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Le Chamois et l'Isard

Dernière mise à jour : 21 juil.




Étymologie :


  • CHAMOIS, subst. masc. et adj.

Étymol. et Hist. 1. a) 1164-74 camois « objet en peau de chamois » en partic. « partie de la lance garnie de peau qui se tenait à la main » (Chr. de Troyes, Cligès, 4936 ds T.-L.) ; 1220-30 chamois (Durmart le Gallois, 13074 ds Gdf.) ; b) fin xiiie s. « sorte d'antilope qui vit dans les hautes montagnes » (Vie des Pères, ms. Ars., fo46ads Gdf. Compl.) ; 2. 1387 peau de chamois (Comptes roy. ap. Laborde, Emaux, ibid.) ; d'où 1600-12 chamois « peau préparée avec du chamois » (D'Aub., Hist., III, 23 ds Littré) ; 3. 1690 « couleur jaune rappelant la teinte de la peau du chamois » (Fur.) ; d'où 1818 adj. gilets chamois (Journal des Dames, p. 942). D'un pré-roman *kamōke, mot essentiellement alpestre désignant le chamois et dont Polemius Silvius (ve s.) fournit une 1re attest. sous la forme camox dans son Laterculus (TLL s.v., 207, 74 ; v. aussi A. Thomas ds Romania, t. 35, pp. 170-171) ; du type chamois, les formes latinisées du domaine fr.-prov. : chamosius, 1272 en Savoie, chamessius, 1389-90 à Chamonix ; le lat. médiév. chamos (cognomen, Htes Alpes, 1135), l'a. dauph. chamos, 1333, l'a. prov. chamos [av. 1244 ds Rom. Forsch., t. 5, p. 409] remonteraient à un type *kamŭsso (J. Hubschmid ds Z. rom. Philol., t. 66, pp. 9-10 ; v. aussi Pat. Suisse rom., s.v. chamois).


  • ISARD, IZARD, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1387-91 (G. Phébus, Chasse, éd. G. Tilander, IV, 3-4 : Des boucs y a de deux manieres, les uns s'apellent boucs sauvaiges et les autres boucs ysarus, et aucuns les apellent sarus) ; 1553 (P. Belon, Obs. de plusieurs singularitez..., éd. 1588, p. 120 : Le Roy le [chamois] nomme un Ysard, mais c'est une antique diction Françoise) ; 1614 (G. Mauran, Somm. description du païs et comté de Bigorre, éd. G. Balencie, 1887, p. 57 : Chevreuils vulgairement appelés issars). Terme attesté de part et d'autre des Pyrénées : dans le domaine ibér. : cat. isard (xive s. ds Alc.-Moll), aragonais sisardo, chizardo et sarrio (d'où le cast. sarrio 1625 ds Cor. s.v.) ; dans le domaine gallo-rom. où l'on peut distinguer 2 types de formes réparties de part et d'autre de la limite entre Pyrénées-atlantiques et Hautes-Pyrénées, passant par le Balaïtous (v. J. Séguy, Atlas ling. de la Gascogne, carte n°16) : le type sarri à l'ouest (vallées de Barétous, d'Aspe, d'Ossau, haute vallée du gave de Pau, avec les dér. sarride « troupe d'isards », sarrié adj. « de l'isard », sarriat « petit de l'isard », Palay, Lespy-Raym. s.v. sarri ; v. aussi Roll. Faune t. 7, p. 218) ; le type isart à l'est (xive s. Ariège uzars, uzarns plur., Elucidari, ms. Ste Geneviève, fol. 127 et 166 ds Rayn. t. 5, p. 455 b ; hautes vallées de la Garonne et du Salat, vallées du Lez et de l'Ariège isart, vallées d'Aure et de Luchon idart, v. (Rohlfs Gasc., § 41). L'ensemble de ces mots, d'orig. prérom., semble issu d'une base izarr-, de sens mal élucidé, appartenant au substrat pyr., peut-être ant. au basque (l'absence du mot en basque mod. s'expliquant par le fait que l'isard n'appartient qu'à la faune des hauts sommets dont est dépourvu l'actuel territoire basque) ; d'apr. Rohlfs op. cit. § 466, v. aussi ds Z. rom. Philol. t. 47, 1927, p. 401, la dissimilation -rr-rd- que présentent un certain nombre de mots de l'anc. substrat est un fait hisp. remontant à l'articulation prérom. À la suite de Bertoldi ds Z. rom. Philol. t. 57, 1937, p. 146-47, certains (notamment FEW t. 4, p. 826 b) admettent un rattachement au basque izar « étoile » en raison de la tache blanche que portent les tout jeunes isards sur le front ; le type isar-t s'expliquerait dans ce cas par le suff. basque -di exprimant la présence de quelque chose : *isar-di « là où se trouve une étoile » (cf. le basque izar-dun « étoile ; cheval qui a une étoile au front » ds Lhande, p. 567) ; cette hyp. est révoquée en doute par Rohlfs op. cit. § 41 et Cor. loc. cit.


Lire aussi les définitions de chamois et d'isard pour amorcer la réflexion symbolique.

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Zoologie :


Lire la fiche de l'Encyclopédie Larousse pour se familiariser avec les habitudes comportementales de cet animal.




Usages traditionnels :


Selon Alfred Chabert, auteur de Plantes médicinales et plantes comestibles de Savoie (1897, Réédition Curandera, 1986) :


Les rhumatisants et les arthritiques dans nos montagnes usent volontiers de caleçons en peau de chamois et de marmottes.

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Croyances populaires :


Selon Ignace Mariétan, auteur d'un article intitulé "Légendes et erreurs se rapportant aux animaux" paru dans le Bulletin de la Murithienne, 1940, n°58, pp. 27-62 :


Le Chamois, ce bel animal vivant en montagne, si recherché par les hommes, n'a pas manqué de donner lieu à des légendes de la part de ceux qui voulaient expliquer sa vie.

Oppien a dit que le Chamois respire par les cornes qui communiquent avec les poumons, parce qu'il se bouche parfois les narines en fouillant la terre pour trouver des racines. D'autres ont expliqué qu'il se suspend par les cornes.

Dans le Journal de Thomas Blaikie en 1775 il est dit qu'ils sont d'une nature si ardente qu'ils ne peuvent vivre loin de la neige et de la glace. On a raconté encore que lorsqu'on les tue, leur sang, auquel les habitants attribuent d'innombrables vertus, est presque aussi chaud que l'eau bouillante ; quelques gouttes délayées dans de l'eau constituent le remède le plus actif contre les pleurésies, leur chair donne la fièvre.

Camerarius, cité par Aldrovandc, parle des bézoards du Chamois et de leurs propriétés. (Boules de poils trouvées dans l'estomac des ruminants). On les croyait formées d'une plante de montagne : le Doronic, que les Chamois mangeaient pour se préserver du vertige. Les bézoards étaient utilisés par les hommes contre le vertige. On ordonnait aussi de manger de l'écureuil pour combattre le vertige. Sans doute espérait-on communiquer les qualités de grimpeur de cet animal à celui qui le consommait.

