Étymologie :
ORANGER, subst.
Étymol. et Hist. A. 1388 bot. orengier (doc. ds B. et H. Prost, Inventaires mobiliers et extraits des comptes des ducs de Bourgogne, t. 2, n°2721) ; spéc. a) 1552 fleurs d'orangiers au propre (Rabelais, Quart Livre, éd. R. Marichal, chap. 7, p. 57) ; 1826 couronne de fleurs d'oranger, symb. de la virginité (Hugo, Bug-Jargal, p. 212) ; b) 1796 eau de fleurs d'oranger (Napoléon Ier, Lettres Joséph., p. 27). B. 1694 marchand oranger (Arrêt du Conseil d'État in Lespinasse, Métiers de Paris, t. 1, p. 492 ds Fonds Barbier ; 1713 orangère (Hamilton, Grammont, p. 295 ds DG) ; 1803 oranger (Boiste). Dér. de orange*; suff. -(i)er*
ORANGE, subst. et adj.
Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1200 [ms. du xiiie s.] agn. pume orenge désigne l'orange amère ou bigarade (A. Neckam, Comment. sur le Cantique des cantiques, ms. Brit. Mus. ms. Royal 4 D XI, f°83 rocol. a d'apr. R. Loewe ds Arch. ling. t. 6, 1954, p. 124) ; 1314 pomme d'orenge (Henri de Mondeville, Chirurgie, éd. A. Bos, 1824) ; ca 1393 p. ell. orenge (Ménagier de Paris, éd. G. E. Brereton et J. M. Ferrier, p. 279, 12) ; b) 1515 orange « fruit de l'oranger » (M. Du Redouer, S'ensuyt le Nouveau monde et navigations [trad. de l'ital., lui-même trad. du port.], f°36 rods Arv., p. 370) ; 2. 1553 adj. « de couleur d'orange » (doc. ds A. Joubert, Hist. de la baronnie de Craon, p. 486). L'a. fr. pome (d') orenge serait un calque de l'a. ital. melarancio, -a (dep. le xive s., Boccace d'apr. DEI) comp. de mela « pomme » et de arancio « oranger » et « orange », ce dernier étant empr., avec déglutination, à l'ar. nārang(a), lui-même empr. au persan narang ; le o- du fr. mod. s'explique prob. par l'infl. du nom de la ville d'Orange, a. fr. Orenge (Bl.-W.2-5; v. aussi FEW t. 19, p. 139b), tandis que le -a- s'explique par celle de l'ital. arancia, orange étant d'abord att. dans une trad. de l'ital. (supra 1515; Arv., p. 370). Au Moy. Âge, le mot désignait l'orange amère, transmise par les Perses aux Arabes, qui l'importèrent en Sicile d'où elle passa au reste de l'Europe méditerranéenne. L'orange douce, apportée de Chine par les Portugais au xvie s., a évincé, en héritant de son nom, la variété amère. V. FEW, loc. cit.
Autres noms : Citrus sinensis - Arangé - Arangélié - Eyrondgié - Toronger -
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Botanique :
Dans Histoire et légendes des plantes utiles et curieuses (Librairie de Firmin Didot, Frères, Fils et Cie, 1871), J. Rambosson poursuit la tradition du sélam à la mode au XIXe siècle :
L'ORANGER. Sa description ; ses propriétés ; essences et liqueurs qu'on en retire ; ses symbolismes : orangeries ; histoire de l'oranger Grand-Connétable ; les orangers des châteaux impériaux.
L'oranger est un arbre élégant, à cime arrondie, à rameaux anguleux, à feuilles toujours vertes, à fleurs blanches, d'une odeur suave bien connue, et dont toutes parties sont criblées de petites glandes, qui sécrètent une huile volatile très aromatique, nommée huile de Néroli.
On extrait cette essence des pétales, soit par la distillation avec de l'eau, soit par la macération dans une huile grasse ; elle est si forte qu'une petite goutte suffit pour aromatiser une grande quantité d'eau, qui prend le nom d'eau de fleurs d'oranger.
Les fruits verts de l'oranger sont très amers, et servent à la fabrication de diverses liqueurs ; on les confit, et on les vend sous le nom de chinois.
L'orange mûre est d'un superbe jaune d'or : c'est un des plus beaux fruits que l'on connaisse ; il fait l'objet d'un commerce considérable dans le midi de l'Europe.
Les meilleures oranges viennent des îles Açores, de Malte, du Portugal, du royaume de Naples, de Sicile, des îles Baléares. Depuis plusieurs années on en expédie de grandes quantités d'Algérie, notamment de Blidah.
Bien que la maturité de l'orange puisse s'effectuer dans le cours d'une saison, il arrive souvent, surtout dans les climats tempérés, comme le midi de la France, qu'on laisse le fruit sur l'arbre pendant deux étés, afin qu'il acquière plus de suavité.
L'orange bien mûre est très rafraîchissante ; elle se sert sur nos tables. Son écorce fraîche entre dans la composition de certaines liqueurs, notamment du curaçao; on la confit également au sucre. C'est de l'écorce que l'on extrait l'essence de Portugal et l'huile volatile d'orange, dont on fait usage pour la toilette.
Le suc de l'orange, mêlé à l'eau et au sucre dans des proportions convenables, constitue une boisson rafraîchissante, que l'on nomme orangeade, très utile dans certaines maladies inflammatoires ; comme la limonade, l'orangeade peut se préparer, soit à froid, soit à chaud.
Tout le monde connaît les propriétés antispasmodiques de l'eau de fleurs d'oranger et ses usages. Les feuilles de cet arbre sont également antispasmodiques et un peu toniques ; on les associe ordinairement aux fleurs du tilleul.
La blancheur éclatante de la fleur de l'oranger et la suavité de ses parfums en ont fait le symbole de la douceur et de la virginité, et lui ont donné le privilège de former le bouquet des jeunes mariées.
La culture en caisse des orangers, dans les pays froids ou tempérés, exige qu'on leur fasse passer six mois de l'année dans des serres où l'on entretient une température de 7 à 8 degrés centigrades, et que l'on n'ouvre que pour renouveler l'air pendant les beaux jours.
On a construit pour cela, dans les grands palais, notamment au Luxembourg, aux Tuileries et à Versailles, de vastes salles nommées orangeries ; on en sort les orangers vers le 15 mai et on les rentre dans le mois d'octobre.
Les orangers que l'on y conserve exigent, s'ils sont très touffus, des arrosages copieux tous les quinze jours, tandis que ceux qui ont peu de feuilles n'en demandent que tous les mois. En plein air, on arrose tous les quatre jours avec de l'eau qui a été exposée au soleil.
Cet arbre a été connu de toute antiquité. On le croit originaire de l'Inde, d'où il aurait été importé en Arabie, puis en Palestine, en Égypte et dans les contrées barbaresques ; c'est là que les poëtes anciens plaçaient le jardin des Hespérides ; ils y faisaient mûrir les oranges, qu'ils appelaient pommes d'or, et en confiaient la garde à un dragon redoutable.
L'oranger ne fut introduit en Sicile qu'au commencement du onzième siècle ; les croisés le répandirent en Italie et même en Provence, à Hyères, entre autres localités. A cette époque, les Arabes l'avaient déjà importé en Espagne. Au commencement du seizième siècle il n'en existait encore dans le nord de la France qu'un seul pied: c'est le magnifique oranger que l'on admire dans l'orangerie du palais de Versailles, et qui est connu sous les noms de Grand-Connétable, de François Ier, et de Grand-Bourbon ; il a plus de quatre cents ans.
Il provient de quelques pepins d'une orange amère semés dans un pot, en 1422, par Éléonore de Castille, femme de Charles 111, roi de Navarre; il a donc aujourd'hui quatre cent quarante-six ans ; il mesure un mètre et demi de circonférence.
Les orangers qui en naquirent furent ensuite conservés dans une même caisse jusqu'en 1499, à Pampelune. Après être passés en différentes mains comme des objets rares et précieux, ils devinrent la propriété du connétable de Bourbon, qui les fit placer dans son château de Chantelle, situé dans le Bourbonnais.
Les biens meubles et immeubles du connétable ayant été confisqués en 1522, ces orangers vinrent décorer le palais de Fontainebleau, que François Ier avait fait restaurer et agrandir. Lorsque Louis XIV eut achevé Versailles et fait construire sa magnifique orangerie, il donna ordre que tous les orangers existant dans les résidences royales y fussent apportés. C'est à cette époque, c'est-à-dire en 1684, plus de deux siècles et demi après leur naissance, que les orangers de Pampelune y furent transférés. Le Grand-Connélable, que l'on peut considérer comme le doyen de tous ces arbres, est toujours très vivace et ne paraît avoir nullement ressenti les atteintes de la vieillesse.
