Étymologie :
MORILLE, subst. fém.
Étymol. et Hist. [1500 ds Bl.-W.3-5] 1. 1552 bot. (Rabelais, Quart Livre, éd. R. Marichal, p. 149, 36) ; 2. 1909 « excroissance charnue du bec de certains pigeons » (Coupin, loc. cit.). D'un lat. *maurīcŭla, dér. de maurus « brun foncé », v. maure, en raison de la couleur sombre de ce champignon.
Lire également la définition pour amorcer la réflexion symbolique.
Autres noms : Morchella esculenta - Ambourigo (Nice) - Friboule (Mâcon) - Maouridla (Ariège) - Manigoule (Roussillon) - Maurache - Mérigoule (Landes) - Miroule (Lot, Hérault) - Morchelon - Morel - Morile comestible - Morille blonde - Morille ronde - Morille grise - Moureille (Forez) - Mourillo ou Mourilha (Languedoc) - Mourillon - Tête ronde -
Morchella conica - Morille conique - Morille délicieuse - Morille élevée -
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Mycologie :
D'après Jacques Roux Florian Charvolin, et Aurélie Dumain, auteurs de « Les « passions cognitives » ou la dimension rebelle du connaître en régime de passion. Premiers résultats d'un programme en cours », (Revue d'anthropologie des connaissances, vol. 3, n°3, 2009, pp. 369-385) :
Pierre Floux, par exemple, montre comment les chercheurs de morilles qu’il appelle les mycologues-morilleurs sont tout autant attachés à l’art de la chasse à la morille (la connaissance des bons spots, des bonnes époques…) qu’à une connaissance scientifique des espèces, leur connaissance de terrain leur permettant de valider, voire même de remettre en cause, les taxinomies des mycologues de laboratoire. [...] Tenir une posture de connaissance par accointance, cohabite ici avec une posture de connaissance distanciée. Non seulement ces deux formes de connaissance coexistent dans la même relation de connaissance passionnée, mais encore elles se renforcent mutuellement. C’est en découvrant de nouvelles espèces de morilles que les mycologues-morilleurs contribuent à une science objective des morilles. Et cette découverte accentue également la relation passionnée que le morilleur entretient avec la chasse à la morille.
Lire le sujet in situ. Cette manière de faire de la connaissance conduit le sujet connaissant à entrer dans une relation d’intimité avec la chose à connaître où il s’agit, dans un contact sensible avec l’événement d’une occurrence souhaitée du sujet de passion (une morille découverte, un match auquel on assiste, un poisson attrapé à la mouche, un orage dont on est témoin), de parvenir à lire le phénomène dans le moment même de son apparition. Lire la rivière pour ajuster le travail du lancer de la mouche, savoir se couler dans le geste même du conteur, comprendre « intimement » comment se comporte la morille, suivre les variations du temps qu’il fait en regardant le ciel, les nuages, et en notant toutes les transformations dans un journal, autant de manières de constituer l’objet de passion comme un grand texte dont il s’agit de découvrir la formule au fur et à mesure qu’il nous met à l’épreuve.
Ce savoir-là se présente comme une forme d’immersion dans le savoir-goût, pour accéder à ce qui est là mais qui ne se donne pas de manière manifeste, pour rentrer en relation d’intelligibilité avec le latent, le présent-caché, du domaine de la passion. Cette importance donnée à la connaissance in situ, du phénomène en train d’avoir lieu, se démarque des connaissances abstraites ou de laboratoire. La chose passionnante n’est pas considérée comme détachée de son contexte. Elle est saisie dans ou avec son milieu associé.
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D'après Jean-Baptiste de Panafieu, auteur de Champignons (collection Terra curiosa, Éditions Plume de carottes, 2013), "les morilles sont recherchées dans vint-huit pays mais ne sont consommées que dans dix. Dans les autres pays, on ne les cueille que pour l'exportation.
Des artichauts et des pommes : Dans un article paru en 1889, le baron François d'Yvoire proposait une technique originale qui devait permettre de récolter des morilles chaque année. Il fallait au printemps jeter quelques morilles fraîches sur des plates-bandes d'artichauts ou de topinambours. En automne, on recouvrait le tout de marc de pommes ayant servi à faire du cidre (et non de poires, qui ne sont, selon lui, bonnes qu'à obtenir des pézizes...), puis d'une litière de feuilles mortes (de chêne, de hêtre, ou de charme). Il ne restait plus qu'à attendre le printemps suivant : "Dans les années suffisamment humides, et si le terrain n'est pas trop restreint, on pourra récolter les morilles comme on récolte les asperges, tous les deux jours." Le baron affirmait avoir obtenu de cette façon 300 champignons sur 10 m² !
