Étymologie :
NÉNUPHAR, subst. masc.
Étymol. et Hist. xiiie s. neuphar, neufar (Simples medecines, éd. P.Dorveaux, § 806), neuenufar (ibid., § 792) ; xiiie s. nenufar (Antidotaire Nicolas, éd. P. Dorveaux, § 60) ; ca 1350 nenuphar (Texte médical, ms. B.N. fr. 12323, f°142 vob cité par R. Arveiller ds Romania t. 94, p. 159). Empr. au lat. médiév. nenuphar (av. 1250 ds Latham), et celui-ci à l'ar. nainūfar, nīnūfar, nīlūfar, du persan nīlūfar, lui-même empr. au skr. nīlōtpala- « lotus bleu », comp. de nīlah « bleu-noir » et utpalam « fleur du lotus » (Devic ; Lammens, p.181 ; FEW t. 19, p. 137 ; Lok. no 1570 ; Roll. Flore t. 1, p. 155 ; Klein Etymol.).
Lire aussi la définition du nom pour amorcer la réflexion symbolique.
Autres noms : Nymphæa alba, L. — Grand nénuphar - Herbe aux plateaux - Lis d'eau - Lis des étangs - Nénuphar blanc - Nénuphar officinal - Volant d'eau -
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Botanique :
Dans Histoire et légendes des plantes utiles et curieuses (Librairie de Firmin Didot, Frères, Fils et Cie, 1871), J. Rambosson poursuit la tradition du sélam à la mode au XIXe siècle :
LE NÉNUPHAR. Ses diverses espèces; leurs propriétés ; le nénuphar chez les anciens Égyptiens ; le nénuphar et l'astre du jour ; le nymphéa ; charmante description.
On distingue plusieurs espèces de nénuphars, dont voici les principales : le nénuphar jaune. Les feuilles et les fleurs de cette plante ornent nos lacs et nos étangs par leur grandeur et leur forme agréable. Les racines sont longues, épaisses, noueuses, couvertes d'écailles brunes ; elles poussent des tiges ou plutôt des pétioles très longs
qui s'élèvent jusqu'à la surface de l'eau, où ils s'épanouissent en une feuille en cœur, très large, arrondie, lisse, épaisse, luisante, attachée à son pétiole latéralement dans l'échancrure. Les fleurs sont portées sur des pédoncules de même longueur que les pétioles. Elles sont solitaires, composées d'un calice à cinq grandes folioles, de beaucoup plus grandes que les pétales, qui sont fort petits, ovales, disposés sur un seul ou sur plusieurs rangs. On regarde sa racine comme rafraîchissante, tempérante et un peu narcotique.
Le nénuphar blanc ne le cède pas pour la beauté à l'espèce précédente. Les fleurs sont beaucoup plus grandes, le calice a quatre divisions ; elles offrent dans l'intérieur un certain ton de blancheur contrastant avec les anthères, qu'il est difficile de définir, mais qui flatte tellement la vue, que l'on ne peut se lasser de le considérer. Ses racines sont épaisses et charnues comme dans le nénuphar jaune ; ses feuilles sont plus ovales, moins larges, flottantes à la surface de l'eau. Elle croît dans les eaux tranquilles, les étangs, les lacs, etc.
Le nénuphar lotus est le fameux lotus dont les fleurs sont tant renommées dans la mythologie des anciens. Il ressemble beaucoup au nénuphar blanc ; sa fleur est à peu près la même, également blanche, mais un peu plus grande ; il en diffère particulièrement par ses feuilles dentées. Les racines diffèrent également des espèces précédentes ; elles sont grosses, oblongues, charnues, noires en dehors, jaunes en dedans, d'une saveur douce, un peu astringentes, de la grosseur d'un œuf de poule, chargées d'un grand nombre de filaments blancs et très fins. On les mange pendant près de trois mois de l'année, soit crues, soit cuites à l'eau ou dans du bouillon. Prosper Alpin prétend qu'avec les semences de cette plante on faisait du pain dans certains cantons de l'Egypte ; Hérodote et Théophraste citent le même fait. Le lotus croît en Egypte, dans les ruisseaux formés par le Nil et qui traversent les terres ; il vient également en Amérique et dans les Indes.
Les anciens Égyptiens, pour qui tout était merveille, avaient remarqué que la fleur de cette plante, jusqu'à son entier épanouissement, sortait de dessous l'eau au lever du soleil et qu'elle s'y replongeait à son coucher. Ils imaginèrent en conséquence qu'il y avait entre elle et l'astre du jour des rapports mystérieux. Ils la lui consacrèrent, et le représentèrent souvent assis sur cette fleur. De là vint aussi la coutume de la mettre sur la tête d'Osiris et de plusieurs autres divinités, de même que sur celle des prêtres qui étaient à leur service.
Les rois d'Égypte, affectant le symbole de la Divinité, se sont fait des couronnes de cette fleur. On la voit avec sa tige, comme un sceptre royal, dans la main de quelques idoles ; elle est aussi représentée sur les monnaies tantôt naissante, tantôt épanouie.
La nymphéa ressemble parfaitement aux nénuphars par le port ; mais elle en diffère par ses fleurs, généralement plus grandes, par ses corolles, plus fournies, aux pétales plus allongés, et surtout par la couleur des fleurs, qui est le blanc, le rose, le rouge carmin ou le bleu, rarement le jaune.
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Dans Les Langages secrets de la nature (Éditions Fayard, 1996), Jean-Marie Pelt évoque les différents modes de communication chez les animaux et chez les plantes :
Avec l'apparition des plantes à fleurs, il y a environ 150 millions d'années, des rapports d'un nouveau style s'instaurent entre plantes et animaux : des services mutuels s'ébauchent, les fleurs offrant aux insectes polinisateurs de succulents nectars en échange du précieux service rendu par le transport du pollen d'une fleur à l'autre. Commence alors la longue et passionnante histoire des relations de plus en plus subtiles entre insectes et fleurs.
Lors de ces échanges, il arrive que l'équilibre vienne à se rompre au détriment de l'insecte : ainsi des énormes fleurs de ce nénuphar aux feuilles géantes de l'Amazone que les dictionnaires d'autrefois représentaient portant un personnage qui, dans la réalité, n'aurait pas manqué de couler ; ces fleurs encore primitives emprisonnent durant plus de vingt-quatre heures les coléoptères brouteurs qui les dévorent, mais qui, également, les pollinisent.
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Hugues Demeude, dans Les Incroyables Pouvoirs de la Nature (Éditions Arthaud, 2020) nous fait notamment découvrir la magie des plantes :
Autre grand amoureux de la nature : le peintre Claude Monet. Dans son jardin normand de Giverny, le plan d'eau constellé de nymphéas composait une chatoyante palette végétale qui aidait cet aventurier du nerf optique à restituer de façon intemporelle le sentiment d'un présent par essence insaisissable.
