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Gris

Dernière mise à jour : 20 avr.



Étymologie :


  • GRIS, GRISE, adj. et subst.

Étymol. et Hist. A. 1. a) Ca 1150 adj. « gris (en parlant de la barbe) » (Thèbes, éd. G. Raynaud de Lage, 3828) ; ca 1165 « gris (en parlant d'un vêtement) » (Troie, éd. L. Constans, 20628) ; b) av. 1440 subst. masc. vestu de gris (Ch. d' Orléans, Poésies, éd. P. Champion, Chanson 81) ; c) spéc. 1660 gris de souris (Oudin Esp.-Fr.) ; 1850 gris-souris (Journ. des demoiselles, janv., 26b ds Quem. DDL t. 16) ; 1690 gris de fer (Fur.) ; 2. fig. a) 1556 letres grises impr. (Cess. des grecs du roi par Adrien Turnèbe à Guillaume Morel ds Gdf. Compl.) ; b) 1609 papier gris (Crespin, s.v. papier) ; c) 1824 substance grise anat. (A.-J.-L. Jourdan, Trad. ds Quem. DDL t. 8) ; 3. expr. a) 1460-66 faire grise mine à qqn (M. d'Auvergne, Arrêts d'amour ds La Curne) ; b) 1640 de nuit tous chats sont gris (Oudin, Curiositez, s.v. chat) ; 1690 la nuit tous chats sont gris (Fur.) B. P. anal. de couleur a) 1140 subst. masc. « fourrure de petit gris » (G. Gaimar, Hist. des Anglais, éd. A. Bell, 5554) ; b) 1270 « gros drap gris » (Ph. de Beaumanoir, Manekine, éd. H. Suchier, 5332) ; c) 1549 decembre qui est gris (Est.) ; d) 1690 vin gris (Fur.). De l'a. b. frq. *grîs « gris » que l'on peut restituer d'apr. l'ags. grīs « id. », le m. h. all. grīs « id. », le néerl. grijs « id. », l'all. greis « très âgé, sénile ». 3a est empr. de l'a. prov. faire cara grisa (ms. du début du xive s., Coblas esparsas ds Arch. St. n. Spr., 50, 266). Ce mot est à l'orig. de nombreux dér. désignant des êtres humains (v. grison1 sens 2), des animaux (v. grison1 sens 1 ; grisard* sens 2 a et b ; griset* sens 2 ; grisette* sens 2), des étoffes (v. grisette sens 1), des pierres (v. grisard sens 2 c) et des plantes (v. grisard sens 2 d) dont le trait caractéristique est la couleur grise. Bbg. Grundt (L.-O.). Ét. sur l'adj. invarié en fr. Bergen-Oslo-Tromsø, 1972, p. 253. - Quem. DDL t. 16 (comp.). - Sain. Arg. 1972 [1907], p. 74, Sources t. 3 1972 [1925], p. 294.


Lire aussi la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique.

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Symbolisme :


Frédéric Portal, auteur de l'ouvrage intitulé Des couleurs symboliques dans l'antiquité : le moyen-âge et les temps modernes. (Treuttel et Würtz, 1857) explore le symbolisme du gris :


Le mélange du blanc et du noir, ou le gris, ſut dans le christianisme l'emblème de la mort terrestre et de l'immortalité spirituelle. En Europe le deuil est d'abord noir, puis gris, enfin blanc, triple symbole de l'immortalité s'élevant du sein de la mort.

Sur les peintures religieuses du moyen âge, le gris représente la résurrection des morts et particulièrement la résurrection de la chair ; l'union des deux couleurs distinctives de la Divinité et de la matière, rendait assez bien ce dogme de l'âme retrouvant une nouvelle substance corporelle dans sa nouvelle patrie ; ces observations me sont dictées par l'examen de quelques miniatures du quatorzième et du quinzième siècle, qui représentent le jugement dernier.