Recettes : Depuis plus de deux siècles, les recettes se suivent, avec ou sans artichauts, avec ou sans pommes. On cherche parfois à imiter les conditions d'apparition des morilles dans la nature. On dit souvent qu'elles sont associées à des changements soudains de l'environnement, tels qu'une coupe forestière, une sécheresse, une pluie brutale, un incendie... ou même l'emploi de désherbants ! Dans les régions où les morilles étaient particulièrement recherchées, on brûlait autrefois des parcelles de forêt chaque année afin d'assurer une bonne récolte. faute de pouvoir vendre des morilles cultivées, des entreprises commercialisent des "kits de culture" pour faire pousser les morilles au jardin. Mais la cueillette n'est pas garantie !
Faux ami : Attention à la fausse morille, Gyromitra esculenta. Bien qu'elle soit généralement comestible, cette espèce a déjà provoqué des accidents mortels. Elle contient en effet une substance, la gyromitrine, qui est transformée par l'organisme humain en méthyl-hydrazine. Ce composé est très toxique pour le système nerveux, pour le foie et pour le rein. Il a aussi, à plus long terme, des effets cancérogènes. La gyromitrine n'est pas détruite par la chaleur, mais comme elle est soluble dans l'eau, elle est en partie éliminée dans le liquide que rend le champignon lorsqu'on le cuisine.
Vers la domestication ? Tous les efforts déployés pour faire pousser des morilles s'expliquent par la valeur élevée de cette espèce, l'une des plus chère au monde, alors qu'elles sont encore presque toutes prélevées dans la nature. Les chercheurs parviennent pourtant assez facilement à faire pousser du mycélium de morille au laboratoire. La première morille cultivée en laboratoire fut obtenue le 14 décembre 1980 à l'université de San Francisco. A un mois, elle atteignait sa taille maximale, 12.6 cm de haut, pour un poids de 13.5 kg.
La vraie difficulté réside dans l'obtention des morilles elles-mêmes à partir de ce mycélium, et pas seulement en éprouvette, mais en plein champ ! Depuis 1983, plusieurs brevets ont été déposés aux États-Unis et en Chine. En 2009, un agronome chinois a mis au point une nouvelle méthode de culture. Dans le Sichuan, une ferme produit déjà des morilles en pleine terre, sous serre. Elle annonce une récolte moyenne de plus d'une tonne à l'hectare, équivalente aux résultats obtenus par le baron, mais à une échelle industrielle.? Le brevet est également appliqué par un "morchelliculteur" français, qui a obtenu ses premières morilles cultivées en mars 2013 !
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Fiche extraite de la thèse de Nicolas FELGEIROLLES soutenue le 2 Juillet 2018 à Montpellier et intitulée La Mycologie dans le bassin alésien ; enquête auprès des pharmaciens d'officine et solutions apportées pour consolider leurs compétences sur les champignons :
Pour tout savoir sur le biotope de la morille : en particulier, on apprend sur cette page très sérieuse que la morille vit en symbiose avec :
les pins
et en semi-symbiose avec :
les pommiers abandonnés
les hêtres
les frênes
les ormes.
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Lyra Ceoltoir décrit différentes morilles dans son Grimoire de Magie forestière (Alliance magique Éditions, 2021) :
Les morilles forment une famille assez vaste (on dénombre 66 espèces en 2014, mais certains en avancent près de 200) de champignons présentent un chapeau caractéristique, rond ,conique ou cylindrique creusé d'alvéoles profonds. Leur nom scientifique est issu de l'ancien allemand morchel, signifiant tout simplement « champignon », tandis que le nom commun, « morille », dérive du latin maurus, « brun », en raison de la prédominance de cette couleur. très prisées en cuisine, elles sont pourtant loin d'être inoffensives...
En effet, les morilles sont presque toutes toxiques crues, ne devenant propres à la consommation qu'après cuisson, ou au moins six mois après dessication, pour éliminer l'hémolysine qu'elles contiennent, une substance toxique qui détruit massivement les globules rouges. Il serait naïf de croire que, même cuites, elles sont parfaitement pacifiques, car une surconsommation eut entraîner une intoxication neurologique avec, à la clef, troubles visuels et de l'équilibre et, on s'en doute, désordres digestifs. Heureusement, ceux-ci sont de courte durée (vingt-quatre heures en moyenne, ce qui est bien assez quand on se sent mal, je vous l'accorde). En général, on recommande à un adulte de ne pas dépasser une dose prudente de six grosses morilles.