Les glandes rétro-cornales, à la base des cornes, qui jouent un rôle au moment du rut ont été expliquées par nombre d'auteurs comme des organes respiratoires.

Quand les Chamois baissent la tête entre les deux jambes et la relèvent ensuite en humant l'air, c'est un signe qu'ils ont senti le chasseur. Si on ne les tire pas à ce moment-là ce sera trop tard. On prétend que les Chamois font ce geste parce qu'ils ont derrière la tête une partie sensible qui leur révèle l'odeur de l'homme. Allusion encore aux glandes rétro-cornales qui ne sont pour rien dans la perception des odeurs.

L'histoire d'un Chamois sentinelle, vieux mâle chargé spécialement de surveiller le troupeau, est une légende, tous les Chamois surveillent en levant fréquemment la tête. Quand une harde est dérangée c'est une femelle d'un certain âge, et jamais un mâle, qui prend la tête pour diriger la fuite.

On a dit que, en été, les Chamois ne mangent que du Génépi, or ils n'en mangent pas du tout. Scheuchzer au XVIIème siècle dit que les chasseurs se scarifient la plante des pieds avec leur couteau, afin que le sang coagulé leur permette de franchir des passages rocheux exposés.

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Jean-Pierre et Yan-Chim Jost, auteurs d'un ouvrage intitulé Les chamois : Biologie, mœurs, écologie (Éditions Cabedita, 2005) recense de nombreuses croyances relatives au chamois :


Au IIIe siècle l’on croyait que les cornes du chamois étaient reliées aux poumons ou encore que le chamois pouvait respirer par ses glandes rétrocornales lorsque ses narines étaient bouchées!  D’autres pensaient que pour mieux broyer sa nourriture, son estomac était pourvu de lames de pierres qui faisaient office de meules. Enfin, on allait même jusqu’à prétendre, oh comble de l’ironie, que le chamois a le vertige !

Conrad Gesner (naturaliste et médecin suisse 1516-1565) écrivit au 16e siècle que le chamois utilise ses cornes pour escalader les rochers, ce qui est bien sûr pure fantaisie. Par contre, il fut l’un des premiers à mentionner que le chamois utilisait des salines.

Buffon (naturaliste et écrivain français 1707-1788) écrivit que le bouquetin est le mâle dans la race originaire des chèvres et le chamois représente la femelle…. et il continuait « …. je considère donc le bouquetin, le chamois et la chèvre comme une même espèce dans laquelle les mâles ont subit de plus grandes variétés que les femelles». Pour expliquer une telle hérésie, il faut dire que Buffon abandonnait volontiers à ses nombreux collaborateurs les descriptions d’animaux qu’il n’aimait guère. Il se sentait plus à l’aise dans les grandes vues et les théories d’où parfois le manque de rigueur dans ses descriptions d’animaux. Ce n’est qu’à partir du 19e siècle seulement que le chamois fut reconnu comme une espèce à part entière. Si Buffon s’était trompé sur la classification du chamois, il détruisit par contre le mythe selon lequel le chamois s’aide de ses cornes pour escalader les rochers. Cependant il se trompa à nouveau en déclarant que chaque harde de chamois avait une sentinelle attitrée au même titre que la marmotte (ce qui est également erroné), et celle-ci donnait l’alarme à ses congénères en cas de danger. Il fallut attendre jusqu’au milieu du 19e siècle pour avoir une description plus exacte et complète de la vie du chamois. C’est en 1853 que le naturaliste suisse Tschudi publia son livre sur la vie des animaux dans le monde alpin et qu’il détruisit plusieurs de ces mythes. Malgré cela Blasius, quatre ans plus tard maintenait que la femelle du chamois montait la garde et avertissait la harde de l’imminence d’un danger. Le travail de Tschudi ne fut surpassé que par celui de Couturier qui écrivit en 1938 une œuvre monumentale sur les chamois.

Très tôt l’on croyait que l’utilisation de certains organes du chamois avait un pouvoir magique capable de soigner moult maux. Par exemple l’ingestion d’une golée de sang frais ou de lait encore chaud de chamois pouvait guérir du vertige. Ce même traitement était également efficace contre le rhume ou tout autre refroidissement. Une autre mesure efficace afin d’éviter le vertige consistait à garder dans ses poches les sabots d’un chamois ou un bézoard (agglomération de poils et de bile que l’on trouve dans l’estomac des ongulés).

Selon Conrad Gesner (1516-1565) il était possible de soigner plusieurs espèces de troubles pulmonaires en consommant chaque jour une demi-tasse de lait de chamois mélangé avec sa graisse. Contre les diarrhées l’on préconisait le foie de chamois qu’il fallait torréfier et pulvériser afin de le consommer dans du vin. On traitait la cataracte et les vomissements avec de la bile de chamois. Le plus étonnant était le traitement contre les calculs (biliaire ou rénaux?). Dans ce cas Gesner recommandait la prise à jeun d’une boisson dans laquelle on y avait ajouté des crottes fraîches de chamois (bon appétit!). Cependant à cette époque le remède le plus apprécié et quasi universel était le bézoard. Déjà décrit au 16e siècle par Conrad Gesner, le bézoard était à la fois un aphrodisiaque et un antidote contre toutes sortes de poisons.

Le nom bézoard est issu du persan (pad-zahr) qui signifie contre poison. Il s’agit de concrétions pierreuses qui se forment dans les voies digestives de certains animaux (dans l’estomac du chamois, par exemple). L’estomac du ruminant enrobe un amas de poils ou d’herbe ou des deux avec des phosphates et de l’oxalate de calcium. Les analyses chimiques ont démontré que ces phosphates couplés à la kératine des poils peuvent inhiber l’effet de certains poisons tels que les sels à base d’arsenic. Donc les bézoards agissent comme une éponge à arsenic. Au moyen âge c’était un commerce très lucratif et souvent on imitait les bézoards que l’on fabriquait et vendait à bon prix comme médicament. On distinguait le tricho-bézoar qui contient en grande partie des poils et le phyto-bézoar, était principalement constitué à base de végétaux.

Bien que très populaire, le bézoard n’était pas toujours à la hauteur de sa réputation comme le témoigne cette expérience malheureuse d’un traitement anti-poison en l’an 1571.

Le roi de France, Charles IX était alors à Clermont Ferrand lorsqu’un seigneur lui apporta d’Espagne une pierre d’une qualité bizarre appelée bézoard. Il prétendait que la dite pierre était efficace contre tout poison et venins. Ambroise Paré (1509-1590, chirurgien français) étant présent n’en croyait pas mot malgré les affirmations du noble visiteur. Le roi qui voulait en avoir le cœur net, demanda à son prévôt s’il n’avait pas par hasard mis au frais un condamné à mort sur lequel les qualités prétendues de ce bézoard pourraient être testées. Le roi proposa au condamné le marché suivant: il serait gracié s’il survivait à une expérience consistant à avaler le poison et ensuite l’antidote à base de bézoard destiné à le préserver d’une mort certaine.