Dans ce jardin de Babel, il avait su comme personne s'approprier l'art sensuel de le dire avec des fleurs. Et ce n'est sans doute as un hasard si, de tous ses tableaux, ceux correspondant à la série des « Nymphéas » marquent particulièrement les esprits. Ces plantes aquatiques si mystérieuses, avec leur végétation qui semble flotter sur l'eau et des fleurs aux coloris variés, favorisent en peinture les jeux de lumière et l'abolition des formes. Elles ont tant habité Monet qu'il les a peintes au gré de deux cent cinquante peintures à l'huile.
Le Nymphéa, plus couramment appelé nénuphar, est une plante qui vit dans des eaux dormantes. Elle s'ancre au sol grâce à des rhizomes à partir desquels, à chaque printemps, poussent de longues tiges. Toute la ramification se fait depuis le fond. Les tiges des feuilles, comme celles des fleurs à la beauté éclatante qui flottent sur l'eau, peuvent atteindre 2 mètres de long. L'oxygénation de la plante se déroule à travers le système de tiges souples et élastiques immergées.
Le mystère de cette plante à fleurs hors du commun réside dans le fait que son ancêtre était sorti de l'eau puis y est retourné il y a cent quinze millions d'années, en développant des capacités de croissance et de vie spécifiques Le nénuphar redouble l'« abominable mystère » dont parlait Darwin. Alors que lui s'interrogeait sur l'apparition d'une structure aussi complexe que la fleur au cours de l'évolution, il y a entre cent cinquante et deux cents millions d'années, le nénuphar nous invite à nous demander pourquoi cette plante à fleurs a choisi de quitter la terre ferme pour se spécialiser dans l'eau.
Aujourd'hui nombreuses sont les variétés de nénuphars qu ont été crées par les horticulteurs à partir des anciennes espèces de nénuphar jaune et nénuphar blanc : on les appelle Joey Tomocyk, Black Princess, Siam Purple, ou encore Lily Pons. C'est une découvrant une dizaine d'hybrides colorés dans les bassins du Trocadéro pour l'Exposition universelle de 1889 que Claude Monet avait du reste eu l'idée de les introduire dans son jardin aquatique de Giverny. Mais quarante ans auparavant en Angleterre, les botanistes rivalisaient déjà d'ingéniosité pour faire pousser dans leurs serres chauffées le plus célèbre des nymphéas : le nénuphar géant d'Amazonie, aussi appelé Victoria amazonica. Cette incroyable plante aquatique a été découverte en 1801 lors d'une expédition botanique en Amérique latine, mais ce n'est que vers le milieu du XIXe siècle que ses graines furent cultivées en Angleterre dans les jardins botaniques royaux de Kew puis dans les serres de Chatsworth House, conçues par le jardinier paysagiste et architecte Joseph Paxton. Parvenir à cultiver cette plante extraordinaire fut un tel motif de fierté que les botanistes lui donnèrent alors le nom de la reine Victoria. Et pour cause : ses feuilles géantes en forme de plat à tarte peuvent mesurer jusqu'à 3 mètres de diamètre. Ce sont les plus larges feuilles du monde végétal.
Pour ce faire, la nature emploie les grands moyens, à commencer par le procédé utilisé pour la pollinisation : afin d'attirer les insectes en nombre suffisant, la plante déclenche la faculté de thermogenèse, c'est-à-dire qu'elle hausse sa température à l'aide d'une réaction thermochimique. Le botaniste Stefano Mancuso l'explique dans son ouvrage La révolution des plantes (Albin Michel, 2019) : cette faculté « est l'apanage d'un nombre très restreint d'espèces végétales (onze des quatre cent cinquante familles connues à ce jour). [...] Elle est liée à l'attraction exercée sur les pollinisateurs. [...] En 1848, on ignorait encore tout de ce phénomène, et la simple obtention d'une floraison était déjà un succès digne du meilleur des jardiniers. Bien vite, la renommée de Paxton a dépassé le cercle restreint des amateurs de plantes. Ce n'était d'ailleurs l) que le début d'une histoire captivante. »
En effet, Joseph Paxton est l'architecte qui a conçu le célèbre Crystal Palace, édifié à l'occasion de l'Exposition universelle de Londres en 1851. Il s'est alors appuyé sur une autre particularité de Victoria amazonica : les fortes nervures réticulées de ses feuilles, autrement dit toutes les ramifications bien visibles en forme de réseau. Une nervation spécifique qui a servi de bio inspiration pour l'architecture du Crystal palace fait de fonte et de verre, préfiguration du Grand palais qui sera construit à paris pour l'Exposition universelle de 1900.
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Dans La Vie sexuelle des Fleurs (Éditions E/P/A Hachette Livres, 2022), illustré par Loan Nguyen Thanh Lan, Simon Klein explicite les mécanismes de reproduction des fleurs :
Nénuphar géant : Bateau d'amour
Les nymphéas, les lotus et les nénuphars sont des espèces de plantes aquatiques répandues sur tout le globe et hautement symboliques dans plusieurs cultures - par exemple le lotus sacré des bouddhistes. on peut également penser aux magnifiques nymphéas peints par Claude Monet à Giverny, ou encore aux rhizomes de lotus consommés en Chine. Parmi ces espèces, il en existe une particulièrement impressionnante que l'on trouve, dans son milieu naturel, dans certains bras de l'Amazone : c'est le nénuphar géant ou Victoria de l'Amazonie. C'est de loin le plus grand des nénuphars, avec des feuilles pouvant atteindre trois mètres de diamètre. Ces grandes feuilles sont soutenues par de grosses nervures charnues et épineuses, cernées de rebords d'une dizaine de centimètres, et revêtues d'une cire hydrophobe, les faisant ressembler à de gigantesques plateaux à tarte en téflon. Ces grandes feuilles peuvent supporter des oiseaux, comme des hérons qui s'en servent comme perchoir pour pêcher.
Mais venons-en aux fleurs : tout aussi spectaculaires ! Le nénuphar géant produit de grosses fleurs pouvant atteindre quarante centimètres de diamètre. Elles sont cependant éphémères et durent, montre en main, quarante-huit heures. Mais elles ont le temps de faire leur affaire en deux jours, car elles ont mis au point des stratégies de pollinisation très efficaces.
Le stratagème : Durant le premier jour, la fleur est femelle, seuls les styles sont matures, les étamines pas encore. la fleur du jour un est blanche. Au deuxième jour, la fleur est mâle : les styles ne sont plus réceptifs, mais ce sont les étamines qui sont actives. la fleur de jour deux est rose ou violette.
