés là par les marées du Déluge, mais il y avait eu d'autres envahissements par l'eau que celui auquel on appendait l'histoire d'un patriarche amateur de vin, tout comme il y avait eu d'autres destructions par le feu que la grotesque catastrophe de Sodome. Durazi avait parlé de myriades de siècles qui ne sont qu'un temps d'une respiration infinie. Zénon calcula que le vingt-quatre février prochain, s'il vivait encore, il aurait cinquante-neuf ans. Mais il en était de ces onze ou douze lustres comme de cette poignée de sable : le vertige des grands nombres émanait d'eux. Pendant plus d'un milliard et demi d'instants, il avait vécu çà et là sur la terre, tandis que Véga tournait aux alentours du zénith et que la mer faisait son bruit sur toutes les plages du monde. Cinquante-huit fois, il avait vu l'herbe du printemps et la plénitude de l'été. Il importait peu qu'un homme de cet âge vécût ou mourût.

Le soleil était déjà vif quand du haut de la dune il vit La Belle-Colombelle déployer sa voile et prendre la mer. Le temps eût été beau pour le voyage. La lourde barque s'éloignait plus rapidement qu'on aurait cru. Zénon se recoucha dans sa bauge de sable, laissant la bonne chaleur éliminer de lui toute trace de courbature nocturne, contemplant son sang rouge à travers ses paupières fermées.

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