Étymologie :
GRILLON, subst. masc.
Étymol. et Hist. 1485 [date de l'éd.] (J. Corbichon, Propr. des choses, XVIII, 56 ds Gdf. Compl. [ms. Paris, Bibl. nat. fr. 22533, p. 335 : grille gresillon]). Forme tardive issue d'un croisement entre grillet et gresillon, qui aurait pu s'opérer dans la région parisienne (cf. ca 1676, Ménage ds Gdf., s.v. grillet 1 : Les Poitevins disent un grelet, les Angevins un gresillon et les Normands un criet, il faut dire un grillon avec les Parisiens). Grillet, dont l'aire anc. paraît avoir couvert la Normandie, le Centre, l'Est et le domaine fr.-prov. (a. fr. grislet xiiie s. [date du ms] ds Marie de France, Fables, éd. K. Warnke, XXXIX, 1 var.), dérive d'un type grill- (correspondant à l'a. prov. grilh ds Rayn.) issu du lat. grillus, gryllus « grillon » par l'intermédiaire d'un *grīllius (cf. FEW t. 4, p. 269b). Gresillon (dep. fin xiie s. ds T.-L.) dont l'aire anc. paraît avoir couvert un triangle dont les pointes seraient Bayeux, Paris et La Rochelle, est issu, non de grésiller, var. pic. et plus tardive de griller (FEW t. 4, p. 269b), mais plutôt forgé sur les formes greill, grel (et aussi grelet), qui représentent un type *grĭll(i)us (cf. FEW t. 4, p. 269b) dont l'aire est contiguë à celle de gresillon (cf. FEW t. 4, p. 268b et 269a), d'apr. l'alternance gresler/gresiller (cf. grêle et gresil), transposée ici du fait de l'anal. de bruit entre le grillon et la grêle.
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Croyances populaires :
Selon Jean Baucomont, auteur d'un article intitulé "Les formulettes d'incantation enfantine", paru dans la revue Arts et traditions populaires, 13e Année, No. 3/4 (Juillet-Décembre 1965), pp. 243-255 :
La tradition orale se perpétue dans le folklore de la vie enfantine. […] Une des catégories les plus curieuses de ces formulettes est celle des formulettes d'incantation.
L'incantation, nous disent les dictionnaires, signifie étymologiquement : un enchantement produit par l'emploi de paroles magiques pour opérer un charme, un sortilège. Le recours à l'incantation postule une attitude mentale inspirée par l'antique croyance au pouvoir du verbe, proféré dans certaines circonstances.
[…]
« L'incantation, dit Bergson, participe à la fois du commandement et de la prière. » On constate effectivement, que la plupart des formulettes d'incantation comportent à la fois une invocation propitiatoire : promesse d'offrande en cas de succès et une menace de sacrifice expiatoire, d'immolation en cas d'échec. Ce qui est proprement le caractère de l'opération magique traditionnelle.
[…]
Grelet grelet
Sors de ton trou
La serpente va manger tes œufs.s.
(Vendée)
Grillet grillet
Sors de ton trou
Ta maison brûle
Ton vin s'en va tout
Tes bœufs tes vaches
Tirent à l'attache.
(Nivernais-Languedoc)
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Symbolisme :
Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :
GRILLON. Beaucoup d'habitants de la campagne ont une sorte de vénération pour cet insecte, qu'ils regardent comme un hôte protecteur de leur foyer. Son cri leur cause de la satisfaction : ils le regardent toujours comme un heureux présage.
« Dans toutes les montagnes du Jura, particulièrement au Val-de-Miéges, dit M. Désiré Monnier, on professe une singulière estime pour le grillon domestique, dont le chant, assez monotone à la vérité, mais joyeux, est de bon augure pour la maison dont il est devenu l'hôte invisible et bienveillant. On se félicite d'être l'objet de son choix, et l'on est sûr de jouir de sa protection, aussi longtemps qu'on lui témoigne du contentement et des égards. On se garderait donc bien d'expulser les grillons de chez soi, pour éviter leur cri nocturne autour des foyers dont ils recherchent la douce chaleur : ce serait un acte de folie aux yeux de bien des gens, car c'est comme si l'on bannissait de sa demeure un élément de prospérité.