Les orangers placés dans le jardin des Tuileries sont au nombre de deux cents environ. On en compte cent quarante-six grands, qui ont toujours appartenu aux orangeries de la couronne. Ils ont deux cent cinquante ans, et même quelques-uns trois cents ans d'existence, et ont successivement décoré les jardins de Fontainebleau, de Meudon et de Versailles. Le plus grand nombre, parmi eux, ne sont aux Tuileries que depuis 1798. Auparavant ils appartenaient à l'orangerie de Versailles. C'est à cette résidence qu'on est allé en prendre au fur et à mesure pour remplacer ceux qui étaient malades, et avoir toujours le nombre d'arbres exigé pour l'ornementation du jardin des Tuileries.
Quant aux cinquante petits orangers de ce jardin, ils sont à peine centenaires, et ont été élevés dans les serres de Versailles et de Meudon.
Tous les fruits de l'Europe méridionale et la plupart de ceux de la zone tropicale prospèrent en Algérie. Parmi ces fruits, celui qui jouit de la plus grande réputation est l'oranger. Cet arbre croît sur tous les points de la colonie qui n'ont pas plus de 600 mètres d'altitude, surtout dans les lieux abrités ; il y acquiert les qualités les plus parfaites de goût et d'arome pour peu qu'il soit convenablement cultivé.
La culture des oranges comprend, outre le fruit de ce nom, le citron, dont le limon est une variété ; le cédrat, la pamplemousse, le poncire.. Parmi les oranges on compte de nombreuses variétés, dont les plus communes sont : le portugal, le chinois, la mandarine, dont l'introduction est récente, mais qui s'est déjà largement multipliée ; la bigarade, orange amère essentiellement propre à faire de l'eau de fleur d'oranger ; la bergamote, la mélarose, etc.
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Vertus médicinales :
A. B., auteur discret de Les Vertus des plantes - 918 espèces (Tours, 1906) recense les propriétés thérapeutiques d'un grand nombre de plantes :
Oranger. Aurantium dulci medulla vulgare. (F. 40 grammes par litre).
Citronnier. Citreum Bulgare.
Citronnier. Limonier.
VERTUS : On ne peut un cordial plus usité et meilleur que les fleurs et les feuilles d'oranger ou de citronnier, les huiles qu'on en tire sont de très bons stomachiques, cordiaux, carminatifs, alexitères, emménagogues et antispasmodiques ; l'écorce du fruit, confite, est un fort bon cordial et stomachique à dessert pour les convalescents ; le suc de citron ou d'orange est excellent pour rafraîchir dans les fièvres ardentes et malignes, il désaltère et calme l'effervescence de la bile, on s'en sert aussi dons les cas de crainte de pourriture, comme le Scorbut dons lequel il est exclusivement employé ; la semence est vermifuge et entre dans la poudre contre les vers. On arrête un rhume de cerveau en aspirant le suc de citron par le nez ; le sel mis fondre dans un citron et se laver les mains et le visage fait disparaître le halo. On fait ainsi la limonade : 15 grammes d'acide citrique, eau 1 litre, sucre ce que l'on veut de douceur ; depuis une demi-cuillerée à café de bicarbonate de soude (sel de Vichy) selon ce que l'on veut la limonade gazeuse, ne faire que très peu de cette limonade d'un coup pour n'avoir pas besoin de boucher et ficeler la bouteille, car sitôt le bicarbonate mis, il se produit une effervescence que précisément on recherche et qui disparaît en quelques secondes. Ordinairement lorsque l'on vont faire une bouteille d'eau de Vichy on met 5 grammes de ce sel par litre.
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Symbolisme :
Louise Cortambert et Louis-Aimé. Martin, auteurs de Le langage des fleurs. (Société belge de librairie, 1842) évoquent rapidement le symbolisme de l'oranger :
FLEURS D'ORANGER - CHASTETÉ.
Les nouvelles mariées portent un chapeau de fleurs d'oranger. Autrefois une fille déshonorée, le jour de ses noces, était privée de cet ornement ; cet usage existe encore aux environs de Paris.
ORANGER - GÉNÉROSITÉ.
L'Oranger est toujours couvert de fleurs, de fruits et de verdure ; c'est un ami généreux qui sans cesse nous prodigue ses biens.
Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :
Fleurs d’oranger - Chasteté.
A cause de la blancheur et de la bonne odeur de sa fleur.
Oranger - Générosité.
L’oranger donne constamment et à la fois des feuilles, des fleurs et des fruits.
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Dans son Traité du langage symbolique, emblématique et religieux des Fleurs (Paris, 1855), l'abbé Casimir Magnat propose une version catholique des équivalences symboliques entre plantes et sentiments :
FLEUR D'ORANGER - CHASTETÉ.
Celui qui a trouvé une femme vertueuse a trouvé un trésor ; il a reçu du Seigneur une sorte de félicité.
Proverbes. XVIII, 22.
Faites mourir les membres de l'homme terrestre qui est en vous, la fornication, l'impureté, les passions deshonnêtes, les mauvais désirs..... Ce sont des crimes qui attirent la colère de Dieu sur les enfants d'incrédulité.
Coloss. III, 2-5.
Les fleurs de l'oranger sont entièrement blanches, courtement pédonculées et réunies de deux à six ensemble dans les aisselles des feuilles. Elles ont un parfum très agréable et très pénétrant et fournissent par la distillation une liqueur très connue qui porte le nom de fleur d'oranger et dont on fait grand usage comme anti-spasmodique, cordial et céphalique. Cette même eau est d'un usage très fréquent pour aromatiser beaucoup de préparations médicamenteuses, et son parfum qui plaît à tout le monde, fait que les pâtissiers, les confiseurs et autres s'en servent journellement pour donner un goût agréable à certains mets, à plusieurs pâtisseries ou à diverses préparations de sucre. Les fleurs de l'oranger sont encore employées pour faire des ratafiats, des liqueurs de table et les pharmaciens en préparent une conserve particulière. La blancheur des beaux boutons de l'oranger, la suavité de ses parfums, font du bouquet de fleurs de cet arbuste l'emblème virginal de la jeune fiancée que l'on mène au temple.
DE LA CHASTETÉ.
La chasteté est un sentiment honnête qui fait qu'on s'abstient des plaisirs de la chair hors les cas légitimes ; or ce sentiment est une vertu et cette vertu est une puissance qui donne à l'homme la faculté de dompter ses appétits sensuels, une puissance qui l'épure et qui le tient dans le respect sacré que la philosophie et la religion lui prescrivent d'avoir pour la femme.
Nous venons de dire que la chasteté épure l'homme et le tient dans le respect que la philosophie et la religion lui imposent, et cela afin de faire remarquer que les lois morales et les lois religieuses ne sont pas également étroites . Ainsi, tandis que l'une se borne à prescrire des règles à l'usage des plaisirs charnels, l'autre allant beaucoup plus loin , veut qu'un regard , une parole, un geste même mal intentionnés flétrissent la chasteté chrétienne.
La chasteté est une vertu qui doit être pratiquée par tout le monde, sans exception, aussi peut-on dire qu'elle est de tous les temps, de tous les âges et de tous les états ; les personnes du sexe doivent surtout se prémunir contre elle à cause de leur faiblesse, et heureuses celles qui auront toujours remporté la victoire. Telle fut Livie femme de Tibère, belle parmi les belles et d'une sagesse surpassant sa beauté ; aussi est-elle toujours citée comme ayant uniquement aimé son mari et comme le plus parfait modèle d'une grande chasteté et d'une haute vertu. Dias raconte qu'un jour des hommes nus s'étant trouvés par hasard ou autrement devant elle, le sénat était sur le point de les condamner ; mais Livie s'y opposa, disant que les hommes nus sont des statues pour des femmes chastes. Cette sentence est sans doute philosophique et même plus philosophique que chrétienne; aussi, tout admirable que ce langage puisse être pour le philosophe, nous préférons le naïf et le sublime des expressions dont se servit Suzanne pour résister aux vieillards qui l'avaient surprise au bain. Ayant les larmes aux yeux et Dieu dans le cœur, dit Daniel, elle leur répondit en ces termes : « Je ne vois que maux de toutes parts ; car si je me livre à ce que vous voulez de moi, je suis coupable ; et si je ne le fais pas, je n'échapperai point de vos mains... Mais j'aime mieux tomber entre vos mains étant innocente que de commettre un péché devant Dieu qui me voit. »
Voilà qu'elle fut dans les temps antiques l'idée de la chasteté. Ce sentiment était également poussé fort loin dans la Chine et c'est pour ne pas manquer à ses lois que les femmes ne convolaient jamais à de secondes noces . On ne saurait, du reste, attacher trop d'honneur et de gloire à la chasteté des femmes ; car sans ce frein, combien qui peut être pousseraient bien plus loin la licence que les hommes.