Au jour un, la fleur s'ouvre doucement, pétale par pétale, elle en a une soixantaine ! Et dans l'après-midi, le centre de la fleur est accessible. La fleur, alors blanche, émet une odeur fruitée qui attire principalement des scarabées. De plus, le centre de la fleur est chauffé : la thermogenèse, due aux cellules des ovaires principalement, élève constamment la température de dix degrés par rapport au milieu extérieur, un vrai thermostat ! La chaleur permet une meilleure diffusion des odeurs, mais surtout de proposer un milieu bien douillet aux coléoptères du coin. Ceux-ci se faufilent entre les pétales et se retrouvent dans la cavité centrale qui présente les pistils. C'est alors que le piège se referme ! Les pétales supérieures se replient un à un et forment un toit pour la nuit. Les scarabées bloqués dans leur prison dorée ne sont pas trop malheureux : il y a le chauffage central, mais aussi de quoi se nourrir : certes le pollen est inaccessible, protégé à cet instant par des membranes, mais les tissus végétaux constituant les parois de cette chambre douillette sont comestibles, riches en sucre et tendres à souhait ! De plus, tant qu'on y est, bloqué pour bloqué, la chaleur aidant, les scarabées peuvent en profiter pour, eux aussi, se reproduire ! Ainsi, durant la nuit du premier jour et jusqu'au soir du deuxième jour, les scarabées assouvissent nombre de leurs besoins primaires, au chaud, bien protégés des prédateurs !
Vingt-quatre heures après l'intrusion des coléoptères, les pistils ne sont plus réceptifs et les étamines sont mûres, et accessibles. Certes beaucoup de grains de pollen finissent entre les mandibules des scarabées, mais certains viennent se loger sur leur carapace. la fleur prend alors des teintes rosé rouge à violet. C'est le signal extérieur pour indiquer qu'il n'y a plus rien à tirer : la fécondation a eu lieu ! Au soir du deuxième jour, la prison ouvre ses portes : les scarabées, repus et pleins de pollen peuvent aller se dégourdir les ailes avant de retomber sur une autre fleur blanche. les grains de pollen qu'ils transportent tombent éventuellement sur les stigmates de cette nouvelle fleur, le toit de celle-ci se referme et l'histoire se répète. N'empêche que le nénuphar géant a réussi à assurer la pollinisation croisée !
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Vertus médicinales :
Henri Ferdinand Van Heurck et Victor Guibert, auteurs d'une Flore médicale belge. (Fonteyn, 1864) nous apprennent les propriétés thérapeutiques du Nénuphar :
Propriétés physiques et chimiques. Les rhizomes sont jaunes à l'intérieur et presque noirs à l'extérieur ; leur odeur est un peu nauséabonde ; leur saveur amère et styptique ; ils contiennent beaucoup d'eau, une substance mucilagineuse, de l'amidon, du tannin, des acides et des sels (Morin). Les fleurs contiennent du mucilage presque pur.
Usages médicaux. Les racines et les semences de cette plante ont joui autrefois d'une grande réputation comme réfrigérantes ; elles étaient employées par les cénobites de la Thébaïde, par les pieux ermites et dans les couvents par les religieux et les religieuses pour amortir le feu des passions. Les anciens moines considéraient le nénuphar comme la sauvegarde de la chasteté ; ils le croyaient non seulement propre à affaiblir les désirs de la chair, mais même capable de rendre impuissant (Dioscoride, Pline). Pallas a fait remarquer avec raison que les habitants de la Tartarie qui font du pain avec les racines de cette plante ne sont ni moins amoureux ni moins procréateurs que les autres peuples. Les propriétés sédatives, calmantes, anaphrodisiaques du nénuphar ne sont donc pas réelles ; ses rhizomes sont plutôt un excitant et un stimulant comme le prouvent les expériences de Desbois, de Detharding, de Cazin et de bien d'autres. Remarquons cependant que l'on prépare avec les fleurs un sirop qui passe pour calmant, réfrigérant et narcotique (Alibert).
Les feuilles, les tiges et les racines de cette plante qui contiennent une petite quantité de tannin ont été usitées dans certains pays au tannage des peaux ; cette astringence a permis de les employer dans quelque cas de leucorrhée, de gonorrhée et de dysenterie. Les fleurs sont mucilagineuses, émollientes et adoucissantes ; nous avons dit qu'Alibert les considérait comme légèrement narcotiques. Les semences ont servi autrefois à faire du pain chez les Béotiens (Théophraste). On leur a attribué aussi à tort des propriétés hypnotiques.
Formes et doses - . Infusion de la racine : 100 à 300 grammes par kilogrammes. - Décoction 30 grammes par 1,000. - Infusion des fleurs récentes : 15 à 30 grammes. Sirop 50 à 100 grammes ― Cataplasme.
A. B., auteur discret de Les Vertus des plantes - 918 espèces (Tours, 1906) recense les propriétés thérapeutiques d'un grand nombre de plantes :
Nénuphar. Lys d'étang, babeau, volet, Nymphéa alba, major.
Nénuphar jaune. Nymphéa lutea major.
(Racines, 30 grammes.)
VERTUS : Lo suc visqueux des racines est très adoucissant, rafraîchissant et anti-aphrodisiaque. Deux ou trois pincées des racines en poudre calment très bien les personnes par trop surexcitées ; les feuilles amorties au feu et appliquées très largement et chaud calment très bien les névralgies. On tire des fleurs distillées une eau très bonne pour les démangeaisons de la peau, elle entre dans les potions, juleps, onguents calmants, rafraîchissants, elle est un peu narcotique, le soir surtout.
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Croyances populaires :
Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :
Quelques plantes mangées ou prises en infusion influent sur les appétits sexuels ou la génération. Même la campagne le nénufar est renommé comme anti-aphrodisiaque.
[...] Les enfants enfoncent un morceau de bois dans la partie supérieure du fruit du nénufar et s'amusent à simuler l'action de baratter, d'où le nom de la baratte qui lui est donné en beaucoup de pays. Ils s'en servent aussi, comme de jouet, en l'appelant bouteille, cruchon, tabatière, etc.
Symbolisme :
Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :
Nymphéa jaune - Calme.
Cette plante aquatique passe pour calmer les ardeurs du sang; sa graine est une des cinq graines froides. On l’emploie encore aujourd’hui dans les maisons de correction.
Dans son Traité du langage symbolique, emblématique et religieux des Fleurs (Paris, 1855), l'abbé Casimir Magnat propose une version catholique des équivalences symboliques entre plantes et sentiments :
NÉNUPHAR BLANC - ÉLOQUENCE.
La parole éloquente est un rayon de miel, elle est la joie de l'âme et la santé du corps.
— Proverbes XVI, 24.
C'est dans les plus beaux jours de l'année qu'il faut voir cette superbe plante flottant sur les lacs, sur les rivières, ou sur un tranquille ruisseau, avec ses belles feuilles d'un vert satiné et ses fleurs d'une blancheur éclatante qui contraste avec l'or des étamines. D'une racine épaisse, vigoureuse, revêtue d'écailles brunes, nais sent des feuilles larges, arrondies en forme de cœur, attachées à des pétioles qui s'allongent jusqu'à la surface des eaux. Les fleurs partent de la même souche et s'annoncent par un gros bouton enfermé dans les divisions du calice. Ce bouton s'entrouve peu à peu et la fleur se développe sur trois rangs de pétales, d'un blanc de neige, renfermant un nombre immense d'étamines avec des filaments et de longues anthères couleur d'or.
