Étymologie :
AMARANT(H)E,(AMARANTE, AMARANTHE), subst. fém. et adj.
Étymol. ET HIST. − 1. 1544 lat. sc. Amarantha bot. « fleur de la plante dicotylédone dont la fleur d'automne est d'un rouge pourpre » (L'Arcadie de Sannazar, trad. I. Martin, 116 r°ds R. d'études Rabelaisiennes, IX, 299 : Amarantha signifie non pourrissante, et se dict proprement de la fleur que nous appelons Passeveloux) ; 2e moitié xvie s. amaranthe masc. « id. » (R. Belleau, La Bergerie, 1re journée, I, 279 ds Hug. : Douce et belle bouchelette... Plus suave et mieux fleurante Que l'immortel Amaranthe) ; 1680 (Rich. : Amarante tricolor. Plante qui ne flurit point et dont toute la bonté consiste dans les feuilles) ; 2. p. ext. 1690 (Fur. : On appelle aussi amaranthe la teinte qui imite la couleur de cette plante) ; 1694 (Ac. : Amarante se dit aussi de la couleur semblable à celle de cette mesme fleur. Une estoffe, un drap amaranthe). Empr. au lat. amarantus (écrit aussi amaranthus en b. lat., Corp., V, 7357 ds TLL s.v., 1814, 14), attesté dep. Columelle, 10, 175, ibid., 1814, 4 ; voir aussi André Bot. 1956. − Amaranthoïde, 1751 (Encyclop. t. 1).
Lire également la définition du nom Amarante afin d'amorcer la réflexion symbolique.
En grec ancien, le nom de la plante signifie "immortelle", ce qui peut se justifier par le fait que son calice est persistant. Elle est donc symbole d'immortalité.
Autres noms : Amaranthus - Passe-Velours - Queue-de-renard -
Amaranthus blitum - Amarante blette - Amarante sauvage -
Amarantus caudatus - Amarante queue-de-renard - Bave d'ivrogne - Cordelière - Crête de coq - Discipline de religieuse - Mousse de paon - Passe-velours - Queue de loup rouge - Roupie de co-dinde -
Amaranthus retroflexus - Amarante réfléchie -
Amarantus tricolor - Amarante de Constantinople - Amarante émaillée - Amarante tricolore - Célosie - Fleur du Grand Maître - Gélésie - Génésie - Jalousie - Tricolore des Indes.
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Botanique :
Dans Histoire et légendes des plantes utiles et curieuses (Librairie de Firmin Didot, Frères, Fils et Cie, 1871), J. Rambosson poursuit la tradition du sélam à la mode au XIXe siècle, en commençant par une description botanique :
L'AMARANTE. Ses diverses espèces ; l'amarante chez les anciens ; l'ordre de l'amarante ; la fête des dieux.
Amarante vient du grec, d'a, privatif, et maraïno, se flétrir. Ce genre est ainsi nommé à cause de la persistance de ses fleurs, qui sont disposées en épi ou en grappe.
Cette plante est cultivée dans les jardins et fleurit en automne. L'amarante crête-de-coq, ou passe-velours, a ses fleurs disposées en forme de panache, et ressemble à du velours d'une belle couleur rouge mêlée de violet; c'est cette espèce qui a donné son nom à la couleur amarante.
L'amarante à fleurs en queue, nommée aussi discipline de religieuse ou queue de renard a une tige haute de près d'un mètre, des feuilles oblongues et rougeâtres, des fleurs en longue grappe, pendantes et cramoisies ; elle se sème elle-même et vient partout.
L'amarante pyramidale est haute quelquefois de deux mètres ; son feuillage est souvent teintée de rouge ; elle se fait remarquer surtout par sa gigantesque inflorescence, couleur sang de bœuf et de forme pyramidale.
L'amarante tricolore a ses feuilles tachées de jaune, de vert et de rouge. L'amarante blette a la tige rameuse, couchée à la base, les feuilles ovales, échancrées au sommet ; cette espèce est comestible.
Maria Luisa Pignoli, autrice d'une thèse intitulée Les désignations des plantes sauvages dans les variétés arbëreshe (albanais d'Italie) : étude sémantique et motivationnelle. (Linguistique. COMUE Université Côte d'Azur (2015 - 2019) ; Università degli studi della Calabria, 2017. Français) consacre une courte section à la description de l'Amarante réfléchie :
Nom scientifique (Amaranthus retroflexus ) : Selon André, le nom scientifique de cette espèce dérive du grec : lat. ĂMĂRANTHUS, I < gr. ¢m£ranton « qui ne se flétrit pas » (André, 2010 : 13) ; tandis que son deuxième élément dérive du verbe lat. FLECTO, CTĔRE « plier » (OLD : 712) qui est précédé de l’adverbe lat. RĔTRŌ « en arrière » (OLD : 1644). Ce nom scientifique désigne, ainsi, une espèce toujours vigoureuse, qui pousse en pliant sa tige en arrière.
Description botanique : L’amarante est une plante annuelle de 20-80 cm, pubescente et à tige dressée ; elle est robuste et peu rameuse et ses feuilles sont d’un vert pâle, rhomboïdales-ovales. Les fleurs sont verdâtres et se développent en épis épais, axillaires et en panicule terminale compacte non feuillée; l’épi terminal est un peu plus long. Elle fleurit entre juin et octobre (Pignatti, 1982, I : 180).
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Usages traditionnels :
Selon Alfred Chabert, auteur de Plantes médicinales et plantes comestibles de Savoie (1897, Réédition Curandera, 1986) :
En Dauphiné, d'après Villars, on a mangé aussi en potages ou apprêtées comme des épinards les feuilles des amaranthes, Amanranthus sylvestris et blitum.
Dans sa thèse intitulée Les désignations des plantes sauvages dans les variétés arbëreshe (albanais d’Italie) : étude sémantique et motivationnelle. (Linguistique. Université Côte d’Azur ; Università degli studi della Calabria, 2017) Maria Luisa Pignoli rapporte les utilisations suivantes de l'Amarante réfléchie :
Propriétés et utilisation : On retrouve le témoignage de l’emploi de l’amarante pour l’alimentation humaine dans la plupart des études ethnobotaniques menées dans le domaine roman et albanais ; en général cette plante est consommée soit en salade soit cuite avec d’autres légumes (Quave & Pieroni, 2007 : 218 ; Pieroni, 2002a : 168, 2008 : 1201 ; Pieroni et al., 2013 : 4 ; Di Tizio et al., 2012 : 3). Nos informateurs nous ont aussi indiqué l’utilisation de l’amarante pour l’alimentation des animaux, qui en sont friands, et des êtres humains. Cette plante était consommée cuite avec d’autres plantes sauvages et était utilisée pour la préparation d’un repas typique de la tradition paysanne italienne appelé « pane cotto » (« pain cuit »). Ce repas était le seul que les familles les plus pauvres pouvaient se permettre. Dans les Abruzzes, on utilise l’amarante pour la préparation d’une soupe de légumes où vingt espèces d’herbes sauvages différentes sont mélangées ensemble (Guarrera, 2006 : 274). Les Indiens d’Amérique utilisent aussi, depuis toujours, cette plante pour se nourrir: chez les Acomas et les Lagunas, l’amarante est bouillie et séchée pour être consommée pendant l’hiver (Swank, 1932 : 26) ; tandis que les Indiens de Mendocino County en utilisent les petites graines noires et brillantes pour la production d’une farine à l’ancienne très nourrissante appelée « pinole » (Chestnut, 1902 : 346).