Une de ces peintures que je possède représente Jésus-Christ posant les pieds sur le soleil ; il est assis sur un cercle d'or, hiéroglyphe qui représentait en Égypte la course du soleil et une période accomplie ; le cercle d'or est de même ici le signe de la fin du grand cycle ou de la fin du monde, et par suite du jugement dernier. Le Seigneur est environné du limbe rouge qui, en s'éloignant, devient jaune et bleu : ces trois couleurs de la Trinité annoncent la toute-puissance du Christ. Le manteau dont il est revêtu est gris doublé de vert ; en général la couleur extérieure du manteau se rapporte à l'homme extérieur ou à la chair ; comme sa couleur intérieure indique l'homme spirituel ou l'âme. Le vêtement de Dieu aurait donc ici la signification de résurrection de la chair promise aux régénérés.

Deux apôtres à genoux implorent la clémence divine, tandis qu'au son de la trompette angélique deux morts brisent leurs sépulcrés. L'ange du jugement a les ailes vertes qui annoncent son message de régénération et de nouvelle vie ; sa robe rouge indique le royaume du ciel qui est l'amour divin .

Le tableau se divise en deux parties représentant les élus et les damnés ; à la droite de Dieu , est saint Pierre, sa robe est bleue et son manteau rose ; ces couleurs indiquent le baptême d'esprit (le bleu) et la vie d'amour et de sagesse (le rose) ; au-dessus de l'apôtre, un élu, orné d'une chevelure dorée, s'élève du tombeau.

Saint Jean-Baptiste est à la gauche du Christ, il porte une tunique noire enrichie d'or ; sa barbe et ses cheveux sont verts : il implore la clémence divine pour les hommes qui n'ont reçu d'autre régénération que celle de l'aspersion baptismale marquée par la barbe et les cheveux verts, tandis que leur âme, indiquée par la tunique noire, est restée morte à la lumière divine figurée par les filets d'or ; au-dessous du précurseur, s'élève un damné, ses cheveux noirs forment opposition avec la chevelure dorée de l'élu. Cette peinture rappelle le mythe d'Eros et d'Anteros.

Deux vignettes du bréviaire de Sarisbury, manuscrit de la Bibliothèque Royale du quinzième siècle, reproduisent le même sujet avec quelques variantes ; dans une sphère pourpre et verte et rayonnante d'or est la Sainte Trinité ; Dieu et Jésus Christ sont couverts du manteau gris doublé de vert.

Une des significations de la couleur blanche est l'innocence ; par opposition le noir exprime la culpabilité ; la réunion de ces deux couleurs ou le gris indique dans la langue profane des couleurs l'innocence calomniée, noircie, condamnée par l'opinion ou les lois.

Froissart raconte une anecdote singulière qui s'explique par la symbolique des couleurs ; en 1386 le sieur de Carouges accuse Jacques de Gris d'avoir séduit sa femme ; le duel est ordonné, Jacques de Gris est vaincu, il meurt et son innocence est reconnue. Le rouge, dans le sens matériel et populaire, indique la vengeance le sang, comme le gris signifie l'innocence accusée. Une légende islandaise paraît avoir donné lieu à ce conte populaire ; Karl-le-Rouge dont, par abréviation, on forma Carouges, est la personnification de la vengeance et des guerres de famille si communes dans le Nord de l'Europe pendant le moyen-âge ; le second personnage, nommé Gris, promet d'assister Karl-le-Rouge dans une de ses expéditions ; cependant il avertit l'ennemi, se présente au combat et lutte contre ce lui qu'il vient de mettre sur ses gardes ; Gris a-t-il violé la foi jurée ? a-t-il fait preuve d'une loyauté exaltée ? Le doute qui peut s'élever à ce sujet est exprimé par son nom.

Je trouve encore un vestige de la symbolique des couleurs dans le mot gris pris dans le sens d'une demi-ivresse ; la raison et la sagesse étaient représentées par le blanc, comme les passions honteuses par le noir.

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D'après le Dictionnaire des symboles (Éditions Robert Laffont, 1969 ; édition revue et corrigée 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant,


"La couleur grise, faite en égales parties de noir et de blanc, désignerait dans la symbolique chrétienne, selon F. Portal, la résurrection des morts. Les artistes du Moyen Âge, ajoute cet auteur, donnent au Christ un manteau gris, lorsqu'il préside au jugement dernier.

C'est la couleur de la cendre et du brouillard. Les Hébreux se couvraient de cendre pour exprimer une intense douleur. Chez nous, ce gris-cendre est une couleur de demi-deuil. La grisaille de certains temps brumeux donne une impression de tristesse, de mélancolie, d'ennui. C'est ce que l'on appelle un temps gris et nous disons faire grise mine pour désigner un air rébarbatif.

