Étymologie :
DINOSAURE, subst. masc.
Étymol. et Hist. 1929 (Morand, Paris-Tombouctou, p. 217). Empr. à l'angl. dinosaur (lat. sc. dinosaurus à partir du gr. δ ε ι ν ο ́ ς « qui inspire la crainte » et σ α υ ̃ ρ ο ς « lézard »), mot créé par le paléontologiste britannique R. Owen [1804-1892] en 1841 (R. Owen ds NED).
Lire aussi la définition pour amorcer la réflexion symbolique.
Selon Ronan Allain, dans son ouvrage intitulé simplement Histoire des Dinosaures (Perrin, 2012),
"Il ne faut pas s'y tromper, si les dinosaures nous fascinent toujours autant en ce début de XXIè siècle, c'est pour la même raison que celle qui poussa le naturaliste anglais Sir Richard Owen à créer le terme dinosauria en 1842, à savoir la taille incroyable de ces animaux. L'étymologie du mot même "dinosaure", telle qu'elle fut proposée par Owen, nous renvoie à cette notion de gigantisme puisque dinosaure signifie littéralement "lézard terriblement grand" et non pas juste "lézard terrible" comme on le voit écrit trop souvent et comme bon nombre de personnes amatrices de sensations fortes l'imaginent en se référant aux dents tranchantes de Tyrannosaurus ou à la griffe acérée du deuxième doigt du pied de Velociraptor. Ces dinosaures-là n'avaient d'ailleurs pas encore été découverts en 1842 quand Owen forgea le terme Dinosauria.
[...]
N'oublions pas que le concept de "dinosaures" a été créé par des systématiciens à des fins plus pratiques que scientifiques. On regroupe sous le terme Dinosauria des animaux carnivores de taille moyenne comme Cœlophysis qui vivait au Trias, il y a 220 millions d'années, de gigantesques sauropodes herbivores de 25 mètres de long comme le Diplodocus qui arpentait la terre il y a 150 millions d'années, et des petits moineaux qui viennent picorer des miettes de pain dans nos jardins publics."
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Zoologie :
Première approche : découvrir les géants grâce à la fiche de l'Encyclopédie Larousse en ligne.
Ronan Allain, dans son ouvrage intitulé simplement Histoire des Dinosaures (Perrin, 2012), corrige certaines de nos idées reçues sur les dinosaures. Ainsi, écrit-il :
"On a souvent l'impression que les dinosaures ont empêché les autres groupes d'évoluer durant tout le Mésozoïque. Il n'en est absolument rien, jamais la diversité des crocodiles n'a été aussi importante que durant cette période et les mammifères du Crétacé avaient déjà développé la majeure partie des adaptations que nous leur connaissons aujourd'hui.
[...]
Anthropocentrisme oblige, on considère souvent que la bipédie caractérise uniquement l'espèce humaine. C'est oublier un peu vite les dinosaures, qui ont inventé ce mode de locomotion il y a plus de 220 millions d'années et l'ont transmis aux oiseaux. Il existe deux types d'animaux bipèdes, les bipèdes obligatoires, ou permanent, comme les théropodes et l'homme, qui se déplacent sur leurs deux pattes postérieures quelles que soient les circonstances, et les bipèdes facultatifs qui n'utilisent ce mode de locomotion que dans des cas particuliers, comme le kangourou, l'ours ou même quelques lézards. Les premiers dinosaures sont donc au Trias les seuls bipèdes dans un monde de quadrupèdes.
[...]
Au vu de l'ensemble des preuves scientifiques amassées par les géologues et les géophysiciens depuis plus de quarante ans, il semblerait que Némésis n'ait pas un mais plusieurs visages, rendant d'autant plus difficile l'élaboration d'un scénario acceptable par tous. A l'heure actuelle, deux camps s'affrontent. Pour certains, la crise K-T est un événement multifactoriel qui n'a été rendu possible que par la conjonction de deux phénomènes cataclysmiques survenus dans un contexte de chute du niveau marin et d'abaissement global des températures moyennes. Pour d'autres en revanche même si tous ces phénomènes sont reconnus, seul l'un d'entre eux, la chute d'une météorite, est nécessaire pour expliquer l'ensemble des extinctions survenues il y a 65 millions d'années. La météorite est-elle plus meurtrière que le volcanisme ? Les volcans ont-ils un impact plus important sur l'ensemble des écosystèmes ? Tous ces scénarios ne tiennent que très rarement compte des données biotiques du problème, qui sont, elles, beaucoup plus parcellaires et contradictoires et qui surtout posent encore des problèmes insolubles comme celui de la sélectivité de l'extinction ou celui du temps nécessaire pour mener à terme cette extinction : les organismes concernés par la crise K-T ont-ils disparu en un jour, un an ou plusieurs centaines de milliers d'années ?