« M. Thévenin, du Vaudioux, m'assure avoir connu à Billecul un honnête fermier qu'un pareil hôte avait favorisé de sa présence, et qui avait pour lui une bien sincère affection. Comme il était marchand de blé, il aimait à prendre conseil de l'ami solitaire de son âtre enfumé ; et, la veille d'une foire en tel ou tel endroit, il ne manquait pas d'être averti par son cri prophétique, qu'il ferait bien de se rendre au marché ou, par son silence, qu'il serait prudent de rester à la ferme. Aussi le métayer faisait-il d'excellentes affaires. »
Les Anglais surtout ont une affection presque religieuse pour le grillon, et leur écrivain si populaire , Dickens, a intitulé l'un de ses plus jolis contes : Le grillon du foyer. Nous en extrayons ce fragment :
« ... Tenez, dit John à sa femme, avec sa façon lente de parler, le grillon est plus gai qu'il ne l'a jamais été ce soir.
- Il nous portera bonheur, John ; il nous a toujours porté bonheur. Et puis avoir un grillon dans son foyer, c'est le hasard le plus heureux qui puisse arriver à un ménage.
John la regarda, comme si l'idée lui passait par la tête qu'elle était son grillon, et que dès lors il était tout à fait de son avis ; mais c'était probablement une de ces impressions fugitives qu'il ne pouvait fixer, car il ne dit rien.
- La première fois que j'entendis sa note joyeuse, John, c'est le soir même que vous m'amenâtes chez vous, et que je devins la souveraine de votre intérieur. Il y a près d'un an de cela. Vous le rappelez vous ?
Oh ! oui, John se le rappelait. J'en jurerais pour lui.
- Son cri , continua Dot, saluait ma bienvenue ; il me sembla plein de promesses et d'encouragements. Il me sembla qu'il me disait que vous seriez bon et aimable pour moi, et que vous ne vous attendiez pas (c'est une crainte que j'avais alors, John) à trouver une tête bien raisonnable sur les épaules de votre petite folle de femme.
John caressa d'un air pensif la tête de Dot comme s'il voulait dire qu'assurément il ne s'y attendait pas et qu'il n'avait pas à se plaindre de ce qu'il avait trouvé. Et il avait raison.
- Le grillon disait la vérité, John, quand il semblait s'exprimer ainsi, car avez toujours été pour moi le meilleur, le plus sensé, le plus affectionné des époux. Notre maison est une heureuse maison, John, et c'est ce qui fait que j'aime tant le grillon.
- Et moi aussi je l'aime bien, Dot, dit le messager.
- Je l'aime pour toutes les fois qu'il a chanté, pour toutes les pensées que son innocente musique m'a inspirées. Quelque fois, à la tombée de la nuit, quand je sentais le vide de ma solitude, c'était avant que Baby vint me tenir compagnie et égayer tout le logis, quand je pensais combien vous seriez isolé si je mourais, combien je le serais moi-même si je pouvais sentir que vous m'aviez perdue, cher ami, son cricri parti du foyer semblait m'annoncer une autre petite voix bien douce, bien chère à mon cœur, dont le premier son a dissipé mon chagrin comme un rêve ! - car il fut un temps où je craignais cela - quand je craignais que notre mariage ne fût un lien mal assorti, moi étant si jeune et vous ayant l'air d'un tuteur plu tôt que d'un mari, et que vous ne parvinssiez pas, malgré tous vos efforts, à savoir m'aimer, son cricri me redonnait du cou rage et me remplissait d'une nouvelle confiance. Je pensais à tout cela ce soir en vous attendant, John ; et c'est ce qui fait que j'aime tant le grillon.
- Et moi aussi, répéta John. Mais, Dot, comment pouviez-vous craindre que je ne parvinsse pas à vous savoir aimer ? Je le savais longtemps avant de vous installer ici comme la petite souveraine de mon logis et du grillon de mon foyer, Dot ! »
D'après le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, on peut lire que :
"Le grillon, qui dépose ses œufs dans la terre, y vit sous forme de larve, puis en sort pour se métamorphoser en imago, était pour les Chinois le triple symbole de la vie, de la mort et de la résurrection. Sa présence au foyer était considérée comme une promesse de bonheur et cela se retrouve dans les civilisations méditerranéennes. Mais l'originalité des Chinois reste marquée dans le fait qu'ils ont spécialement élevé des grillons chanteurs les ont gardés près d'eux dans de petites cages d'or ou des boîtes plus simples et sont même allés jusqu'à organiser des combats de grillons."