Quant aux rêves qui apparaissent dans une sorte de brume grisâtre, ils se situent dans des couches reculées de l'Inconscient, qui demandent à être éclairées et clarifiées par la prise de conscience. De là, l'expression se griser pour être à moitié ivre, c'est-à-dire dans l'état d'obscurcissement de la semi-conscience.

Dans la génétique des couleurs, c'est, semble-t-il, le gris qui est perçu en premier lieu et c'est le gris qui reste, pour l'homme, au centre de sa sphère des couleurs. Le nouveau-né vit dans le gris. C'est le même gris que nous voyons, les yeux fermés (das physiologische Augengrau), même dans l'obscurité totale. A partir du jour où l'enfant vit les yeux ouverts, toutes sortes de couleurs l'entourent de plus en plus. L'enfant prend conscience du monde de la couleur, au cours de ses trois premières années. Habitué au gris, il s'identifie avec le gris. Quand il se trouve au milieu des êtres et des objets, son gris devient le centre du monde de la couleur, son terme de référence ; il comprend que tout ce qu'il voit est couleur. La prédominance de la couleur dans le monde des formes explique le mimétisme dans le monde animal et le camouflage dans le monde humain.

L'homme est gris au milieu du monde chromatique, représenté par analogie avec la sphère céleste dans a sphère chromatique. L'homme est le produit des sexes opposés et s'il se trouve au gris central, entre les couleurs opposées, qui forment une sphère chromatique harmonique, toutes les paires de contre-couleurs se trouvent dans un équilibre parfait. L'image imparfaite de cette sphère chromatique peut être concrétisée par un acte matériel (voir Harmonie des couleurs p. 79).

L'homme, de tous les temps a cherché à concrétiser les couleurs parfaites qu'il imagine et voit dans ses rêves. Il colore son entourage et encore sa peau. Il a besoin de la couleur et de la contre-couleur, car il est le gris moyen entre toutes les couleurs opposées, entre le jaune et le bleu, le rouge et le vert, le blanc et le noir, les passages de l'un à l'autre et des innombrables paires de contre-couleurs ayant toujours au milieu d'elles le gris moyen.

L'homme conscient au centre du monde de la couleur, de la sphère chromatique parfaite, idéale, où se trouvent les couleurs réelles et irréelles en parfait équilibre, l'homme sent qu'il se trouve dans un champ de forces chromatiques très puissantes, au milieu de cet espace tridimensionnel des paires de contre-couleurs et en même temps au milieu d'un autre espace semblable au premier, mais sans équilibre, où toutes les couleurs dans une sphère chromatique homogène sont régulièrement réparties. Cet ensemble de deux sphères est vivant, car il y a pulsation. C'est la pulsation de l'homme au centre gris moyen.

L'orientation dans le monde de la couleur est possible grâce aux quatre tons absolus ; les quatre tonalités fondamentales, appelées jaune absolu, vert absolu, bleu absolu et rouge absolu. Ces quatre tons restent constants, leur aspect jaune, vert, bleu et rouge ne dépend pas des intensités de la lumière ; toutes les autres couleurs modifient leur tonalité selon les conditions d'éclairage. Les quatre tons absolus correspondent aux quatre points cardinaux. L'homme attribue à chaque point une couleur dont le choix dépend de ses conditions de vie.

Chaque tonalité fondamentale domine d'innombrables couleurs affines, qui sont plus chaudes ou plus froides qu'elle. Toutes les couleurs ayant une tendance vers le jaune, le rouge et leur intermédiaire appelé orange montrent une tendance vers le chaud ; toutes les couleurs ayant une tendance vers le bleu, le vert et leur intermédiaire appelé pers, montrent une tendance vers le froid. L'homme sent que l'orangé est le pôle qui attire toutes les tendances chaudes, le pers est le pôle du froid.

Beaucoup de jeunes gens aiment le violet, qui est indifférent au chaud et au froid ; les jeunes s'identifient avec cette indifférence chromatique. Le stil, un jaune-vert, contre-couleur du violet, attire beaucoup de jeunes filles, qui s'identifient pareillement.