Mais ce n'est pas seulement à ce point de vue que la chasteté mérite nos hommages et si elle a de grands et réels avantages à offrir aux jeunes personnes et à toutes les femmes, la modération dans les plaisirs a non moins davantages pour les hommes. Elle est nécessairement indispensable d'abord à l'homme qui veut se conserver longtemps dans la fleur de l'âge, et qui aspire surtout à briller dans la carrière des beaux-arts. Ainsi toute grande œuvre intellectuelle exige dans sa génération la continence des plaisirs charnels. Ainsi d'après le chancelier Bacon de Véruland, aucun des grands génies de l'antiquité n'a été très adonné aux femmes, et tout le monde sait qu'un des plus grands physiciens dont s'honore l'Angleterre est mort vierge à l'âge de quatre-vingt-quatre ans. Ainsi encore, suivant la remarque d'Arétée de Cappadoce, la continence imprime une tension et une vigueur extrême à toutes les constitutions, excite le cerveau et exalte la faculté de penser. De là viennent aussi le courage, la magnanimité et la force du corps. Ce qui explique pourquoi les athlètes vivaient dans le célibat et pourquoi le législateur hébreu défendait aux hommes les plaisirs permis lorsqu'ils devaient aller à la guerre. La chasteté n'est donc pas seulement nécessaire pour conserver au corps sa force et sa vigueur, mais encore pour conserver au cerveau toute l'activité qui lui est nécessaire.
Nous avons dit plus haut que les femmes devaient, à cause de leur faiblesse, se prémunir contre la chasteté. C'est pour les y encourager que nous allons citer les deux exemples suivant. Nous lisons dans l'histoire de France que dans le sac de Toscanelle, on présenta à Charles VIII une jeune fille d'une rare beauté. Après avoir inutilement épuisé auprès d'elle toutes les flatteries que la galanterie lui suggérait, il était près d'user violemment du droit de vainqueur, lorsque la jeune personne, apercevant un tableau de la vierge, se jette aux pieds du roi en fondant en larmes et s'écrie : « Au nom de celle qui par sa pureté a mérité d'être la mère de Dieu , ò roi, sauvez moi, sauvez mon honneur ! » Frappé par cette invocation inattendue il la relève et la rend intacte à ses parents.
Le second exemple est tiré des annales de l'Eglise. Dans les premiers siècles du christianisme, il y avait en Egypte une esclave d'une rare beauté, nommée Potamienne. Son maître, devenu amoureux d'elle, voulut d'abord la séduire et ensuite la ravir de force ; repoussé par la vertueuse fille, il la livra au préfet d'Aquila comme chrétienne. Le préfet invita Potamienne à céder aux désirs de son maitre. Sur son refus il la condamna à être plongée dans une chaudière bouillante et la menaça de la faire violer par des gladiateurs. Potamienne dit : « Par la vie de l'Empereur, je vous supplie de ne pas me dépouiller et de ne pas m'exposer nue, que l'on me descende peu à peu dans la chaudière avec mes habits.)
A ceux qui trouveraient cet exemple moins concluant que le premier, nous leur ferons remarquer que la faveur accordée à Pota mienne est immense, puisqu'à l'époque où cette esclave fut plongée dans la chaudière où elle devait mourir, les vertus, conséquences nécessaires du premier christianisme, faisaient haïr ceux qui les pratiquaient, puisqu'elles étaient un reproche aux vices opposés. En ces temps de barbarie, un mari chassait sa femme devenue sage, parce qu'elle était devenue chrétienne. Un père désavouait un fils autrefois prodigue et volontaire, transformé par le changement de religion en enfant soumis et ordonné. Ainsi en cédant aux désirs de la jeune fille, le préfet d'Aquila rendait un hommage éclatant à ces vertus. Elle obtenait donc un véritable triomphe : un triomphe plus grand, peut-être, qu'obtenait sur Charles VIII la jeune fille qu'on lui avait livrée.
La conclusion que nous devons tirer de tout ce que nous venons de dire c'est que nous devons tous pratiquer la chasteté. Il est vrai qu'elle est difficile à observer, mais sachons bien que plus une vertu est difficile, plus il y a de mérite à la pratiquer. Redisons-le surtout très souvent aux jeunes personnes, afin qu'elles n'ignorent pas que la pureté de l'âme et de la conduite est la première gloire des femmes, et, soyons en certains, elles désireront toutes la conserver.
Et pourquoi ne le voudraient-elles pas, si elles sentent qu'il n'est rien de plus beau que de voir toute la terre à ses pieds et de triompher alors de soi-même, de s'élever dans son propre cœur un trône auquel tout viendra rendre hommage.
Pourquoi ne le voudraient-elles pas, si elles sont averties que les sentiments tendres et jaloux, mais toujours respectueux, l'estime universelle et la leur propre, payeront sans cesse en tribu et en gloire les combats de quelques instants ? Pourquoi ne le voudraient-elles pas enfin, lorsque, si les privations sont passagères, le prix en est permanent : lorsqu'il n'y a pas de jouissance plus délicieuse pour une âme chaste que l'orgueil de la vertu unie à la beauté.
RÉFLEXION.
La vaillance est donnée aux hommes et la chasteté aux femmes pour leurs vertus principales , comme les plus difficiles à pratiquer : quand ces vertus n'ont pas le tempérament ou la grâce qui les soutient, elles deviennent bien faibles, et on les sacrifie bientôt à l'amour de la vie et des plaisirs.
(Mme DE LA SABLIÈRE.)
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Selon Pierre Zaccone, auteur de Nouveau langage des fleurs avec la nomenclature des sentiments dont chaque fleur est le symbole et leur emploi pour l'expression des pensées (Éditeur L. Hachette, 1856) :
ORANGER - VIRGINITÉ - GÉNÉROSITÉ.
Grand arbrisseau, importé de la Chine au commence ment du XVe siècle. Tous les poëtes l'ont chanté ; c'est un des plus beaux arbres de la création. Il fut célèbre dans l'antiquité. - Les fameuses pommes d'or qu’Hyppomène lança dans l'arène pour vaincre la belle Atalante à la course, étaient de splendides oranges dérobées au jardin des Hespérides.
Tel l'or pur étincelle au milieu des métaux,
Tel brille l'oranger parmi les arbrisseaux.
Seul, dans chaque saison, il offre l'assemblage
De fruits naissants et mûrs, de fleurs et de feuillage.
Ni l'ambre que la mer épure dans ses flots,
Ni le myrte qu’amour apporta de Paphos,
Ni le souffle charmant de l'aube matinale,
Ne sauraient approcher du parfum qu'il exhale. CASTEL.
Oranger, dont la voûte épaisse
Servit à cacher nos amours,
Reçois et conserve toujours
Ces vers, enfants de ma tendresse ;
Et dis à ceux qu'un doux loisir
Amènera dans ce bocage,
Que si l'on mourait de plaisir,
Je serais mort sous ton ombrage. PARNY.
Oranger, arbre que j'adore,
Que vos parfums me semblent doux !
Est-il, dans l'empire de Flore,
Rien d'agréable comme vous ? LA FONTAINE.
A la fleur d'oranger, appartient le doux privilège de former le bouquet des jeunes mariées.
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Emma Faucon, dans Le Langage des fleurs (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) s'inspire de ses prédécesseurs pour proposer le symbolisme des plantes qu'elle étudie :
Oranger - Générosité.
Cet arbre est magnifique : son feuillage est toujours vert, ses fleurs d'un blanc éclatant, et il est constamment chargé de feuilles, de fleurs et de fruits qu'il produit avec profusion.
L'oranger, revêtu de brillantes couleur,
S'y couronne à la fois et de fruits et de fleurs. ROUCHER.
Orangers, arbres que j'adore
Que vos parfums me semblent doux !
Est-il dans l'empire de Flore
Rien d'agréable comme vous ! LA FONTAINE.
Dans son Nouveau Langage des fruits et des fleurs (Benardin-Béchet, Libraire-Éditeur, 1872) Mademoiselle Clémentine Vatteau poursuit la tradition du Sélam :
ORANGER : Générosité.
J'admire l'Oranger comme un sublime don
Que le ciel inventa dans sa miséricorde,
Comme un de ces bienfaits que sa clémence accorde
A l'homme en signe de pardon.
De l'utile et du doux c'est l'union féconde ;
C'est le consolateur et l'ornement du monde. Anatole DE MONTESQUIOU.
La fleur d'oranger
Fleur d'oranger, fleur d'innocence,
Touffe neigeuse et fruit doré,
De moi, dans sa toute-puissance,
Dieu fit un symbole sacré.
Aussi de mes rameaux sans tache,
Sur son front pur tout en tremblant,
La jeune fiancée attache
Son voile blanc. L. LALUYÉ.