Pourtant, elles sont si bonnes, avec leur saveur fine et forte, raffinée er fruitée, et leur texture croquante et fondante qui se plie à toutes les fantaisies culinaires... Hélas, leur apparition est très ponctuelle, ce qui en fait un champignon rare et difficile à récolter. On a bien tenté leur culture à de nombreuses reprises pour en avoir en abondance depuis la seconde moitié du XIXe siècle, mais leur besoin en inuline, une substance que l'on retrouve notamment dans l'armoise, les pommes ou encore les topinambours, et en bois en décomposition rend l'entreprise particulièrement difficile, souvent menée à l'aide de marc de pommes. La morille est un champignon prestigieux ; elle apparait même en héraldique, sur le blason de la commune de Hellikon, dans le canton d'Argovie, en Suisse.
Ces champignons de printemps, qui apparaissent pour la plupart mi-avril avant de disparaître fin mai, présentent un pied et un chapeau creux, pour une taille assez réduite (un maximum de 20 centimètres de haut). Ils poussent de préférence sous les pommiers, on s'en doute, ou les hêtres, même si certains apprécient les conifères (la morille conique, notamment). On répartir généralement les morilles en deux grandes catégories : les blondes, d'une part, dont le chapeau ressemble à une éponge ronde, avec des alvéoles profonds et une couleur claire, et les brunes d'autre part, plus sombres, vous vous en doutez, avec un chapeau plutôt conique et des alvéoles moins marqués.
Les morilles figurent parmi les plus anciens champignons : des fossiles ont démontré qu'elles existaient déjà durant l'ère du Crétacé et qu'elles dérivent d'un ancêtre apparu dès le Jurassique tardif. Il s'agit donc de contemporaines des derniers dinosaures. Reste à savoir si tricérarops et autres ampélosaures savaient les cuisiner...
Vie de champignon : La Morille commune
La Morille commune (Morchella esculenta, terme latin signifiant « aliment », « savoureux ») présente un chapeau conique oblong, creusé d'alvéoles irréguliers, profonds, aux côtes claires et épaisses, pour une taille moyenne de 4 à 10 centimètres, avec un pied clair, renflé et creux. C'st une espèce assez précoce, poussant dès le mois de mars pour s'éteindre en mai, aussi bien en plaine qu'en montagne, sur des terrains très variés. Elle adore notamment les endroits ayant subi un feu, les lisières de forêts, les bois de feuillus... avec une nette préférence pour les arbres de la famille des Fraxinetum (frênes, ormes, peupliers, acacias, et si un tapis de lierre couvre leur pied, c'est encore mieux), les fruitiers, évidemment, mais aussi les buis, les lilas, les pivoines, et même les artichauts et les topinambours !
Vie de champignon : La Morille conique
La Morille conique (Morchella conica) possède un chapeau conique de couleur sombre, creusé d'alvéoles séparés par des côtes longitudinales et des veines transversales, qui les divisent en alvéoles secondaires. Il repose sur un pied blanchâtre, plus court que le chapeau et creux. Elle adore les forêts de conifères, notamment les sapins argentés (Albies alba), à proximité desquelles elle pousse dès la fonte des neiges, pour disparaître à la mi-mai. Les gourmets affirment qu'il s'agit de la meilleure des morilles.
Vie de champignon : La Morille ronde
La Morille ronde (Morchella rotunda) est légèrement plus grosse, avec un chapeau oscillant entre 15 et 19 centimètres en moyenne, rond (vous l'aurez deviné), d'un blond clair et uniforme, creusé de très profonds alvéoles larges et grands ouverts, ce qui lui donne la forme... d'une grosse éponge. Son pied est cylindrique, trapu, plus court que le chapeau. C'est une des plus tardives, poussant après la morille commune, d'avril à fin mai, là encore un peu partout, avec un penchant pour les lissières ensoleillées, les taillis, les pâturages et la compagnies des frênes, des ormes et des pommiers. On la trouve même sir les déchets organiques, en particulier végétaux, et le marc de pommes.