L'attitude de l'homme au centre gris change selon les conditions de son caractère et de sa vie. Il trouve dans la zone circulaire qui contient les douze tonalités principales, les autre tons absolus et leurs intermédiaires, un reflet très sensible du zodiaque. Chacun se tourne donc inconsciemment vers la région chromatique à laquelle il appartient, sa couleur de prédilection. Des groupes d'hommes, des peuples entiers, peuvent se tourner conformément et trouver une attitude semblable au centre gris. La couleur devient significative pour l'homme, pour les peuples ou encore peut-être pour l'humanité, d'une manière irraisonnée et imprévisible."

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Dans Rudolph Steiner et Edward Bach sur les traces du savoir druidique... (L'Alpha L'Oméga Éditions, 1998), Roger Tanguy-Derrien propose sa propre lecture des couleurs. Ainsi en est-il du

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Selon Reynald Georges Boschiero, auteur du Nouveau Dictionnaire des Pierres utilisées en lithothérapie, Pour tout savoir sur les Pierres et les Énergies subtiles (Éditions Vivez Soleil 1994 et 2000, Éditions Ambre 2001),


"Entre lumière et ténèbres, le gris varie du plus clair au plus sombre. Il permet de chercher un compromis, de trouver un équilibre. Profondément humain, il est la couleur de la dignité et de l'humilité. Cependant, il est aussi la couleur d'un pouvoir discret et efficace qui a le sens des affaires. Le gris fait chanter les autres couleurs et renforce leurs effets.


Pierres grises : certains quartz enfumés (morions) ; certaines agates.


Remarque : le blanc permet d'illuminer les couleurs en les rendant plus douces (pastels). Le noir donne de la densité aux couleurs. Il les rend ainsi plus soutenues. Les gris peuvent être colorés de toutes les nuances de l'arc-en-ciel. Les gris colorés se parent alors des vertus des couleurs qui le composent, avec sobriété et modération."

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Symbolisme onirique :


Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),


"Un peintre sait qu'en utilisant le gris il créera l'espace dont l'objet a besoin pour exister. Par les ombres grises dont il l'environne, il confère à l'objet une autonomie. Par là, le geste de l'artiste s'est fait créateur.

Quel usage un rêveur fera-t-il du gris disponible sur la palette de l'imaginaire ? S'il apparaît avec une fréquence considérable, soit dans plus de 16% des scénarios, le gris rêvé ne se dilue pas en multiples nuances. L'onirisme utilise un seul gris. Souvent, il ne s'en sert que pour effleurer le rêve d'une touche légère, à peine perceptible si ce n'est pour l’œil en attente. Parfois, cependant, il l'installe dans l'ensemble des scénarios, imprégnant toutes les images d'une atmosphère bien particulière. Au terme de l'exploration des rêves, le chercheur observera avec surprise que l'imaginaire fait du gris un usage comparable à celui du peintre. La corrélation dominante permettra d'orienter l'interprétation dans une direction inattendue mais précise.

Le gris du rêve dit le froid, la tristesse, la solitude. Il y a quelque facilité à recenser les expressions du langage courant qui confirment ces résonances. Un temps gris, une humeur grise, faire grise mine, un teint gris, les cheveux gris ne s'inscrivent pas dans une tonalité de jeunesse, de gaieté, de santé, d'espérance, de chaleur communicative !

Le gris est la couleur du fer, du plomb, de la neige souillée, du brouillard, du ciel et de la mer des jours maussades. Dans les scénarios, il s'oppose surtout au vert, aux feuilles, à l'herbe, images de croissance, d'espérance, de continuité de la vie. Si l'on excepte l'image qui revient le plus fréquemment autour du gris et dont nous souhaitons différer la révélation, les trois associations les plus fortes sont le vert, la vieillesse et le froid.

Le vert est un signe de printemps et d'été ; le gris verse un brouillard hivernal sur tout ce qu'il atteint. Mais cet hiver-là est indifférent aux repères du calendrier. Avant d'être dans le rêve, avant de se manifester par l'image, il règne dans la psychologie du rêveur. C'est un hiver que nul printemps ne viendra dissiper. La grisaille onirique dit la seule tristesse qu'un rayon de soleil est inapte à consoler. Il est un cri sans réponse. Le gris est nostalgie, au sens étymologique, c'est-à-dire "retour à la souffrance". De quelle ancienne souffrance s'agit-il ? Il faudra parcourir bien des rêves avant de découvrir la signification du gris onirique.