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Dans un article intitulé "Sur lʼidentité zoologique et la possible survivance du mokélé-mbembé" (In : BIPEDIA n° 28 - 3 [sans date], © C.E.R.B.I.), François de Sarre n'exclue pas la possibilité d'une survivance de certains dinosaures :
Les dinosaures sont réputés avoir disparu voici 65 millions d’années, mais des trouvailles récentes en des endroits aussi divers que la Mongolie, l’Angleterre ou le Nouveau-Mexique ont montré que certains d’entre eux ont pu survivre à la grande extinction de la fin de l’ère Secondaire. De la même manière, un poisson comme le cœlacanthe (Latimeria), découvert en 1938, est une copie conforme du Mawsonia qui vivait au Crétacé. Ainsi, il peut y avoir un intervalle de plusieurs dizaines de millions d’années entre le dernier représentant d’un groupe connu à l’état fossile et son représentant actuel, si bien qu’un groupe, tenu pour éteint, semble surgir du passé.
D'après la revue Science et Vie d'octobre 2014, "Les Dinosaures avaient finalement le sang... tiède :
La question restaient en suspens depuis leur découverte il y a deux siècles : les dinosaures avaient-ils le sang froid comme les reptiles (ectothermes), ou chaud, tels les mammifères ou les oiseaux (endothermes) ? La première hypothèse avait primé pendant près de cent cinquante ans, mais la seconde connaissait une montée en force depuis cinquante ans... Pour trancher, John Grady (université du Nouveau Mexique, États-Unis) a compilé des données sur la vitesse du métabolisme, le taux de croissance et la taille finale de 381 espèces animales, disparues ou non (dinosaures, poissons, oiseaux, crocodiles, mammifères, etc.). Et, surprise, le métabolisme des anciens sauriens était en fait "moyen"" : plus rapide que celui des froids exothermes, mais moins que celui des vifs et bouillants endothermes... Ils étaient donc "mésothermes", propose John Grady. Une physiologie leur permettant de ne pas être ralentis par le froid, et de ne pas dépenser autant d'énergie que nous pour maintenir une température corporelle haute et constante. Ce métabolisme particulier, efficace et ne nécessitant pas une alimentation trop riche, pourrait expliquer leur gigantisme."
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Dans l'émission LA MÉTHODE SCIENTIFIQUE du 11/02/2021, présentée par Nicolas Martin, on se plonge de nouveau dans l'univers fascinant des dinosaures :
Quelles sont les dernières nouvelles des dinosaures ? Comment avance la recherche dans ce domaine ? Continue-t-on de faire des découvertes ? En sait-on plus sur leur morphologie et leur écologie ? Quelles sont les dernières techniques d’analyse des fossiles ?
Pas une semaine sans que l’on vous annonce, ici dans le journal des sciences ou ailleurs, une fouille, un nouveau fossile, un record de taille battu, une nouvelle espèce. C’est bien simple, jamais l’actualité concernant les dinosaures n’avait été aussi foisonnante, au point que l’on parle aujourd’hui de « l’âge d’or » des dinosaures tant les fouilles sont fructueuses. Mais cet âge d’or n’est-il pas aussi l’âge de la précipitation ? Que sait-on aujourd’hui de ces clades qui couvrent des centaines de millions d’années, des dizaines de milliers d’espèces, extraordinairement diverses, et que l’on regroupe sur l’appellation commune de dinosaures. On fait le point sur nos connaissances. Et promis, on vous dira si les raptors avaient vraiment des plumes.
Dinosaures : les rois maudits. C’est le programme foisonnant qui est le nôtre pour l'heure qui vient. bienvenue dans La Méthode scientifique.
Et pour faire le point sur nos connaissances sur cette si vaste famille, qui a régné bien plus longtemps sur notre planète que nous autres pauvres petits mammifères, nous avons le plaisir de recevoir aujourd’hui Ronan Allain, paléontologue, maître de conférences au Centre de recherche sur la paléobiodiversité et les paléoenvironnements du MNHN et Eric Buffetaut, directeur de recherche émérite CNRS au laboratoire de géologie de l’ENS.
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Symbolisme :
Il me semble que, à cause de leur statut très particulier d'animaux disparus depuis des millions d'années, les dinosaures peuvent aisément symboliser les Ancêtres mythiques.