Désirant prendre sa chance, le condamné accepta cette proposition. L’apothicaire servant lui administra alors le breuvage empoisonné et sitôt après le fameux bézoard.

La suite de la scène fut horrible à voir. A peine le malheureux eut-il avalé les deux drogues, raconte Paré, qu’il se mit à vomir «à aller à la selle avec grandes espreintes, disant qu’il avait le feu au corps, demandant de l’eau à boire». «Le pauvre diable cheminait à quatre pattes comme une beste, la langue hors de la bouche, désirant toujours vomir, avec de grandes sueurs froides et jettoit le sang par les oreilles, nez, bouche et par les sièges».

Afin d’atténuer ses douleurs et la force du poison, Paré lui fit boire de l’huile à foison, mais en vain. Au bout de 7 heures d’agonie le malheureux rendit l’âme. L’autopsie faite par Paré révéla que «l’estomach était noir, aride et sec comme si un cautère y eut passé». Inutile de dire que suite à cette tragique expérience, le roi fit détruire ce qui restait du bézoard et on en reparla plus.

Ce qui est surprenant c’est que un siècle plus tard on mentionnait encore son utilisation en pharmacopée. Ainsi au 17e siècle nous retrouvons, entre autre, une mention du bézoard dans le malade imaginaire de Molière (1622-1672). Donc il est probable qu’à cette époque le bézoard était encore utilisé en médecine faute de quoi Molière ne l’eut pas mentionné.

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Symbolisme :


Animal de montagne par excellence, le chamois est le symbole des Alpes comme l'isard celui des Pyrénées.

 

"Talisman ou antidote : les bézoards

Il s'agit de concrétions formées de poils ou de divers débris végétaux que produisent parfois les ruminants. On en trouve aussi, mais plus rarement, chez certains psychopathes humains qui avalent des matières non digestibles.

Chez le chamois, on les appelle aussi « ægagropiles ». Ce sont de petites boules dures, lisses et brillantes, de couleur noire ou verdâtre, contenues dans le rumen (premier estomac, ou panse).

Le bézoard est une boule, souvent unique, de la taille d'une noisette ou d'une noix, quelquefois plus grosse, et très légère. Les poils et les fibres qui la constituent se sont agglutinés sous l'effet des mouvements de brassage continus de la paroi stomacale, puis ils ont été collés par la poix qu'ingère le chamois durant l'hiver en broutant les conifères. La structure du bézoard est compacte et son odeur forte et musquée. Il renferme également certains sels minéraux et de la silice.

On croyait autrefois qu'il possédait des vertus merveilleuses. Bergers et chasseurs l'utilisaient comme talisman, car il avait, disait-on, le pouvoir d'éviter le vertige, de favoriser la vue et d'augmenter les chances de succès à la chasse. On l'utilisait, en Orient surtout, comme antidote contre les poisons et les maladies infectieuses. Vendu très cher, il entrait dans la fabrication de nombreux médicaments."

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Selon Jean-Pierre et Yan-Chim Jost, auteurs d'un ouvrage intitulé Les chamois : Biologie, moeurs, écologie (Éditions Cabedita, 2005) :

Le premier chamois que le disciple abat constitue une victoire et une promotion qui était autrefois liée à certains rituels. Ainsi boire le sang du chamois qui vient d’être tiré avait une valeur symbolique. A partir des années 1950 jusque dans les années 1970 boire du sang frais de chamois était pour le chasseur une façon de bien marquer son passage à la condition du chasseur adulte. Un chasseur racontait que le sang de chamois a un goût fortement poivré, que « ça arrache la bouche et qu’il ne faut pas en boire beaucoup parce que ça chauffe le corps et que le cœur se met à battre plus fort ! »

[...]

Toujours selon De Saussure beaucoup de chasseurs de chamois périssent victimes d’accidents de montagne et il écrivait : « le petit nombre de ceux qui vieillissent dans ce métier portent sur leur physionomie l’empreinte de la vie qu’ils ont menée: un air sauvage, quelque chose de hagard et de farouche les fait reconnaître au milieu d’une foule, lors même qu’ils ne sont point dans leur costume. C’est sans doute cette mauvaise physionomie qui fait croire à quelques paysans superstitieux qu’ils sont sorciers, qu’ils ont dans ces solitudes commerce avec le diable et que c’est enfin lui qui les jette dans les précipices…. ». En effet dans ce contexte il y a de nombreuses histoires où l’on parle de fabuleux chamois, ennemis des chasseurs. Ils les punissent de leur audace en les tuant à coup de cornes ou en occasionnant un accident mortel sur le chemin et bien des gens y ont vu une punition des Puissances Invisibles que les chasseurs avaient offensées en détruisant les bêtes de la montagne. Certains chasseurs affirmaient que le chamois harcelé a pour habitude de précipiter l’homme intentionnellement. A ce sujet laissons la parole à Alpinus, il disait : « Si le chamois a résolu de franchir un pas, il ne se sent arrêté nullement par la présence de l’homme, il s’élance et passe, rapide comme l’éclair. Sans doute, aussi, malheur à l’homme s’il est touché, car le choc est irrésistible. Mais pour peu que le chasseur s’appuie et s’adosse au roc de tout son corps, sa sécurité est absolue, et le danger reste tout entier au compte du chamois lui-même ».

[...]

Tuer un chamois blanc porte malheur, disaient les superstitieux. Ainsi l’archiduc Francois-Ferdinand qui avait tiré un chamois blanc au cours d’une chasse fut assassiné à Sarajevo et cet assassinat déclencha la première guerre mondiale de 1914-1918.

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Jean-Marie Jeudy, auteur de Les Mots pour dire la Savoie (2006), évoque avec lyrisme le prince des montagnes :


« En 1561, un certain Parradin écrivait '' le chamois est un animal qui s'élance de roche en roche en se recevant sur les cornes et qui peut ressauter en arrière avec la même facilité qu'en avant. Ses cornes lui servent surtout pour se suspendre dans les rochers où il se tient longuement pendu sans se retenir autrement. ''

Si le bouquetin est considéré comme le roi incontesté de la faune de haute montagne, le chamois en est un prince turbulent qui n'a rien à lui envier. Un prince sans terre. Un prince en éternelle croisade. Toujours en errance et d'une agilité surprenante. Un instant là. L'instant suivant à une centaine de mètres plus haut. L'animal est superbe et il doit en être conscient. C'est un bonheur de le rencontrer. Avec son habitude de pencher la tête pour observer l'intrus avant de prendre la fuite. Parce qu'il craint l'homme et il a d'excellentes raisons. L'autre ne sait pas quoi inventer pour lui compliquer l'existence.