Des images grises se rapportent à la difficulté éprouvée par le rêveur dans l'accomplissement de son affectivité adulte. Dans la gamme chromatique, le gris est considéré comme ne couleur centrale, une couleur de passage. Psychologiquement, il marque aussi une mutation fondamentale : celle qui conduit de l'enfance à la maturité, puis à la vieillesse. Devenir adulte, c'est renoncer à l'enfance. Pour renoncer à l'enfance, il est nécessaire de l'avoir vécue. Le plus solide des ancrages est celui qui s'organise autour d'une frustration affective.

Dans l'article consacré à l'herbe, nous développons une traduction de ce symbole qui le propose comme la double représentation du retour au naturel et de la réconciliation avec l'image de la mère. Le gris se place à l'opposé de la proposition. Il est gel et non renouveau. Il est mental et non nature. Il est toxine et non remède. Un lieu gris, pour l'imaginaire, est souvent un lieu fermé, construit, géométrique. Un espace cubique, fait de ciment ou de marbre gris, dans lequel le rêveur se trouve emprisonné, s'oppose, par toutes ses caractéristiques, à celles du ventre maternel. D'où vient ce gris qui enveloppe l'âme ? Aucune des cures dans lesquelles cette couleur apparaît avec insistance ne permet de la relier à une attitude de cruauté des parents, ni même de leur simple rejet de l'enfant. un rejet, d'ailleurs, confère une importance à celui ou celle qui le suscitent. Le gris s'est inscrit dans la problématique en fonction du pire des ressentis : lorsque l'enfant a cru lire dans le regard de ses parents la plus cruelle des négations : l'indifférence !

Il est temps, sans doute, de produire quelques illustrations qui rendront sensible ce qui précède.

A trente-quatre ans, Anne-Marie n'avait plus, depuis de longues années, que des relations très espacées avec ses parents. Ce comportement, choisi par la jeune femme, lui semblait être le prolongement naturel de l'indifférence dont ses parents lui avaient paru témoigner à son égard durant son enfance. Quelques phrases de son dixième scénario situent parfaitement le poids d'un regard ou plutôt celui de la façon dont ce regard est perçu : "Je suis sur un pic de montagne, je suis dans une partie enneigée, verglacée... la neige ne tient pas, il y a des risques d'avalanches.... c'est une montagne un peu mythique, comme celle des Tables de la Loi.. plus loin, je vois quelqu'un qui s'apprête à s'élancer en deltaplane... la personne est tournée vers la plaine... vers la chaleur... elle me fait envie... j'imagine la plaine dorée, chaude, les animaux : les lions, les éléphants... ça y est, le deltaplane est dans l'air... il descend en planant... il arrive dans la plaine... là, il y a un lion et un éléphant... elle est arrivée entre les deux... le lion et l'éléphant la regardent.... sans faire un mouvement... avec un air... peut-être pas supérieur... un air de considérer cette intruse sans aménité... mais ils l'ignorent plutôt... c'est ça ! ils l'ignorent ! La montagne s'était couverte d'une sorte de liquide rouge... maintenant, ça vire au blanc sale, ... au gris... tout est gris..."

Le lion et l'éléphant symbolisent clairement le père et la mère d'Anne-Marie. Après plusieurs rêves inspirés par le même thème, la jeune femme a rétabli spontanément un rapport chaleureux à ses parents.

Dans les rêves teintés de gris, on observe une fréquence d'apparition exceptionnelle de l'expression de l'autre côté, qui ponctue tant de scènes oniriques de franchissement. Une invisible ligne de démarcation sépare l'enfant de l'univers des adultes, du monde des vieux. Le dix-huitième scénario de Maud est, à cet égard, exemplaire. A vingt-trois ans, la jeune fille est sur le point de quitter la famille dans laquelle elle a grandi et à laquelle elle est très attachée, pour accomplir sa vie d'adulte : dans quelques semaines, elle va réaliser un heureux mariage. Parvenue à cette frontière, elle porte son regard à la fois sur le passé et sur l'avenir. Je condense ici à l'extrême un long scénario dont il est important de lire les premiers et les derniers mots :