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Selon Claudine Cohen, dans un article intitulé "Dinomanie et internationalisation des mythes" et paru dans la revue Alliage (numéro 18, 1993) propose des explications à notre fascination pour les dinosaures :
Au moment de la sortie de Jurassic Parken France, tous nos journaux ont célébré le triomphe du film comme un phénomène quasi planétaire. Dans les colonnes du New York Review of Books puis de La Recherche, Stephen Jay Gould a analysé le phénomène du double point de vue du fervent "dinomaniaque" et du paléontologue. (1)
A la fascination pour les monstres de l'ère secondaire, Gould attribue trois causes. La première se rattache aux grands archétypes de l'imaginaire ; comme les géants et les ogres des contes de notre enfance, les dinosaures parleraient à notre imagination parce qu'ils sont "gros, féroces et éteints". Les monstres de Jurassic Park plaisent parce qu'ils sont à la fois terrifiants et inoffensifs : le "réel" de la fiction (la résurrection des dinosaures grâce à de l'ADN prélevé dans l'intestin de moustiques jurassiques conservés dans l'ambre) se superpose au "réel" du film (les procédés ultra-perfectionnés de reconstitution des animaux en taille réelle ou à l'aide d'images de synthèse) pour faire véritablement revivre, "en chair et en os", les plus gigantesques créatures de l'histoire du monde. La médiation de l'image, au cinéma, permet d'exprimer et de conjurer des peurs ancestrales...
En outre, la recherche scientifique a, ces dernières années, considérablement renouvelé l'approche des dinosaures. Ils ne sont plus, comme au début du siècle, balourds et stupides, mais alertes et dansants, dressés sur leurs pattes de derrière (2) ; d'animaux à sang froid, ils sont devenus - pour certains du moins - homéothermes, et leur peau, jadis uniformément brun-verdâtre, est maintenant rayée, ou irisée de couleurs, comme le plumage des oiseaux dont ils sont les ancêtres. Une nouvelle approche de la question des extinctions de masse a mis en avant des thèses spectaculaires, telle celle de la disparition des dinosaures, à la limite du crétacé et du tertiaire, comme effet de la chute d'un astéroïde. (3) Enfin, les progrès, depuis une dizaine d'années, de la paléontologie moléculaire, ont conduit à envisager la possibilité d'isoler, voire de cloner, l'ADN des animaux éteints.
A toutes ces raisons se superpose, massivement, celle de l'intérêt économique. Les dinosaures, tels le monstre du Loch Ness, resurgissent périodiquement, lorsque les sirènes de la publicité et du profit réveillent et réactivent le mythe. D'où les crises de "dinomanie" dont le déferlement mondial des dinosaures de Jurassic Park constitue un phénomène rarement égalé. C'est pour des raisons de business que la firme Universal, qui a sponsorisé le film, a lourdement investi dans ce "blockbuster" spectaculaire et efficace, assurant jusqu'à la saturation la promotion de tous les gadgets, et s'associant à Mac Donald pour exploiter l'image des dinosaures de Jurassic Park.
A cette triple explication - orientée chez Gould vers la défense de la science contre son exploitation mercantile - , on peut en ajouter une quatrième : vue de ce côté de l'Atlantique, la "dinomanie" apparaît comme un phénomène culturel américain, profondément enraciné dans l'histoire des Etats-Unis.
Bien sûr, les dinosaures ont eu, en leur temps, une expansion internationale. Au début de l'ère secondaire, ils ont peuplé le continent unique, la Pangée, qui réunissait toutes les terres aujourd'hui émergées. Ils se sont ensuite répartis, à partir du jurassique, dans les territoires déjà dissociés de la Laurasie (au Nord) et du Gondwana (au Sud). On trouve leurs restes de la Norvège en Antarctique, de la Chine à l'Australie, en Amérique comme en Europe. Mais c'est en Amérique du Nord qu'ont été faites depuis le XIXe siècle les trouvailles les plus spectaculaires. Les iguanodons de Bernissart (Belgique) mis à part, l'Europe occidentale est assez pauvre en restes complets de dinosaures. Des quelque vingt genres connus en France, on n'a le plus souvent recueilli que des fragments. On trouve aussi des traces et des œufs de dinosaures en Provence, dans la région d'Aix : découvertes intéressantes, mais pas de quoi, jusqu'ici, vraiment alimenter une "dinomanie"... Nos mythes préhistoriques se situeraient plutôt du côté du quaternaire, de Lascaux, de l'homme de Néandertal et de Cro-Magnon. La plupart de nos dinosaures sont d'importation : dans la galerie de paléontologie du Muséum d'histoire naturelle de Paris, le squelette du diplodocus est un moulage en plâtre dont l'original se trouve au musée de Pittsburgh. Presque tous ses congénères exposés sont aussi des moulages, et viennent d'Amérique ou d'Asie...