Sa tête est barrée d'une bande foncée. Ses joues et la partie supérieure de son museau, blanches en toute saison, lui donnent encore plus d'allure quand il arbore le frac noir de l'hiver. A la belle saison, il arpente les hautes pâtures, les couloirs et les escarpements jusqu'au-delà des 3 000 mètres d'altitude. Au contraire du bouquetin qui cultive une prédilection pour les vires rocheuses ensoleillées, il préfère la fraîcheur des combes enneigées. Son sabot est adapté à la neige dure. Faire une petite sieste sur les névés ne lui déplaît pas.

En dehors des périodes de rut, les sexes vivent séparés. Chez les hardes de femelles, tout est prétexte pour les cabris à des poursuites, des cabrioles, des glissades sur les névés. Vers la fin novembre, les hardes se réunissent pour la saison des amours. Devant faire face aux rigueurs de l'hiver, les bêtes errent dans les pentes où l'avalanche est partie et sur les crêtes soufflées par le vent pour trouver un peu d'herbe. Il faut les voir traverser les couloirs avalancheux à la file indienne. Puis elles s'abritent de la tempête sous le couvert des forêts. Au printemps, elles sortent de la dure saison amaigries. Les femelles s'isolent pour mettre au monde un seul cabri. Les hardes recherchent l'herbe nouvelle sur les zones basses, avant de migrer en altitude au fur et à mesure de la pousse. »

 

Dans un article intitulé "À la découverte du chamois, un roi des montagnes" (publié le14 janv. 2024 sur le site du Chasseur français), on peut lire que :


Le chamois se présente comme un symbole de résilience et d'adaptation à des environnements exigeants. [...] Il incarne le mariage paradoxal de la grâce et de la robustesse au cœur des sommets escarpés.

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Contes et légendes :


Lutz Röhrich et Jean Courtois, auteurs de "Le monde surnaturel dans les légendes alpines." (In : Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, n°1-4/1982. Croyances, récits & pratiques de tradition. Mélanges d'ethnologie, d'Histoire et de Linguistique en hommage à Charles Joisten (1936-1981) pp. 25-41) expliquent les contes de chasse au chamois comme très archaïques :


Du point de vue de l'évolution culturelle, cette légende appartient à une couche archaïque, c'est-à-dire aux légendes relatives aux maîtres de certaines espèces animales. Nous allons la retrouver tout de suite dans un autre texte dont l'action est très différente : la légende du chasseur de chamois.

La légende alpine du chasseur de chamois offre un intérêt certain de la littérature, Schiller ayant écrit sa Ballade du Chasseur dans la montagne d'après une variante de ce type. Je la choisis ici également comme exemple typique des réalités de la vie à une certaine étape de l'évolution culturelle. Signalons aussi en passant qu'il s'agit d'un texte authentique, c'est-à-dire recueilli dans sa forme dialectale, et, qui présente les caractéristiques essentielles de la légende : lien étroit entre l'action et le cadre naturel, opposition au monde surnaturel et issue malheureuse. [...]


Le chasseur de chamois


Il y avait un jour, à Underschâchen un chasseur qui était pétri de méchanceté. Il avait déjà abattu plus d'un chamois et il était presque toujours à la chasse. Un jour, alors qu'il était de nouveau parti avec sa carabine, voici qu'au sommet de la montagne un petit homme bien vieux s'avance vers lui et lui dit : « Pourquoi tues-tu mes jeunes chamois ? — J'ai à la maison une grande famille à nourrir, dit le chasseur, et je dois pourvoir aux besoins de ma femme et de mes enfants. — Bien, dit le petit homme, dans ce cas nous allons nous entendre. Je vais te donner un fromage et tant que tu ne le mangeras pas entièrement en une seule fois, tu en auras assez à partager avec ta famille pour le restant de tes jours ; mais il faut me promettre en contrepartie de laisser mes faons en paix et de n'en plus abattre aucun ». Le chasseur se dit d'accord et le petit homme lui apporte un fromage, un bon gros fromage. « Mais maintenant n'abats plus mes faons, sinon il t'arrivera malheur ! » lui répète le petit homme. Le chasseur prend le fromage et l'emporte chez lui. Il put en manger suffisamment tous les jours avec sa famille et le lendemain le fromage se retrouvait toujours entier. Mais au bout de longues, longues années la passion de la chasse le reprit. « Aujourd'hui nous allons manger tout le formage, dit-il à sa femme et à ses enfants. Mais l'un de ces derniers en laissa sans doute tomber un petit morceau sous la table, et le lendemain matin le fromage était à nouveau tout entier sous la table. Alors il invita tout un groupe de camarades, et ils vinrent à bout du fromage. Et voilà : il reprend sa carabine et se rend dans un site sauvage. Et voici que vient à sa rencontre un chamois, blanc comme neige ! Et puis un autre, de couleur ordinaire. Il se lance à la poursuite du chamois blanc et l'abat. Mais le chasseur n'est jamais rentré vivant chez lui : le même jour il est tombé et s'est tué.

(MULLER, t. III, p. 206)


Que nous apprend ce texte ? Un chasseur conclut un contrat avec un génie protecteur d'animaux. Il s'engage à renoncer désormais à la chasse et on lui donne en échange, à intervalles réguliers, un rôti de chamois, selon ses besoins, ou un fromage de chamois qui n'est jamais entièrement consommé. Au bout de quelque temps, la vieille passion pour la chasse se réveille dans le cœur du chasseur. Mais à l'instant même où il rompt le contrat et abat de nouveau un chamois, il est précipité dans l'abîme.

Il ne s'agit pas simplement d'une histoire curieuse, véritable anticipation de l'idée moderne de la protection de la nature : les légendes sont bien plutôt des révélateurs d'un niveau culturel, et ce récit est représentatif du monde de la chasse à son stade archaïque. Dans ces légendes alpines des génies protecteurs des animaux on trouve des traces de l'esprit des chasseurs des temps les plus reculés. Il s'agit de l'un des cycles de légendes les plus archaïques qui existent, d'un cycle que nous retrouvons pratiquement chez tous les peuples de chasseurs et dont les vestiges subsistent à des stades ultérieurs. Ici se rencontrent le monde de la chasse et celui de l'élevage. Les animaux que chasse l'homme - les chamois - sont les animaux domestiques du génie qui les protège. Il cherche pour ainsi dire à éduquer l'homme, à l'amener de la chasse, de la rapine du gibier, à l'exploitation du troupeau : le fromage qui se reforme toujours est d'un profit plus durable que les animaux que l'on abat.