"Je suis dans un champ de pâquerettes, très hautes... elles sont plus grandes que moi... le vent les fait onduler et, selon le vent, tout est blanc ou tout est jaune... [...] Je vois partout des enfants qui jouent, s'amusent ensemble, dans les fleurs.. le vent atténue leurs cris... il y a comme une grande paix... c'est très tonique... les gens sont naturels... je continue à avancer dans ce champ... maintenant, c'est des vieillards qui sont là... assis... ils discutent... certains sont allongés, fatigués de la vie... ils se reposent... tout à coup, il y a une rafale de vent plus forte que les autres et un des vieux, plus léger que les autres, part dan le ciel... il tourbillonne... les autres lui disent au revoir !... [...] Là, une étendue boueuse... je devrais m'accrocher à une pâquerette, me hisser en haut et profiter d'une rafale de vent pour passer de l'autre côté... il y a toujours beaucoup de vent... c'est gris... je me demande s'il faut que j'aille de l'autre côté... je retournerais bien en arrière, voir les enfants ! Je ne suis pas restée assez longtemps avec eux... j'ai l'impression que ça ne me donnera rien de passer de l'autre côté... c'est gris, là-bas ! Mais c'est beaucoup plus difficile de retourner... les vieillards me tirent à eux d'un groupe à l'autre... ils me présentent des gens très vieux qui vont bientôt mourir... Je vois ma grand-mère, beaucoup plus belle que les autres... lumineuse... elle me fait passer dans le coin des enfants... [...] Là, il y a une harmonie, ils se comprennent... il y a beaucoup d'autonomie... [...] Les enfants me mettent une robe blanche, une tresse dorée dans les cheveux, ils chantent une mélodie... en fait, ils m'ont préparée pour aller de l'autre côté !... Je suis un peu inquiète... je resterais bien dans le monde des enfants... c'est eux-mêmes qui m'incitent à y aller... [...] J'ai rejoint l'homme qui m'attend... on se sourit... nous sommes à nouveau dans une lumière jaune... je revois le toit blanc des pâquerettes, le jaune aussi..."

Lorsqu'on se souvient que le mot "Pâques" a la signification de passage, ce franchissement qui se joue parmi les pâquerettes manifeste une fois de plus la subtilité des compositions de l'imaginaire. Maud est engagée dans une très belle aventure sentimentale qui établit une zone charnière entre le monde jaune de l'enfant et l'univers gris des vieillards.

Le plus souvent, le gris rêvé enserre l'âme dans un filet de fer dont la froideur la paralyse. Une blessure, un flux de sang versé par la rêveuse ou le rêveur les délivreront parfois de l'emprise glacée. Des images porteuses d'un symbolisme de renaissance prolongent alors ces évocations de blessure. Si lourd soit-il, le gris qui pèse sur une psychologie n'échappe pas à la règle suivant laquelle tout symbole participe à la dynamique de guérison. Trois couleurs, dans le rêve éveillé, viennent souligner le gris par leur opposition : le vert, valeur de croissance, le rouge, flux de vie, le jaune, chaleur de l'amour. Une séquence du premier scénario de Marthe établira définitivement les principales caractéristiques du symbole :

"Je ne vois pas la mer, ni les feuilles des arbres... seulement les troncs, noirs... j'entends des enfants qui jouent et qui chantent... je sens l'eau froide aux pieds... il n'y a plus de soleil... c'est très gris... et j'ai froid aux pieds... je bute sur un obstacle... c'est pas une falaise, c'est une espèce de bâtiment gris... il ne fait pas nuit... c'est gris ! J'avance... là, il fait plus chaud et c'est plus jaune. C'est au même endroit, mais le soleil est plus haut... impression de chaud et de jaune... tout de même, cette mer est grise ! J'ai froid... c'est gris, donc j'ai froid...

Derrière, il y a de l'herbe mais cette herbe n'est pas verte comme dans les pâturages... c'est de l'herbe que le sel a rendue grise... par terre, y a des cailloux et, dessous, le sable gris, gris, gris..."

Ce jaune qui tente de percer la grisaille et ce vert dont Marthe constate l'absence sont des émergences qui trahissent l'évolution sous-jacente. Le scénario restitue par ailleurs des souvenirs d'enfance chargés du regard réprobateur de la mère.