Dès que les nénuphars se montrent, la surface de l'eau cachée sous leurs grandes et belles feuilles, se convertit en un parterre, dont les fleurs le disputent en beauté aux lis et aux roses de nos jardins ; si elles n'en ont point toujours le parfum, elles l'emportent souvent par leur grandeur, par leurs teintes d'or, d'azur ou d'argent, qui brillent sur leur corolle : ici tout semble se réunir pour ajouter aux plaisirs des yeux la jouissance du sentiment. A la vue de ce vaste bassin d'une eau tranquille, tout couvert de fleurs, que sillonne la nef légère, et sur lequel se promène une troupe brillante d'oiseaux aquatiques, quelle douce sérénité pénètre l'âme du spectateur ! Avec quelle grandeur se montrent dans leurs variétés les œuvres du Créateur ! Que de jouissances perdues pour celui qui n'étudie ces belles fleurs qu'isolé ment et loin de leur lieu natal !
RÉFLEXIONS.
La véritable éloquence est concise ; elle s'exprime en peu de paroles dont la simplicité, l'ordre et la vivacité font tout l'agrément ; c'est elle seule qui a le secret de s'attirer l'estime des petits et la bienveillance des grands.
(OXENSTIERN.)
La véritable éloquence est celle du bon sens, simple et naturelle : celle qui a besoin de figures et d'ornements n'est fondée que sur ce que la plupart des hommes ont des lumières fort courtes et ne font qu'entrevoir les choses.
(Mme DE LA SABLIERE.)
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Selon Pierre Zaccone, auteur de Nouveau langage des fleurs avec la nomenclature des sentiments dont chaque fleur est le symbole et leur emploi pour l'expression des pensées (Éditeur L. Hachette, 1856) :
NÉNUPHAR - FROIDEUR - IMPUISSANCE.
Plante aquatique, d'ornement pittoresque et du plus bel effet pendant la floraison. Ses fleurs s'épanouissent hors de l'eau, y rentrent pendant la nuit dans le temps de la fécondation, et n'en sortent plus qu'après qu'elle est terminée. On croyait autrefois que la racine du nénuphar était antiaphrodisiaque, mais on sait aujourd'hui que les propriétés des fleurs sont nulles, et que la racine, loin d'avoir la vertu qu'on lui supposait, produirait plutôt un effet tout opposé.
Emma Faucon, autrice d'un ouvrage intitulé Le langage des fleurs. (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) rapporte les équivalences de l'Horloge de Flore :
Il est des fleurs qui s'ouvrent invariablement à la même heure ; les horticulteurs profitent de cette horloge naturelle pour régler leur temps, et les amoureux emploient ce moyen pour indiquer le moment où ils passeront sous les fenêtres de celle à qui ils offrent leurs vœux.
Sept heures du matin = Le nénuphar.
L'autrice poursuite ensuite :
Nénuphar - Froideur.
Cette plante aquatique passe pour calmer les ardeurs du sang. Elle fait l'ornement des étangs par la beauté de ses fleurs blanches ou jaunes et le gracieux effet de ses grandes fleurs flottantes.
Ce nom lui fut donné d'une nymphe qu’un amour passionné pour Hercule conduisit au tombeau. Le héros qui l'avait repoussée et qui était resté insensible à ses charmes, voulut néanmoins éterniser sa mémoire, et la changea en nymphæa ou nénuphar.
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D'après le Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier et Alain Gheerbrant,
"Dans la glyptique maya, le nénuphar es un symbole d'abondance et de fertilité, lié à la terre et à l'eau, à la végétation et au monde souterrain. Il est souvent le glyphe symbolique du Jaguar et du Crocodile monstrueux portant la terre sur son dos. Il est donc l'expression des puissantes et obscures forces chtoniennes.
Même fonction symbolique, chez les Dogon du Mali : le nénuphar est le lait des femmes. Il est en rapport avec le thorax et les seins. On donne à manger des feuilles de nénuphar aux femmes allaitant, de même qu'aux femelles de bétail ayant mis bas. Le bélier mythique qui a fécondé le soleil descend sur la terre par l'arc-en-ciel et plonge dans une mare couvertes de nénuphars, en criant la terre m'appartient. Nénuphar vient de l'égyptien nanoufar qui veut dire les belles ; dans l’Égypte ancienne on donnait ce nom aux nymphéas, considérées comme les plus belles des fleurs. Un grand lotus sorti des eaux primordiales est le berceau du soleil au premier matin. Ouvrant leur corolle à l'aube et la refermant le soir, les nymphéas, pour les Égyptiens, concrétisaient la naissance du monde à partir de l'humide."
Sheila Pickles écrit un ouvrage intitulé Le Langage des fleurs du temps jadis (Édition originale, 1990 ; (Éditions Solar, 1992 pour la traduction française) dans lequel elle présente ainsi le Nénuphar :
Mot clef : Pureté de cœur
Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars entre les roseaux
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Paul Verlaine (1844-896), "Promenade sentimentale".
Le genre Nymphea doit son nom aux divinités grecques des eaux, les nymphes, parce que ces fleurs poussaient, disait-on, là où jouaient les gracieuses jeunes filles : quant au terme Nénuphar, il vient d'un mot arabe, ninûfar. Ces fleurs splendides doivent leur signification emblématique à la pureté de leur corolle.
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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont S.A.S., 1995, 2019) proposé par Éloïse Mozzani, on apprend que :
Consacré par les Égyptiens à Osiris, dieu de la Mort, et passant chez les Romains pour la métamorphose d'une nymphe éprise d'Hercule et morte de jalousie, le nénuphar fut longtemps considéré comme une plante anaphrodisiaque. Pline le recommandait pour dissiper les pensées érotiques et les ermites égyptiens lui accordaient tout crédit pour supporter la chasteté. Plus tard, il fut consommé dans les cloîtres, couvents et séminaires tandis que, selon une tradition de la Côte-d'Or encore vivace au siècle dernier, on disait à un jeune homme trop entreprenant auprès de la gente féminie : " Pour te calmer, on va te faire une infusion de nénuphar".
Toutefois, porter sur soi la fleur desséchée d'un nénuphar favorise la vigueur sexuelle. Cette amulette est censée également protéger dans les actions et les voyages risqués. Ses feuilles bues en décoction redonnent du lait aux femmes et renforcent la voix des chanteurs. Qui en met une sous son chapeau ne craindra pas les coups de soleil.