Une vache ne peut être qu'abattue ou traite. On ne peut avoir que du fromage ou de la viande. Le cadre religieux dans lequel l'homme pourvoit à sa subsistance est condensé en une légende. Mais on doit noter que les aspects chrétiens sont dans ce récit tout à fait insignifiants. La légende nous fait pressentir le niveau culturel primitif de l'homme et l'économie de forces de la nature qui doit toujours être rééquilibrée. Le chasseur primitif a très certainement eu de redoutables scrupules à tuer des animaux inconsidérément. Ainsi se constituèrent et se développèrent des croyances en des puissances surnaturelles qui ressuscitent les animaux abattus, ainsi que des légendes qui dépeignent, à titre d'exemple, ce qui arrive quand l'homme intervient dans le domaine réservé de la nature qui ne lui appartient pas. Ces légendes rapportent qu'il doit s'assurer la bienveillance des esprits sauvages, des génies protecteurs des animaux au moyen de sacrifices, par les travail et par des rites de réconciliation avec les animaux etc., rites qui sont toujours et dans le monde entier typiques d'une civilisation dominée par la chasse.

Mais cette légende ne retient pas seulement notre attention parce qu'elle évoque un problème central à un stade déterminé de l'évolution culturelle. Pour que des récits populaires nous touchent, il n'est pas besoin qu'ils soient en accord avec le cadre matériel et culturel de leur époque. C'est un message intemporel qui trouve ici son expression : l'homme ne cesse de transgresser les limites qui lui sont tracées et les tabous d'un monde surnaturel. L'attrait de l'aventure est toujours plus fort que l'insertion dans le monde traditionnel. Le montagnard chasseur de chamois n'est pas seulement le représentant d'un stade culturel dépassé ; il est l'image de l'Homme comme tel.

Les génies surnaturels protecteurs des animaux peuvent être dans les légendes alpines des êtres très divers : des nains, des géants, des fées bienfaisantes ou bien ce qu'on appelle des Fanga (dryades). Le récit de la Fanga et du chasseur montre à nouveau nettement que les chamois, qui sont des chèvres sauvages, sont des « vaches » pour les génies protecteurs et ne doivent pas être abattues sans leur permission.


La dryade et le chasseur


Un chasseur qui s'était adonné toute la journée à sa passion arriva le soir, très fatigué, à un chalet d'alpage qui était vide. Il décida d'y passer la nuit, plaça le produit de sa chasse, un chamois bien gras, sur le toit et entra dans le chalet. Ayant fait du feu, il se chauffait et il préparait son repas du soir. Soudain il entendit des plaintes retentir devant la maison et ces paroles prononcées distinctement :

« La voilà notre jolie bête,

Elle est morte, oui, elle est morte ».

Aussitôt après, une femme magnifique entra dans le chalet et dit : « Tu nous as abattu une de nos bêtes, c'est pourquoi je vais te déchirer ». Alors, sans bien longtemps hésiter, le chasseur répondit : « Et moi, je vais te tuer d'un coup de fusil ». Alors la dryade prit peur et dit : « Cette fois je ne te ferai aucun mal, mais si à l'avenir tu abats une nouvelle fois une de nos bêtes, alors, malheur à toi ! Maintenant, viens donc un peu dans notre étable et tu y verras l'endroit où une de nos bêtes est absente ». Le chasseur obéit aux paroles de al dryade et partit avec elle. Elle le mena dans une caverne souterraine dans laquelle tout autour étaient disposés des râteliers. A chacun il y avait un chamois. Une seule place était vide. La dryade la lui montra en disant : « Vois-tu ce râtelier vide ? C'est ici que se trouvait la bête que tu as tuée. Rentre maintenant chez toi et ne fais plus de mal à nos bêtes. » Le chasseur sortit de la caverne et, de ce jour, ne tua plus un chamois.


Dans cette légende il est également question de l'opposition entre la chasse et l'élevage. Autant ces documents révèlent qu'ils sont liés à un mode de vie dominé par la chasse, autant ils nous présentent le milieu pastoral comme le milieu et le centre d'intérêt dominants des récits populaires alpestres. Tout l'univers culturel est envisagé en fonction de l'élevage et de l'exploitation laitière. A la limite on pourrait dire : la vache est le centre d'intérêt prédominant dans la vie des bergers alpins.

[...]

Nous avons établi que les Alpes étaient une région où l'on trouve des images très anciennes dans l'évolution culturelle ; disons-le nettement, elles sont une « réserve » de légendes. Des images anciennes du point de vue de l'évolution culturelle sont par exemple celles que l'on trouve dans les légendes de chasseurs, comme les génies protecteurs des animaux et le chamois ressuscité.

[...]

Le rôti de chamois


Martel Kofler, un célèbre chasseur de chamois, se trouvait encore à la chasse longtemps après l'angelus, lorsqu'il vit non loin de lui un grand feu. Pensant qu'il avait été allumé par des bergers, il se dirigea vers lui et, à sa plus grande surprise, trouva trois sorcières assises à côté, qui l'accueillirent aimablement. Elles faisaient cuire dans un chaudron de cuivre une gigue de chamois et elles l'invitèrent à partager leur repas. Quand le rôti fut prêt, l'une dit au chasseur de manger à sa faim, mais surtout de ne pas perdre le moindre petit bout d'os, car s'il en manquait un, le chamois devrait l'expier. Il se régala en mangeant ce délicieux rôti et remit chaque os qu'il avait rongé bien soigneusement dans le chaudron, mais malgré tout il avala un petit bout d'os, ce qu'il dissimula du reste avec adresse. Il resta dans la forêt toute la nuit et ne rentra que le lendemain matin à la maison. Sur le chemin du retour il vit un chamois décharné qui boitait fortement de la patte gauche arrière et qui ne valait même pas la peine qu'on l'abattit d'un coup de feu. Le petit bout d'os ne lui laissait pas de répit et lui donnait des douleurs dans l'estomac, si bien qu'il ne savait que penser ni que faire. Trois ans après, Martin alla de nouveau à la chasse et il rencontra un chamois bien gras qui traînait la patte arrière gauche. Le chasseur le mit en joue, fit feu et l'animal tomba, baigné dans son sang. Lorsque Kofler l'eut dépouillé, il vit qu'il manquait dans une cuisse l'os qu'il avait avalé. Il était maintenant évident que les sorcières avaient ressuscité le chamois dont elles avaient mangé la gigue.

(Zingerle, p. 15)

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Selon Jean-Pierre et Yan-Chim Jost, auteurs d'un ouvrage intitulé Les chamois : Biologie, mœurs, écologie (Éditions Cabedita, 2005) :


La plupart des contes et légendes impliquant le chamois sont en relation directe avec la chasse. La poursuite du chamois peut être un prétexte pour introduire un conte fabuleux où en général l’on culpabilise le chasseur.