Maud voyait le monde des enfants comme un lieu où règne l'autonomie. Le mot placera l'interprétation du gris dans un éclairage décisif. On sera surpris par l'association qui occupe le premier rang à proximité de cette couleur.

Il s'agit moins d'un mot que d'une image. Le rêveur survole un paysage mais par un moyen dont il conserve la maîtrise. Il n'est pas le passager d'un avion, ni un parachutiste livré pour une large part aux caprices du vent : il pilote lui-même un avion, un planeur, ou dirige un deltaplane. Une expression s'impose alors, quel que soit le désir de ne pas céder au jeu des mots : autonomie de vol !

Anne-Marie voyait une personne descendre en deltaplane et se poser dans la plaine entre le lien et l'éléphant aux regards indifférents. L'imaginaire utilise dans ce cas un stratagème dont il est coutumier : il substitue à la rêveuse un personnage neutre qui accomplit à sa place ce qu'elle n'osait se donner à faire.

Une confusion, habituelle dans le champ du mental, porte à considérer l'indépendance relative de l'adulte, concernant les choix de la vie et les ressources matérielles comme une autonomie plénière. Pour prendre la dimension du malentendu, il suffit de se référer au réseau des contraintes, obligations, limitations imposées par les règles du jeu du monde adulte, à base de conventions. La part d'autonomie apparaît alors bien faible.

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Les jeux de l'enfant, dont les règles éphémères évoluent au gré de ses désirs, préservent la liberté de l'imaginaire. L'enfant et ses jeux, si souvent évoqués dans les scénarios auprès du gris, sont un appel de l'inspiration créatrice du rêveur qui s'insurge contre l'emprise des modes de pensée conventionnels.

Lorsqu'il croit percevoir de l'indifférence dans les regards de ses parents, l'enfant ne dispose que de deux attitudes susceptibles de l'aider à se faire reconnaître. Soit il adopte un comportement délibérément répréhensible, pour attirer sur lui l'attention, soit il se précipite au-devant de l'attente des adultes et se stérilise par une adhésion aveugle aux règles énoncées par l'environnement. Il n'est plus cet enfant dont Maud et Marthe entendaient les chants joyeux du fond de leur rêve nostalgique, mais une caricature d'adulte fourvoyée dans une prison grise.

Lorsqu'il prend lui-même les commandes, porté par les ailes de son rêve, lorsqu'il accepte d'entendre à nouveau les cris et chants des jeux manqués de l'enfance, lorsqu'il ne craint plus de comprendre que le gris qu'il se donne à voir est une grisaille dont il a peint lui-même les contours de sa problématique, le rêveur est sur le point d'accéder à l'autonomie véritable : celle qui passe par la reconnaissance de son être réel.

C'est alors que le pinceau du peintre est rejoint par celui du rêve : en disposant ses ombres grises, le premier crée l'espace qui donne à l'objet la vie, le second rend à l'imaginaire l'étendue sans limite."

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Littérature :


Relire l’œuvre de Verlaine pour comprendre sa prédilection pour "la chanson grise".

 

Véronique Petetin, dans un article intitulé « Henry Bauchau. Les couleurs de la forge », (Études, vol. tome 406, no. 2, 2007, pp. 227-237) explicite les significations de la couleur grise dans l'œuvre de Bauchau :


Le gris d’avant : Il est la teinte de ce qui est sans vie. Dès les premières pages de La Déchirure, il est question des cendres de la ville de Sainpierre, après l’incendie où le narrateur faillit mourir :


C’était une ville couchée dans ses décombres, un fantôme fumeux de cette couleur de cendres […] que je devais retrouver sur le visage et les bras de maman lorsque je l’ai retrouvée après le désastre.

[La Déchirure, éd. Labor, 1986, p. 15.]


Le baptême est gris, comme la mère qui a abandonné son enfant est grise lorsque celui-ci la revoit. Plus tard, dans la maison d’enfance, la mère se regarde dans le miroir au-dessus de la grande commode grise.

Quand la pression terrible de la mère est trop violente, le jeu que le narrateur et son frère inventent se nomme « faire petit-gris ». Les deux garçons ont sur leur tête des bérets à pompon rouge dont les autres se moquent: ce rouge-là est illégitime ; rouge de la honte et du ridicule, un rouge au sommet du crâne que dément tout le reste du corps.