Picchi (1999 : 98) classe l’amarante parmi « le erbe buone per proteggere gli uomini, i raccolti e la terra dai parassiti o insetti dannosi » [1] en raison de la croyance dans les vertus antiparasitaires dont les paysans de l’Italie du sud tenaient compte lors de la culture du maïs. En revanche, l’amarante est censé être une plante magique en tant que directement liée à Jupiter (Macioti, 1995 : 69) ; les jeunes filles en Grèce et à Rome en ceignaient leur tête pour répandre les essences magiques ayant des propriétés bienfaisantes pour l’individu. Ces essences pouvaient soigner en particulier les dépressions psychiques, susciter une sensation de protection, combattre la stérilité physique et mentale et même protéger de la méchanceté des autres (Macioti, 1995 : 73). Ces dernières propriétés « magiques » de l’amarante sont aussi remarquées par De Gubernatis (1882 : 10) lorsqu’il affirme que cette plante était sacrée chez les Grecs et les Romains et que, selon Virgile, le poète devait s’en emparer pour éloigner les médisances. En outre, cet auteur ajoute aussi des informations à propos de l’utilisation de cette plante chez les dieux de l’Antiquité :
« Thessalus orna de fleurs d’amarante le tombeau d’Achille, et Philostratus constate l’usage d’en parer les tombeaux. Artemidorus nous apprend que l’on suspendait des couronnes d’amarante au temple de plusieurs divinités ; chez les Grecs, l’amarante est aussi le symbole de l’amitié. » (De Gubernatis, 1882 : 10).
Note : 1) Les bonnes herbes pour protéger les hommes, les récoltes et la terre des insectes parasites et nuisibles (N.T.).
Croyances populaires :
Dans Le Folk-Lore de la France, tome troisième, la Faune et la Flore (E. Guilmoto Éditeur, 1906) Paul Sébillot recense nombre de légendes populaires :
Dans la Gironde un morceau d'amaranthe ou une feuille de rue fait réussir dans toutes ses entreprises celui qui les porte dans sa bourse ou dans un sachet.
[...] En Haute-Bretagne, on effeuille la Pâque en disant :
Fille, femme, veuve, religieuse,
Gars, homme, veuf, religieux.
Les jeunes filles [...] du Maine la prononcent en détachant les corolles de la queue de renard.
[...] Les consultations par l'effeuillement ou le comptage, des pétales on des grains ne sont pas toutes en rapport avec l'amour. [...] Dans le Maine, on dit en effeuillant les corolles de la queue de renard « Paradis, purgatoire, enfer ».
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Symbolisme :
Louise Cortambert et Louis-Aimé Martin, auteurs de Le langage des fleurs. (Société belge de librairie, 1842) nous livrent leur vision de cette petite fleur :
Automne - Novembre.
AMARANTE - IMMORTALITÉ.
L’amarante est le dernier présent de l'automne. Les anciens avaient associé cette fleur aux honneurs suprêmes, en en parant le front des dieux. Quelquefois les poëtes ont mêlé son éclat au triste et noir cyprès, voulant exprimer ainsi que leurs regrets étaient attachés à d'immortels souvenirs. Homère dit qu'aux funérailles d’Achille, les Thessaliens se présentèrent la tête couronnée d'amarantes. Malherbe, comme si sa propre gloire appartenait au héros qu'il célèbre, dit à Henri IV :
Ta louange dans mes vers,
D'amarante couronnée,
N'aura sa fin terminée
Qu'en celle de l'univers.
L'amour et l'amitié se sont aussi parés d’amarantes. Dans la guirlande de Julie, on trouve ce quatrain :
Je suis la fleur d'amour qu'amarante on appelle,
Et qui vient de Julie adorer les beaux yeux.
Roses, retirez-vous, j'ai le nom d'immortelle ;
Il n'appartient qu'à moi de couronner les dieux.
Dans une idylle charmante, M. Constant Dubos a chanté cette fleur, dont l'aspect nous console des rigueurs de l'hiver. Après avoir regretté la fuite rapide des fleurs et du printemps, il dit :
Je suis la fleur d'amour qu'Amarante on appelle,
Et qui viens de Julie adorer les beaux yeux.
Rose, retirez -vous, j'ai le nom d'immortelle ;
Il n'appartient qu'à moi de couronner les dieux.
Je t'aperçois belle et noble amarante !
Tu viens m'offrir, pour charmer mes douleurs,
De ton velours la richesse éclatante ;
Ainsi la main de l'amitié constante,
Quand tout nous fuit, vient essuyer nos pleurs.
Ton doux aspect de ma lyre plaintive
A ranimé les accords languissants ;
Dernier tribut de Flore fugitive,
Elle nous lègue, avec la fleur tardive,
Le souvenir de ses premiers présents.
La reine Christine de Suède, qui voulut s'immortaliser en renonçant au trône pour cultiver les lettres et la philosophie, institua l'ordre des chevaliers de l'amarante. La décoration de cet ordre est une médaille d'or enrichie d'une fleur d'amarante, en émail, avec ces mots : Dolce nella memoria (en sa douce mémoire). Dans les jeux floraux, à Toulouse, le prix des plus beaux chants lyriques est une amarante d'or. Clémence Isaure en avait fait l'emblème de l'immortalité.
Le nom de cette fleur est composé de deux mots grecs qui signifient : qui ne se flétrit point.
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Dans Les Fleurs naturelles : traité sur l'art de composer les couronnes, les parures, les bouquets, etc., de tous genres pour bals et soirées suivi du langage des fleurs (Auto-édition, Paris, 1847) Jules Lachaume établit les correspondances entre les fleurs et les sentiments humains :
Amarante - Immortalité ; Amitié.
Ce mot en grec signifie inflétrissable. L’amarante fleurit dans l’automne de l’année comme l’amitié dans l’automne de la vie. Cette plante demeure très longtemps en fleur.
Dans son Traité du langage symbolique, emblématique et religieux des Fleurs (Paris, 1855), l'abbé Casimir Magnat propose une version catholique des équivalences symboliques entre plantes et sentiments :
AMARANTHE - IMMORTALITÉ.
Nous ressusciterons tous, mais nous ne serons pas tous changés. En un moment, en un clin d'oeil , au son de la trompette, car la trompette sonnera et les morts ressusciteront incorruptibles désormais, et nous serons changés. Car il faut que ce corps corruptible soit revêtu d'incorruptibilité, el que ce corps mortel soit revêtu d'immortalité.
I Corinthiens 54-53 .