Par exemple il y a une histoire que l’on racontait jadis au coin du feu et dont l’action se passe dans le val des Ormonts en Suisse. Un jeune berger quittait souvent les troupeaux de son père pour aller à la chasse aux chamois. En dépit de l’avertissement de ses parents il se livrait avec passion à ce dangereux plaisir. Un soir qu’il était au milieu de précipices, il fut surpris par une violente tempête. La neige et la grêle lui firent perdre sa route, transit de froid et de peur il se réfugia à l’abri d’un rocher. Dans un tourbillon l’esprit de la montagne s’approcha de lui en lui criant d’une voix tonitruante et menaçante :

 « Téméraire ! Qui t’a permis de venir tuer les chamois qui m’appartiennent ? Je ne vais pas chasser les vaches de ton père alors pourquoi viens-tu chasser mes chamois ? Je veux bien te pardonner encore cette fois, mais n’y reviens plus »

Ainsi il fit cesser l’ouragan, il remit le chasseur dans le sentier de son chalet et dès ce jour le jeune berger ne quitta plus son troupeau.

Il y a bien sûr la légende du dahu appelé aussi daru ou dairu dans certaines régions de la Suisse Romande. Cet étrange animal mythique est connu depuis l’Antiquité. Le dahu (Dahutus montanus) est un mammifère mythique des montagnes issu du croisement d’un chamois (il en la tête et les cornes), de la chèvre et du renard.

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Dans Conte-moi les Alpes (Éditions De Borée, 2015) Pierre Adam et Martial Debriffe nous transmettent le conte suivant :

"La fée myrtille et le chamois"


Il existe, dans les immenses montagnes des Alpes, un glacier que nul ne connaît. Ce glacier appartient aux fées des sommets.

La reine des fées fixe le jour de réunion de ses sujettes qui, toutes, doivent rejoindre le glacier mystérieux. Parmi ces fées, plus belles les unes que les autres, il y en avait une qui les dépassait en beauté. Elle s'appelait la fée Myrtille.

Là-haut sur un flanc de montagne, une femelle chamois venait de mettre au monde son petit durant la nuit. Debout sur une pointe rocheuse, elle offrait la mamelle au nouveau-né, qui ne savait pas encore se tenir sur ses pattes. Elle était bien touchante en cette attitude, cette brave petite chevrette des montagnes, et la fée Myrtille, le cœur saisi d'émotion, arrêta le nuage sur lequel elle se déplaçait, afin de pouvoir admirer la jolie bête.

Mais hélas, au même moment, la chevrette venait d'être aperçue par des chasseurs en campagne. La chevrette les avait vus aussi. La frayeur la faisait trembler ; seule, elle se serait enfuie, mais elle ne pouvait se résoudre à abandonner son petit.

Parfois, elle partait d'un bond rapide, comme décidée à s'éloigner, puis elle se retournait et, d'un autre bond, revenait auprès de son petit, le flairait, le léchait, lui faisait entendre de légers béguètements, comme pour l'encourager à la suivre.

Le petit animal essayait en vain de se redresser et de se tenir sur ses pattes, mais celles-ci, encore trop faibles, refusaient de porter le poids de son corps pourtant si frêle.

Les chasseurs, pendant ce temps, gagnaient du terrain, grimpaient, sautaient de rocher en rocher. La mère et son nourrisson allaient être la proie des hommes sans pitié. A ce spectacle, la fée Myrtille, si bonne et si tendre, ne peut se défendre d'une profonde compassion. Vite, elle change de direction, et le nuage floconneux qui lui servait de véhicule vient s'arrêter au flanc de cette paroi où la chevrette avec son nouveau-né attendent ou la mort ou une captivité encore plus odieuse pour ces agiles et sveltes habitants des montagnes. La fée posa le pied sur le rocher et examina le petit. Ses paupières sont encore si étroitement collées à ses yeux qu'il est privé de l'usage de la vue, et ses jambes si fragiles qu'elles se refusent à porter son corps.

Alors, de sa baguette magique, la fée touche les paupières du petit pour lui dessiller les yeux. Elle lui touche ensuite les membres pour les rendre à la fois robustes et souples.

A peine ce geste accompli, le gracieux animal se met à sauter sur ses petits sabots, aguerri et joyeux. Ses pattes devenues fermes et solides sont impatientes de courir. Ses yeux brillent d'audace et d'intrépidité.

Cependant, les chasseurs avaient été retardés dans leur escalade par le nuage soudain épaissi qui portait la fée. Ils ne voyaient plus rien à deux pas devant eux, et, de crainte d'une mauvaise chute, ils interrompirent leur périlleuses ascension. La mère et son petit ne les avaient pas attendus et s'étaient éclipsés bien vite.

La fée Myrtille, constatant que la maman chamois et son petit étaient désormais hors d'atteinte, était remontée lestement sur son nuage et avait repris le chemin du mystérieux glacier. Mais elle avait perdu beaucoup de temps. Elle eut beau se presser, elle arriva en retard au concile tenu par les fées sous la présidence de leur reine. Or, c'est un grand malheur pour une fée d'arriver en retard à ces sortes de réunion. En raison de ce retard, il fut interdit à la pauvre Myrtille de s'asseoir aux côtés de ses compagnes dans la poussière d'or du soleil levant. Elle dut comparaître comme une criminelle devant la reine. Celle-ci s'était montrée toujours fort jalouse de l'extrême beauté de Myrtille, et voyait en elle une rivale dangereuse. Elle profita de cette occasion inespérée pour satisfaire ses secrètes rancunes : sans permettre à Myrtille de se justifier, elle lui infligea immédiatement une lourde punition :

"Je te condamne à errer au sommet de ce glacier sous les traits d'une vieille mendiante couverte de haillons, et ta baguette magique ne sera plus désormais qu'un mauvais bâton entre tes doigts noueux. Ton châtiment durera aussi longtemps qu'un être terrestre n'aura point pitié de toi."

La reine comptait bien qu'aucun humain ne se hasarderait jamais sur le glacier mystérieux... Elle se trompait. La douce femelle chamois avait échappé aux chasseurs ainsi que son petit. Si vive avait été la frayeur de la mère, et la baguette de la fée avait communiqué une telle énergie au sang du petit chamois, que sa mère et lui étaient devenus insensibles aux fatigues de la course. De rocher en rocher, de sommet en sommet, ils parvinrent un jour au glacier mystérieux. Le glacier lui-même ne les arrêta pas. Ils en gravirent les prodigieux escarpements et se trouvèrent sur l'immense dôme de glace. Et là, de bondir mieux que jamais !

Brusquement la mère chamois s'arrêta tout net. Elle venait d'apercevoir une masse sombre sur la glace miroitante. C'était un corps humain ; celui d'une vieille mendiante à bout de forces, étendue sur la glace et paraissant dormir. La mère chamois (le premier chamois à s'aventurer sur le glacier mystérieux) regarde longuement la mendiante immobile. Son instinct, plus sûr et plus rapide que l'intelligence des hommes, lui procure bientôt la certitude que cette vieille femme endormie est la même fée bienfaisante qui l'a sauvée des chasseurs ainsi que le son petit. Prise de pitié, la chevrette gentille abaisse son joli museau sur le front ridé de la misérable créature et lui lèche tendrement le visage et les yeux.