C'est en Angleterre qu'ont été trouvés les premiers dinosaures et qu'en 1841, Richard Owen a inventé leur nom. Mais aux Etats-Unis, l'affaire devient beaucoup plus sérieuse. A partir de 1870, sont explorés, à la faveur de la ruée vers l'or, les territoires de l'Ouest des Etats-Unis : c'est là que sont découverts les immenses gisements de dinosaures. Le Gold Rush s'achève en une véritable "ruée vers l'os", dont les héros-frères ennemis sont deux paléontologues, Edward Drinker Cope et Othniel Marsh : beaucoup des prospecteurs et des fouilleurs de fossiles qu'employèrent Cope et Marsh dans l'Ouest américain étaient d'anciens chercheurs d'or... La fameuse voie ferrée qui fut construite entre les villes de la côte Est et celles du Far West joua un rôle essentiel pour convoyer les énormes et précieuses dépouilles des tricératops, stégosaures et autres diplodocus découvertes dans le Nouveau Mexique, le Colorado, l'Utah ou le Nevada. La quête des dinosaures suivit, elle aussi, la construction de la voie ferrée. Henry Fairfield Osborn, qui fut le fondateur du musée de paléontologie au Museum de New York (aujourd'hui la plus grande collection de dinosaures du monde), était le fils d'un magnat des chemins de fer. Il finança, au début de ce siècle, de nouvelles campagnes de fouilles dans l'Ouest américain (qui exhumèrent entre autres le célèbre Tyrannosaurus rex), et une expédition paléontologique en Mongolie extérieure qui, partie à la recherche des restes du premier homme, exhuma ceux du protocératops et du vélociraptor... C'est Osborn qui commanda au peintre Charles Knight des reconstitutions de la vie préhistorique, parmi lesquelles le combat du tyrannosaure et du tricératops (l'un carnivore, l'autre végétarien) est resté un must de la BD et du cinéma américains. (4) Le premier dessin animé mettant en scène des dinosaures (Gertie the Dinosaur) date de 1912 ; il est suivi de dizaines d'autres films, pratiquement tous américains (à l'exception de quelques japonais). Et à partir de 1930, une marque d'essence - la Sinclair Oil - prend pour emblème le brontosaure, distribue à ses clients des vignettes à l'effigie des pachydermes du jurassique et fait reconstituer en 1933, pour l'exposition de Chicago "A Century of Progress", des dinosaures animés, grandeur nature.
Les joutes et les rivalités scientifiques des années du tournant du siècle, la quantité fabuleuse d'ossements toujours plus gigantesques et impressionnants (le plus grand dinosaure connu aujourd'hui, Supersaurus, a été découvert dans le Colorado, il mesurerait 40 mètres de long), les énormes sommes engagées par des mécènes pour la construction des grands musées qui abritent les dépouilles de ces géants mésozoïques, toute l'imagerie qui s'en est suivie, ont produit dans l'historiographie américaine, une véritable mythologie, dont l'écho résonne jusqu'à nos jours et renvoie aux temps héroïques de l'exploration d'un territoire. Tout se passe comme si la nation américaine, réputée neuve et sans histoire, avait véritablement conquis ses racines, en découvrant que son sol recelait les os fossilisés des "ancêtres" du jurassique et du crétacé.
La popularité américaine des dinosaures a donc une longue histoire. Les mêmes foules enthousiastes qui depuis des décennies se pressent pour voir leurs squelettes aux Museums de New York, de Pittsburgh, de Chicago ou de Yale, au Dinosaur Monument dans l'Utah, ont couru les admirer, terrifiants, dans le film de Spielberg. La grande majorité des dinosaures de Jurassic Parks ont américains d'origine (tyrannosaures, maiasaures, stégosaures, tricératops ; Othnelia, Apatosaurus, Hadrosaurus, Dilophosaurus) ou d'adoption (comme l'asiatique vélociraptor, rapporté de Mongolie par Chapman Andrews, et dénommé par Osborn en 1924). Seul Compsognathus (de toute petite taille, mais incontournable parce qu'il représente la transition des reptiles avec les oiseaux) est un dinosaure européen...