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Vertus médicinales :
Michael Lim et Yun Shu, auteurs de Champignons - Alimentation, Médecine, Psychédéliques (Éditions Jonglez, 2022) proposent également une fiche sur la Morille blonde :
Pour les cueilleurs de champignons, le printemps est marqué par l'apparition de Morcella esculenta. Bosses et creux donnent du relief à son corps alvéolé généralement plus grand que son pied. Il varie du noir brunâtre au jaune ou crème, mais sa véritable caractéristique distinctive est qu'il est totalement creux. C'est un champignon très recherché des gourmets, mais les tentatives de le cultiver ont été des échecs en raison de sa relation très étroite avec les racines de certains arbres.
Histoire et culture : Morcella esculenta est le chouchou des cueilleurs américains. Certains états organisent même un festival annuel en son honneur. Dans le Michigan, le mois de mai est le « mois des morilles » et une chasse aux champignons d'une heure et demie célèbre l'arrivée de ces délices du printemps. Pour une meilleure récolte, regardez les habitats forestiers récemment brûlés, mais méfiez-vous des « fausses morilles » (Gyromitra genus). Gyrometra ressemble à un cerveau bombé et n'est pas creux.
Comestible : Oui. Extrêmement prisé pour sa saveur terreuse, son goût de noisette et sa texture charnue.
Profil nutritionnel : Une portion de 100g crus contient 31 calories, se compose de 91% d'eau, 5% de glucides, 3% de protéines et moins de 1% de graisses. Riche en fer, en cuivre et en vitamine D.
Médicinal : Oui. Contient du galactomannane, un polysaccharide qui peut équilibrer le système immunitaire. Des études sur des animaux ont montré des propriétés antioxydantes et une protection du foie. Utilisé en médecine traditionnelle chinoise pour traiter les indigestions, améliorer la fonction des organes internes et aider à dissiper les glaires.
Psychoactif : Non.
Mycoremédiation environnementale : Oui. Peut accumuler des métaux tels que le plomb et le mercure dans son corps sporulant. Peut être utilisé comme bioindicateur de la pollution des sols et pour assainir les sols contaminés.
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Usages traditionnels :
Dans La Cuisine paysanne de Savoie : La Vie des fermes et des chalets racontés par une enfant du pays (Éditions La Fontaine de Siloé, 2004), Marie-Thérèse Hermann transmet une ruse pour aller aux morilles :
A défaut de truffes, on trouve dans les haies, au bord des ruisseaux ou des marais, des morilles. Au mois d'avril, quand une bonne pluie a inondé la campagne et que la terre se réchauffe aux premiers rayons d'un pâle soleil, c'est le moment de les chercher. Il faut opérer avec des ruses de Sioux quand on connaît un « coin »,afin que personne ne puisse s'y rendre après vous ; et dans ce cas, il n'y a plus d'ami qui tienne, ni même de frère ou de sœur. La morille est un champignon si pittoresque, si délectable et si parfumé, qu'il faut garder jalousement le secret de sa retraite ! Un truc qui fait toujours impression : faire semblant de tourner en vain pendant un temps plus ou moins long, pour tromper l'ennemi, puis aller rapidement à la cache, y cueillir le champignon et l'apporter d'un air modeste, en savourant son triomphe.
[...]
Pour savoir si les morilles sont cuites, on en croque un petit morceau. Si elles sont dures, on remet du beurre dans la casserole.
Croyances populaires :
Dans l'Atlas des champignons comestibles et vénéneux de la France et des pays circonvoisins. (Doin Éditeurs, 1888) de Charles Richon, on trouve les précisions suivantes :
Nous avons déjà signalé le peu de détails que nous donnent sur la Morille les auteurs latins, si ce n'est Apicius et Pline : la réputation de ce Champignon n'était-elle pas encore faite ? Il est certains, dans tous les cas, qu'il ne jouait pas dans la consommation le rôle qu'il remplit aujourd'hui ; sans cela les littératures n'auraient pas manqué d'en parler. En revanche, L'Écluse (1601) en donne déjà une figure reconnaissable et une bonne description, et sait en distinguer les trois variétés, fauve, ronde et brune ; il cite ce Champignon comme un des plus agréables et dit que les Français l'appellent probablement Morille parce qu'il ressemble en quelque façon au fruit du Mûrier (quod ad Mori fructus figuram nonnihil accedat). Jean Baubin dit qu'en Allemagne on estime tellement ce Champignon qu'on en fait des chapelets que l'on suspend à des clous pour les conserver jusqu'au milieu de l'hiver : on les fait cuire alors dans l'eau bouillante et on les apprête ensuite avec du beurre et des aromates. Tous les auteurs ont vanté depuis lors les excellentes qualités de la Morille.