L'amaranthe ou célosie à crête, connue aussi sous le nom vulgaire de crète de coq, est une belle plante qui vient de l'Asie et qui fait l'ornement de nos jardins, par sa tige élevée, rameuse ; par ses feuilles ovales, terminées en pointe, d'un vert tendre, par ses fleurs nombreuses, disposées en forme de panache et d'une couleur purpurine. On la sème sur couche, au mois de mai ou d'avril, pour la transplanter en terre franche, bien amendée. Il lui faut une bonne exposition et beaucoup d'eau pendant les sécheresses.
La célèbre Clémence Isaure, en instituant les jeux floraux à Toulouse, voulut qu'une amaranthe en or fût le prix du vainqueur dans les chants lyriques et elle en fit l'emblème de l'immortalité. - Christine de Suède, avant d'abdiquer, par vanité, institua l'ordre des chevaliers de l'Amaranthe. La décoration était une médaille d'or sur laquelle une amaranthe en émail, avec ces mots : Dolce nella me moria, - en sa douce mémoire.
RÉFLEXIONS.
Notre immortalité nous est révélée d'une révélation innée et infuse dans notre esprit. Dieu lui-même, en le créant, y déposa celle parole, y grava celle vérité , dont les trails et le son demeurent indestructibles.
(JOUBERT)
Quelle folie de se proposer pour but el pour récompense l'immortalité que les hommes accordent ! N'est-ce pas un fondement bien solide que la mémoire ou le caprice des hommes !
(OXENSTIERN)
Selon Pierre Zaccone, auteur de Nouveau langage des fleurs avec la nomenclature des sentiments dont chaque fleur est le symbole et leur emploi pour l'expression des pensées (Éditeur L. Hachette, 1856) :
AMARANTHE - FIDÉLITÉ, CONSTANCE.
Fleur d'automne qui est ordinairement d'un rouge velouté. - On la nomme encore Passe-velours. « Elle est le symbole de l'immortalité. » Aux jeux floraux, une amaranthe d'or est adjugée tous les ans, à l'auteur de la meilleure ode.
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Emma Faucon, dans Le Langage des fleurs (Théodore Lefèvre Éditeur, 1860) s'inspire de ses prédécesseurs pour proposer le symbolisme des plantes qu'elle étudie :
Amaranthe - Immortalité.
Cette plante forme des grappes pourprées, agglomérées le long des rameaux. Sa beauté sombre et sévère l'a fait consacrer aux morts par les anciens, qui plantaient les amaranthes autour des tombeaux. Elle se dessèche en conservant sa forme et sa couleur.
Fière de ses longs jours, au zéphyr inconstant
L'amaranthe a livré son panache éclatant. ROUCHER.
Dans Histoire et légendes des plantes utiles et curieuses (Librairie de Firmin Didot, Frères, Fils et Cie, 1871), J. Rambosson poursuit la tradition du sélam à la mode au XIXe siècle :
Chez les anciens l'amarante était le symbole de l'immortalité ; chez nous elle est celui de la constance :
Tel un ami qu'entraîne un long voyage,
De loin encor tournant les yeux vers nous,
De ses regrets nous offre un dernier gage,
Et de sa main, tendre et muet langage,
Nous dit : Adieu ; mon cœur reste avec vous.
Les magiciens attribuaient aux couronnes faites de cette fleur la vertu de concilier la faveur et la gloire à ceux qui en portaient. Dans l'Académie des jeux floraux, l'amarante d'or est le prix de l'ode. Christine de Suède institua, en 1653, l'ordre de l'Amarante, qui doit son nom et son origine à une fête assez curieuse.
Il y avait en Suède un jour de divertissement annuel appelé Wirtschaff, c'est-à-dire fête de l'hôtellerie ; on le passait en festins et en danses, qui duraient depuis le soir jusqu'au matin. Christine changea le nom de cette fête, et l'appela fête des dieux. Les seigneurs et les dames de la cour tiraient au sort la divinité qu'ils devaient y représenter.
A table, les dieux étaient servis par une élite de jeune noblesse de l'un et de l'autre sexe, dont les charmes étaient rehaussés par la diversité des costumes que chacun inventait pour se distinguer. La reine prit le nom d'amarante, c'est-à-dire Immortelle, et parut avec des vêtements superbes, couverts de diamants, qu'elle distribua ensuite aux masques admis à la fête.
L'insigne de l'ordre était une médaille d'or ovale, émaillée de rouge au milieu, où se trouvaient un A et un V (en chiffre) avec une couronne de laurier au-dessus, le tout en diamants, et pour devise à l'entour : Dolce nella memora ; le souvenir en est agréable. Cette médaille était attachée à un ruban couleur de feu, et se portait au cou. Dubos a délicieusement exprimé les différentes attributions de l'amarante : [cf ci-dessus].
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Le Dictionnaire Larousse en 2 volumes (1922) propose des pistes pour comprendre le langage emblématique des fleurs :
Nom Signification Couleur Langage emblématique
Amarante Amour durable Rouge brun Rien ne me lassera
Selon le site http://langage-de-fleurs.com/fleur/Amarante :
"L'amarante était vénérée des incas qui lui attribuaient des pouvoirs surnaturels, les Aztèques la nommaient : "la fleur aux miracles". Dans le langage des fleurs, l'amarante rouge symbolise la fidélité et la constance amoureuse tandis que l'amarante multicolore annonce plutôt des amours variés."
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Pour Scott Cunningham, auteur de L'Encyclopédie des herbes magiques (1ère édition, 1985 ; adaptation de l'américain par Michel Echelberger, Éditions Sand, 1987), l'Amarante a les caractéristiques suivantes :
On regroupe sous le nom d'Amarante plusieurs espèces appartenant aux groupes Amaranthus et Celosia. Quelques-unes sont à grosses fleurs ; d'autres sont bien connues des jardiniers pour leur feuillage décoratif. Toutes les Amarantes et Célosies renferment approximativement les mêmes principes. Toutefois, traditionnellement, c'est l'Amarante queue-de-renard qui est la plus utilisée dans les rites de magie.
Genre : Féminin
Planète : Saturne
Élément : Air ou Feu - les Toltèques, et leurs successeurs Aztèques, donnaient ces deux fonctions à leur plante sacrée entre toutes : l'Amarante queue-de-renard.
Divinités : : Quetzalcoatl, le « serpent à plumes » - Zeus - Jupiter.
Pouvoirs : Guérison - Protection - Immortalité - Invisibilité.
Utilisation rituelle : Chez les Anciens, l'Amarante était le symbole de l'immortalité. On la consacrait aux morts, elle était utilisée dans tous les rites funéraires païens. À ce sujet, une comparaison entre l'Amérique précolombienne et l'Antiquité gréco-romaine est extrêmement intéressante. Dans la mythologie toltèque (reprise presque sans changements par la grande civilisation aztèque - ces derniers rajoutèrent simplement une foule de dieux, génies, demi-dieux, héros légendaires, pour aboutir à un extraordinaire panthéon, aussi riche en symboles que les panthéons grec et hindou), dans l'ancienne mythologie toltèque donc, Quetzalcoatl avait été dépossédé de sa royauté solaire par la jalousie de ses frères, et réduit à errer, invisible, dans l'espace. Il était le grand maître de l'air et des phénomènes atmosphériques, sans pour autant se désintéresser des basses affaires du « monde de la matière », où il voulait revenir pour guider et éclairer les humains, ses sujets.