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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Eloïse Mozzani nous propose la notice suivante pour le grillon :
Surnommé en français dialectal "petit cheval du bon Dieu", le grillon porte bonheur à la maison où il a élu domicile ; il en éloigne ou tue ceux qui amènent le malheur, rend impuissants les sorciers et même les huissiers ! On signale que "plus il y a de grillons, plus il y a de l'argent" et qu'en Flandre, "si les boulangers ne font pas plus souvent banqueroute, c'est qu'ils ont toujours des grillons autour d'eaux". Son chant monotone est en outre de bon augure, annonçant en particulier bonheur, richesse ou l'arrivée d'une personne chère. A l'inverse, on peut craindre perte ou malheur, voire un décès si le grillon demeure muet ou s'en va. il baisse la voix s'il y a un malade dans la maison, se tait en cas d'aggravation du mal et garde le silence pendant les six semaines qui suivent un décès (Vosges), six mois dans les Côtes-d'Armor si le chef de famille meurt. Il se tait aussi chez les familles en deuil d'Ille-et-Vilaine.
Même si les Anglais croient que le grillon blanc annonce la mort en pénétrant dans une maison, cet insecte bénéfique est particulièrement affectionné outre-Manche. Charles Dickens lui a d'ailleurs consacré un conte (Le Grillon du foyer, 1845), dans lequel il le qualifie de "Génie du Foyer" dont il conviendrait de suivre les conseils : "Toute la gent des grillons sont de puissants esprits, écrit-il, même si les personnes qui entretiennent des rapports avec eux n'en savent rien (ce qui est fréquemment le cas) ; et il n'est pas dans le monde invisible de voix plus douces et plus fidèles, de voix auxquelles on puisse accorder une confiance plus sûrement de tendres conseils et ceux-là seuls, que les voix par lesquelles les Esprits du coin du feu et du foyer s'adressent à l'espèce humaine."
En France également, Désiré Monnier cite le cas d'un fermier qui, chaque fois qu'il devait vendre son blé à une foire, prenait conseil auprès de son grillon. Celui-ci par son chant le poussait à s'y rendre, par son silence à demeure chez lui. Et c'est ainsi que le fermier "fit de très bonnes affaires".
Le grillon porte bonheur également dans les foyers méditerranéens et chinois où en raison de ses métamorphoses successives, d’œuf à larve, de larve à insecte, il symbolise la vie, la mort et la résurrection. Les Chinois ont même élevé des grillons chanteurs qu'ils conservent précieusement chez eux dans des petites cages d'or. Les Provençaux,, surtout les Marseillais, mettaient en cage un grillon des champs pour protéger leur maison et en Italie avait lieu la fête du grillon, qui se déroulait à Florence le jour de l'Ascension : "On déjeunait sur l'herbe, on se réjouissait de cent façons et quand le grillon était enfin trouvé on l'encageait dans une boîte légère et il faisait, durant des mois, les délices du foyer" (Rodoconachi, Elisa Napoleon).
Imprudent serait celui qui oublierait le précepte : "Où il y a des grillons, Dieu habite" (Béarn) et chasserait de chez lui ce messager de la chance et protecteur du foyer - ou, bien pire, celui qui le tuerait : il court le risque d'attirer le malheur, de faire crever son bétail ou de voir, comme dans la Sarthe, ses doigts raccourcir. Malgré cette menace, signalons que "le café fait avec des cricris est excellent contre l'hydropisie".
Selon une ancienne croyance, le grillon est né du crachat du coucou. Est-ce pour cela que l'on croit que les grillons chantent ? Par association d'idées, les Indiens d'Amérique, pour bien chanter, avaient un breuvage concocté avec des grillons écrasés et bouillis. Dans la Sarthe, le chant du grillon est censé fasciner les serpents, d'où la certitude que "dans une maison où il y a des grillons, il n'y a pas de serpents".
Dans le centre de la France, le grillon des champs renseigne utilement sur le climat à venir : en creusant son terrier au sud, il annonce un hiver rude, s'il le fait au nord, l'hiver sera doux. Un dicton signale encore :
Si le grillon chante
N'achète point de blé
Pour le remettre en vente,
Ou tu seras blâmé.