Le succès du film en France doit-il être interprété comme le résultat d'une campagne publicitaire efficace, amplifié, ainsi que par une énorme caisse de résonance, par les commentaires des journalistes et des scientifiques eux-mêmes - comme une retombée des découvertes scientifiques de la dernières décennie - ou sur le fond d'archétypes universels ? Si archétypes il y a, ils semblent appartenir pour une grande part à la mythologie propre à l'histoire et à la culture américaines. Faut-il voir, dans l'universalité présumée des dinosaures de Jurassic Park, une forme masquée du colonialisme culturel et de l'internationalisation des mythes ?
Notes : 1. Stephen Jay Gould, "Dinomania",New York Review of Books, 1er août 1993, pp.51-57 ; traduit dans La Recherche, novembre 1993. Voir également de S.J. Gould,La Foire aux dinosaures, Seuil, 1993, pp. 87-97.
2. S.J. Czercas et E.C. Olson, Dinosaurs. Past and Present, Natural History Museum of Los Angeles et The University of Washington Press, 1987.
3. David M. Raup,De l'extinction des espèces, Gallimard, 1993.
4. S.M. Czercas et D.F. Glut,Dinosaurs, Mammoths and Cavemen, Dutton, 1982.
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Dans L'Univers à portée de main (Éditions Flammarion, 2015) Christophe Galfard nous propose la réflexion suivante :
[...] Songez-y un instant : les dinosaures ont régné sur la surface de notre planète pendant près de deux cents millions d’années, alors que nous n’existons que depuis quelques centaines de milliers d’années. Ils ont eu largement le temps de se poser des questions sur leur environnement, de comprendre deux ou trois choses, de se préparer... mais ils ne l’ont pas fait. Et ils sont morts. Aujourd’hui, nous, les humains, pouvons au moins espérer détecter un astéroïde dangereux suffisamment à l’avance pour tenter de le détourner. Nous avons donc déjà des pouvoirs que les dinosaures, au bout de deux cents millions d’années d’évolution, ne possédaient toujours pas. On pourrait presque faire un lien entre leur extinction et leur manque de connaissances en physique théorique. Les dinosaures, pour survivre, auraient dû créer des universités, et faire de la recherche...
Cela étant, vous êtes toujours sur la plage, et le souvenir du Soleil à l’agonie est vif dans votre esprit. Vous n’avez pas encore assez de recul pour vous sentir mieux armé face au monde que des bestioles du passé faisant parfois cent fois votre poids ou dont les dents mesuraient la taille d’un avant-bras.
Pour être honnête, il vous manque même la confiance, et les points scintillants qui illuminent la nuit vous semblent terrible-ment indifférents à votre existence. La vie ou la mort d’une espèce terrestre ne fait notoirement aucune différence pour eux. Pour ces dieux brillants et lointains, l’existence d’une espèce, ici sur notre petite planète, ne dure probablement pas plus longtemps qu’un claquement de doigts.
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Symbolisme onirique :
D'après le site https://www.signification-reves.fr/,
"Les dinosaures existent encore, leur image est d’ailleurs bien plus fréquente que celle de bien d’autres animaux qui habitent encore sur Terre aujourd’hui. Si les dinosaures fascinent avant tout les enfants et occupent donc une place monstrueuse dans leurs cauchemars, ils sont aussi dans l’inconscient collectif le symbole d’angoisses profondes et d’instincts que l’Homme continue de porter en lui.
Les dinosaures et nos angoisses : Si certains dinosaures mesuraient moins de cinquante centimètres de haut, il faut avouer que le Diplodocus long comme un camion ou le Tyrannosaurus Rex et ses dents longues comme un avant-bras sont davantage restés dans nos esprits.
Les dinosaures sont un exemple des archétypes qui sont gravés dans l’inconscient collectif et qui en sortent parfois durant des cauchemars.
Le dinosaure est alors une barrière, un obstacle qui empêche le rêveur de suivre son chemin. Le scénario du rêve est interrompu et souvent celui-ci se termine sur cette image d’un monstre d’un autre âge.
C’est idiot, certes. Et pourtant l’angoisse a bien été réelle. Elle provoque parfois même le réveil. Quelle est cette menace montrée par l’inconscient sous la forme d’un dinosaure ? Quel changement récent dans la vie du rêveur a entraîné ce cauchemar ?
Pour qu’un rêve défavorable devienne favorable, il faut s’intéresser à ce rêve et aux suivants, l’analyser et en découvrir le sens, tenter de comprendre les messages de son inconscient. Un dinosaure est un énorme panneau qui dit : "Attention danger". Reste à savoir de quel danger il s’agit.
