Étymologie :
RÉMORA, subst. masc.
Étymol. et Hist. 1. 1562 remora « sorte de poisson » (Du Pinet, Hist. du monde, t. II, p. 530) ; 1564 une remore « id. » (Rabelais, Cinquiesme livre, éd. P. Jourda, p. 396) ; 2. ca 1610 remore « obstacle, retardement » (Mém. de Villeroy, t. 6, p. 393 ds La Curne) ; 1696 remora « id. » (Regnard, Le Joueur, éd. Paris, 1830, t. 3, acte IV, scène 13, p. 98). Empr. au lat. remora « retard, obstacle » ; « échénéide, ce poisson à qui les Anciens attribuaient le pouvoir d'arrêter les bateaux ».
SUCET, subst. masc.,
Sucet, subst. masc., attest. 1695 « rémora » (Dancourt, Voyage de Le Maire, p. 112 ds Roll. Faune t. 11, p. 200) ; de sucer, suff. -et*.
Lire aussi la définition des noms rémora et sucet pour amorcer la réflexion symbolique et une des définitions du nom pilote :
I. C. − ICHTYOL. Poisson pilote et, p. ell., pilote. Poisson des mers chaudes et tempérées, appartenant à la famille des Acanthoptères, qui accompagne les navires pendant des traversées entières ou les requins et s'abrite à leur ombre. Synon. rémora. 12 novembre (...) Requins, pilotes (...) crustacés en forme de lyre (Freycinet, Voy. autour du monde, 1826, p.55)
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Symbolisme :
Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :
SUCET OU REMORA. Les anciens et les populations du moyen âge croyaient que cette espèce de poisson pouvait arrêter dans sa course le navire le plus puissant par sa force motrice. On lui accordait encore la faculté de retirer l'or qu'on laissait tom ber au fond d'un puits , de retarder l'action des tribunaux, etc.
Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :
Ce poisson, dont le nom vient de remorari (retarder, arrêter), parfois appelé « sucet » ou « poisson suceur », a la tête pourvue d'un disque adhésif avec lequel il s'attache à de gros poissons ou s'agrippe aux surfaces solides. Cette particularité lui a valu d'être accusé, par les Anciens comme par les populations du Moyen Âge, « d'arrêter dans sa course le navire le plus puissant ». C'est à cause d'un rémora que le bateau d'Antoine fut retardé lors de la bataille d'Actium (31 avant notre ère) où il fut vaincu par Octave.
On lui attribuait également le pouvoir « de retirer l'or qu'on laissait tomber au fond d'un puits », et même de retarder l'action des tribunaux. Les alchimistes désignent parfois sous le terme de rémora la pierre philosophale ou « l'embryon métallique ressuscité à partir du métal mort ». Pour certains, de l'aimant conservé dans du sel produit un rémora.
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Dans l'avant-propos au livre de Aurélia Gaillard et Jean-René Valette, intitulé La beauté du merveilleux. (Presses universitaires de Bordeaux, 2011), Bernard Vouilloux nous rappelle que :
Si les livres allaient du même pas que les régiments, celui-ci aurait pu élire pour mascotte le rémora conservé au muséum d’Histoire naturelle de Bordeaux. À ce petit poisson qui ne paie pas de mine, fort proche du maquereau, les Anciens attribuaient le pouvoir d’arrêter les bateaux. À l’époque où Du Bartas en rappelait la prodigieuse puissance — « La Rémore fichant son débile museau / Contre le moite bout du tempesté vaisseau / L’Arreste tout d’un coup au milieu d’une flote / Qui suit le veuil du vent & le veuil du pilote » —, le rémora faisait partie de ces « merveilles », naturalia et artificalia confondus, que recueillaient les cabinets de curiosités. Comme tel, il était l’objet d’une curiosité, précisément, dans laquelle l’émerveillement et la libido sciendi entraient à parts égales.
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Symbolisme alchimique :
D'après Patrick Rivière, auteur de L'Alchimie, science et mystique (Éditions De Vecchi, nouvelle édition augmentée 2013),
"Il s'agit de l'obtention du "petit roi" également désigné, comme nous l'avons vu précédemment, par le basilic. C'est le "bouton de retour" extrait de la terre philosophale "sous les montées et les descentes des grandes marées du Mercure" des sublimations du Second Œuvre. Cette partie du Grand Œuvre est comparable en tout au Déluge de Noé. Fulcanelli en donne la description précise dans son chapitre des Demeures philosophales consacré à l'hermétique château de Dampierre-sur-Boutonne : "Soulevée de tous côtés, ballottée par les vents, l'arche flotte néanmoins sous la pluie diluvienne. Astérie s'apprête à former Délos, terre hospitalière et salvatrice des enfants de Latone. Le dauphin nage à la surface des flots impétueux, et cette agitation dure jusqu'à ce que le rémora, hôte invisible des eaux profondes, arrête enfin, comme une ancre puissante, le navire allant à la dérive. Le calme renaît alors, l'air se purifie, l'eau s'efface, les vapeurs se résorbent. une pellicule couvre toute la superficie et, s'épaississant, s'affermissant chaque jour, marque la fin du déluge, le stade d'atterrissage de l'arche, la naissance de Diane et d'Apollon, le triomphe de la terre sur l'eau, du sec sur l'humide, et l'époque du nouveau Phénix."