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D'après Diana Cooper, auteure du Guide des archanges dans le monde animal (édition originale 2007 ; traduction française : Éditions Contre-dires, 2018) :
Les grillons, les sauterelles et les criquets : Ces insectes sont tous très similaires et leur travail de service est simple. Ils mangent de grandes quantités de nourriture. Par exemple, un criquet peut manger son propre poids en nourriture en un jour, alors qu'une personne prend environ six mois pour le faire. Cela signifie qu'ils produisent d'énormes quantités de déchets pour fertiliser le sol Ils s'offrent également pour nourrir et soutenir les oiseaux, les animaux et les humains.
Les grillons chantent en frottant leurs ailes, tandis que les sauterelles frottent leurs pattes arrière contre leurs ailes. Leur chant, quand le rythme est ralenti, sonne comme un chœur de musique céleste et peut apporter la guérison. Cette musique contient les clés et les codes de l'amour supérieur de la constellation ascensionnée d'Andromède. Elle contient également un message qui nous dit de ralentir. C'est l'offrande de leur âme.
Les grillons, les sauterelles et les criquets peuvent faire des bonds et voler. Ils sautent en se propulsant dans les airs. Si nous pouvions sauter aussi loin qu'ils le font, nous pourrions facilement faire des bonds de la longueur d'un terrain de football. Ils nous démontrent ce qui est possible, et ils suggèrent que nous élargissions notre niveau de possibilités.
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Symbolisme celte :
Selon Gilles Wurtz, auteur de Chamanisme celtique, Animaux de pouvoir sauvages et mythiques de nos terres (Éditions Véga, 2014),
"Le grillon est muni d'ailes, mais elles ne lui permettent pas de voler. Le grillon champêtre creuse des galeries pour y vivre, parfois jusqu'à 20 ou 30 centimètres de profondeur.
C'est le grillon mâle adulte qui chante, ses élytres sont de minuscules instruments de musique sophistiqués : l'élytre droit porte l'archet qui vient frotter contre le plectrum de l'élytre gauche. Ces élytres sont équipés de deux grandes membranes qui amplifient le son. Et le grillon inhibe son système auditif pour ne pas être assourdi par son propre chant.
Le grillon peut être la victime d'un phénomène curieux dans la nature : il peut être l'hôte d'un ver parasite qui le pousse au suicide. Ce ver est avalé à l'état larvaire, il met in an pour atteindre sa maturité sexuelle. A ce stade, il est prêt à se reproduire, ce qu'il ne fait que dans l'eau. Il pousse alors son hôte à rejoindre un point d'eau et à s'y jeter. Sa stratégie : produire des molécules spécifiques qui vont prendre les commandes du cerveau du grillon.
Applications chamaniques celtiques de jadis : Pour les Celtes, le grillon était le porte-parole de la terre. Il vit en elle, dans les galeries qu'il creuse pour s'y nicher et il transmet son chant aux êtres vivant à sa surface. ce chant continu durant la belle saison était perçu comme calme et apaisant, une mélodie rassurante aux accents de berceuse maternelle. Le grillon était donc tour naturellement l'intermédiaire, le médiateur entre les hommes et la Terre-Mère. comme les bardes usant de leurs ballades, histoires et poèmes pour diffuser les nouvelles, le savoir et les connaissances, le grillon chantait les messages de la terre.
Certains chamans étaient spécialisés dans l'écoute des grillons et retransmettaient les messages de la terre aux hommes. Ils savaient aussi passer les messages des hommes aux grillons qui les confiaient à leur tour à la terre. Cela se passait lors de cérémonies spécifiques, par l'intermédiaire d'un chaman. Les hommes pouvaient alors communiquer avec la terre, grâce à la médiation de l'esprit du grillon. Porte-parole de la terre, le grillon était un animal sacré.
Souvent aussi, lors de disputes, de conflits, lorsque les esprits s'échauffaient, les personnes en cause étaient invitées à se concentrer sur le chant des grillons pour retrouver le calme. Les enfants également apprenaient dès leur plus jeune âge à se focaliser sur la mélodie du grillon pour s'apaiser, se poser et s'enraciner.
Berceuse naturelle, le chant du grillon n'apaisait pas que les nouveaux-nés... Enfants et adultes étaient aussi sensibles à sa douce harmonie.