Miraculeusement, le masque flétri retrouve la fraîche carnation de la jeunesse et se colore d'un rose de fleur. La femme ouvre les yeux qui brillent d'un éclat plus limpide que le cristal des sources. Elle se dresse : les loques dont elle était affublée se métamorphosent en une légère écharpe tissée d'or et de soleil...

Son bâton redevient, entre ses doigts fuselés, la baguette magique au pouvoir illimité. Bref, la fée Myrtille vient de renaître plus belle et plus resplendissante que jamais, grâce à la pitié de la mère chamois.

Rayonnante, la fée dit à la chevrette :

"Merci ! Sans toi, la pauvre Myrtille aurait dû rester éternellement errante sur ce glacier désert. En reconnaissance, j'accorde à toi et à toute ta race, à tous les chamois de ces montagnes, un privilège qui sera particulièrement agréable au cœur des mères. Dès que vos petits seront au monde, il vous suffira de leur lécher la face et les yeux, comme tu as eu toi-même la touchante pensée d'agir ainsi envers moi, et aussitôt le regard des nouveau-nés deviendra dix fois plus perçant que celui des chasseurs. Leurs jambes renforcées les emporteront à votre suite sur toutes les cimes. Ils passeront partout où vous aurez passé, et nul escarpement, nul précipice, si effrayants soient-ils, ne pourront arrêter dans leur course la mère et son petit."

Quand les fées virent reparaître Myrtille, elles lui décernèrent la couronne de reine, en dépossédant la fée jalouse qui avait si mal agi.

La nouvelle souveraine fit pousser sur tous les sommets des Alpes une plante portant son nom : la myrtille, aux fruit savoureux. Même au plus fort de l'hiver, même quand la neige est tombée en abondance, les chamois découvrent toujours quelques brins de cette plante providentielle accrochée aux saillies des rochers pour calmer un peu leur faim, en attendant le printemps."

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Sur le site Slovénie voyage, on découvre les grands traits de la légende qui met en scène la créature légendaire du Zlatorog :


Zlatorog, le chamois blanc aux cornes d’or


Partie intégrante du folklore slovène, le Zlatorog est une créature légendaire qui habite les montagnes du pays. A l’instar de l’ours de Slovénie ou du mont Triglav, il est un élément incontournable de la culture slovène. Une histoire qui se raconte de génération en génération. Partons à la découverte de ce mystérieux chamois.


Caractéristiques physiques du Zlatorog : Zlatorog est un animal sur quatre pattes dont l’apparence ressemble de très près à celle d’un chamois. Comme lui, il se caractérise par un pelage relativement épais qui le protège du froid l’hiver, deux cornes et des sabots à deux doigts. La particularité du Zlatorog est que ses deux cornes sont dorées, d’où le nom de Zlatorog qui signifie "Cornes d’or" en slovène.


La légende de Zlatorog : La légende raconte qu’un chamois blanc aux cornes d’or vivait dans montagnes alpines du Triglav, dans un jardin paradisiaque, habité également par les Dames Blanches. Ce beau petit monde vivait en harmonie avec les humains, aidant même les personnes dans le besoin. Le Zlatorog était aussi le gardien d’un trésor caché, sous le mont Bogatin.

Un jour, un riche marchand italien arriva dans une auberge de la vallée de la Soca. Pourtant promise à un homme chasseur du coin, la fille de l’aubergiste fut séduite par le marchand. Souhaitant rivaliser avec le marchand, le pauvre chasseur se mit en route vers le Triglav pour chasser Zlatorog et lui soutirer le trésor ou ses cornes d’or.

Le chasseur trouva Zlatorog et lui tira dessus. Le sang coula du Zlatorog, fit fondre la neige, et des roses du Triglav poussèrent. Zlatorog en mangea une et repris toutes ses forces. Zlatorog pris la poudre d’escampette, poursuivit par le chasseur. Brillantes au soleil, les cornes d’or du chamois éblouirent l’homme qui perdit l’équilibre et tomba dans le ravin.

Trahi, Zlatorog détruisit son jardin paradisiaque et parti, accompagné des Dames Blanches. Dans sa fuite, il détruisit son jardin paradisiaque et laissa la vallée telle qu’on la connait aujourd’hui. On ne revit plus jamais Zlatorog…ni le trésor du mont Bogatin.


Le Zlatorog dans la culture slovène : Le Zlatorog est omniprésent dans la Slovénie d’aujourd’hui. Au pied d’une montagne, au détour d’un lac ou à l’occasion d’une pause bière, vous aurez de multiples possibilités de rencontrer cette légende slovène.

  • La brasserie slovène Laško produit une bière blonde nommée Zlatorog.

  • Une statue du Zlatorog est érigée au bord du lac Jasna

  • Le meilleur club slovène de Handball, le RK Celje joue dans la salle Zlatorog Arena

  • Le camping Zlatorog (Camp Zlatorog) est logé en bord du lac de Bohinj

  • Au cinéma, le premier long métrage slovène, filmé par Janko Ravnik en 1928 et 1929 s’intitulait Au royaume de Zlatorog.

  • L’œuvre la plus populaire du poète allemand Rudolf Baumbach conte l’histoire du Zlatorog (1877). Elle fut adaptée à l’opéra par Camilia et Eduard Lucerna.

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Denis Kormann raconte dans un article publié le 23 juillet 2020 (modifié 18 janvier 2021) sur le site de l'Illustré, la légende suisse suivante :


Le chamois blanc


Autrefois, un mystérieux chamois blanc rôdait en solitaire dans les montagnes, invisible. Son pelage était étincelant et hypnotique. Les chasseurs le voyaient apparaître après avoir abattu leur neuf cent nonante-neuvième chamois. Un signe d’avertissement pour mettre en garde les hommes face à leur avidité.

Dans le canton de Berne, près de Lauterbrunnen, il y avait un redoutable chasseur, un certain David Zwikki. Il avait bien sûr entendu parler du chamois blanc. Mais Zwikki était de tous les chasseurs le plus téméraire et le plus acharné. Véritable force de la nature, il s’aventurait dans tous les terrains, même les plus escarpés. Il pouvait affronter sans broncher les tempêtes et les froids les plus terribles. C’était par ailleurs une fine gâchette ; jamais il ne ratait sa cible. Des chamois, il en tuait entre cinq et six par semaine lorsque les conditions le lui permettaient.

La vie des bêtes n’avait que peu de valeur à ses yeux. Enfreignant la loi, il tuait sans distinction les mâles comme les femelles qui avaient des petits, condamnant ces derniers à mourir de faim. Au fil des années, le produit de cette chasse lui avait rapporté une petite fortune.