D'après une croyance allemande, le nénuphar est habité par un génie ou une nymphe des Eaux qui crie dès qu'on l'arrache ; il faut alors se boucher les oreilles et le prier de sa bonne volonté. D'une manière générale, les auteurs de recettes recommandent de cueillir le nénuphar avec la main car le trancher avec un instrument en fer provoque les mauvaises visions et précipite l'imprudent dans l'abîme des eaux.
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Selon Didier Colin, auteur du Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes ( (Hachette Livre, 2000) :
"Le nénuphar et le lotus présentent évidemment de nombreux points communs, tant par leurs espèces que par les qualités qu'on leur attribue. Qui plus est, ils partagent aussi une origine étymologique commune. En effet, nénuphar est issu du persan nïlüfar, lui-même emprunté au sanskrit nïlautpala, qui signifie "lotus bleu", composé de nïla, "bleu" et de utpala, "fleur de lotus". C'est un nom d'origine indienne, donc, et non égyptienne, comme on l'a souvent cru, le lotus ayant été, il est vrai, une fleur sacrée en Égypte antique. En latin nénuphar se disait nymphea, nom dérivé du grec numphê, qui désignait aussi bien plusieurs plantes, dont le lotus et d'autres nénuphars, que les fameuses nymphes, les divinités des bois et des sources chez les Grecs, qui devinrent les fées au Moyen Âge. Comme on le voit, le nénuphar fait allusion aux fées, à la féerie, aux nymphes, à la magie de la nature, à la féminité, à la fécondité, à la fertilité.
Dès lors, sa vision dans un rêve prend soit une connotation amoureuse et sensuelle, les désirs, espoirs ou nostalgies du rêveur se focalisant autour d'un nénuphar en quelque sorte, soit un sens sacré, l'expression d'une soif d'absolu du rêveur se révélant ainsi."
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Selon Des Mots et des fleurs, Secrets du langage des fleurs de Zeineb Bauer (Éditions Flammarion, 2000) :
"Mots-clefs : La Froideur ; L'Indifférence.
Savez-vous ? : Le nénuphar a d'autres noms communs. Il est appelé : Lotus bleu, nymphéa, lys sacré des eaux. Le lotus bleu, plus parfumé est le plus recherché en cosmétologie. Le célèbre peintre français Claude Monet a rendu à cette belle fleur un magnifique hommage en peignant les nymphéas à Giverny. Fleur sacrée dans l’Égypte ancienne, il est présent partout sur les bas-reliefs, accompagnent les représentations humaines et les cultes funéraires.
Usages : Chez les Dogons du mali, les feuilles du nénuphar sont consommées par les femmes qui allaitent car elles ont la réputation d'augmenter la lactation. Pour la même raison, elles sont données également aux femelles du bétail.
Légendes : Dans la mythologie grecque, le nénuphar est le symbole des vierges. Chez les anciens Égyptiens, le nénuphar était à la naissance du monde. Il est étroitement lié au dieu Soleil et au culte du dieu Osiris. Dans l'histoire du Bouddhisme, Brahma, créateur du monde serait né d'une fleur de lotus qui a poussé sur le nombril de Vishnou. Une légende indienne raconte qu'à la suite d'une lutte acharnée entre l'étoile du berger et l'étoile du nord, pour contrôler le royaume de la nuit, des gouttes de sueur tombèrent dans les lacs et se transformèrent en "lys sacré des eaux" autre appellation du nénuphar.
Message : Votre amour est si froid."
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D'après Nicole Parrot, auteure de Le Langage des fleurs (Éditions Flammarion, 2000) :
"Recevoir un nymphéa ou un nénuphar (c'est la même fleur sous deux noms différents) est signe d'heureux bouleversement. La jolie fleur en forme de calice protège les amoureux, les inspire et les incite à s'élever au-dessus des voluptés sensuelles. Afin qu'ils puissent ainsi aiguiser leur intuition et leur pensée créatrice. Rouge, le nymphéas déchaîne les passions les plus déraisonnables. Blanc, il suscite des idées imprévues et réserve des surprises. Le jour, il se laisse cueillir sagement malgré son cœur fade plutôt dissuasive. La nuit, il laisse échapper des malades ou fées des eaux qui se mettent à danser au clair de lune. Tous les chasseurs de gibier d'eau, des poètes comme chacun sait, vous le confirmeront.
Tout ça parce qu'une belle nuit indienne, l'étoile du berger et l'étoile polaires se querellèrent et en vinrent aux mains. Elles se battirent comme des voyous. dans les cieux, astres et divinités retenaient leur souffle. Le corps à corps fut si violent que des étincelles en jaillirent. Tombées sur lacs et rivières, elles s'y métamorphosèrent en "lis sacré des eaux", comme on surnommait autrefois les nymphéas.
Mais on ne saurait dire "nymphéas" sans penser à Claude Monet. Le grand peintre impressionniste leur consacra ses dernières années, retiré dans son jardin de Giverny, et leur dédia ses plus beaux tableaux. Tant et si bien que, selon le philosophe Gaston Bachelard, depuis qu'il les "a regardés, les nymphéas de l'Île-de-France sont beaucoup plus beaux et plus grands".
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Symbolisme onirique :
Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),
Plus on approfondit l'investigation symbolique concernant cette plante aquatique, plus on se sent entraîné dans une situation paradoxale. A mesure que les significations du symbole se clarifient, il semble qu'il soit de plus en plus difficile de les transmettre clairement. Cela tient peut-être à la nature féminine de ces naïades qui hantent les eaux d'une présence bien proche de celle des insaisissables fées et qui se protègent des atteintes en jetant au regard de celui qui les observe un voile magique. L'observation d'un nombre significatif de rêves où apparaît le nénuphar montre que ce mot n'entraîne pas pour chaque rêveur les mêmes images. Le regard des uns se porte spontanément sur la fleuret l'associe au lotus, à la libellule à l'ouverture, à l'eau claire. Celui des autres ne voit que les larges feuilles et les longues tiges qui s'enfoncent dans le sombre silence de l'eau et les lie à la grenouille, au marécage, à la boue, au crocodile. Le premier groupe est deux fois plus important en nombre que le second. Le clivage se fait naturellement en fonction de l'état psychologique du rêveur et reflète la lourde ambivalence d'une plante qui puise sa substance dans le fond vaseux pour, à travers une œuvre mystérieuse, aux relents alchimiques, livrer à la lumière cette fleur d'une inégalable pureté.
Une étroite parenté associe le nénuphar, les nymphéas qui n'en sont que des variétés diversement colorées et le lotus qui n'est présent que dans un nombre réduit de séances et presque toujours en corrélation avec le nénuphar. Celui-là inspire aisément une première interprétation qui pourrait n'être qu'intellectuelle, mais qui se trouve vivifiée par le contenu de nombreuses séquences de rêve éveillé La plante développe ses racines dans le lit de la rivière, de la mare ou de l'étang. Là, elles s'installent dans ce qu'il faut bien appeler la boue, la vase ou le limon. Que représente ce fond fangeux ? Il n'est que l'accumulation des déchets décomposés, des résidus putréfiés de ce qui fut naguère vivant et qui est redevenu poussière. De cette matière décomposée, la plante sait extraire la substance d'une vie nouvelle... D'une nouvelle forme de vie serait plus juste, d'une vie qui traverse les couches de l'eau, jaillit à la surface et regarde un soleil retrouvé, offrant au ciel le sourire immaculé d'une corolle devant laquelle toute pensée négative abdique et disparaît.