Les dinosaures et nos instincts : Lorsque l’on rêve de dinosaures, il ne s’agit généralement pas d’herbivores paisibles, de Parasaurolophus par exemple, que l’on considère comme les vaches du crétacé. Il s’agit plus surement de carnivores dangereux, qui pourchassent leurs proies pour les déchirer de leurs dents ou de leurs griffes. Ces dinosaures sont des êtres primitifs qui ne peuvent en aucun cas ressentir de la pitié, de la compassion et des remords. Ils sont dépourvus de tout ce qui a permis aux mammifères de survivre et à l’Homme d’évoluer. Ce sont des tueurs.
Le dinosaure du rêve peut ainsi symboliser les instincts primitifs qui continuent d’exister en nous. Ces pulsions de mort, qui animent un tueur que l’on qualifierait d’ inhumain s’il était un Homme, peuvent surgir en rêve. L’inconscient va pour cela puiser très loin au fond de nous même. Quel sera la réaction du rêveur ? Parviendra-t-il à rejeter ce dinosaure dans l’obscurité où il était dissimulé ? Au minimum, il lui faudra s’enfuir, s’éloigner de ce monstre qui l’habite secrètement.
Le diable n’existe pas, mais ces instincts de dinosaures sont en chacun de nous. Presque tous les hommes parviennent à vivre avec ce passé enfoui en eux. Dans les rêves, ces instincts ressortent parfois. C’est alors un cauchemar. De la même façon qu’il ne faut pas interpréter les cauchemars d’enfant, il ne faut pas interpréter, parfois, les rêves d’angoisse hantés par des dinosaures."
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Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995) :
"En dépit de leur extrême proximité, la préhistoire et l'animal préhistorique appellent deux analyses distinctes. La préhistoire, dans l'imaginaire, renvoie à diverses notions de l'origine. Origine individuelle du rêveur, origines de l'humanité, origine de la vie. Les images qui accompagnent ce thème peuvent s'entourer de colorations variées, exprimant des visions heureuses ou angoissantes de l'aventure vitale.
L'animal préhistorique du rêve est, lui, presque toujours un monstre de désolation. Il revêt des formes variées dont la description par le rêveur reste le plus souvent imprécise. Les images évoquées peuvent rappeler, selon les cas, le dinosaure, le crocodile, le ptérodactyle, la tortue géante, etc. Quel qu'il soit, il entraîne l'imagination dans des enchaînements très sombres. L'environnement du monstre préhistorique n'est pas la végétation luxuriante et verte que certaines illustrations suggèrent. Le dinosaure d rêve évolue dans un univers minéral, froid, triste et d'une noirceur soulignée. Un patient, aux prises avec une sorte de ptérodactyle aux ailes noires de chauve-souris géante, dans une grotte souterraine, décrit la présence d'un soleil noir qui absorbe toute trace de clarté. Il serait difficile de produire une image plus expressive de l'anti-lumière que celle de ce soleil noir absorbant. le soleil noir et l'animal préhistorique sont en forte corrélation.
Lorsque nous évoquons un univers minéral, ce n'est pas par goût de la formule sonore, c'est avec le souci de respecter les propres phrases des patients. Suzanne commence un rêve saisissant par ces mots : "Je pense à une forêt pétrifiée... ce sont des arbres qui sont figés, en pierre presque, avec des branches nues, extrêmement squelettiques, comme des bras brandis vers le ciel. Ce mouvement me frappe... le tronc est droit et tellement immobile... et les branches se détachent comme cela, très raides, terriblement raides !... Derrière, c'est tout un paysage pétrifié, avec un sol gris... les arbres sont gris aussi... on dirait que c'est après un incendie... je marche... et je vois maintenant des gens aux yeux tristes, des yeux qui ont épuisé les larmes, qui ne peuvent plus pleurer... des gens devenus pareils à ces arbres... ils ne savent plus que se tordre les bras et rien d'autre... j'imagine un animal... mais c'est très curieux, ce n'est pas un bel animal, ce n'est pas un animal touchant... dans ces paysages désolés, il ne peut y avoir que des animaux... comme des animaux préhistoriques, que l'on en trouve pas beaux. Démesurés ou laids ou grotesques. Des animaux, en fait, que l'on ne peut même pas caresser car leur peau est rugueuse..."
Ce tableau est suffisant pour rendre l'ambiance de désolation dans laquelle s'insère le plus souvent l'animal préhistorique. Deux caractéristiques reviennent avec constance à propos de ce dernier : l'épaisse cuirasse hérissée d'écailles, de piquants ou de griffes et la longueur du cou. L'association avec le long cou est si forte qu'elle entraîne l'apparition fréquente de la girafe dans des séquences où rien d'autre ne paraissait appeler cet animal.