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Jacques Brosse dans La Magie des plantes (Éditions Hachette, 1979) consacre dans sa "Flore magique" un article à l'orange :
Contrairement à ce que l'on croit souvent et à ce que l'on a même écrit naguère, les « pommes d'or » du jardin des Hespérides n'étaient certainement pas des oranges, mais, en sens contraire, le mythe grec des « fruits d'immortalité » a largement contribué au prestige dont jouirent à leur introduction en Europe ces agrumes. Comme la pêche et l'abricot, l'orange nous est venue de Chine, où la culture de l'oranger est mentionnée par des textes du IIe siècle avant J. C. comme fort ancienne, mais, alors que le pêcher et l'abricotier étaient déjà cultivés par les Romains, l'oranger n'est apparu en Europe qu'aux environs de l'an mille, époque où il fut introduit en Espagne par les Arabes. Il s'agissait d'ailleurs de l'oranger amer ou bigaradier (Citrus bigaradia) [...]
Est-ce à son action calmante que la fleur d’oranger doit d’avoir remplacé, dans la confection des couronnes de mariées, celle - qui d'ailleurs lui ressemble - du myrte consacré à Aphrodite ? Probablement pas, mais plus vraisemblablement parce que son parfum symbolisait la pureté et l'innocence supposées de la jeune fille ; et également parce qu'elle promettait pour l'avenir riche prospérité, l'orange opulente étant par la présence de ses nombreux pépins considérée comme un symbole de fécondité. En Chine ancienne, l'offrande d'oranges à une jeune fille correspondait une demande en mariage ; au Viêt-nam, autrefois, on faisait souvent présent d'oranges aux jeunes couples.
Mais l'oranger dont nous consommons les fruits, l'oranger doux (Citrus sinensis) n'est parvenu en Europe que beaucoup plus tard. Les navigateurs portugais le rapportèrent de Chine dès leurs premiers voyages en Extrême-Orient, au début du XVIe siècle. Dans la seconde édition des Nouveaux mémoires sur l'état présent de la Chine, le père Louis Le Comte, jésuite qui vécut longtemps en Chine, écrit en 1697 : « On les nomme en France oranges de Chine, parce que celles que nous vîmes pour la première fois en avaient été apportées. Le premier et unique oranger, duquel on dit qu'elles sont toutes venues, se conserve encore à Lisbonne dans la maison du comte de Saint-Laurent ; et c'est aux Portugais que nous sommes redevables d'un si excellent fruit. » En effet, aujourd'hui encore, les oranges s'appellent portogalea en Grèce, portogallotti en Piémont et portokale en Albanie. Il se trouve que le Portugal est la région la plus occidentale de l'Europe et que c'est au couchant, à l'extrême occident, là où commençait l'autre monde, celui des morts, que le mythe grec situait le jardin des Hespérides, gardé par Atlas, et l'exploit d'Héraclès qui réussit à s'emparer des trois pommes d'or, grâce auxquelles il devait finalement conquérir l'immortalité, fut commémoré par les colonnes d'Héraclès ou d'Hercule, c'est-à-dire le détroit de Gibraltar. Qu'elles fussent d'or s'expliquait fort bien par le fait que ces pommes représentaient la rencontre du soleil couchant avec la lune à qui les derniers rayons de celui-ci donnent en effet une couleur orangée. L'assimilation des oranges aux pommes d'or n'était donc pas tout à fait fortuite, bien que les premières soient venues de l'Extrême-Orient.
Du Portugal, l'oranger doux aurait gagné l'Espagne, puis l'Italie et l'Europe méridionale mais parallèlement les Arabes qui connurent la nouvelle espèce dès le Moyen Âge l'avaient introduite en Espagne et dans le nord de l'Afrique au XIVe siècle. le mot espagnol naranja n'est autre que l'arabe nârand qui, lui-même d'origine persane, provient de nagraga, nom que l’on donnait à l'oranger en Inde, ce qui montre bien le trajet que suivit l'oranger dans son expansion d'est en ouest.
Quant aux français « orange », devenu courant seulement au XVIe siècle, ce serait, selon les linguistes, une adaptation de l'italien ancien melanracia, où se trouvent combinés mela, la pomme et arancia. Il correspondrait donc au mot qui a précédé orange en notre langue, pomme d'orange, apparu dès 1300, désignant peut-être les premières oranges amères venues d’Italie et utilisées par les apothicaires, mais l'on peut se demander si nos ancêtres n'entendaient par or et ange dans le nom de ce fruit rare et mystérieux, qui semblait venu du ciel comme les pommes d'or du jardin des Hespérides. Si orange ne fut employé communément qu'à partir du XVIe siècle, c'est que commençait alors à se répandre dans le midi de la France la culture des orangers qi émerveilla en 1564 Catherine de Médicis, lorsqu'elle visita la Provence avec son fils Charles IX. Dans le même temps, les oranges parvenaient par pleins navires depuis le Portugal jusque dans les ports normands, leur abondance y étant telle qu'elles y étaient vendues à bas prix.
Pourtant, en dehors de quelque régions privilégiées, ces fruits demeurèrent longtemps rares et chers en France ; l'orange au siècle dernier était encore un cadeau apprécié. Ce n'est qu'avec le développement des transports internationaux que la consommation des oranges se vulgarisa, la diversité des provenances - les oranges que l'on trouve actuellement viennent surtout d'Espagne et d'Amérique du Nord, mais aussi de Californie - permettant d’en manger pratiquement pendant toute l'année. Mais le grand succès des oranges leur vint d'une part de l'extension de l'industrie des jus de fruits, d'autre part des vertus que la diététique leur reconnut, en tant que réserves de vitamines, principalement de vitamines C, précieuses particulièrement en hiver. Ce n’était d'ailleurs là qu'une redécouverte ; au XVIIe siècle, la célèbre Ninon de Lenclos prétendait devoir son inaltérable jeunesse à la consommation quotidienne d'oranges.
L'oranger doux (Citrus sinensis) n'a pas été retrouvé à l'état spontané, aussi s'agit-il probablement d'une forme sélectionnée et profondément modifiée par les soins patients de ces extraordinaires arboriculteurs que furent les Chinois. mais ceux-ci, à la différence des modernes, eurent la sagesse de laisser subsister et même de cultiver la variété sauvage, l'oranger amer, si utile et comme essence médicinale et comme producteur de parfum, à côté du cultivar qui n'a pas, lui, ces propriétés, mais donne des fruits hautement comestibles.
Les oranges, comme chacun sait, possèdent une structure tout à fait particulière, propre aux agrumes. Leurs tranches, ou quartiers, sont constituées de groupes de cellules géantes longues de plusieurs centimètres, qui sont des poils transformés, devenus pulpeux. Ces poils naissent de la partie interne et blanche de l'écorce. Celle-ci, le zeste, colorée en jaune orangé vers le dehors, contient des poches vésiculeuses où s'accumule l'huile essentielle et qui font saillie à la surface du fruit.
Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, auteurs du Dictionnaire des symboles (1ère édition, 1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982),
"L'orange est, comme tous les fruits à nombreux pépins, un symbole de fécondité. Au Viêt-Nam, on faisait autrefois présent d'oranges aux jeunes couples.
Dans la Chine ancienne, probablement pour la même raison, l'offrande d'oranges aux jeunes filles signifiaient une demande en mariage."
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Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), l'Oranger (Citrus sinensis) a les caractéristiques suivantes :
Genre : Masculin
Planète : Soleil
Élément : Feu
Pouvoirs : Divination ; Chance ; Amour.
À Ninive, un Oranger sacré avait son tronc incrusté d'émeraudes et autres pierreries. Il poussait dans une caisse et on le promenait à l'occasion de certaines fêtes, sur une nef d'or portée par quatre-vingt un prêtres-magiciens fardés et habillés en femmes; des adolescentes en tunique blanche suivaient en dansant. La légende veut qu'Alexandre le Grand, entendant parler de ce rite, se soit détourné de sa campagne dans le désert pour venir y assister. Il aurait alors rendu hommage au Baal de l'Oranger, le priant de lui accorder l'empire du monde. Cet arbre fruitier a été connu en Orient de toute .antiquité. On le croit originaire de Perse, d'où il aurait été importé en Égypte, puis dans toute l'Afrique du Nord. C'est dans les « contrées barbaresques » que les poètes plaçaient le jardin des Hespérides. Ils y faisaient mûrir d'extraordinaires oranges appelées pommes d'or. Un dragon redoutable était chargé de les garder. Les Européens connurent d'abord l'Oranger amer. C'est seulement au XV e siècle que les Maures introduisirent l'orange douce jusqu'au Maroc et en Espagne.
Utilisation rituelle : Au Turkestan, si l'épouse n'était pas vierge, l'époux la renvoyait après lui avoir coupé le nez et les oreilles ; si elle était vierge, l'époux envoyait les preuves de la virginité aux parents et, en signe de réjouissance, on faisait des festins pendant trois jours. À ces festins, on engageait des musiciens, des troubadours, et l'on apportait sur un plat rond un petit Oranger aux branches chargées de fruits. Les invités essayaient d'en cueillir un sans que le mari s'en aperçût; s'ils y parvenaient, le mari devait racheter ce fruit par un gage, un cadeau au gagnant ; mais si le convive était pris sur le fait par le mari, il lui payait cent fois la valeur de l'orange.