Comment ne pas sentir ce que pareille image peut évoquer d'espérance, d'inaltérable continuité des forces vitales ? Comment ne ferait-elle pas comprendre aussi que chacun, dans les lus sombres jours de son passé, dans les plus inavouables de ses actes, dans ses plus douloureux abandons, peut trouver la sève qui alimentera un devenir purifié ? Comment ne pas entendre le message d'une plante qui fait éclater à nos yeux le miracle du plus pur issu du plus souillé ?Qu'on ne s'empresse pas de voir en ces lignes l'envol lyrique d'un optimisme excessif. Nous ne faisons, en les écrivant, que suivre ce que nous inspirent les images des rêveuses et des rêveurs.
Abandonnons la poésie pour mieux assurer l'objectivité en revenant à des faits d'analyse. L'ensemble des rêves où apparaît le nénuphar permet une observation surprenante. Ces rêves sont presque tous de ceux qui ne présentent pas de structure apparente, dont le fil conducteur reste très dissimulé, dont le discours donc est de type décousu, donnant même parfois un sentiment d'incohérence. Pourtant, un observateur familier du cheminement imaginaire n'a aucune difficulté à reconnaître, dans ces pics émergés, des repères appartenant aux mêmes enchaînements symboliques que ceux que l'on constate dans les scénarios au fil conducteur apparent. Deux brefs exemples extraits de ces séquences particulièrement spontanées, mettent en évidence la dynamique de positionnement des pôles de la verticalité qui accompagne les images de nénuphars.
Anne voit une curieuse figure de vieux sage : "... c'est un personnage de cirque, très âgé, au visage espiègle... il lève très haut une main gantée de blanc avec laquelle il fait plein de signes... si je regarde ses pieds... ce sont des sabots de cheval, qui ne cessent d'être au galop ! Il y a complète incohérence entre ce qu'il fait avec ses pieds et ses gestes du haut ! Il lance très loin une balle qui déclenche un jet d'eau, et l'eau produit des nénuphars..." La figure médiatrice du vieux sage d'Anne lui fait comprendre que son excessive réserve (les gants blancs) n'est pas en accord avec sa base instinctuelle. Le cheval au galop est expressif - selon Paul Diel - de l'impétuosité des désirs.
Sébastien émet aussi des images sans lien apparent entre elles, mais qui consolident la démonstration : "... un planeur qui fait des acrobaties... un espace de lumière, dans la nuit... un homme avec des boulets aux pieds, c'est un bagnard, à l'habit rayé... il y a un policier qui le détache... qui lui enlève ses boulets... un danseur sur scène, exécute des mouvements très aériens... un lapin... [...] Un point d'eau, une mare... il y a plein de nénuphars dessus, des roseaux, des grenouilles aussi..."
Le boulet du bagnard enchaîne les sentiments coupables aux pesanteurs de la matière. Que le sur-moi (le policier) renonce à son intention punitive, et voilà l'être rendu à la liberté aérienne du danseur.
Cette première traduction du nénuphar établie, l'étude peut être dirigée pour d'autres significations. La coquille nacrée du nénuphar, épanouie à la surface de l'eau, surgie comme une apparition miraculeuse des profondeurs aquatiques, impose l'association avec l'apparition de la vie sur la terre et avec sa puissance de renouvellement. L’Égypte antique avait déjà reconnu au lotus cette propriété d'évoquer la création du monde dans sa manifestation la plus initiale. Le symbolisme du lotus et du nénuphar comme mère universelle, comme matrice du monde et, plu simplement, comme représentation du sexe féminin, est universellement répandue. Les images produites par les patients corroborent pleinement cette traduction. Très nombreuses sont les séquences où la fleur du nénuphar est ainsi mise en scène dans le rôle de la mère. Mais ce n'est pas toujours - loin s'en faut - pour exprimer un souvenir heureux du séjour intra-utérin ! La fleur du nénuphar, comme toutes les représentations de la matrice, va permettre au rêveur - et plus souvent encore à la rêveuse - d'exprimer tous les types de ressentis enregistrés au cours de la gestation ou de la naissance, des plus violemment conflictuels aux plus paisibles. Et, comme toutes les images du genre, la fleur aquatique exprimera parfois un symbolisme de renaissance psychologique ou un revécu de la naissance, sans qu'il soit toujours aisé de faire la part de chacun des mécanismes dans le rêve observé.
La vingt-cinquième séance de Suzanne contient de très belles illustrations de la connotation maternelle du nénuphar créateur du monde. L'inconscient de Suzanne amalgame avec art les sens de matrice originelle de l'humanité, de mère terrestre et d'éveil de l'anima. La cure de Suzanne touche à sa fin, les rêves précédents ont permis le rétablissement d'une relation positive à l'image maternelle, relation jusqu'alors affectée par les séquelles œdipiennes. Ce vingt-cinquième rêve est un aboutissement. Il est aussi, parmi les rêves où le nénuphar apparaît, l'un des rares à développer une structure continue :
« ... Je vois Le Printemps, ce tableau de Botticelli... mais moi, je vois en fait trois jeunes femmes qui sortent d'un œuf... et, maintenant, je vois un couple nu... Adam et Ève... et un enfant qui joue de la flûte... et puis, un étang avec des nénuphars dessus... beaucoup... il y a du rouge, du rose, du bleu, du blanc... le ciel est très bleu, l'étang aussi... avec des lueurs rouges, çà et là... ah ! Il y a un très beau nénuphar qui se referme... il se referme et emprisonne quelque chose... un être ? Peut-être une femme, peut-être un homme... ou les deux à la fois... et je vois la peau lisse de cet être... lisse... comme du marbre...mais chaude aussi... alors, en marbre rose ! C'est le grain de la peau qui fait penser au marbre, à une pierre qui serait très belle, un peu translucide, une matière précieuse mais qui aurait la chaleur de la vie... enserrée dans les pétales du nénuphar. Ah ! Je crois que c'est une femme ! Elle y dort, repliée sur elle-même, la tête entre les bras, penchée sur les genoux... les pétales font autour d'elle un abri, comme une housse très douce... comme en satin... c'est comme une petite maison mais le mot est trop prosaïque !... Un endroit à elle, très doux, où elle dort et je pense à la chrysalide... mais elle est déjà faite ! Il s'agit seulement que la fleur s'ouvre, mais, en fait, elle est déjà faite ! Il s'agit seulement que la fleur s'ouvre, mais en fait, elle n'a pas envie que la fleur s'ouvre tout de suite car elle dort d'un sommeil doux, très reposant... un sommeil vivant, dans cette espèce de prison soyeuse, tellement douce... je dis prison, mais elle sait qu'elle pourra en sortir... ce sera le matin... l'air sera frais... le soleil se lèvera sur l'étang et elle s'éveillera lentement... et quand la lumière arrivera, le nénuphar s'ouvrira doucement... il commencera à desserrer ses pétales... alors, elle lèvera la tête, se dépliera lentement... elle étendra les bras, très fort, la poitrine libre, et le nénuphar s'ouvrira plus encore... alors, elle se redressera sur les genoux, se lèvera doucement, debout, elle regardera autour d'elle... un étang qui s'éveille, c'est, je crois, la création du monde... Le soleil montera dans le ciel et elle descendra de son nénuphar... pour explorer la vie... voilà ! »
Cette belle séquence méritait d'être rapportée dan son intégralité, en dépit de sa longueur. On notera, une fois de plus, le savoir inconscient qui fait dire à Suzanne à propos de l'évocation de la chrysalide : « Mais elle est déjà faite ! » Curieusement, la nymphe est le nom donné à l'insecte parfait dans la dernière phase de sa transformation, juste avant son déploiement... ce qui renvoie au nymphéa.