Applications chamaniques celtiques de nos jours : A notre époque où tout se bouscule, où tout se fait dans la hâte, le chant des grillons est un merveilleux moyen pour se détendre et pour pouvoir entrer en connexion avec la terre. Pour nous ramener au calme, à la patience, pour renouer avec cette tranquillité naturelle, cette lenteur ancestrale pleine de sagesse qui rythme la vie de la Terre. Nombreux sont les endroits où ce chant pourrait être diffusé, pouponnières des maternités, salles d'attente diverses, salons de thé, quais de gare, arrêts de bus... et pourquoi pas les rues des villes pour égayer l'ambiance sonore citadine et nous rappeler nos véritables origines.
Reconnectés à la terre, nous constaterons plus facilement qu'il est toujours possible de communiquer avec elle en écoutant les chants des grillons. Grâce à la pratique chamanique celtique, nous pouvons également demander régulièrement à l'esprit du grillon de veiller sur notre connexion à la terre et de nous envelopper de son réconfort apaisant lorsque nous en avons besoin et que nous ne sommes pas dans la nature.
Mot-clef : Le chant de la terre et son messager."
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Littérature :
LA SALAMANDRE
Il jeta dans le foyer quelques frondes de houx bénit, qui brûlèrent en craquetant.
Charles Nodier. - Trilby.
« Grillon, mon ami, es-tu mort, que tu demeures sourd au bruit de mon sifflet, et aveugle à la lueur de l'incendie ? »
Et le grillon, quelque affectueuses que fussent les paroles de la salamandre, ne répondait point, soit qu'il dormît d'un magique sommeil, ou bien soit qu'il eût fantaisie de bouder.
« Oh ! chante-moi ta chanson de chaque soir dans ta logette de cendre et de suie, derrière la plaque de fer, écussonnée de trois fleurs-de-lys héraldiques ! »
Mais le grillon ne répondait point encore, et la salamandre éplorée, tantôt écoutait si ce n'était pas sa voix, tantôt bourdonnait avec la flamme aux changeantes couleurs rose, bleue, rouge, jaune, blanche et violette.
« Il est mort, il est mort, le grillon mon ami ! » - Et j'entendais comme des soupirs et des sanglots, tandis que la flamme, livide maintenant, décroissait dans le foyer attristé.
« Il est mort ! Et puisqu'il est mort, je veux mourir ! » Les branches de sarment étaient consumées, la flamme se traîna sur la braise en jetant son adieu à la crémaillère, et la salamandre mourut d'inanition.
Aloysius Bertrand, "La Salamandre" in Gaspard de la Nuit, 1842.
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Georges Sand, dans une pièce intitulée Le Diable aux champs (1869), met en scène des chœurs d'animaux qui viennent souligner les propos des humains, le grillon a même droit à un monologue :
CHŒUR DES GRENOUILLES, dans le fossé du château. — Voici le calme et le silence. Chantons l’eau couverte de petites plantes flottantes, limpide, sous le rideau qui protège nos mystères. Chantons la nuit qui est belle et la lune qui nous regarde, et les étoiles qui se cherchent dans les petits miroirs que nous leur ouvrons en folâtrant à la surface de notre tapis flottant. Beau tapis vert, qui défends nos ondes des ardeurs du soleil, écarte tes plis à cette heure de loisir et de sécurité. Laissez-nous entrer et sortir, nous traîner sur la rive, nous suspendre aux gros roseaux, guetter l’insecte imprudent qui s’y est endormi, et puis rentrer, boire, chanter, causer, nager, barbotter, sommeiller, rêver !… Douce existence qui dure depuis la création de notre race bénie, et qui durera tant qu’il y aura de l’eau sous le ciel et des mouches autour de l’eau !
CHANT DES GRILLONS DES CHAMPS. — Riez, riez toujours, nos ailes sont gaies ! Venez, mes amis, riez, courez, sautez, la prairie est à nous. Pourquoi s’arrêter de rire et de chanter, et de s’appeler les uns les autres ? Le jour et la nuit ne sont pas trop longs pour redire la même chanson et faire la même gambade. C’est si bon de vivre et d’être grillon dans la prairie ! Le bon soleil nous a mis au monde pour être heureux, pour être fous, pour rire du soir au matin et du jour à la nuit. Rions vite, rions beaucoup, rions tous à la fois, et que notre vacarme remplisse d’aise la terre et les cieux.