Passons maintenant en Grande-Grèce, et bien sûr à Rome où les dieux ont simplement changé de nom. Que trouvons-nous dans la mythologie d'un peuple aussi éloigné des Aztèques que les Scandinaves le sont des Bantous ? Zeus est le fils de Kronos (le Saturne italique). Kronos avait détrôné son père et dévoré ses enfants pour qu'ils ne lui fassent pas subir le même sort. Grâce à une ruse de Cybèle, Zeus échappa. Par un breuvage magique, Cybèle rendit Zeus Invisible et l'envoya dans l'espace où il put se cacher en sécurité, attendant le jour où il pourrait revenir au milieu des siens. Il y a là matière à réflexion, ne trouvez-vous pas ? Et où l'Amarante était-elle le plus vénérée ? En Grande-Grèce, dans l'Italie romaine, au Mexique précolombien, chez les Incas ! D'où venait ce tronc commun ?
Utilisation magique : Elles étaient si nombreuses chez les Aztèques que l'affaire se termina fort mal - du moins temporairement, car l’Amarante persécutée s'empressa de repousser un peu partout dès que ses bourreaux furent à leur tour « emportés comme poussière au vent ». Les meilleures terres des chinampas, les jardins flottants de Mexico, étaient réservées à d'immenses massifs d'Amarante queue-de-renard. Sans doute la forme de cette fleur contribua-t-elle à son succès : on dirait, en effet, un serpent ondoyant au moindre souffle de brise, tout recouvert d'un duvet carminé chatoyant. L'analogie semble s'imposer d'elle-même. La plante avait alors acquis une telle réputation magique, les Aztèques en faisant usage dans une multitude de cérémonies, toutes moins catholiques les unes que les autres, que les autorités coloniales espagnoles s'en émurent : en grande pompe, avec force décrets et anathèmes ecclésiastiques - avec aussi quelques oreilles coupées, ongles arrachés, etc. -, l'Amarante fut proclamée « hors-la-loi» sur tout le territoire du Mexique. Avoir alors un pied de queue-de-renard ou de crête-de-coq aux abords de sa maison pouvait conduire l'infortuné propriétaire vers des feux qui n'avaient malheureusement rien de sacré...
Franchissons quelques siècles. Sans avoir retrouvé sa gloire d'antan, l'Amarante a tout de même bien résisté. Les Mexicains, entre autres, ne l'ont jamais oubliée, et plus d'un sorcier ne jure que par elle. Le malade que l'on coiffe d'une couronne de queues-de-renard guérira rapidement. Il faut cueillir les sommités fleuries au tout début de leur épanouissement afin qu'elles libèrent la plénitude de leurs propriétés sur la tête du patient.
Cette plante aux vertus étendues peut vous rendre invulnérable aux balles, éclats d'obus et autres tirs variés. Si la révolution vous attire, voici ce qu'il faut faire avant d'aller rejoindre les guérilleros de votre choix : arrachez, un vendredi de pleine lune, la totalité d'un pied, racines comprises, d'une Amarante queue-de-renard. Faites une offrande à la plante en enterrant de l'argent, ou un objet qui vous est précieux, dans le trou. Prêtez ce serment : « Je jure de combattre pour la bonne cause, pour la défense du droit et de l'humanité.» (Il est d'ailleurs fort possible que, dans le clos mitoyen, votre voisin soit en train de faire la même .chose, avant d'aller rejoindre, à l'aube, le camp opposé.) Rebouchez. Etalez l'Amarante complète - racines, tiges, feuilles, sommités fleuries - et enveloppez-la dans un linge plié que vous façonnez de manière à en faire une sorte de cataplasme. Le tissu de cette enveloppe doit être neuf et blanc. Portez ce cataplasme sur votre poitrine : mieux qu'un gilet pare-balles. Et ! Qué viva México !...
La couronne de queues-de-renard peut, dans certains cas, rendre son porteur invisible - rappel évident aux mythes de Quetzalcoatl et de Zeus. Mais là il faut être initié. Le rituel est excessivement compliqué et, je l'avoue, assez mystérieux. Pour passe-murailles chevronnés uniquement.
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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :
Cette plante, dont les fleurs rouges groupées en grappe ont donné leur nom à la couleur, était sacrée chez les Romains et les Grecs où elle symbolisait l'amitié. Virgile rapporte que "le poète devait s'en couronner pour éloigner la médisance".
Surtout connue comme symbole d'immortalité (car elle vit très longtemps même asséchée) et de gloire militaire, la fleur d'amarante (ou queue-de-renard) promettait à ceux qui en portaient la protection de leurs supérieurs. Les sorciers en fabriquaient des couronnes censées amener faveurs et gloire et employaient dans des élixirs pour assurer la jeunesse éternelle et se protéger des maladies.
Principale plante solaire en astrologie, elle doit être cueillie un vendredi et pour en faire une amulette, il faut la laisser sécher et la porter, enfermée dans un sachet, sur un sous-vêtement ou la placer chez si. Les habitants de la Gironde se garantissent le succès dans toute entreprise en portant un morceau d'amarante. Ceux du Maine pratiquent un oracle par l'effeuillement de l'amarante. A chaque corolle enlevée, ils disent : "Paradis, purgatoire, enfer", pour connaître leur sort dans l'au-delà.
Dans un recueil de secrets magiques (publié en 1868), une recette "pour se faire aimer" indique qu'un pot d'amarante placé sur le rebord d'une fenêtre puis, le premier vendredi de la lune avant le lever du soleil, mis dans un four de boulanger enveloppé de papier et enfin, une fois sec, gardé neuf jours près de son cœur dans du taffetas a le pouvoir d'éveiller les sentiments de la personne désirée. Il faudra prononcer ces paroles : "Toi, aimable, range-toi de mon côté et demeure en moi." Un même effet est assuré si elle est mangée dans du pain d'épices, en disant "delegus, grelüs, malüs contemplis".
L'amarante fut "la plante sacrée entre toutes" chez les Toltèques et les Aztèques qui l'associèrent à l'Air et au Feu. A cause de sa réputation magique et du rôle qu'elle jouait dans de nombreuses cérémonies, les autorités espagnoles déclarèrent l'amarante "hors-la-loi" dans tout le Mexique et n'hésitèrent pas à punir ceux qui en faisaient pousser. Elle n'en a pas moins conservé une excellente réputation dans ce pays où on croit guérir un malade en le coiffant d'une couronne d'amarante dont les fleurs sont tout juste ouvertes. En outre, la plante arrachée tout entière un vendredi de pleine lune et portée sur la poitrine dans un linge neuf et blanc procure l'invulnérabilité aux balles et aux éclats d'obus. Condition indispensable pour que l'amulette agisse : il faut enterrer à son emplacement de l'argent ou un objet auquel on tient en disant : "Je jure de combattre pour la bonne cause, pour la défense du droit et de l'humanité." Enfin, certains initiés mexicains font confiance à la couronne d'amarante pour devenir invisibles.