La carapace qui protège le monstre préhistorique a probablement une parenté symbolique avec l'armure. cette peau qui ne permet pas la caresse, les bras raidis des arbres pétrifiés, les personnages figés de Suzanne qui ne savent que tordre leurs bras... autant d'images qui convergent vers le même sens : l'expression d'une très grande frustration d'amour parental. Ce thème est traité dans les articles bras, singe et corbeau pour ne citer que ceux-là.
Les parents de Suzanne, traqués par un régime impitoyable, ont caché la fillette qui s'est ainsi trouvée séparée d'eux pendant plus de trois ans. Le rêveur de ces gens brisés dans leur âme, pour longtemps isolés des sensibilités ordinaires, a pu marquer l'inconscient de Suzanne au point d'engendrer, à trente ans d'intervalle, l'image de cet animal que l'on ne peut même pas caresser. La suite de son rêve valide cette interprétation.
Derrière le monstre préhistorique, on peut toujours soupçonner aussi une vision caricaturale du père, telle que le tout petit enfant l'a enregistrée. Le regard encore trouble d nouveau-né perçoit les êtres qui s'agitent autour de lui comme des créatures gigantesques aux formes incertaines. Les impressions engrammées à ce niveau alimentent plus tard les représentations d'ogres, de géants difformes et d'autres êtres monstrueux. L'apparition de ceux-ci dans un rêve correspond en règle générale à la description de ces engrammes parasitaires. Véronique, poursuivie par des hommes préhistoriques monstrueux, doute soudain de leur réalité. La jeune femme s'arrête, se retourne et enfonce une longue aiguille dans le premier assaillant qui se dégonfle telle une baudruche puis disparaît totalement.
L'animal préhistorique dans l'imaginaire peut donc soit exprime une frustration affective, plus souvent liée à l'image paternelle, mais avec de très nombreuses variantes liées aux diverses situations, soit être une représentation fantasmatique des premières perceptions de l'entourage aux premiers jours après la naissance. Cependant, bien que ces traductions soient manifestement justifiées, il semble que l'animal préhistorique ouvre un champ de réflexion d'une tout autre ampleur dès que l'on écarte le rideau des considérations qui précèdent.
Dans la quasi-totalité des scénarios où l'animal préhistorique entre en scène, le patient se trouve dans la terre : "Je suis prisonnier du sol", dira l'un ; "Je suis devenu un minéral,", insistera l'autre. Suzanne, dans la suite de son rêve, subira un interminable séjour dans une galerie de charbon complètement obstruée par des éboulements et privé de toute lumière. En compagnie d'un petit animal préhistorique, hideux, mais aux yeux implorants, elle vivra le cauchemar d'une osmose entre elle et le minéral et sera sur le point de renoncer à revenir un jour.
De quoi parlent ces rêves étranges ? Peut-on croire aux effets positifs d'une dynamique reposant sur ces visions quelque peu inquiétantes ? La superposition des thèmes contribue à créer le trouble chez l'observateur. La mystérieuse alchimie neuronique amalgame plusieurs plans, intègre les images, mêle les sens. Face à l'animal préhistorique, on se prend à supposer que la puissance du symbole lui permet de représenter à la fois toutes les couches de la mémoire collective, non seulement de l'espèce, mais, à travers la chaîne des règnes, de la matière originelle elle-même. Et si "Je suis devenu minéral" voulait dire "Je me souviens d'avoir été minéral" ? Ce qui est certain, c'est que les images de charbon, d'arbres engloutis sous l'eau, de forêts pétrifiés, etc. Sont trop nombreuses dans ces séances pour ne pas attirer l'attention sur les quatre règnes de la vie. De l'homme à l'animal, de l'animal au végétal, du végétal au minéral, un vertigineux itinéraire à rebours conduit de l'esprit à la matière, dans le sens contraire de la vie. Qu'est ce monstre préhistorique sinon l'être vivant, mobile certes, mais encore apparenté, par ses lourdes écailles, au sol pierreux qu'il foule ? Et qu représente ce long cou orné d'une tête triangulaire, sinon le long chemin qui s'interpose entre la matière et l'esprit ? Le dinosaure, comme la girafe, prend sa nourriture dans les feuillages, la partie aérienne de l'arbre, alors que son corps immense pèse encre si lourd des liens qui l'enchaînent à la terre dont il est issu. Ce long cou dressé symbolise l'essor de la vie vers la verticalité, l'évolution ascensionnelle de l'esprit. Anne, dans sa onzième séance, a des images qui imposent l'évidence d'une dynamique de repositionnement entre les plans terrestre et spirituel. "... Je vois un genre de colonne... comme une colonne vertébrale... comme ça, détachée de tout... et, de cette colonne, je vois partir de minces filets... un peu comme une arête verticale, comme vivante aussi, et je vois maintenant une espèce d'animal préhistorique, très, très grand, avec une crête... un ange posé sur tune gargouille dont je ne vois pas l'origine... et puis, un masque inca, rectangulaire, avec des plumes... oui... c'est peut-être le dieu Quetzalcoatl..."