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Légendes :
La légende de l'échénéis-remora, de l'Antiquité à la Renaissance par Isabelle Jouteur :
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Héraldique :
La ville d'Évian-les-Bains en avait fait sa devise : Utinam remora (Puisse-t-elle être le rémora !). Sur le site de la Cité d'Evian on peut lire cette explication concernant le blason historique de la ville rédigée par Jean-Louis Lascoux le 5 juillet 2014 :
[...] L’armoirie d’Evian présente une scène est composée de deux poissons, peut-être une truite tenant dans sa bouche une ablette ou un rémora. La fable peut commencer. Le blason est une allégorie piscicole. Qu’en est-il du message voulu ? Il ne reste que des interprétations.
Quel lien entre le blason et la devise du rémora ?
Le blason XVI° : adoption de la devise UTINAM REMORA ! (Puissé-je être le rémora !).
Est-ce elle qui est illustrée sur le blason d’Evian ? Rien ne permet de l’affirmer. Le rémora est ce poisson parasite qui s’accroche à d’autres plus gros. Des marins affirmaient qu’en nombre il s’attachait à la quille d’un vaisseau et pouvait en gêner et en retarder la course (Encyclopédie méthodique, dictionnaire de toutes les espèces de pêche – p. 242). Cette puissance avait de quoi faire fantasmer les habitants d’une petite ville connaissant de nombreux passages. Mais pourquoi mettre un petit poisson en travers de la bouche d’un plus gros. Voracité potentielle ? Protection ? Annonce de blocage ? Le petit poisson serait la ville d’Evian qui resterait en travers de la bouche du plus gros, soit qu’il ne passerait pas autrement soit qu’il ne donnerait pas envie de l’avaler parce qu’il serait plus utile à autre chose qu’à être mangé…
Interprétations du blason piscicole : Il n’est pas impossible que ce soit le gros, lequel se montre satisfait d’une petite proie, celle qu’on veut bien lui laisser ? Dans un cas comme dans l’autre, Evian ne s’affirmerait pas autrement que comme une ville commensale. Ainsi, l’ancienne devise d’Evian : Deo et duci fidelis perpetuo (en français : « À Dieu et au duc fidélité perpétuelle ») Une lecture a été donné de l’allégorie d’Evian par un dicton diffusé par des médias (Le messager 22 juillet 2010) sans qu’on en connaisse l’époque (probablement fin XX° début XXI° siècle) : “Sur terre comme dans les eaux, les petits sont mangés par les gros ; mais à Evian, les petits se mettent en travers.”
Il est aussi possible de considérer les choses d’une toute autre manière : et si le gros poisson s’était mis au service du plus petit, de sorte que le système implicitement préconisé était celui que le plus gros doit se mettre au service du plus petit, que le plus fort se mettre à celui du plus faible ; n’est-ce pas d’un esprit de solidarité dont Evian témoignerait ?
Et si jamais ce n’était pas le cas, le sens de l’Histoire est celui que les contemporains lui donne, pas nécessairement celui qui a été voulu par ceux qui l’ont faite. Comme aucun texte n’est parvenu jusqu’à nous, nous pouvons retenir ce qui nous parait le plus probable ou adopter ce qui nous est le plus agréable.
Cette marque de solidarité peut bien aller à Evian qui, au cours des siècles, a souvent su témoigner d’accueil et de solidarité. Les réfugiés de la révolution française ont pu apprécier cette qualité, de même plus tard ceux de la première guerre mondiale.
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Arts visuels :
Dennis Nona, Gapu Dhangal (Dugong et Remora), 2004 (eau-forte) :
Gapu Dhangal signifie Dugong et Remora dans la langue de l’ouest du Détroit de Torres. C’est l’un des modes de chasse traditionnels. Une corde en fibre de coco est attachée au remora, puis lancée dans l’eau où les dugongs se nourrissent. Le remora s’accroche au dugong, puis les chasseurs suivent l’animal jusqu’à ce qu’il soit affaibli. Ils peuvent alors le harponner.
Dennis Nona / AAPN - Collection Musée d'Art et d'Histoire, Rochefort / http://www.artsdaustralie.com/
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