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Selon Christian Bromberger, Annie-Hélène Dufour, Gontier Claudie, Raymonde Malifaud, auteurs de l'article intitulé "Les paysans varois et leurs collines : Les enjeux symboliques d’une” passion”." (Maison Méditerranéenne Des Sciences de l’Homme Phonothèque, Forêts Méditerranéennes, 1980) :
Cette connaissance intime des « bons coins » se double d'une connaissance approfondie de l'influence des variations micro-climatiques sur l'abondance mais aussi sur la qualité des espèces collectées ; l'apparition des morilles est ainsi subordonnée à un ensemble de facteurs : une pluie fine de printemps ne suffit pas, il faut encore que le temps ait été auparavant sec et que le vent n'ait pas soufflé. [...]
L'identité locale se lit encore à travers les choix qui s'attachent aux espèces consommées comme aux préparations culinaires ; il s'agit là de nuances qui pourraient paraître insignifiantes, mais où se fixe une série de savoirs qui témoignent d'une tradition communautaire. En voici deux exemples : « Ces champignons-là, on ne les connaît pas ; ceux-là on les a toujours ramassés ». Alors que le tapis végétal ne varie guère d'une commune à l'autre, les qualités que l'on attribue, ici ou là, aux diverses espèces de champignons diffèrent sensiblement ; le « bon » champignon, c'est, à Cotignac, la morille, mais le « sanguin » à Pourrières ; tandis que l'on cueille ailleurs le « griset », on le néglige à Collobrières.
Agnès Fortier, dans un article intitulé "De l'escargot operculé à l'escargot coureur. Pratiques culturelles liées au ramassage et à la consommation de l'Helix pomatia." (paru In : Journal d'agriculture traditionnelle et de botanique appliquée, 39ᵉ année, bulletin n°1,1997. pp. 49-74) fait le lien entre la morille et l'escargot :
Dans le département du Doubs mais aussi des Ardennes, la cueillette des morilles est souvent l'occasion de s'adonner au ramassage des gastéropodes et inversement. « Nous, les morilleurs, on va aux morilles au premier coup de tonnerre ; en principe le premier mai. Mais dans le Haut-Doubs, y'a des morilles qui poussent un peu plus tôt, donc on va ramasser les escargots en même temps. On allait cueillir les escargots et les morilles en même temps ». Comme le suggère cet amateur : « C'est un phénomène de saison. Vous allez à la morille (sous entendu également aux escargots) au printemps. Le ski c'est pareil. Si au mois d'avril y'a un mètre de neige, vous n'allez pas au ski, alors qu'en décembre vous y allez. C'est dans la tête des gens. C'est pas possible autrement ».
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Selon Frédéric Duhart, auteur d'une « Contribution à l’anthropologie de la consommation de champignons à partir du cas du sud-ouest de la France (XVIe -XXIe siècles) », (Revue d’ethnoécologie [En ligne], 2 | 2012) :
Également printanières, les morilles (Morilla esculenta et Mitrophora semilibera) furent abondantes dans certaines localités. Au début du XXe siècle, elles se plaisaient notamment sur les rives de l’Estrigon ou dans le jardin public de Mont-de-Marsan (Gauthier 1911 : 61). Considérées comme un des champignons les plus sûrs, elles furent précocement employées fraîches ou sèches pour parfumer diverses sauces. À la fin du XVIIIe siècle, par exemple, elles étaient achetées avec une certaine régularité par les économes des couvents masculins de Bergerac (Ignace & Laborie 2002 : 280). Très appréciées par certains amateurs, elles furent localement sublimées par quelques recettes. Au milieu du XIXe siècle, il était ainsi d’usage dans les cuisines travaillant pour les meilleures tables d’Agen de les préparer d’une « manière fort distinguée » : « Après les avoir lavées et bien essuyées, on les ouvre au bout du pédicule et on les remplit d’une farce fine où l’on fait entrer à volonté de la volaille, des anchois, de la chapelure de pain, des fines herbes, etc. On les fait cuire au jus de jambon et on les sert brûlantes ». Plus sobrement, les gourmets lot-et-garonnais goûtaient aussi la morille grillée, fricassée avec du poulet ou cuite en toute discrétion à l’intérieur d’un pâté chaud (Lespiault 1845 : 19). Le prestige de la morille et sa mise en œuvre dans la cuisine fine se maintinrent tout au long du XXe siècle. Cela se traduit encore aujourd’hui par sa présence sur la carte de restaurants aux prétentions gastronomiques avouées. Au début des années 2000, La terrine de foie gras à la compotée de canard, aux morilles et aux poires ou Le feuilleté aux asperges et aux morilles figuraient notamment dans le répertoire printanier de Michel Lestrade, le chef du Phare de Moncrabeau.