Utilisation magique : Les pépins, séchés et broyés, entrent dans les sachets d'amour. Les fleurs d'Oranger sont un symbole sexuel féminin. En Andalousie, seules les prostituées osaient se lotionner le corps avec de l'eau de fleur d'Oranger. Dans le roman de Pierre Louÿs, la Femme et le pantin, don Mateo raconte ainsi sa rencontre avec la séductrice qui allait faire son malheur : Elle dansait toujours, haletante, échauffée, la face pourpre et les seins fous, en secouant à chaque main des castagnettes assourdissantes. Je suis certain qu'elle m'avait vu, mais elle ne me regardait pas. Elle achevait son bolero dans un mouvement de passion furieuse, et les provocations de sa jambe et de son torse- visaient quelqu'un au hasard dans la foule des spectateurs.
« Brusquement elle s'arrêta au milieu d'une grande clameur.
- ¡ Qué guapa !, criaient les hommes. ¡ Olé ! ¡ hiquilla ! Olé ! ¡ Olé ! ¡ Otra vez !
« Et les chapeaux volaient sur la scène. Elle saluait, encore essouffiée, avec un petit sourire de triomphe et de mépris, toute nimbée du parfum honteux d'Oranger. »
Le zeste, séché, entre souvent dans les parfums à brûler destinés à la fécondité.
De très nombreux rituels de divination utilisent les pépins d'une orange.
Une infusion de peau d'orange est, dit-on, souveraine contre les lendemains difficiles qui font souvent suite aux libations.
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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :
L'orange, consacrée à Vénus, favorise l'amour, et, comme elle libère un « parfum vénusien », propice aux affaires de cœur, elle peut servir compléter un envoûtement d'amour. Symbole de fécondité parce qu'elle a de nombreux pépins, l'orange représente aussi la pureté, la virginité et la sagesse. On comprend dès lors le rôle des fleurs d'oranger dans les mariages : tout en se portant garante de la bonne moralité de la mariée, elle lui assure une progéniture et place le jeune coupe sous sa protection. Ces croyances expliquent également un ancien usage des Vietnamiens qui offraient des oranges aux nouveaux mariés. Même en dehors des époux légitimes, ce fruit porte bonheur lorsqu'il est échangé entre un homme et une femme.
Selon une superstition des Alpes Maritimes, et surtout de la région de Vence, faire brûler des feuilles sèches d'oranger avec des peaux de serpents protège des maléfices. Contre les hémorragies utérines, il faut avaler plusieurs fois par jour les écorces de sept oranges qui ont été cuites dans de l'eau.
Parallèlement l'orange bénéfique peut se transformer en une arme redoutable. Un auteur dévoile le secret de « l'orange maudite » :
Prenez une belle orange. Piquez-en l'écorce, profondément, avec sept épingles, en pensant naturellement à la personne sur laquelle vous désirez agir, en précisant les maux que vous voulez qu'elle ressente. Lorsque vous avez suffisamment « travaillé » votre orange, allez l'enfouir profondément dans un lieu peu fréquenté, de préférence sous un buisson. Il est en effet indispensable, pour la réussite de l'opération, que nul autre que vous-même ne sache où vous l'avez enfouie. Au fur et à mesure que l'orange se décompose et se désagrège, la personne désignée voit sa vitalité diminuer. Cette pratique, utilisée dans le sud de la France, m'a été rapportée par ne jeune femme dont l'un des membres de sa famille a été victime de ce sort. Le sort a été levé par un initié et la personne rendue malade par cet envoûtement de haine a recouvré la santé.
Paul Sébillot, au siècle dernier, avait relevé en Sicile un procédé analogue, à ceci près qu'il fallait agir « au moment précis de l'élévation à la messe de minuit », et dire à chaque épingle enfoncée dans le fruit (dont le nombre n'est pas précisé) : « Autant d'épingles j'enfonce dans cette orange, autant de douleurs aiguës, puissent accabler N, autant de maux puissent s'abattre sur N. » L'orange était ensuite jetée « dans un puits, dans une citerne ou dans un égout », en bref, dans un endroit où il serait difficile de la retrouver et donc d'annuler la conjuration.
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D'après Nicole Parrot, auteure de Le Langage des fleurs (Éditions Flammarion, 2000) :
"La fleur d'oranger félicite celle qui le reçoit de sa virginité. Ce qui ne l'empêche pas, en même temps, de prôner la générosité. Elle est également symbole d'éternité. Consacrée à Vénus, déesse de l'amour friande de fleurs, la fleur de l'oranger favorise les débuts d'une intrigue. Tout comme son fruit : un couple qui s'offre mutuellement une moitié de la même orange connaîtra le bonheur. S'il en croque les pépins, il s'assure, en plus, la fécondité.
Sous le premier Empire, les mariées fortunées arboraient de vraies fleurs d'oranger cueillies le matin même sur les arbres en pot des orangeries. Les autres devaient l'importer à grands frais. Ou se contenter de fleurs artificielles - appréciables le lendemain de la fête lorsque la mariée enfermait sa couronne sous son globe de verre.
Paradoxalement, comme souvent les fleurs symboles de pureté, la fleurette blanche dégage un parfum enivrant, voire franchement capiteux. Avis, en passant, aux invités à un mariage, si la couronne de noce en fleurs d'oranger honore la vertu de la mariée et porte chance au couple, elle ne doit surtout pas se poser sur la tête d'une célibataire. Celle-ci courrait le risque de ne jamais trouver d'époux à son goût.
Stéphane Mallarmé, un temps chroniqueur de mode sous le pseudonyme de Marguerite de Ponty, recommande avec insistance la fleur d'oranger à toute épousée qui se respecte : elle doit la poser, selon lui, dans sa chevelure, à l'épaule et sur le haut de sa jupe. Pourquoi pas, le futur époux pensera que trois assurances valent mieux qu'une.
Quant au gentil Bourvil, il chante pour l'éternité les beaux vers d'Eddy Marnay :
"Un oranger sous le ciel irlandais
On ne le verra jamais
Qu'est-ce que ça peut faire (bis)
Tu dors auprès de moi".
Mot-clef : "Vertu et générosité".
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Alexandre Arnoux nous propose un Calendrier de Flore (Éditions Bernard Grasset, 2014) dans lequel l'oranger est associé au mois de janvier :
Il fleurit presque toute l'année, l'arbuste aux feuilles pérennes, dans les terres chaudes du Sud, dans les serres septentrionales où le mot d'orangerie a je ne sais quoi de noble et de somptueux, sur le front des jeunes épousées, sous les globes de verre qui ornaient, l'autre siècle, les cheminées de la bourgeoisie modeste et gardienne des traditions, perpétuant l'image d'une vierge frêle et timide qu'avait remplacée peu à peu une femme mûrissante, épanouie, une matrone grondante, impérieuse, à double menton et nuque à trois plis.
L'orange, que les statisticiens agricoles rangent sans honneur parmi les agrumes, est de luxe, de fable et de lumière. Le prince en offre, avec des citrons jaunes, à Cendrillon. Freya, déesse de l'Amour, veille sur elle, et Hercule la conquiert chez les Hespérides. Enfant, en Provence, j'achetais, à Pâques, un rameau garni de fruits confits et sommé d'un globe magnifique, d'une orange en sucre, pareille au soleil. Je fêtais ainsi la Résurrection et le Printemps, et je ne savais pas, je m'en doutais pourtant fort confusément, que j'accomplissais un rite solaire, que ma gourmandise éblouie de cette rotondité de miel et d'or, à la carapace amère et tonique, sacrifiait à un des plus vieux mythes du monde, qu'on pique en Sardaigne des astres juteux aux cornes des bœufs attelés au char nuptial, qu'on dresse ailleurs, en ce même jour, des poteaux ornés des frondaisons d'oranger.
Une chanson dit :
Pour guérir la fille du roi,
Faut aller au pays étrange
Et y cueillir les trois oranges,
Puis revenir tout d'un arroi.
A la première qu'elle mange
- Pomme d'orange, pomme d'orange -
Elle guérit de maladie,
A la deuxième, elle sourit,
A la tierce qu'elle a grugée,
Elle épouse le cavalier.
Il y a aussi une histoire espagnole, que je traduis de mémoire, me souvenant mieux du rythme que des mots. Elle se rapporte au cycle de la Vierge Marie, que la Chrétienté mêle toujours si étroitement aux plantes et aux fleurs, aux fruits et aux arbres, en faisant, par le végétal, le doux intermédiaire du céleste et du terrestre. Voici la complainte :
Ils allèrent un peu plus loin,
Là où verdoie l'oranger vert.