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Maria Luisa Pignoli, autrice d'une thèse intitulée Les désignations des plantes sauvages dans les variétés arbëreshe (albanais d’Italie) : étude sémantique et motivationnelle. (Linguistique. Université Côte d’Azur ; Università degli studi della Calabria, 2017) se penche sur les croyances liées aux différents noms arbëreshe de l'Amarante réfléchie :
- [nˈɛnez] est d’étymologie obscure. Trumper (2010) a contribué à l’analyse de ce phytonyme dans un compte-rendu des interprétations jusqu’alors proposées. Sejdiu (1979 dans Trumper, 2010 : 381) a proposé d’interpréter l’alb. nenë, nenëz à partir de la base toujours alb. nye > nen « nœud » en raison de la morphologie de la plante et notamment des panicules terminales [...] Le phytonyme, qui se trouve aussi en aroum. nenă, nană et gr. mo. nšna pour désigner les différentes espèces d’amarante, désigne aussi d’autres espèces botaniques, comme dans le cas de l’aroum. nană indiquant la Sanicula europæa L. (sanicle d’Europe) ou le bulg. nané « menthe » < tu. naná « menthe » (Trumper, 2010 : 381). [...] En outre, ce phytonyme désigne aussi de nombreuses espèces de la famille des Cruciféracées, telles que les moutardes ou les cressons qui sont des plantes sauvages comestibles [...] il peut désigner, de même, les espèces des genres Lamium ssp. et Urtica ssp. en raison de la relation basée sur leur comestibilité (Trumper, 2010 : 381). Il est donc possible que l’alb. nenë, nenëz soit entré dans un réseau de désignations de plantes sauvages basé à la fois sur la morphologie de la plante et sur sa fonction de nourriture [...]
Tout d’abord, en s’appuyant simultanément sur les parlers arbëreshë et sur l’albanais, il est possible de former une liste de mots à base lexical /nVn-/ qui touchent au moins cinq champs onomasiologiques :
- en phytonymie, l’ « amarante » est désignée par les formes nenez (à Munxhufuni/Montecilfone, Porkanuni/Portocannone et Shën Kostandini/San Costantino) et nënëz (à Shën Vasili/San Basile, signalé dans Trumper, 2010 : 381), alors qu’en albanais standard on trouve les mots nenë et nenëz (FEB : 14) ;
- en ce qui concerne les noms de parenté, chez les Arbëreshë de Calabre on utilise le mot nanë [nan] pour désigner la « grand-mère » (Baffa, 2009 : 71 ; F : 296) e la « vecchia » (F : 296), « la vieille », tandis que dans les communautés arbëreshe du Molise et des Pouilles septentrionales le mot utilisé est nonë [nɔn] « grand-mère » ; en revanche, en albanais standard, nanë [nan], nënë [nən] et nëne [nˈəne] désignent la « mère » (SE, VI : 51). Les systèmes lexicaux des dialectes arbëreshë possèdent aussi un autre mot faisant partie de ce champ onomasiologique : nun (m.) [nun] « parrain, témoin de mariage » (Scutari, 2002 : 63) et nunë (f.) [nun] « marraine » (donnée issue d’enquêtes personnelles à Munxhufuni/Montecilfone), tandis que nun (m.) [nun] désigne un « nigaud, bête, bon à rien » chez les Arbëreshë de Rur/Ururi (Pignoli & Tartaglione, 2007 : 138) et à Ejaninë/Ejanina où on dit rri si nun « rester là comme un nigaud ». Ces mots trouvent une correspondance dans l’alb. nun (m.) « parrain, témoin, confesseur », nunë (f.) « marraine, témoin » (SE, VI : 95) ;
- en ce qui concerne les objets, le « nœud » est traduit avec les mots arb. nenjez à Porkaninu/Portocannone (Pignoli & Tartaglione, 2007 : 131) et Munxhufuni/Montecilfone, nënj à Shën Kostandini/San Costantino (Scutari, 2002 : 61), tandis qu’en albanais on trouve nyjë et nyell (Leka & Simoni, 1996-99 : 373) ;
- en ce qui concerne les parties du corps humain, la « cheville » est désignée par les mots alb. nen (Leka & Simoni, 1996-99 : 354) et nyell (Leka & Simoni, 1996-99 : 373) ; à Shën Kostandini/San Costantino, le « grain de beauté » est désigné par nënjith, tandis que le « pénis » est appelé nënj ; à Ruri/Ururi, l’ « iris » et la « pupille » sont désignées par le nom ninëz (Pignoli & Tartaglione, 2007 : 137) tout comme en albanais (Leka & Simoni, 1996-99 : 368) ;
- en zoonymie, les « larves » de mouche-bleue et de mouche sont désignées respectivement par nenez à Shën Kostandini/San Costantino (Scutari, 2002 : 60) et nënëz à Qefti/Chieuti (dans les Pouilles du nord) (Massaro, 2010 : 110).
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Les référents sont en général représentés par des « parents » au sens strict (mère, grands-parents, vieille, nourrice, parrain, marraine, témoin de mariage), des plantes de différentes espèces (amarante, ortie, menthe et sanicule), des zoonymes (larves, lentes), des noms d’objets (nœud), de parties du corps humain (cheville, grain de beauté, pénis, pupille), par des anthroponymes chrétiens (confesseur) et des qualificatifs anthroponymiques (nigaud, bête, bon à rien). Sur la base de la typologie motivationnelle tracée par Alinei (1986 : 147) pour le classement des zoonymes, les noms de parenté sont chronologiquement les plus anciens parce qu’ils sont directement liés au totémisme, c’est-à-dire à la forme la plus ancienne de religion, qui concevait les animaux comme « parents », protecteurs des hommes.