Tous les rêves de nénuphars n'irradient pas cette lumière de renaissance ! Les pétales qui s'ouvrent et se referment, s'ils évoquent aussi à la rythmique acquise dans le sein maternel, apparaissent parfois comme une menace d'enfermement. Un patient produit une séquence dans laquelle les pétales de la fleur aquatique se transforment en pinces de crabe, et la grenouille en sorcière... Il est évident que l'inconscient utilise alors le nénuphar pour exprimer le rapport à la mère-terrible. Les développements qui précèdent concernent exclusivement la fleur du nénuphar. Il faut bien aussi porter l'attention sur les rêves de ceux qui ne voient de la plante aquatique que les longues tiges, à la fois souples et raides qui rendent au fond de l’eau un réseau que le patient ressent comme un piège mortel.
Presque toujours ces sombres vision se relient par quelque côté à l'image maternelle. Cette longue tige qui conduit la vie depuis le sein des eaux jusqu'à la surface où elle semble naître, est évocateur du cordon ombilical, d'un cordon nourricier qui représente aussi, pour le bébé, au moment de la naissance, une menace de strangulation.
Aux feuilles et aux tiges de nénuphars est associée en tout premier plan la grenouille. Cela paraît bien naturel, mais l'évidence de l'association de lieu ne doit pas masquer une particularité morphologique qui la renforce : les yeux exorbités du batracien, souvent exprimés par le rêveur. Ainsi Gilles : « ... j'aperçois une grenouille, aux yeux exorbités. C'est un étang mal entretenu... pas entretenu du tout même... les branches tombent bas sur l'eau... y a plein de nénuphars, de mousse, d'herbes dans le fond... »
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Lorsque l'on se rappelle que l’œil exorbité, l’œil projeté hors de l'orbite, mais qui reste relié par un fil est un image fréquemment expressive des sentiments ou angoisses de castration, la fleur de nénuphar qui s'ouvre et se ferme comme un œil surgi à l'extrémité de la longue tige, incite à un autre champ d'investigation.
Ces derniers aspects trouvant leur développement dans l'article consacré à l’œil, il suffisait d'attirer l'attention sur un axe de réflexion qu'il sera bon de ne pas négliger au moment de l'interprétation.
Le nénuphar du rêve sera donc regardé comme l'expression, soit de la capacité du patient à puiser jusque dans ses expériences névrotiques passées les ressources de son accomplissement spirituel, soit d'une forme de relation, positive ou conflictuelle à l'empreinte maternelle, soit encore d'un état psychologique qui reste alourdi de pesanteurs névrotiques, soit enfin d'une émergence de l'angoisse ou de sentiment de castration. Plusieurs de ces sens peuvent alimenter à a fois la dynamique qui a produit l'image du nénuphar.
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Littérature :
Promenade sentimentale
Le couchant dardait ses rayons suprêmes Et le vent berçait les nénuphars blêmes ; Les grands nénuphars entre les roseaux Tristement luisaient sur les calmes eaux. Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie Au long de l’étang, parmi la saulaie Où la brume vague évoquait un grand Fantôme laiteux se désespérant Et pleurant avec la voix des sarcelles Qui se rappelaient en battant des ailes Parmi la saulaie où j’errais tout seul Promenant ma plaie ; et l’épais linceul Des ténèbres vint noyer les suprêmes Rayons du couchant dans ses ondes blêmes Et les nénuphars, parmi les roseaux, Les grands nénuphars sur les calmes eaux.
Paul Verlaine, "Promenade sentimentale" in Poèmes saturniens, 1866.
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Dans Histoire et légendes des plantes utiles et curieuses (Librairie de Firmin Didot, Frères, Fils et Cie, 1871), J. Rambosson cite un poème de Barbey d'Aurevilly :
Insignifiant peut-être aux yeux du vulgaire, le nénuphar sait arrêter les regards du poëte ; il a inspiré à un de nos critiques les plus renommés de bien beaux vers. M. Barbey d'Aurevilly nous a permis d'extraire d'un écrin précieux, connu de quelques amis seulement, les charmantes strophes suivantes :
Nénuphars blancs, ô lis des eaux limpides,
Neige montant du fond de leur azur,
Qui, sommeillant sur vos tiges humides,
Avez besoin pour dormir d'un lit pur ;
Fleurs de pudeur, oui, vous êtes trop fières
Pour vous laisser cueillir. et vivre après ;
Nénuphars blancs, dormez sur vos rivières,
Je ne vous cueillerai jamais !
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Nénuphars blancs, fleurs des eaux engourdies,
Dont la blancheur fait froid aux cœurs ardents,
Qui vous plongez dans vos eaux détiédies,
Quand le soleil y luit ; nénuphars blancs,
Restez cachés aux anses des rivières,
Dans les brouillards, sous les saules épais.
Des fleurs de Dieu vous êtes les dernières !
Je ne vous cueillerai jamais !
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Nymphée
[...]
Affreuse nudité de l’homme dans l’orage La catastrophe arrive alors qu’il somnolait Ou que sans se presser il rentrait le fourrage Et sur le feu la femme oublie alors le lait
Lorsqu’un peuple s’enfuit devant l’envahisseur Il laisse sur ses pas les ruines de sa vie Une salle de bal à l’aube sans danseurs La table du repas qu’on n’a pas desservie
[...]