Le jour où Zwikki eut abattu son neuf cent nonante-neuvième chamois arriva. Après s’être assuré d’avoir le beau temps pour le lendemain, il partit de Stechelberg au fond de la vallée en direction de l’Oberhornsee pour aller passer la première nuit dans une grange sur les alpages. Son équipement de chasseur consistait en une bonne carabine, des munitions et une longue-vue, un piolet dont il se servait si nécessaire pour tailler des marches dans la glace ou pour s’agripper aux rochers, des crampons à fixer sous ses robustes souliers de cuir, une besace avec une provision de pain et de fromage ainsi qu’une gourde remplie d’eau-de-vie de gentiane, utile pour se réchauffer et se donner du cœur à l’ouvrage.

Le lendemain, avant le lever du soleil, il quitta son gîte. D’un pas ferme et mesuré, il se dirigea par des sentiers rocailleux vers les sommets qu’il savait fréquentés par les chamois.

Tout en progressant, l’œil aux aguets, il veillait constamment à être placé sous le vent afin que les chamois ne perçoivent pas son odeur; la réussite de la chasse en dépendait. Pour cela, il faisait parfois de longs détours pour trouver une meilleure direction.

A mesure qu’il avançait, il prenait de plus en plus de précautions; souvent il s’arrêtait et, caché derrière un rocher pour pouvoir observer sans être vu, il écoutait et regardait de tous les côtés avec la plus grande attention. Grimpant sur les roches avec facilité, il arriva rapidement en haut d’une crête, se glissa à genoux derrière un bloc de rocher, et posant là sa carabine, sa besace et tout ce qui l’encombrait, il s’avança à plat ventre jusqu’à l’extrême bord du précipice. A l’abri derrière de grosses pierres, il examina attentivement tous les environs à l’aide de sa longue-vue.

Soudain, alors que depuis quelques minutes à peine il fouillait du regard les parois en face de lui, il aperçut le chamois blanc. Ce dernier, immobile, magnifique dans sa robe couleur de neige, était comme suspendu entre terre et ciel là-haut sur une arête. Zwikki avait de la chance, la providence l’avait placé à bonne distance de sa proie. De là où il était, il pouvait espérer atteindre l’animal. Le moment tant attendu était arrivé. Son millième chamois serait le chamois blanc. Toujours à plat ventre, Zwikki saisit son arme sans précipitation, l’appuya contre son épaule et visa un instant. Mais il ne tira pas; le chamois blanc avait dressé la tête et regardait dans sa direction. Tous les deux restèrent immobiles. Si Zwikki tirait, il prenait le risque de manquer son coup.

Vif comme l’éclair, le chamois attentif pouvait fuir à la vue de la fumée avant même d’être atteint par la balle. Alors le chasseur resta, absolument immobile, dans la position où il se trouvait. Il s’écoula un bon quart d’heure avant que l’animal ne relâche son attention et se remette à bouger. 

Immédiatement, profitant de cet instant, Zwikki, qui n’avait cessé de tenir l’animal en joue, appuya sur la détente. Un éclair jaillit du fusil, une détonation claqua et résonna dans la montagne. La fumée se dissipa, mais le chamois, visiblement indemne, n’avait pas bougé et le regardait. Aussitôt, Zwikki visa de nouveau soigneusement et tira un deuxième coup.

Mais une fois encore, il dut constater son échec. Le chamois immobile le fixait toujours.

Puis, l’animal se mit tranquillement en marche le long de l’arête et, gagnant une nouvelle paroi, se mit à grimper avec une grande aisance.

Zwikki s’élança et grimpa de rocher en rocher avec une ardeur infatigable à la poursuite du gibier qui venait de lui échapper. Rapidement, ce dernier l’entraîna de plus en plus haut sur des pentes verticales. Zwikki dut s’accrocher aux parois, obligé de faire attention de ne pas glisser. La zone était dangereuse, mais il en avait vu d’autres, et surtout il avait la rage, celle qui pousse à vaincre, et qui permet de dépasser ses limites.

Bientôt, il se trouva en équilibre sur une chaîne de rochers où l’ardeur de sa poursuite l’avait conduit. D’un côté, il y avait une mer de glace dont les fentes béantes semblaient prêtes à l’engloutir. Et de l’autre, un abîme ténébreux dont l’œil ne parvenait pas à mesurer la profondeur.

C’est ainsi qu’il se laissa conduire dans des terrains dont il n’avait plus la maîtrise et se retrouva bloqué sur une étroite corniche.

Encombré par son arme, le dos collé à la paroi abrupte avec le vide à ses pieds, il était coincé. Epuisé, soudain pris de panique, il se mit à suer à grosses gouttes. Détournant un instant le regard de ce vide effrayant qui l’attirait, il vit le chamois blanc qui était toujours là, un peu plus haut. Puis il fut pris d’étourdissement et sentit son sang se glacer. Un voile noir obscurcit sa vue, son corps se déroba et il tomba silencieusement en avant dans le vide, telle une masse inerte.

On ne retrouva de David Zwikki que sa carabine, qui gisait au pied des parois rocheuses. Son corps tout entier avait disparu. Le glacier l’avait avalé, pour l’éternité.

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Littérature :

Voici l'explicit du roman intitulé Le Poids du papillon (Éditions Gallimard, 2011) de Erri de Luca :


Une cloche sonna au milieu de ses pas lourds, celle de midi, mais ses coups se perdirent dans l'air. Il s'arrêta, il haletait. Il resta debout pour voir s'il arrivait à reprendre son souffle ou bien s'il devait poser la bête pour reprendre ses forces. Il devait atteindre un pic au nord, où le chamois se conserverait bien. Puis il monterait avec une pelle pour creuser la fosse.

Il resta debout, la bête sur le dos, pour sentir si son corps se ressaisissait. Un papillon blanc vola à sa rencontre et autour de lui. Il dansa devant les yeux de l'homme dont les paupières s'alourdirent. Les hottes pleines de bois, les animaux portés sur son dos, les prises tenues avec les dernières phalanges de ses doigts : le poids des années sauvages lui apporta sa note sur les ailes d'un papillon blanc. Il regarda le vol en zigzag qui tournait autour de lui. De son épaule pendait la tête renversée du chamois. Le vol alla se poser sur la corne gauche. Cette fois-ci, il ne put le chasser. Ce fut la plume ajoutée au poids des ans, celle qui l'anéantit. Sa respiration s'assombrit, ses jambes se durcirent, le battement des ailes et le battement du sang s'arrêtèrent en même temps. Le poids du papillon avait fini sur son cœur, vide comme un poing fermé. il s'effondra, le chamois sur le dos, face contre terre.


Un bûcheron les trouva là au printemps, l'un sur l'autre, après un hiver de neige fantastique. Ils étaient encastrés au point de ne pouvoir être séparés qu'à la hache. Il les enterra ensemble. Sur la corne gauche du chamois, la glace avait laissé l'empreinte d'un papillon blanc.

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