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Symbolisme :
Dans L'Oracle des Simples, savoir ancestral des Sorcières de campagne (Éditions Arcana Sacra, 2019), Siolo Thompson présente ainsi la Morille :
Mot-clef : Régénérer.
Très prisé comme ingrédient culinaire, ce champignon fait les plus grands délices des glaneurs. En dépit de très nombreuses tentatives, cet organisme n'a jamais pu être domestiqué et on ne le trouve que dans la nature. La morille est riche en vitamine D, en fer, et en vitamine B. Il ne faut jamais manger les morilles crues, et il est essentiel de bien les identifier. Comme vous le savez, cher lecteur, beaucoup de champignons sont comestibles, mais certains peuvent être toxiques et même mortels ; donc, surtout, montrez-vous très prudent. Je recommande vivement à tout glaneur intéressé de contacter un expert ou un groupe dans sa région, ce qui peut se révéler très amusant et vous ouvrir à toutes sortes de nouvelles aventures en extérieur.
Si vous cherchez des morilles, vous les trouverez le plus souvent à proximité ou en dessous de pins, d'ormes, de tulipes, de sassafras, de hêtres, de frênes, de sycomores et de noyers blancs. Cependant, le frêne et l'orme semblent avoir les faveurs de ce champignon, surtout si l'arbre est mort ou mourant. Un verger est aussi un bon endroit pour trouver des morilles. Elles sortent de terre au début du printemps, quand les feuilles des arbres à feuilles caduques sont à peu près de la taille d'une oreille de souris. La température du sol est un autre moyen de savoir quand les morilles vont commencer à apparaître. Servez-vous d'un thermomètre à viande pour tester le sol. Si sa température est autour de 10°C, les morilles devraient commencer à apparaître fréquemment.
Les souches en putréfaction et les arbres tombés au sol, carbonisés, coupés, ou un sol labouré, sont parfois le meilleur endroit pour trouver des morilles. Beaucoup de gens ont essayé de les cultiver, mais leurs efforts n'ont eu que peu de succès. Le cycle naturel de la vie et la mort de la forêt est essentielle à cet organisme, qui est en relation avec la carte de la Mort dans le tarot, ce qui nous rappelle que la dévastation est souvent la porte de la régénération.
Propriétés oraculaires : Ce champignon peut se montrer évasif et mystérieux ; sa chasse constitue la moitié du plaisir. Dans les zones boisées qui ont été endommagées par le feu, les morilles reviennent souvent en abondance l'année suivante ; c'est cette qualité qui a inspiré son indication oraculaire : Régénérer.
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Dans son Grimoire de Magie forestière (Alliance magique Éditions, 2021) Lyra Ceoltoir rend compte de son expérience magique avec les champignons :
Dans le chaudron : Raffinée, prisée et difficile à trouver, la morille jouit d'une aura particulièrement glorieuse et respectable, qui la lie à la sagesse et à l'élégance. Cependant, l'ancienneté de cette espèce l'associe aussi et surtout au passé, aux vies antérieures et, par extension, au savoir et à l'étude Ainsi, il peut être très profitable d'en consommer lorsque l'on travaille sur soi, que l'on entreprend une démarche d'introspection ou que l'on cherche à accroître ses connaissances, car elle soutient la lucidité, la concentration et la clarté d'esprit, tout en aidant à opérer des ponts entre les différentes facettes de notre personnalité intérieure. Elle unit toutes nos vies entre elles pour en faire un tout cohérent. Si vous cherchez à jouer les archéologues dans le champ de fouilles de votre propre esprit, voilà l'alliée qu'il vous faut.
Comme tous les champignons rares, particulièrement savoureux et onéreux, la morille est également parfaite en guise d'offrande pour les divinités, esprits, entités et déités à qui l'on souhaite signifier respecte et honneur.