C'est un aveugle qui le garde,
Un aveugle qui n'y voit pas.
« Donne moi, aveugle, une orange.
- Prenez, Madame, à votre gré.
Cueillez tout ce qu'il vous plaira. »
La Vierge se montre discrète ;
Elle n'en a cueilli que trois :
En donne une l'Enfant Jésus,
L'autre à son époux, saint Joseph ;
Pour elle, elle n'en veut rien qu'une.
« Aveugle, tu nous as permis
De cueillir les fruits de lumière.
Désormais, ne sois donc plus nuit. »
Et l'aveugle reçoit le jour
Dans ses yeux qui n'ont jamais vu.
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Symbolisme alimentaire :
Pour Christiane Beerlandt, auteure de La Symbolique des aliments, la corne d'abondance (Éditions Beerlandt Publications, 2005, 2014), nos choix alimentaires reflètent notre état psychique :
Croyances populaires :
D'après Véronique Barrau, auteure de Plantes porte-bonheur (Éditions Plume de carotte, 2012) :
L'amour sous le signe de l'oranger : Doté de fleurs blanches symbolisant la virginité et de nombreux pépins associés à la fécondité, l'oranger fut longtemps dédié au mariage. Les épousées de Provence prélevaient des fleurs de cet agrume composant leur couronne de mariée pour les distribuer à leurs demoiselles d'honneur. Ces échantillons de la coiffe nuptiale devaient assurer à chacune un mariage prochain, placé sous le signe de la félicité.
En Asie, ce n'étaient pas les fleurs mais les fruits de l'agrume qui étaient associés au mariage. En guise de porte-bonheur, les Vietnamiens s'unissant pour la vie se voyaient ainsi offrir des oranges. En Chine, toute mariée entrant pour la première fois dans la maison de son époux recevait deux oranges. Elle les partageait le soir venu avec son mari dans l'espoir que leur union soit aussi longue qu'heureuse.
Étrennes : Lors du Nouvel An, les Chinois remettaient une à deux oranges aux visiteurs venus leur adresser leurs meilleurs vœux. Par cette offrande de fruits sucrés symbolisant les douceurs de la vie, ils témoignaient de leurs souhaits de bonheur réciproques. Une pratique identique perdure encore aux Antilles, à la différence près que les personnes recevant leur orange ouvrent le fruit pour compter le nombre de pépins. Plus il y a de graines, plus les rentrées d'argent promettent d'être importantes dans l'année. Conserver ces pépins dans son porte-monnaie favoriserait par ailleurs son sort pécuniaire.
Désodorisant : Johnny Chan, célèbre joueur américain de poker, est connu pour l'orange porte-bonheur qui l'accompagne à chacune de ses parties. A l'origine, l'agrume posé sur la table de jeun n'était investi d'aucune superstition mais permettait au compétiteur, qui le humait régulièrement, de masquer les odeurs de tabac jadis autorisé dans les casinos.
Des vœux branchés : De nombreux Chinois placent tous leurs espoirs en deux banians s'élevant près du sanctuaire de Lam Tsuen. Les vœux relatifs à la famille sont adressés au plus jeune des arbres tandis que les souhaits de santé, de réussite scolaire ou professionnelle sont destinés au banian plus âgé. Lors du Nouvel An, ce dernier souffrait de l'engouement quasi exclusif qu'on lui manifestait. Ses branches ployaient en effet sous le poids des oranges reliées par un fil à des enveloppes rouge et jaune, dans lesquelles avaient été glissés des vœux. Selon la tradition, si l'assemblage restait coincé dans l'arbre après trois essais maximum, les souhaits exprimés avaient toutes les chances de se réaliser, surtout s'ils étaient suspendus de hautes branches. Face à la mise en danger du vieux banian, on conseille désormais de lancer ses oranges sur le plus jeune arbre vire d'accrocher ses vœux sur des panneaux placés à proximité."
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Mythes et légendes :
D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),
ORANGER. — Dans les contes populaires piémontais, le royaume par excellence, le royaume riche, le merveilleux, qui devient parfois triste parce qu’un jeune prince ou une jeune princesse doit mourir, est souvent le Portugal ; et en Piémont, on appelle toujours portogallotti les oranges. Le Portugal est la région la plus occidentale de l’Europe ; dans le ciel, c’est à l’extrême occident, au coucher du soleil, que le royaume des bienheureux, le paradis, fut placé. C’est aussi à l’extrême occident qu’Héraclès trouva le Jardin des Hespérides avec l’arbre aux pommes d’or. Eh bien ! de même que le Portugal, la région occidentale, le paradis et le jardin des Hespérides sont dans le mythe, le même pays ; l’orange, le portogallotto et la pomme des Hespérides sont, d’après le langage mythique, le même fruit. Les Grecs, comme les piémontais, appellent les Oranges ... les Albanais protokale, les Kurdes mêmes portoghal. Comment s’explique-t-on une pareille dénomination ? Est-ce que les oranges sont meilleures ou plus abondantes au Portugal qu’ailleurs ? Non, mais c’est du Portugal que la culture de l’oranger a dû se propager en Europe. Le jésuite Le Comte, qui avait passé plusieurs années en Chine, dans la seconde édition de ses Nouvelles mémoires sur l’état présent de la Chine (Paris, 1697, t. I, p. 173), nous fournit ce renseignement curieux : « On les nomme en France oranges de la Chine, parce que celles que nous vîmes pour la première fois en avaient été apportées. Le premier et unique oranger, duquel on dit qu’elles sont toutes venues, se conserve encore à Lisbonne dans la maison du comte Saint-Laurent ; et c’est aux Portugais que nous sommes redevables d’un si excellent fruit. » Au temps de Perrault, les oranges étaient encore un fruit assez rare (1) ; c’est pourquoi le prince offre à Cendrillon, et Cendrillon à ses sœurs, des oranges et des citrons. Dans ce siècle, où l’on devait encore considérer l’orange comme le meilleur des fruits, ont dû se former les proverbes vénitiens : le prunier ne donne point d’oranges, le chêne ne donne point d’oranges, que l’on peut comparer avec le proverbe sicilien : lu ruvulu non po fari pira muscareddi, et avec le proverbe espagnol : No pidas al olmo la pera pues no la leva. Malgré cependant les informations du jésuite Le Comte, les mala-aurantia (en italien, melaranci) auraient été apportées, d’après le mythe, en Italie par les trois Hespérides elles-mêmes, Aeglé, Arethusa et Hyperthusa, guidées par Apollon, conduites par Poséidon et par les Tritons. (Conf. Ferrarius, Hespérides, Romae, MDCXLVI.) L’arbre aux pommes d’or des Hespérides, dans le mythe d’Héraclès, nous représente la rencontre du soleil couchant avec la lune. Heine aussi compare la lune à une orange :
Auf den Wolken raht der Mond
Eine Riesenpomeranze,
Ueberstrahlt das graue Meer.
C’est grâce à la lune que le soleil mourant, égaré, aveugle, retrouve au milieu de la nuit sombre son chemin, la lumière et la vie ; un chant populaire de l’Andalousie, publié par Caballero, nous apprend que la vierge Marie, en voyageant avec l’enfant Jésus et avec Joseph, arriva près d’un oranger gardé par un aveugle et lui demanda une seule orange pour le Sauveur :
Andamos mas adelante
Que hay un verdo naranjuez,
Y es un ciego que lo guarda,
Es un ciego que no ve.
— Ciego dame una naranja
Para callar a Manuel.
— Coja Usted las que Usted quiera,
Que toditas son de Usted.
— La Virgen como es tan buena
No ha cogido mas que tres.
Héraclès, de même, cueille trois pommes seulement, sur l’arbre des Hespérides. Après que la Vierge eut cueilli les trois oranges, elle en donna une à l’enfant Jésus, une autre à Joseph, et garda la troisième pour elle-même ; alors l’aveugle qui gardait l’arbre aux oranges recouvra la vue. Le mythe est clair. L’aveugle, ici, est la nuit qui garde l’arbre des Hespérides, qui reçoit le soleil couchant et fait paraître la lune ; dès que l’on a cueilli les fruits de l’arbre lunaire, la nuit disparaît, l’aveugle recouvre la vue, le soleil du matin, qui voit et fait voir, illumine de nouveau l’horizon. En Sicile, c’est avec des branches d’oranger que l’on décore les images de la madone ; à Avola, en Sicile, c’est le jour de Pâques, pour célébrer la résurrection du Sauveur et du soleil printanier, que l’on plante deux poteaux et qu’on les orne de branches d’oranger. On connaît l’usage nuptial des couronnes d’oranger ; dans l’île de Crète, d’après Elpis Melaina (Kreta-Bienen, München, 1874), on arrose les époux avec de l’eau de fleur d’oranger. Dans l’île de Sardaigne, on attache des oranges aux cornes des bœufs qui conduisent le char nuptial. L’orange a remplacé ici la pomme d’or des noces mythologiques et héroïques.