Quelques-uns des noms de parenté d’aire albanaise, illustrés ci-dessus, sont réellement polysémiques parce qu’ils ne désignent qu’un seul référent, comme par exemple l’arb. nanë « grand-mère, vieille » et l’alb. nanë « mère », l’arb. nun « parrain, témoin de mariage, confesseur, nigaud, bête, bon à rien). À propos de la polysémie de l’IE. nana, nena, s’exprime aussi Pokorny (IEW : 754) lorsqu’il illustre une superposition identique de référents et de significations que l’on a déjà rencontrée dans nos données : bref, les figures de « mère, génitrice, vieille, grand-mère, nourrice » coïncident et sont lexicalisées avec la forme arb./alb. nanë. Cette constatation nous amène, donc, à penser qu’il s’agit d’une seule et unique motivation parentélaire : mère signifiant « nourrice », c’est-à-dire celle qui donne la nourriture ; de cette interprétation sont issus les noms de l’amarante, herbe très nourrissante (arb. nenez, nënëz, alb. nenëz « petite mère » et nenë « mère ») et les noms des autres référents illustrés ci-dessus. Cette motivation est très ancienne et remonte surement à la période des sociétés primitives matriarcales, aux cultures totémiques où les figures de vieille, mère, génitrice, nourrice étaient très communes étant donné qu’elles représentaient les piliers de la société. En particulier, comme Alinei (1986 : 161) l’atteste, Propp affirme lui aussi que la « vieille » représente l’ancêtre totémique matrilinéaire et il la décrit comme la souveraine des animaux et de la nature. Le culte de la Terre-Mère, en tant que mère de l’humanité et reine de la faune, de la flore et de la terre, était répandu dans les sociétés primitives du Paléolithique, de l’Afrique à l’Europe orientale, comme l’expression d’une société gynécocratique. En effet, les pièces archéologiques telles que les statuettes préhistoriques représentant la divinité féminine (les Vénus stéatopyges ou callipyges) confirment l’existence d’un substrat religieux commun à ces sociétés, où la Terre-Mère était la divinité suprême (Pestalozza, 1951 ; Marconi, 1937 ; Pignoli, 2015 : 524), comme le témoigne aussi la racine ch.- s. nan « dieu » (HS : 398). La polysémie du mot arb./alb. nanë renvoie à une considération que Campanile (2003 : 28) a fait en illustrant ses études sur la structure de la famille indoeuropéenne, où « l’individuazione dei livelli di parentela non è affatto universale ed univoca » [1] car des distinctions qui pourraient nous sembler évidentes, telle que celle entre mère et père, n’existent pas, par exemple, dans la société hawaïenne où les deux parents sont égalisés entre eux et sont désignés, par conséquent, par un seul mot exprimant le fait d’être descendants directs au premier degré (Campanile, 2003 : 28). L’opinion de Szemerényi (1978), tente également à ce propos, de récupérer la fonction pratique et la collocation sociale et affective des membres de la famille indoeuropéenne ayant rencontré de nombreuses difficultés d’ordre sémantique pendant l’analyse de la structure interne familiale indoeuropéenne. Cet auteur a ainsi analysé *pH-tēr « père » comme le nomen agentis (< suffixe -tēr) à partir de la même racine que le lat. PASCO « nourrir, engraisser, repaître » (DELL : 486) : le père est interprété comme celui ayant la fonction de nourrir, le « père nourrisseur » (Campanile, 2003 : 29) de la société patriarcale indoeuropéenne. En revanche, dans les précédentes sociétés matriarcales, cette fonction de « figure s’occupant de la nourriture » est, naturellement, liée à la mère, qui outre que générer, nourrit, entretient et garde ses enfants et les membres de sa famille et prend soin d’eux avec tendresse. En particulier, la grand-mère maternelle en tant que « mère de la mère » exalte et a même en l’exaltant ce double rôle de « mère, nourrice et gardienne de sa descendance ». Pour la doctrine chrétienne, la marraine est celle qui prend la place de la mère lorsque celle-ci meurt : elle est la personne à laquelle on « confie les enfants » en cas d’absence ou de mort des parents ; donc, cette dernière figure est aussi importante pour l’éducation et la croissance des filleuls, bien qu’elle soit marginale par rapport à celle de la mère-nourrice. Du reste, le rôle de « nourrice, tutrice des enfants » est clair si l’on considère les expressions empruntées par les Arbëreshë aux dialectes romans avec qui ils sont en contact : u bëm sën Xhuàn « nous sommes devenus Saint Jean » (dans les parlers molisains) et jemi shënjanjë « nous sommes Saint Jean » (à Shën Mitër/San Demetrio, en Calabre), ce qui indique le lien entre marraine/parrain et leur filleul, tout comme le témoigne l’Évangile de Jean (19, 25-27) dans lequel Jésus avant de mourir sur la croix confie sa mère à son disciple Jean pour qu’il en prenne soin. On peut aussi observer que le mot arb. sënxhuàn « Saint Jean » désigne le parrain du baptême ou de la confirmation ainsi que le parrainage en général (Pignoli & Tartaglione, 2007 : 180).
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Les phytonymes aroum. nană « sanicule », bulg. nané « menthe », tu. naná « menthe », arb. nenez « amarante », alb. nenë, nenëz « amarante », aroum. nenă « amarante », gr. mo. νένα « amarante », all. Nessel « ortie », angl. nettle « ortie », irl. m. nenaid « ortie », IE. *ned- « ancienne plante à nœuds », arb. nënëz « amarante », gal. dynad « ortie », bret. linad « ortie » désignent dans la plupart des cas des espèces botaniques avec des propriétés phytothérapeutiques, utilisées en médecine populaire pour le traitement de différentes troubles, tels que l’amarante qui a d’indiscutables propriétés bienfaisantes pour l’homme puisqu’il s’agit d’une herbe très nutritive tout comme l’ortie, la menthe et l’espèce officinale Sanicula europaea L. Nous précisons que la dénomination indoeuropéenne se référant à l’ancienne plante à nœuds est sûrement le fruit d’une remotivation qui a eu lieu lorsque la motivation parentélaire primaire, basée sur les propriétés nutritives ou magiques des plantes, a cessé d’être reconnue par les locuteurs et, par conséquent, le sémantisme « nourrice » à été remplacé par la motivation « plante à nœuds », basée sur l’une des caractéristiques morphologiques des espèces susmentionnées, c’est-à-dire la forme des inflorescences.
La motivation parentélaire caractérisant les zoonymes arb. nenez, nënëz « larves de mouche-bleue ou de mouche », gal. ned « lente », irl. nit « lente » et angl. nit « lente » traduit, elle aussi, le sémantisme « nourrice » parce que les larves ont représenté pour des millénaires un élément de base de l’alimentation humaine avant que les techniques de la chasse évoluent jusqu’au point de permettre aux chasseurs d’utiliser les animaux sauvages comme nourriture (Alinei, 1984 : 77).
Les anthroponymes chrétiens peuvent être considérés, sans aucun doute, comme des reformulations chrétiennes des motivations parentélaires précédentes, puisque le moine (cfr. lat. NONNUS) représente, lui aussi, dans les sociétés christianisées un « père-nourrisseur » de l’âme et des croyants, ce qui lui confie le rôle de confesseur d’âmes ; en revanche, la figure du « parrain/confesseur » (cfr. alb. nun) renvoie à l’idée de « substitut du père » et donc à l’image d’une personne à qui on peut faire confiance et avec laquelle on peut parler. En revanche, les qualificatifs anthroponymiques dont la communauté arbëreshe de Rur/Ururi fait étalage, sont sûrement des développements sémantiques récents de la désignation arb. nun « parrain » : selon toute probabilité, ils sont dus au fait que le lien de parrainage s’est affaibli et a ainsi perdu la majeure partie de sa valeur culturelle d’origine ; par conséquent, le parrain n’est plus la figure principale qui remplace le père, mais il est devenu un « parent » qui n’est pas nécessaire et, parfois même superflu dans la vie de son filleul. Les noms d’objets (nœud) et des parties du corps humain (cheville, grain de beauté, pénis, pupille) sont motivés à partir de la forme « ovoïde » caractéristique des inflorescences de l’amarante qui se reflète dans la forme ronde du nœud, de l’os de la cheville, du grain de beauté, de la pupille et du pénis. Comme il a déjà été illustré ci-dessus, la motivation transparente fondée sur la morphologie de la plante est due sans doute à une remotivation du signe linguistique, qui devient arbitraire et s’opacifie à cause de l’usure sémantique : la relation qu’il avait avec son référent s’est affaiblie mais une recharge sémantique a pu la rétablir.