Le Message de l'Autre Monde : « Je suis la voix du passé. Je suis vieille, très vieille, beaucoup plus vieille que toi. Je suis plus vieille que les arbres sous lesquels je pousse, que les plantes qui m'environnent, que le chevreuil qui broute à deux pas de moi. Je porte en moi la mémoire d'un monde à jamais disparu, les traces d'un passé révolu et qui, pourtant, recèle encore certains êtres bien plus anciens que moi. Tu es si jeune. Si fragile. Laisse-moi t'aider à regarder en arrière et à retirer du passé sagesse et enseignements Mon expérience est une lanterne dont la lumière éclairera tes pas vers l'avenir. »
Sortilège : L'Œuf de Morille : Pour explorer ses vies antérieures
Ce rituel un peu particulier ne peut être accompli que deux fois dans l'année, à l'occasion des deux équinoxes de printemps et d'automne, périodes liminales par excellence.
Récoltez ou achetez 20 grammes de morilles. Vous pouvez opter pour des champignons surgelés ou séchés, auquel cas il faudra peser 20 grammes de champignons réhydratés. Le soir de l'équinoxe, faites-les dorer dans une poêle avec une noisette de beurre pendant environ 5 minutes. Préchauffez votre four à 180°C.
Dans un ramequin individuel, tracez du bout de l'index gauche la rune Othala, liée à l'héritage, au patrimoine et aux ancêtres, en chantonnant doucement son nom.
Versez une cuillerée à soupe de crème fraîche semi-épaisse au fond du ramequin, là encore en traçant la rune Othala, et en déclamant :
« Othala, legs de mes ancêtres,
Laisse-moi voir qui j'ai pu être. »
Cassez un œuf dans le ramequin, sans en briser le jaune. Songez au symbole lié à l'œuf, à la naissance, au potentiel vital, au renouveau et à la nouvelle vie qu'il porte lorsqu'il est fécondé. Priez :
« Othala, legs de mes ancêtres,
Laisse-moi voir qui j'ai pu être. »
Ajoutez les morilles dans le ramequin, en les disposant de façon à former l'initiale de votre prénom, de votre nom de sorcier si vous en avez un, ou de tout surnom qui vous semble être celui auquel vous répondez le plus. Dites enfin :
« Morille, splendide fleur du passé,
Aide mes souvenirs à émerger. »
Enfournez votre ramequin une dizaine de minutes. Salez et poivrez à la sortie du four et dégustez bien chaud, en opérant autant que possible le vide dans votre esprit. Ne parlez à personne jusqu'au moment du coucher et occupez votre soirée par des distractions spirituelles, sans allumer le moindre écran (pratiquez la divination, méditez, écrivez dans votre journal ou votre Livre des Ombres, lisez un ouvrage de sorcellerie... Allez vous coucher en silence et répétez-vous dans votre tête le mantra suivant jusqu'à vous endormir :
« Esprits du passé et du présent,
Rejoignez-nous au firmament. Faites-moi voir en m'endormant,
Celle (celui) que j'étais auparavant. »
Notez soigneusement vos rêves. Ils vous donneront des indices, voire dévoileront un pan entier d'une vie antérieure dont vous auriez beaucoup à apprendre.
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Antoinette Charbonnel et Lyra Ceoltoir, autrices de L'Oracle de la Magie forestière (Éditions Arcana sacra, 2021) nous en apprennent davantage sur la dimension magique de la Morille (Morchella sp.) :
Mots-clés : Passé - Expérience - Nostalgie - Chemin parcouru - Souvenir - Mémoire - Leçons à assimiler - Pages qui doivent être tournées - Sagesse ancestrale - Vies antérieures.
Promenons-nous dans les bois : L'aspect des Morilles est particulier, formé d'un chapeau creusé d'alvéoles et d'un pied court, creux lui aussi. Elles poussent en colonies sous les Hêtres ou les Pommiers, et des fossiles ont permis de comprendre qu'elles existaient déjà au Crétacé soit... en même temps que les derniers Dinosaures.
Cela fait de la Morille, en magie, un champignon associé à la sagesse, au passé, aux vies antérieures, à la connaissance et à la l'étude. Il est tout indiqué d'en consommer lorsque l'on travaille sur l'introspection, le travail sur soi et l'accroissement de ses savoirs, car elle aide à la concentration, à la lucidité, à la clarté et à faire le lien entre les strates de la personnalité. Sa saveur prisée en fait également un champignon idéal pour les banquets de cérémonie et les offrandes aux divinités.