Note : 1) Les oranges appelées mandarines n’ont été introduites en Sicile qu’au commencement de ce siècle.
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Littérature :
L'Orange
Comme dans l'éponge il y a dans l'orange une aspiration à reprendre contenance après avoir subi l'épreuve de l'expression. Mais où l'éponge réussit toujours, l'orange jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l'écorce seule se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d'ambre s'est répandu, accompagné de rafraîchissement, de parfums suaves, certes - mais souvent aussi de la conscience amère d'une expulsion prématurée de pépins.
Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l'oppression ? - L'éponge n'est que muscle et se remplit de vent, d'eau propre ou d'eau sale selon : cette gymnastique est ignoble. L'orange a meilleur goût, mais elle est trop passive, - et ce sacrifice odorant... c'est faire à l'oppresseur trop bon compte vraiment.
Mais ce n'est pas assez avoir dit de l'orange que d'avoir rappelé sa façon particulière de parfumer l'air et de réjouir son bourreau. Il faut mettre l'accent sur la coloration glorieuse du liquide qui en résulte, et qui, mieux que le jus de citron, oblige le larynx à s'ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l'ingestion du liquide, sans aucune moue appréhensive de l'avant-bouche dont il ne fait pas se hérisser les papilles.
Et l'on demeure au reste sans paroles pour avouer l'admiration que mérite l'enveloppe du tendre, fragile et rose ballon ovale dans cet épais tampon-buvard humide dont l'épiderme extrêmement mince mais très pigmenté, acerbement sapide, est juste assez rugueux pour accrocher dignement la lumière sur la parfaite forme du fruit.
Mais à la fin d'une trop courte étude, menée aussi rondement que possible, - il faut en venir au pépin. Ce grain, de la forme d'un minuscule citron, offre à l'extérieur la couleur du bois blanc de citronnier, à l'intérieur un vert de pois ou de germe tendre. C'est en lui que se retrouvent, après l'explosion sensationnelle de la lanterne vénitienne de saveurs, couleurs et parfums que constitue le ballon fruité lui-même, - la dureté relative et la verdeur (non d'ailleurs entièrement insipide) du bois, de la branche, de la feuille : somme toute petite quoique avec certitude la raison d'être du fruit.
Francis Ponge, "L'Orange" in Le Parti pris des choses, 1942.
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La Fleur d'oranger
Fleur d’orage et fleur d’oranger,
J’ai peur de la nuit, j’ai peur du danger.
Fleur d’oranger et fleur d’orage,
J’ai peur de la nuit et du mariage.
Fleur d’orage et fleur d’oranger,
Fleur d’orage
Robert Desnos, "La Fleur d'oranger" in Chantefables et Chantefleurs, 1952.
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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque l'odeur des orangers :
10 janvier
(La Bastide)
La fenêtre des toilettes de la maison donne sur un jardin d'orangers. Rien n'est agréable comme de se vider les boyaux dans l'odeur des agrumes, en observant le manège des mésanges et des merles. Tout l'être, alors, participe du mouvement de la nature. Les contractions de l'intestin et le jeu des sphincters emplissent l'officiant d'un bonheur indicible.
Ce matin, j'ai ajouté les plaisirs de la connaissance à la satisfaction du tube digestif. Tandis que, concentré sur mon sujet, je crispais les muscles de mon abdomen, j'ai vu venir à mi le plus petit des mammifères : le pachyure étrusque. [...]
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Dans le récit intitulé "Les Deux Rives", extrait de L'Oranger (1993 ; traduction française : Gallimard, 1995), Carlos Fuentès nous propose le regard rétrospectif du premier traducteur de Cortès et son combat des mots contre la Malinche. Cet extrait se situe lors de la rencontre des deux hommes :
"Depuis lors je me suis rendu utile. J'ai participé aux constructions. Je les ai aidés à planter leurs pauvres cultures. En échange, je plantai les graines d'un oranger qui se trouvaient, avec un sac de blé et un tonneau de vin, dans la chaloupe qui nous avait jetés sur ces côtes." [...]
- Cannibalisme, esclavage et coutumes barbares, déclara-t-il, c'est là-dedans que vous voulez rester ?
Mon but était de le distraire, d'attirer son attention. Heureusement, sous ma vieille couverture, j'avais une orange, fruit de l'arbre que nous avions planté ici, Guerrero et moi. Je l'exhibai comme si j'étais, pour quelques instants, le roi doré : je tenais le soleil dans mes mains. Est-il une image qui signe mieux notre identité qu'un Espagnol en train de manger une orange ? Je mordis joyeusement dans la peau amère, jusqu'à ce que mes dents nues rencontrent la chair cachée de l'orange, elle, la femme-fruit, le fruit-femelle. Le jus me coula sur le menton. Je ris, comme pour signifier à Cortès : Quelle meilleure preuve veux-tu que je suis Espagnol ?
Le capitaine ne me répondit pas, mais il se félicita que le pays produise des oranges. Il me demanda si c'était bien nous qui les avions apportées, et moi, pour le détourner du méconnaissable Guerrero, je lui dis que oui, mais que dans ces contrées l'orange poussait plus grosse, moins rouge et plus acide, presque comme un pamplemousse. Je dis aux Mayas d'ajouter un sac de graines d'oranger pour le capitaine espagnol, mais celui-ci ne lâchait pas sa question, l'œil rivé sur l'imperturbable Guerrero :
- C'est là-dedans que vous voulez rester ?
Dans le récit suivant, intitulé "Les Fils du Conquistador", l'oranger apparaît de nouveau :
J'étais près de lui quand il [Hernan Cortès] est mort. Un franciscain et moi. Ni l'un ni l'autre ne réussîmes à la sauver de l'horrible perte de substance due à la dysenterie. Plus fort que l'odeur des excréments de mon père, cependant, me parvenait le frais parfum d'un oranger qui arrivait à hauteur de la fenêtre de sa chambre et qui, en cette saison, se trouvait superbement en fleur.
[...]
La rencontre du désert et de la mer, les cactus immenses et l'eau transparente, le soleil rond comme une orange... L'autre raison fut justement, se souvint-il, son émerveillement, en arrivant dans le Yucatan, de découvrir un oranger dont les graines avaient été apportées jusque-là par les deux naufragés déloyaux, Aguilar et Guerrero. Cependant mon père, humilié par la satrape de Xalisco, l'assassin Nuno de Guzman, fut contraint de réembarquer à la Barra de Navidad et de naviguer jusqu'à la baie d'Acapulco, où il débarqua pour remonter jusqu'à Mexico. Il eut une idée. Il demanda des graines d'oranger au contremaître du bord. Il en glissa une poignée dans son gousset. Sur la côte acapulquègne, il chercha un endroit bien ombragé, face à la mer, et il creusa un trou profond dans lequel il enfouit les graines d'oranger.
- Il te faudra cinq ans pour donner des fruits, déclara mon père aux graines qu'il venait de planter ; le problème est que tu pousses bien en climat froid comme le nôtre, où les gelées te permettent de dormir tranquillement tout l'hiver. Voyons si ici, sur cette terre aromatique et brûlante, tu donnes des fruits. L'essentiel, je crois, c'est de toujours creuser bien profond pour te protéger.
Maintenant, le parfum de la fleur d'oranger entrait par la fenêtre jusqu'à son lit d'agonie.0 C'était la seule consolation de sa fin brisée, humiliée...
[...]
Mon père se déplaçait toujours avec ses cinq émeraudes. De peur de les perdre dans le désastre d'Alger, il les enferma dans un mouchoir. Il les perdit en se sauvant à la nage. Maintenant moi je voudrais bien plonger dans la Mare Nostrum pour les retrouver. [...]
Mais était-ce là ses véritables trésors ? Je repensai à la mort de mon père, le parfum des orangers en fleur qui entrait par la fenêtre de la maison en Andalousie, et je me plus à imaginer que, depuis le jour où il avait débarqué à Acapulco et où il y avait semé une graine d'oranger, mon père gardait les précieuses graines dans son gousset et qu'elles ne s'étaient pas perdues, elles n'avait pas coulé au fond de la mer, elles permettraient aux fruits jumeaux d'Europe et d'Amérique de pousser, de nourrir, et, qui sait, un jour de se rencontrer sans rivalité.
Dans le troisième récit, "Les Deux Numance", la figure tutélaire de l'oranger reparaît :
- Comment nommerons-nous notre école ?