Beaucoup d'autres images de ce rêve d'Anne témoignent de l'aspiration à réunir le plus bas et le plus haut, c'est-à-dire saisir l'ensemble de la verticalité. Quetzalcoatl, le serpent à plumes, est depuis longtemps reconnu comme symbole type de cette aspiration.
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Le rôle de l'animal préhistorique dans le rêve serait-il de déclencher une prise de conscience du poids excessif des attachements terrestres ? De rendre insupportable la présence de ces monstres et dragons qu'il faut affronter et vaincre pour retrouver le chemin de lumière qui mène au vrai soleil retrouvé, le chemin de l'esprit, du devenir ?
L'animal préhistorique serait alors expressif d'une emphase énorme mise sur le passé, sur la mémoire, sur la fallacieuse sécurité des repères. Une série d'indices viennent confirmer cette proposition. Leur énumération nous paraît superflue, tant le sens du symbole, une fois élucidé, devient imparable ! L'expression "animal préhistorique" est une sorte de pléonasme dans la mesure où chacun des deux mots renvoie à sa façon au passé. La mémoire s'oppose à la foi. Il ne peut y avoir d'évolution sans la foi dans un devenir imprévisible. La dynamique psychologique en œuvre dans le rêve éveillé déroule directement de cette acceptation de l'ouverture à l'inconnu.
Le monstre préhistorique, témoin de le mémoire la plus lourde, sur le plus collectif et sur le plan individuel, peut être regardé comme un agent d'accélération du processus de rupture avec les pesanteurs limitatrices."
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Littérature :
Pascal Lainé auteur de Trois petits meurtres... et puis s'en va (Éditions Ramsay, 1985) imagine une comtesse très étrange dans son comportement :
"Vers dix heures, Lester trouva la comtesse de Marcigny dans le bureau de son mari. Agenouillée devant l'une des armoires vitrées, elle rangeait les dossiers que le policier et sa compagne, la veille, avaient laissés en piles sur le plancher. Ses gestes étaient étranges à force de lenteur. Cette femme aurait dû être morte, semblait-il, depuis l'âge des grands reptiles : ses mouvements étaient rigoureusement mesurés dans l'espace, mais prenaient une ampleur formidable dans le temps, évoquant les créatures géantes de l'ère secondaire, dont l'énormité véritable s'évalue en siècles.
Elle ne se retourna point à l'entrée du policier, continuant son travail de rangement comme une manducation archaïque."
Autre métaphore, celle de Asa Larsson dans son roman policier intitulé Le Sang versé (Édition originale, 2004 ; Éditions Albin Michel, 2014 pour la traduction française) :
L'herbe était cassante et en train de virer au jaune. Les arbres poussiéreux paraissaient déshydratés. Elle s'imagina à quoi devait ressembler la forêt : des bouteilles partout, des sacs en plastique, des capotes usagées et des tonnes d'excréments humains cachés sous les fougères et les buissons de myrtilles.
Le chemin qui menait à l'hôtel était aussi dur que du béton. Il faisait penser à la colonne vertébrale d'un squelette de dinosaure. Elle se sentait elle-même assez proche du dinosaure. Ou d'une extraterrestre tout juste descendue de sa soucoupe volante, déguisée en être humain pour subir l'épreuve du feu qui consistait à imiter le comportement d'une personne normale. Elle allait devoir regarder les autres et essayer de faire comme eux, en espérant que son costume ne craquerait pas aux coutures.
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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque brièvement une créature aujourd'hui disparue :
22 décembre
(Forêt de Soignes)
A mes pieds, la mousse profonde d'un vallon qui s'achève en étang elliptique. Je marche vers la boue froide que je devine entre les laîches.
Pour aujourd'hui, ce modeste morceau de marécage sera ma tourbière primitive. Je n'aurai que les semelles dans la fange, mais je noierai mon esprit dans dix mille siècles de sphaignes pourrissantes.
Un ichthyostéga du dévonien sort de l'eau à ma droite.
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