La lignée paternelle aussi est grise : « Pour la comprendre il faut aimer le moellon de l’ancien pays. La pierre grise façonnée au marteau par les hommes accroupis au bord des carrières. » Le gris est la couleur à laquelle Pierre est condamné depuis l’enfance: « Pour Monsieur Pierre ce sera sans doute du gris comme d’habitude ? », demande le tailleur au moment de faire les costumes des garçons. Pourquoi le gris ?

« Le gris, ce qu’on ignorait alors, était la couleur du coton tissé dans les villages pour les Noirs. » Le gris, il se trouve que c’est aussi l’uniforme de l’armée sudiste. Ces soldats sont contre l’abolition de l’esclavage, et il faut les vaincre : « Je me suis battu contre le gris du Sud, mais aussi contre le gris de M. Fowler et contre l’autre gris, plus caché, celui de Mme Henriette. »

Gris est le premier cahier apporté à la Sibylle, celui qui préfigure l’écriture, mais ne l’est pas encore :


A l’origine lointaine de La Déchirure se trouve un petit cahier de toile grise que j’apporte à mon analyste quand je suis parvenu au milieu du temps de séances. […] Avec ce cahier, c’est la première fois que je me tourne par écrit vers mon enfance, pour mieux la remémorer et tenter de la comprendre.

[L’Ecriture à l’écoute, op. cit., p. 51.]


Le gris n’est pas encore le noir de l’écriture, il n’est qu’une trace laissée par le crayon de papier. Il est une matière informe qui doit passer par le feu, être forgé. Revenir par écrit sur son enfance n’est de l’ordre ni de l’analyse, ni de la littérature. Le gris est la couleur du temps de l’enfermement. Les rideaux du cabinet de la Sibylle sont gris. « Le cœur gris » est un poème de La Chine intérieure :


Aveugle par félicité, as-tu fait provision de rêve cette nuit

Ô neige insuffisante à mon insuffisance.

Où je m’éveille le cœur gris et le plus pauvre de matière,

Le plus gauche le plus transi de ceux qui sont dans la charnière

La gorge rouge du bouvreuil illumine au milieu des gris.

[Le Souffle de l’esprit, éd. Actes Sud, 2003, p. 16.]

Quitter le gris, quitter Bruxelles la ville du narrateur :


Voilà Bruxelles et la tache de lumière que la ville fait au milieu des bois et des champs, la longue tache grise qu’elle a faite dans ma vie. Ici j’ai commencé à me défaire, à Paris a commencé l’opération de la mort, comme si on passait du gris au noir. Mais à Paris, il y avait l’espoir d’une nouvelle naissance.


Pour aller vers le rouge, en passant par le noir et ce que l’on ne sait pas encore, il faut le travail de la forge.

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Dans son recueil poétique Notes du ravin (Éditions Fata Morgana, 2016) Philippe Jaccottet évoque ainsi le gris :


Le froid, le gris, comme du fer.


Ciel couleur de fumées basses, de cendres qui auraient tout oublié du feu qu'elles furent.

Ciel qui efface le souvenir des saisons plus heureuses. Ciel fermé, porte murée.

Tout ce qui se ternit, ne renvoyant plus la lumière.

 

Dans le Prix du quai des orfèvres 2024, intitulé Ne me remerciez pas (Librairie Arthème Fayard, 2023) Martial Caroff évoque différentes nuances de gris :


A cette heure matinale, il faisait cheminer son corps élancé le long du quai de Gesvres, fasciné par les nuances de gris que distillaient les bord de Seine. Chez lui, dans le Trégor, le gris teintait le crépuscule aux intersaisons et cachait l'aube sous un brouillard toute l'année. mais c'était un gris uniforme, identifiable, provincial. La capitale, elle, offrait une ample palette de gris, repoussant les vraies couleurs loin vers les extrémités du paysage, les haussant parfois jusqu'à la cime du ciel. Rien ne l'étonnait tant que le gris de la bruine, sinon le gris du fleuve et celui de l'atmosphère. Tous différentes, tous fascinants. C'était cela la principale richesse de l'Île-de-France : l'infinie gradation de ses niveaux de gris.

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