Note : 1) L’identification des niveaux de parenté n’est pas tout à fait universelle ni univoque (N.T.).
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Symbolisme alimentaire :
Pour Christiane Beerlandt, auteure de La Symbolique des aliments, la corne d'abondance (Éditions Beerlandt Publications, 2005, 2014), nos choix alimentaires reflètent notre état psychique :
L'Amarante représente un solide ancrage dans la matière ; c'est se coller comme par une ventouse à la douceur ouatée de son propre être, comme dans l'épaisse toison duveteuse d'un canard de Barbarie blanc. LE bonheur d'habiter son propre corps. En se reposant, détendu, en se réchauffant au soleil de la vie, sans se préoccuper de quelques problèmes que ce soit. L'Amarante est, tout simplement. Elle a tout le temps : « Oh, laisse donc passer, laisse donc venir, nous verrons bien... » Profondément enracinée, comme une dent avec deux épais canaux dentaires, dans son propre être terrestre. Elle se suffit à elle-même, avec sa propre chaleur, et sait se blottir et se nourrir douillettement.
Dans la sphère psychique de l'Amarante, tu te sens libre, sans attaches ni contraintes - c'est tout juste si tu ne planes pas - mais comme au bord d'un excès de lumière. Quelquefois, il s'agit d'une sorte d'état alpha, où l'on s'étourdit soi-même légèrement : une méthode de substitution au sommeil.
Cette plante ne souffre aucunement de démangeaisons, ni de douleurs dans le squelette, car elle ne se tracasse pour rien, ne s'excite pour aucune raison et ne connaît même pas d'« ennemis ». Elle se sent bien en elle-même. Elle trouve que tout est bien et ne s'imaginerait même pas que quelqu'un puisse lui en vouloir ou lui chercher querelle. Bref : une âme tranquille et bien "vivante" sur ses petites pattes palmées, nageant dans les eaux vertes de la terre.
La plupart des Amarantes se sentent parfaitement bien dans leur peau, comme des oies, et ne sont jamais sujettes à l'irritation ou au courroux. Il n'y a aucune raison de se plaindre ; il n'y a personne qui se trouve, ou passe, en travers de leur chemin. Elles considèrent volontiers la vie comme facile et sans problèmes. Elles se pourvoient elles-mêmes de délicieuses nourritures et suivent tranquillement leur petit bonhomme de chemin. Elles sont plutôt passives, dans l'expectative, ne prenant pas vraiment l'initiative, mais se contentant d'agir sans façon et d'être, tout simplement.
L'être humain qui est attiré par la sphère psychique de l'Amarante ressent peut-être une douleur ici ou là, se fait mal à lui-même, s'acidifie les tissus parce qu'il n'ose pas suffisamment jouir de son corps de chair et de sang. Son squelette se contracte peut-être quelque peu parce qu'il n'ose pas suffisamment occuper son espace et, de façon anguleuse et tendue, se rétrécit en tant qu'être-humain-dans-un-corps. Il prend trop peu sa place de manière pleine et vivante. Il fera bien d'apprendre la joie d'être qui il est ; une totale intégration est requise entre contenu et corps. Pourquoi rejeter le corps et le laisser souffrir, pourquoi se condamner ou se punir soi-même ? Il n'y a pas à fuir la matière ; il n'y a pas à se retirer de cette délicieuse vie douce comme un duvet.
Détends-toi, trouve la tranquillité, aime-toi chaleureusement, aime ton corps, et ne repousse aucune partie de toi-même. Souhaite-toi tendrement la bienvenue dans ton corps et câline-toi avec douceur. Dors tranquillement, jouis délicieusement de ton existence, détends-toi, cesse de te martyriser... comme si t n'avais pas le droit d'être ici en tant qu'être humain ? Sois toi-même pleinement dans la matière et ose "sentir", jouir de l'existence. Offre-toi les délices de la vie. Viens plus près, bien plus près de toi-même, comble toute crevasse qui te sépare de toi et rendre totalement dans ton corps de chair et de graisse. Les tissus osseux demandent être enveloppés par la chaleureuse rondeur de doux tissus corporels ; dorlote-toi donc dans le nid douillet de ta chaleur corporelle et sois dans le contentement et la gratitude de qui tu es en tant qu'être humain.
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Mythologie :
D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),
AMARANTE (amaranthus). —Ce nom a aussi été donné à l'Elichryson, au Gnaphalium sanrjuineum L., au Baccharis. L'amarante, chez les Grecs et les Romains, était une plante sacrée. D'après Virgile, le poète devait s'en couronner pour éloigner la médisance :
Baccare frontem
Cingite, ne vati noceatmala lingua futuro.
La nymphe Élichryse, d'après Themistagoras Éphésien, ayant paré de cette fleur la déesse Diane, la plante s'appela Elichryson. Thessalus orna de fleurs d'amarante le tombeau d'Achille, et Philostratus constate l'usage (l'en parer les tombeaux. Artemidorus nous apprend que l'on suspendait des couronnes d'amarante au temple de plusieurs divinités ; chez les Grecs, l'amarante est aussi le symbole de l'amitié.
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Contes et légendes :
Dans la collection de contes et légendes du monde entier collectés par les éditions Gründ, il y a un volume consacré exclusivement aux fleurs qui s'intitule en français Les plus belles légendes de fleurs (1992 tant pour l'édition originale que pour l'édition française). Le texte original est de Vratislav St'ovicek et l'adaptation française de Dagmar Doppia. L'ouvrage est conçu comme une réunion de fleurs qui se racontent les unes après les autres leur histoire ; l'Amarante raconte la sienne dans un conte venu de Bohême et intitulé "Le chevalier Épouvantail" :
"Je viens avec un panier, et devinez ce qu'il y a dedans ? Un joli conte avec un ruban autour ! " dit à la reine Rose l'espiègle Amarante aux chapeau orné d'épis rouges. "Écoutez bien !"
Presque au bout du monde, au diable vauvert, dans un village perdu, vivait un jeune sculpteur sur bois qui s'appelait André. Il savait sculpter avec son canif tout ce que vous pouvez imaginer : une écuelle en bois, une cuillère, un bateau en écorce, un lièvre, un écureuil, un chien, un berceau avec un poupon, un soldat jouant du tambour ou montant la garde, et même un carrosse avec un comte trônant à l'intérieur et des laquais arrogants debout sur les marchepieds. Les enfants affluaient vers la maison d'André pour quémander des jouets et le jeune sculpteur, bon comme le pain, ne les laissait pas partir les mains vides. Hélas ! La joie des enfants ne nourrit pas son homme et, avec un simple "merci ! " on n'achète pas même un bouton de chemise. Ainsi, André devenait-il chaque jour de plus en plus pauvre. Tandis que les arrogants fils des riches paysans se pavanaient sur la place du village avec leurs équipages aux harnais ornés de rubans et de ducats pour se faire admirer de toutes les jolies filles, André restait modestement assis au coin du feu, de crainte que l'une des filles ne lui dise :
"Où vas-tu, pauvre hère,
Le panier vide à la main ?