Polybe de Mégalopolis, pour toute réponse, te tend une poignée de graines et te propose que vous les plantiez ensemble au milieu de l'atrium. Qu'est-ce que c'est ? Les graines d'un arbre lointain oriental, étrange, connu sous son nom arabe, narankh. Un ami me les a apportées de Syrie. A quoi ressemble cet arbre ? Il eut devenir grand, à larges feuilles persistantes, brillantes. Il donne des fleurs ? D'un parfum rare. Des fruits aussi ? Délicieux : une peau de couleur vive, rugueuse et douce comme de l'huile, avec une pulpe à l'intérieur au goût suave et très juteuse. C'est ainsi que nous pourrons nommer ce lieu de nos conversations, ce cercle qui n'est pas une école. L'Oranger ? Attends, Scipion le Jeune, il fait six ans à cet arbre pour commencer à donner des fruits.
[...]
Nous perdons tout. Que nous reste-t-il ? Un arbre étrange au centre de la place. Il y a quelques temps est passé par ici un voyageur repentant, génois pour autant que nous comprîmes, qui prétendit planter quelques graines au milieu de la place. Le temps est lent, déclara-t-il, et les distances grandes dans le monde dans lequel nous vivons. Il fallait semer et attendre que l'arbre grandît et donnât ses fruits dans cinq ans. Nous n'avions pas à craindre le froid, nous dit-il. Au contraire, une bonne gelée de temps à autre était le mieux qui pouvait arriver à cet arbre. C'était un arbre qui dormait pendant l'hiver. Le froid ne l'entame pas. Il fleurit et donne ses fruits au printemps. Il achève sa croissance annuelle en automne, puis se remet en sommeil pour l'hiver. A quoi ressemblent ses fruits ? Au soleil : couleur soleil, ronds comme le soleil... Mais le souvenir de ces paroles ne nous consolait pas. Nous étions au dernier hiver avant que l'arbre ne donne ses fruits. Tiendrions-nous jusqu'au printemps ? Nous ne pouvions le savoir. Le temps - disions-nous, nous les femmes - est devenu visible à Numance. Ses ravages s'inscrivent sur notre peau galeuse, les callosités et les champignons de notre sexe.
[...]
Je passe des heures entières assis sur mon siège curule devant l'oranger de mon atrium, dans ma demeure romaine. L'arbre est sur le point de donner des fruits et je veux être le premier à le voir fleurir. Je ferai de l'oranger mon interlocuteur à cette heure du crépuscule J'ai cessé de me raser ; pour penser, j'ai besoin de me passer la main sur les poils du cou. Je suis obsédé par le problème de la dualité.
[...]
Qu'est cette chose, cependant, qui brille au cœur de Numance ? Tu la distingues à peine. Marmite en terre cuite, masque de bronze, taureau de pierre, plante, arbre, oranger... Oranger ? Un oranger semblable au tien au centre de la cité détruite ? Est-ce une illusion ? As-tu imaginé ton propre oranger au cœur des cendres de Numance ?
Tu ouvres les yeux pour te regarder rêvé.
Non : tu as simplement prononcé un mot ancien, inconnu, d'origine arabe, oranger. Les survivants sortirent des murailles de Numance, ayant perdu la parole ? En survivant ils étaient morts.
Dans le quatrième récit "Apollon et les putains" qui se déroule dans un Acapulco contemporain, l'oranger est également présent :
Il y a trois odeurs. L'odeur naturelle du tropique en éternelle putréfaction et celle du produit à désinfecter les sols, les lits et les cabinets. Mais le troisième senteur est celle d'un oranger qui pousse miraculeusement devant la fenêtre de la chambre, essayant de faire passer une branche un parfum une fleur parfois un fruit à l'intérieur, supplantant les odeurs de putréfaction et de désinfectant. Elle sait déjà qu'elle doit se glisser sous le galetas quand sa maman arrive avec un galant. Elle entend tout. Telle est son image de la mort. Sauvée par le souvenir de l'oranger.
[...]
Elle le remercia et m'enterra à côté de son fils, dans un cimetière aux croix peintes en bleu indigo, écarlate, jaune et noir comme les oiseaux, comme les poissons. La tombe se trouve à côté d'un grand oranger de six ou sept mètres de haut, qui semble avoir atteint ici son plein développement. Qui a bien pu le planter ? Il y a combien de temps ? J'aimerais savoir quelle quantité d'histoire me protège désormais. Suis-je couché à l'ombre de l'histoire ? [...]
Je rêve de l'oranger et j'essaie d'imaginer qui a bien pu planter pour la première fois cet arbre méditerranéen, oriental, arable, chinois, sur cette rive lointaine des Amériques.
Enfin, le cinquième récit, "Les Deux Amériques" clôt le voyage avec une dernière évocation symbolique de l'oranger :
De mon sac, je sortis les graines, qui étaient celles de l'oranger, et nous les plantâmes ensemble dans les vallées et sur les collines du golfe du Paradis. Mieux encore qu'en Andalousie l'arbre poussa sur le sol d'Antille, avec de belles feuilles brillantes et des fleurs aromatiques. Jamais je en vis meilleures oranges, si pareilles au soleil que le soleil les jalousait. J'avais enfin un jardin de tétons parfaits, comestibles, renouvelables. J'avais conquis ma propre vie. J'étais le maître éternel de ma jeunesse retrouvée J'étais un enfant sans la honte ou la nostalgie de l'enfance. Je pouvais téter de l'orange à en mourir.
[...]
Je cultive mon jardin. Dans l'oranger se résument mes plaisirs sensuels les plus immédiats - je regarde, je touche, je pèle, je mords, j'avale - et aussi les impressions les plus anciennes : ma mère, les nourrices, les seins, la sphère, le monde, l'œuf...
Mais si je veux que mon histoire personnelle ait une résonance plus large, je dois aller au-delà du sein-orange et parler des deux objets de la mémoire que je porte jalousement en moi depuis toujours.
[...]
Je rentre en Espagne. Je rentre chez moi. je tiens serrés dans mes deux mains les preuves de mes origines. Dans l'autre, la clef glacée de la maison de mes ancêtres à Tolède. [...]
Que vais-je trouver à mon retour en Europe ?
Je rouvrirai la porte de ma maison.
Je replanterai la graine d'oranger.
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Régine Detambel consacre un ouvrage à Colette. Comme une flore, comme un zoo (Éditions Stock, 1997) dans lequel elle s'intéresse aux métaphores botaniques et zoologiques :
Citrons, Groseilles et Mandarines : [...] La poésie la plus exquise, celle qui nourrit sans amère tentation, je l'ai trouvée dans Nuit blanche, tirée des Vrilles de la Vigne. Cette Nuit est dédié à Missy. Colette rappelle la douceur de leur lit, la légèreté de leur sommeil, leur réveil amoureux. Elles sont couchées sur le côté, l'une contre l'autre. Colette écrit : « Tes genoux sont frais comme deux oranges. »
« Tu me donneras la volupté, penchée sur moi, les yeux pleins d’une anxiété maternelle, toi qui cherches, à travers ton amie passionnée, l’enfant que tu n’as pas eu... » est la dernière phrase de Nuit Blanche, le dernier e de « penchée », l’unique signe grammatical de l’homosexualité. Indice éclatant, flamboyant, révoltant pour la censure, ce e doublé fut caviardé dans les éditions successives, qui imprimèrent pudiquement : penché. Jusqu’à la levée de l’interdit, seuls les genoux « frais comme deux oranges » garantirent le féminin.
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Jean Teulé raconte l'histoire de Fleur de tonnerre (Éditions Julliard, 2013), une empoisonneuse bretonne du XIXème siècle, ici initiée aux pillages de naufrages provoqués :
Soudain c'est un énorme craquement juste devant eux et des éclatements de planches qui volent ! Sur les Dents de la pucelle - enfilade d'écueils où le varech pourrit -, le navire s'est encastré le le long de la lame d'un couteau qui l'a ouvert comme un fruit. D'ailleurs, de sa proue explosée fuient des centaines de milliers d'oranges. Vers ce vaisseau brisé contre les îlots, des quantités de femmes et d'enfants se précipitent avec leurs sacs et paniers. L'épave répand autour d'elle, comme une corne n'abondance, les fruits fluorescents des pays chauds. Fleur de tonnerre, vite descendue, en emplit plusieurs fois son tablier relevé pour les déposer sur le sable en un tas qui lui est réservé.
Dans son roman intitulé L'Île des âmes (Rizzoli de Mondalori Libri S.p.A., 2019 ; Éditions Gallmeister, 2021), Piergiorgio Pulixi établit lui aussi le lien presque naturel qui existe dans notre imaginaire entre l'orange et le soleil :
Dans le ciel, pas un nuage.
- On est au-delà du coucher de soleil, là... Regarde-moi ça : on dirait une orange pressée.
- C'est vrai. La lumière de cette ville a quelque chose de magique, dit Eva Croce, en extase devant la douceur du soir. Le soleil du Sud est différent à sa manière, mais ici, c'est encore plus spectaculaire.
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