UN LÉZARD. — Chut ! chut ! parlons bas ; rentrons dans nos tanières, il y a beaucoup de provisions à manger. Soupons en famille, tranquilles, satisfaits, et dormons bien. Ce qui se passe sur la terre à cette heure-ci ne nous regarde pas.
[...]
SCÈNE XV (4e partie)
Chez Jacques
[...]
UN GRILLON, dans la cheminée. — Vite, vite, la plaque est chaude, l’âtre brille ! viens, ma chère amie, regarder comme c’est beau et comme la flamme danse avec grâce. Entends-tu ma chanson des jours de fête ? Le feu ! le feu ! le feu ! c’est l’amour, c’est la vie !
Heureux, bruyants, éveillés toute la nuit, à l’abri de tout danger, dans ce petit trou couvert de suie, nous passerons ici tout l’hiver, toute la vie.
Feu ! feu ! vive le feu ! Aimons-nous, ma chère amie !
Regarde la braise, comme elle est rouge ! C’est notre soleil, à nous ! Aux champs, il fait froid. Ici, point de neige, point de brouillards, et quand la terre se couvre d’un drap mortuaire, le foyer s’allume, et notre été commence.
Dans le feu, on voit des choses superbes, des bois, des rochers, des herbes, des villes, des châteaux, des cascades. Tous les êtres redoutent le feu ; ils l’adorent et le craignent. C’est à distante qu’ils le saluent ; le feu ne les aime pas assez pour leur permettre de se jouer si près de lui. Nous autres, nous sommes ses enfants ; nous vivons presque dans son sein, nous effleurons légèrement, sans les abattre, les belles montagnes de cendre brûlante ; nous traversons la fumée noire, et nos yeux ravis ne se lassent jamais de regarder la fournaise.
Le feu ! le feu ! vive le feu ! Aimons-nous, réjouissons-nous, ma chère amie !
CINQUIÈME PARTIE
SCÈNE PREMIÈRE
Dimanche, la nuit, chez Jacques
RALPH, JACQUES auprès du feu. (Ils gardent le silence. Le grillon chante. Minuit sonne.)
JACQUES, mélancolique. — Un jour qui finit, un jour qui commence ! Ne vous semble-t-il pas qu’aussitôt qu’on s’est dit, en entendant le timbre d’une horloge, nous voici à dimanche, on compte déjà ce dimanche comme si c’était un jour révolu ? L’idée qu’on se fait du temps est illusoire, et on passe sa vie à croire qu’il est trop tard ou trop tôt pour toutes choses.
RALPH, tranquille. — Ce premier feu de l’automne est agréable ! Entendez-vous comme il réjouit le cœur de votre petit lutin du foyer ?
JACQUES. — Oui, ce grillon-là chante dans l’âtre tout l’hiver, comme son cousin le grillon des champs crie tout l’été dans la prairie. Tous deux adorent l’esprit du feu, mais sous une autre apparence. Les uns ont le culte du soleil, comme les Péruviens ; les autres celui de la flamme sur l’autel, comme les mages. Croyez-vous qu’ils se damnent et se persécutent les uns les autres.
RALPH, gravement. — Je ne le pense pas.
JACQUES. — Mais vous ne prétendez pas pour cela, comme certains philosophes du xviii e siècle, que les animaux sont supérieurs à l’homme, et que la société humaine doit prendre exemple sur celle des bêtes ?
RALPH. — Non certes. Les bêtes sont privilégiées d’un certain côté. Toujours soumises aux mêmes lois pendant des périodes de siècles inconnues à l’homme, elles peuvent toutes dire et chanter sans cesse, sur un mode invariable, que le jour où elles vivent est le jour de l’âge d’or. C’est la divine compensation accordée à leur impuissance en fait de perfectionnement. Mais l’homme, condamné à toujours désirer et chercher le mieux dans le travail et la douleur, se croit toujours dans l’âge de fer, sans songer que, par rapport au passé, chaque période de son existence sur la terre est un âge d’or relatif.