Rien ne peut altérer la chanson que je chante Même si quelqu’un d’autre avait à la chanter Une plainte étranglée en renaît plus touchante Quand l’écho la reprend avec fidélité
Le crime de rêver je consens qu’on l’instaure Si je rêve c’est bien de ce qu’on m’interdit Je plaiderai coupable Il me plaît d’avoir tort Aux yeux de la raison le rêve est un bandit
Je parle avec les mots des jours patibulaires Où le maître bâtit le temple qu’il lui plaît Et baptise raison dans son vocabulaire Le loisir d’à nos poings passer cabriolet Il faudrait rendre sens aux mots blasphématoires
Ceux qui ne pleurent pas pour une belle histoire
Refaire un cœur saignant à ceux qui n’en ont plus
Méritent-ils le ciel qui leur est dévolu
[...]
Louis Aragon, "Nymphée" in En français dans le texte, 1943.
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Dans le roman policier Nymphéas noirs (Éditions Presses de la Cité, 2010), Michel Bussi construit une intrigue mêlée d'histoire de l'art qui se passe à Giverny. C'est l'occasion de dépeindre les fameux nénuphars qui inspirèrent tant Monet.
"J'ai l'impression que le tableau est un peu décalé par rapport à la poutre. Je traverse lentement la salle. J'appuie sur le coin en bas à droite du cadre, pour le redresser légèrement.
Mes "Nymphéas".
En noir.
J'ai accroché le tableau à l'endroit exact où l'on ne peut l'apercevoir d'aucune fenêtre, si tant est que quelqu'un puisse voir par la fenêtre du quatrième étage d'une tourelle normande construite au milieu d'un moulin.
Mon antre...
Le tableau est pendu dans le coin le moins éclairé, dans un angle mort, c'est le cas de le dire. L'obscurité rend plus sinistres encore les taches sombres qui glissent sur l'eau grise.
Les fleurs du deuil.
Les plus triste qui aient jamais été peintes...
[...]
- Rien, sinon pouvoir peindre sa propre mort ! Les derniers mois de vie, Monet peignait des "Nymphéas" inachevés, l'égal des partitions du Requiem de Mozart, si vous comprenez ce que je veux dire... Des coups de pinceau affolés, une course contre la mort, contre la fatigue, contre la cécité. Des toiles hermétiques, douloureuses, torturées, comme si Monet avait plongé à l'intérieur de son cerveau. On a découvert des nymphéas jetés en urgence sur la toile de toutes les couleurs, rouge feu, bleu monochrome, vert cadavre... Rêves et cauchemars mêlés. Une seule couleur manquait...
Sylvio voudrait bafouiller une réponse. Rien ne sort. Il sent que l'enquête dérape, lui échappe.
- La couleur que Monet avait bannie à jamais de ses toiles. Celle qu'il se refusait à utiliser. L'absence de couleur, mais aussi l'union de toutes.
Un silence, Sylvio renonce à chercher à répondre, il griffonne nerveusement sur la page de son bloc.
- Le noir, inspecteur. Le noir ! On raconte que les derniers jours avant sa mot, début décembre 1926, quand Claude Monet a compris qu'il allait partir, il l'a peint.
- Qu... quoi ? bredouille Bénavides.
Guillotin soliloque, il n'écoute plus :
- Vous comprenez bien ce que je vous dis, inspecteur ? Monet a observé sa propre mort dans le reflet des nymphéas et il l'a immortalisée sur la toile. Les "Nymphéas". En noir !
Le stylo de Sylvio pend au bout de sa main, le long de sa jambe. Incapable, désormais, de prendre la moindre note.
- Qu'en dites-vous, inspecteur ? demande le conservateur dont l'exaltation retombe. Les "Nymphéas", en noir. Comme le dahlia...
- C'est... c'est une certitude, cette histoire de "Nymphéas en noir" ?
- Non. Bien sûr que non. Bien entendu, personne n'a jamais retrouvé cette toile, ces fameux "Nymphéas en noir"... Vous pensez, c'est une légende, simplement une légende..."
[...] Il regarde Fanette, occupée à peindre.
- Tiens, Vincent, Fanette, ça tombe bien, j'ai une devinette à propos des nénuphars. Vous savez, il paraît que les nénuphars doublent de surface chaque jour. Donc, vous m'écoutez, si on dit, par exemple, que les nénuphars mettent cent jours pour recouvrir tout un étang, combien de jours mettront les mêmes nénuphars pour recouvrir la moitié de l'étang ?
- Ben cinquante, répond aussitôt Vincent. Elle est con, ta devinette...
- Et toi, Fanette, tu dirais quoi ?
Je m'en fous, Camille, si tu savais comme je m'en fous.
- J'en sais rien. Cinquante. Pareil que Vincent...
Camille triomphe.
Si un jour il devient prof, je suis sûre qu'il sera le plus chiant du monde.
- J'étais certain que vous alliez tomber dans le piège ! La réponse, c'est pas cinquante, bien entendu, c'est quatre-vingt-dix-neuf...- Pourquoi ? demande Vincent.
- Cherche pas, glisse Camille d'un ton méprisant. Fanette, tu as compris, toi ?
Merde !
- Je peins...
Camille sautille d'une jambe à l'autre sur le pont japonais. De grosses taches de sueur inondent sa chemise sous ses bras.
- OK, OK. J'ai compris, tu peins. Juste une dernière devinette, une autre, et après je te laisse tranquille. Est-ce que vous savez quel est le nom latin des nymphéas ?
Lourd ! Lourd ! Lourd !
- Aucune idée ? Ni Vincent ni Fanette ne répondent. Ça ne dérange pas Camille, bien au contraire. Il arrache une feuille de glycine et la jette dans l'étang.
- Ben, c'est nymphea, banane. Mais avant, ça venait du grec, numphaia. Le nom français, c'est nénuphar. Et le nom anglais de nénuphar, vous le connaissez, le nom anglais ? Ça ne s'arrête jamais ? Camille n'attend même pas une réponse. Il fait mine de se pendre à la branche de glycine la plus proche, mais un craquement l'en dissuade.
- Waterlily ! déclame-t-il.
En plus, il est content de son coup. Il m'énerve, qu'est-ce qu'il m'énerve, celui-là aussi, même s'il faut ben reconnaître que waterlily, c'est très joli comme nom, beaucoup plus que nénuphar... mais je préfère nymphéa !
[...]
Je me tourne vers mes "Nymphéas" noirs. Maintenant, j'aime de plus en plus les observer ainsi, dans l'obscurité. Avec la pénombre de la pièce, l'eau figurée sur la toile semble presque disparaître, les rares reflets à la surface de l'étang s'estompent, on ne distingue plus que les fleurs jaunes des nénuphars dans la nuit, comme des étoiles perdues dans une galaxie lointaine.
[...]
Des "Nymphéas" en arc-en-ciel ! Pauvre petite Fanette.
Quelle dérision !
Je me retourne vers mes "Nymphéas" noirs. Les corolles jaunes luisent entre les teintes de deuil jetées par le pinceau d'un peintre désespéré.
Quelle vanité !
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Arts :
Pour en savoir plus sur Monet et sur les nymphéas.
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