L'Oracle du champignon : La Morille relie au passé : elle encourage à regarder vers lui pour y découvrir la solution à votre problème actuel, ou la réponse à votre questionnement.
Certains schémas se répètent dans nos vies, même si tous ne nous en apercevons pas toujours. Certaines situations nous semblent inextricables alors qu'en réalité nous nous sommes déjà tirés d'une problématique similaire, et que nous connaissons donc, dans la mémoire enfouie, le comportement à adopter pour y faire face. Demandez-vous si la réponse n'est pas là, quelque part, cachée dans votre expérience.
Il arrive que le passé resurgisse quand on ne l'attendait pas : un souvenir, un événement qui nous rattrape, alors que nous pensions avoir tourné la page : la Morille nous signale que nous n'en avons pas encore terminé avec cette leçon et qu'il reste du travail à accomplir. Ne négligez pas cette tâche : un chapitre non clos du passé peut vite empoisonner le présent et entraver l'avenir. N'agissez pas pour l'instant. Prenez le temps d'accomplir une solide introspection et de faire un bilan constructif et lucide du chemin parcouru.
La Morille peut également renvoyer à des expériences ou des traumatismes issus de vies antérieures. certains sorciers pensent ainsi que nous pouvons expliquer (ou tout au moins comprendre) un certain nombre de phobies, d'aptitudes, de sentiments viscéraux par des « souvenirs » de nos vies passées. Pour ceux qui croient aux vies antérieures, les expériences se répètent dans chaque incarnation, sous des formes différentes, jusqu'à ce que nous ayons appris la leçon. Sans chercher à voir des manifestations de vos vies précédentes partout (n'oubliez pas de faire taire votre ego et vos fantasmes), peut-être est-ce une piste à creuser...
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Mythes et légendes :
Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore( E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :
Les plantes sont exposées à la fascination, non seulement quand on les sème, mais encore après qu'elles sont sorties de terre. [...] En Poitou, les morilles ne grandissent plus une fois qu'on les a aperçues.
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Littérature :
Sjef Houppermans, auteur de "Les voyages extraordinaires de monsieur Maurice". (In : RELIEF-Revue électronique de littérature française, 2015, vol. 9, no 1, pp. 55-67) rapporte un jeu de mot littéraire inédit :
L’étalage généralisé de cette langue littéraire dont Piat et Philippe ont montré la délimitation dans le temps signifie concurremment sa crise.
Sa crise et sa magnificence : surtout quand l’auteur se laisse emporter par la langue, qu’il laisse couler ce qui le remplit trop. C’est plus particulièrement le cas quand le jeu de mots prend le dessus. Quelques exemples : quand Séliman a découvert qu’on l’a mis sur écoute il riposte :
Alors fis-je en souriant, le petit appareil que j’ai découvert sous mon lit avait-il germé spontanément comme un champignon dans la mousse ?… Il est, en tout cas, fort heureux que je m’en sois aperçu, car je vois qu’à Berlin les morilles ont des oreilles.
Morilles-murailles, c’est un tantinet forcé.
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Ouakaoui Noussayba et al. auteurs de "La transgression du corps tragique dans Electre de Jean Giraudoux" (In : Studii şi cercetari filologice. Seria limbi romanice, 2020, vol. 1, no 28, pp. 39-54) mentionnent un extrait où il est quesiton de morille :
Si la veuve d’Agamemnon revient sur sa décision, c’est parce qu’elle mesure l’opprobre qui risque d’avilir à jamais sa lignée si sa fille devenait l’épouse d’un jardinier d’où les nombreuses admonestations qu’elle lui adresse. Le trivial s’invite alors dans la pièce et creuse un décalage avec le texte originel. Outré et déconfit par les accusations de la reine-mère, le jardinier clame l’innocence d’un corps qu’il présente comme immaculé :
Le jardinier : Et mes mains sont sales. Regardez. Voilà des mains sales ! des mains que j’ai justement lavées après avoir retiré les morilles et les oignons pendus, pour que rien n’entête la nuit d’Electre. (I, 4)
L’œuvre de Jean Giraudoux sonne le glas du corps tragique, appréhendé dans sa dimension solennelle. Contre toute attente, elle nous en expose un fondamentalement humain, contingent, sujet aux bobos et tracas du quotidien. Dans Electre, il n’y a ni corps prohibés, ni corps isolés. La force du dramaturge aura consisté à décadenasser une esthétique rigide, à désacraliser le corps tragique et à repenser le mythe du corps épique.
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