L'Aigle à deux têtes
- Anne
- 3 févr. 2017
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 7 mars
Symbolisme :
Léon Heuzey, auteur d'un article intitulé "Symboles cappadociens, monuments du mont Argée." (In : Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 39ᵉ année, N. 1, 1895. pp. 50-53) rappelle la tradition de l'aigle à deux têtes :
L'aigle toujours placé ainsi sur quelque sommité indique le culte d'un Jupiter Très-Haut, d'un Zeus Hypsistos, épithète qui, même en Grèce, désigne un dieu d'importation orientale, un Adon ou un Baal adoré sur les hauts lieux. L'aigle sur la montagne rappelle surtout un motif bien connu des monnaies de Césarée, l'antique Mazaca de Cappadoce ; c'est le symbole d'un dieu local, adoré près de là sur le sommet du mont Argée. Toute cette série d'ex-voto provient en effet de Kaisarieh, l'ancienne Gésarée cappadocienne. Il est difficile de ne pas attribuer aussi la même origine au petit groupe du cerf portant l'aigle sur ses cornes; il sera facilement parvenu, de là, au port de Trébizonde, d'où nous l'avons reçu.
La variante qui représente l'aigle sur des animaux se rattache d'autre part à l'ancien emblème chaldéen de l'aigle posé sur des lions, sur des cerfs ou sur des bouquetins. J'ai fait voir que, dans une très antique représentation qui, dès le temps du vieux roi Our-Nina, constituait comme les armoiries de la ville de Sirpourla, cet oiseau était d'abord un aigle fantastique à tête de lion. Puis vers le temps de Gamil-Sin, lorsque la seconde dynastie d'Our régnait sur la même ville, les tablettes d'argile découvertes par M. de Sarzec montrent que la tête de lion s'était déjà dédoublée. Les têtes de l'oiseau dicéphale sculpté sur les rochers d'Euïuk, en Cappadoce, sont au contraire deux têtes d'aigle, comme on peut le voir par les excellentes photographies qu'en a jadis rapportées la mission de MM. Perrot et Guillaume. Là l'aigle a les serres posées sur deux lièvres ; mais les moindres détails de la représentation montrent avec certitude que c'est une dérivation très directe de l'ancien type chaldéen.
Cette image héraldique s'est ensuite répandue par les cachets cappadociens [...]. Sur ces cachets l'aigle éployée à deux têtes conserve encore un style tout asiatique; sur d'autres, plus simples et certainement plus modernes, le dessin aussi se modernise et l'aigle parfois n'a plus qu'une seule tête. L'influence du goût grec tendit en effet à ramener vers la nature les êtres fantastiques créés par l'imagination orientale et à rompre les dispositions symétriques qu'elle affectionnait. C'est ainsi sans doute que le symbole de l'aigle posé sur les animaux en vint à la forme plus vivante et plus simple du petit groupe que nous étudions. La première tradition, celle de l'aigle à deux têtes, ne s'en conserva pas moins jusqu'au moyen âge ; elle se transmit aux Arabes , qui le reproduisent sur leurs sceaux, sur leurs monnaies, sur leurs étoffes brochées , comme le fameux suaire à inscriptions coufiques de la cathédrale de Périgueux, et aussi dans leurs décorations sculptées, comme le bassin de marbre du calife Almansour, au Musée national de Madrid. Par une voie parallèle il s'est introduit chez les populations chrétiennes, particulièrement dans le blason de l'empire germanique.
Dans le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) établi par Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, on peut lire que
"Ce symbole n'était pas inconnu des anciens Mexicains. Il est notamment représenté dans le Codex Nuttal, où il incarne sans doute, selon Beyer, une divinité de la végétation ; il est en effet accompagné de plantes et de coquillages.
On sait que, dans les anciennes civilisations d'Asie Mineure, l'aigle bicéphale était le symbole du pouvoir suprême. Dans les traditions chamaniques d'Asie Centrale, il est fréquemment représenté au sommet de la colonne du Monde, plantée au milieu du village ; les Dolganes l'appellent l'oiseau-maître et ils considèrent la colonne qui ne s'écroule jamais, au sommet de laquelle il est posé, comme la réplique d'une colonne identique placée devant la maison du Dieu suprême et dite celle qui jamais ne vieillit ni ne tombe.
Selon Frazer, ce symbole d'origine hittite aurait été repris au Moyen Âge par les Turcs Seljoukides, emprunté à ceux-ci par les Européens à l'époque des Croisades, pour parvenir par ce biais aux armes impériales d'Autriche et de Russie.
La duplication de la tête exprime moins la dualité ou la multiplicité des corps de l'empire, qu'elle ne renforce, en le doublant, le symbolisme même de l'aigle autorité plus que royale, souveraineté vraiment impériale, roi des rois. De même, les animaux adossés ou affrontés, si fréquent dans les œuvres d'art, portent à leur sommet les valeurs symboliques."
*
*