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Jules Renard nous propose dans ses Histoires naturelles (1874) de petits portraits ou historiettes relatives aux animaux les plus communs mais pourtant tous plus étonnants les uns que les autres :
Le grillon
C’est l’heure où, las d’errer, l’insecte nègre revient de promenade et répare avec soin le désordre de son domaine. D’abord il ratisse ses étroites allées de sable. Il fait du bran de scie qu’il écarte au seuil de sa retraite.
Il lime la racine de cette grande herbe propre à le harceler.
Il se repose.
Puis il remonte sa minuscule montre.
A-t-il fini ? Est-elle cassée ?
Il se repose encore un peu.
Il rentre chez lui et ferme sa porte.
Longtemps il tourne sa clé dans la serrure délicate.
Et il écoute :
Point d’alarme dehors.
Mais il ne se trouve pas en sûreté.
Et comme par une chaînette dont la poulie grince, il descend jusqu’au fond de la terre.
On n’entend plus rien.
Dans la campagne muette, les peupliers se dressent comme des doigts en l’air et désignent la lune.
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Dans le roman policier intitulé L'Énigme de la pierre Œil-de-dragon (Édition originale Falü chubanshen 1996 ; traduction française Éditions de l'Aube, 2003) de He Jiahong, les personnages évoquent leur enfance :
- Vous aussi, vous aviez des grillons étant enfant ? demanda Hong Jun, fort intéressé.
- Eh ! Oui ! Dans ce temps-là on n'avait rien d'autre pour s'amuser ! Une année - je ne sais pas qui en avait lancé l'idée -, tous les gamins du village se sont mis à aller à la chasse aux grillons, moi y compris. Tous ceux que j'attrapais ne valaient rien ; ils mordaient moins bien que ceux des autres. Mon père, qui m'adorait et me voyant en pleurs, a accepté de m'emmener dans la montagne pour y capturer des grillons. Il m'a dit que, dans la grotte Wanglong, il devait sûrement y en avoir de gros. Il a donc pris la lampe dont il se servait lorsqu'il était en service de nuit dans la milice populaire et m'a conduit jusqu'ici. Nous avons entendu les stridulations d'un grillon dans la petite grotte ; aussi nous y sommes allés. Mon père était très doué, il a réussi à attraper un gros "tête-noire" ! Par la suite, il a fabriqué, tout spécialement pour moi, un pot à grillon en argile avec un couvercle ; il était vraiment très fort, mon père ! Cette année-là, mon gros tête-noire est devenu le champion du village ; il n'a pas perdu un seul match. Lorsqu'il s'est mis à faire froid, mon grillon est mort. Ça m'a fait beaucoup de peine, pendant un bon bout de temps ! A partir de ce moment-là, je n'ai plus jamais joué aux combats de grillons.
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Dans L'Armée furieuse (Éditions Viviane Hamy, 2011) de Fred Vargas, le commissaire Adamsberg délocalise son enquête en Normandie où il rencontre une famille dont chaque membre est assez étrange :
"La maison était grande, à peine meublée, pauvre, avec ses plaques de plâtre manquantes, le mobilier en contreplaqué, les courants d'air sous les portes, les murs presque nus. Il y avait un tel grésillement dans la pièce qu'Adamsberg mit instinctivement un doigt sur son oreille, comme si ses acouphènes des mois passés revenaient le visiter. Martin se précipita vers un panier d'osier fermé.
- J'emporte cela dehors, dit-il. Ils font un bruit qui gêne, quand on n'est pas habitué.
- Ce sont des grillons, expliqua Lina à voix basse. Il y en a une trentaine dans le panier.
- Martin va réellement les manger ce soir ?
- Les Chinois le font, assura Hippolyte, et les Chinois ont toujours été plus malins que nous et depuis plus longtemps. Martin va les cuisiner en pâté, avec de la farce, de l’œuf et du persil. Moi, je préfère quand il en fait une quiche.
- La chair des grillons consolide l'argile, ajouta Antonin. Le soleil aussi, mais il faut faire attention à la dessication."
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Grinçant les soirs d’été
roi de chaque foyer
il se cache le jour
le voilà silencieux
le croyez-vous perdu ?
on l’entend dans le noir
nous voici rassurés.
Le nom de cet animal se cache au début de chaque vers.
Luce GUILBAUD, in Qui va là ?, Les Carnets du dessert de lune, 2013.
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Cinéma :