Ta fiancée est en enfer,
Alors passe ton chemin ! "
"Un jour, je me trouverai une fiancée que tous les gars du village m'envieront", décida en lui-même André, et il continua à sculpter ses petits sujets pour faire plaisir aux enfants.
Un jour, un personnage étrange frappa à la porte d'André. Ce n'était ni un homme, ni une femme. Sur ses cheveux vert pomme était posé un chapeau d'amanite, orné d'une plume de geai. Des pattes de grenouille dépassaient de son pantalon et des ailes d'oiseau de sa veste en peau de souris.
"Mon grand-père était un diable, mon père un diable, et moi, je suis le diable de tous les diables", piaillait l'individu en clignant de ses yeux de hibou. "Prends mon canif, André, et fais-moi une belle paire de sabots. Je te récompenserai comme il faut."
André se mit au travail sans se faire prier et termina les sabots en un tournemain. Quand il les remit à l'énergumène, les sabots se mirent à courir d'eux-mêmes, le diable les chaussa d'un bond et disparut comme la fumée. André vitupéra, sincèrement contrarié :
"Maudit diable ! Il est parti sans me donner un sou ! Heureusement qu'il m'a laissé son canif. Il est beau, bien affûté, c'est un vrai plaisir de le manier."
Trouvant le temps long, André se remit à l'ouvrage. Il commença à sculpter un petit cheval en bois. A peine eut-il porté la dernière touche au dernier sabot que le petit cheval s'ébroua, rua bruyamment de ses pattes arrière et hennit :
"Selle-moi, André, sans tarder ! Nous partons faire un long voyage pour chercher ta fiancée."
André, qui était un joyeux drille, rit et déclara :
"Pourquoi pas ! Mais, auparavant, laisse-moi me vêtir pour la circonstance. Je vais me déguiser en chevalier pour mettre en joie les filles et les gars du village." Sitôt dit, sitôt fait. En guise de cuirasse, le jeune homme enfila un vieux tonneau de choucroute, en guise de heaume, il coiffa un pot fêlé, un vieux balai usé lui servant de lance. Juste avant de partir, il s'empara de la pote de l'étable à chèvres pour s'en servir, le cas échéant, comme d'un bouclier. Quelle chevauchée ! En enfourchant sa minuscule monture, André traînait ses pieds par terre et soulevait un nuage de poussière. un vieux pantalon flottait au bout de sa lance, telle une oriflamme. Les gens accouraient de toutes parts, riant à gorge déployée. "Vive le chevalier Épouvantail ! Où sa seigneurie se rend-elle ? Elle va peut-être chercher une fiancée ? "
André saluait avec dignité et répondait gravement :
"Exactement. Je reviendrai avec la plus belle princesse que la terre ait jamais portée." C'était à mourir de rire. Tout le village l'accompagna jusqu'aux champs et même plus loin, avec force quolibets, mais André n'en eut cure. Les sabots du petit cheval claquaient avec entrain et le jeune homme chantait en suivant le même rythme. Son voyage se passait agréablement.
Au bout de quelques temps, André arriva près d'un vieux saule pleureur. il se mira dans la fontaine, et vit de grosses larmes sourdre de ses nœuds.
"Comme je suis laid ! " se lamenta-t-il. "Cher André, taille mes cheveux avec ton couteau magique pour arranger ma coiffure."
André s'exécuta sans rechigner. A peine eut-il coupé le dernier rameau que le saule se transforma en une petite vieille bienveillante. "Merci beaucoup, mon garçon. Ta bonté mérite une récompense. Écoute-moi bien : la nuit de la Saint-Jean va tout juste commencer, prêtant à certaines plantes un pouvoir surnaturel. Cueille à minuit un petit bouquet d'amarantes. Si tu le poses dans son soulier gauche, elle tombera éperdument amoureuse de toi."
Après avoir remercié la grand-mère, André suivit son conseil. Dès l'aube, il poursuivit son chemin qui dura un certain temps.
Un jour, il arriva dans une riche vile royale. Les hommes y déambulaient la tête basse, ne souriant même pas au passage de notre original. toutes les maisons étaient recouvertes de draps noirs en signe de deuil.
"La fille de notre roi est très gravement malade", dit une vieille marchande pour affranchir André. "Le roi a promis sa man et la moitié de son royaume à celui qui réussirait à la guérir, mais c'est en vain que des médecins célèbres et de puissants mages affluent de toutes parts au château. La princesse continue à dépérir."
"Je saurai m'occuper de la princesse", pensa André, et il se dirigea aussitôt au château. Il entra dans la salle du trône sans même se donner la peine de descendre de sa monture. Le roi, assis sur son trône, hoquetait de chagrin, de grosses larmes roulaient sur ses joues. Une princesse, triste, toute pâle et transparente comme la flamme d'une chandelle, se recroquevillait à côté de lui. Pas le moindre sourire n'éclaira ses yeux lorsque André la salua, en parfait chevalier, avec son étrange lance.
"Je suis venu guérir votre fille, Majesté", annonça-t-il d'une voix sonore.
"Tu n'es pas le premier, jeune homme. Tous tes semblables ont fini leurs jours de la main de mon bourreau. Ne tente même pas de guérir ma fille, si tu tiens à la vie."
Cependant, André ne se laissa pas dissuader. Il demanda seulement qu'on lui permît d'entrer dans la chambre de la princesse, une fois qu'elle serait endormie. Il y déposa alors les fleurs d'amarante dans son soulier droit. Lorsque, le matin, la princesse chaussa de ses souliers ses frêles petits pieds, comme par miracle, elle se sentit bien mieux et se mit à danser de joie. Le roi ne sut comment remercier le jeune homme.
"Voici ton fiancé, ma chère fille", fit-il en présentant le jeune sculpteur à la princesse. "Il t'a sauvé la vie. Je lui dois ta main et la moitié du royaume."
La jeune fille lança un regard méprisant à André, son rire tinta comme des clochettes puis elle se renfrogna : "Épouser ce chevalier de fortune ? Autant me marier avec un épouvantail qui garde les champs ! Qu'il repêche d'abord dans le lac la bague que j'ai perdue." La princesse savait très bien que le lac était sans fond, et André ne tarda pas à en faire lui-même l'expérience. Il s'assit tristement au bord de l'eau pour réfléchir sur la conduite à tenir. Soudain, il entendit claquer des sabots. C'était son ami le diable qui courait par là comme un dératé.
"Imbécile ! Sers-toi de mon couteau magique ! " lança-t-il à André dans sa folle course. "Sculpte un petit poisson en bois, tu verras qu'il t'aidera."
André suivit le conseil du diable. Dès qu'il termina la dernière petite nageoire, le poisson s'agita et sauta dans l'eau. En un instant, il fut de retour, tenant dans sa bouche le joyau perdu. En reconnaissant sa bague, la princesse pâlit de colère.
"Je veux que tu me rapportes, avant l'aube, mon mouchoir en or que le vent a emporté au-dessus des nuages", ordonna-t-elle.
Cette fois-ci, André n'eut pas besoin du diable pour s'en sortir. Il sculpta une petite alouette dans un morceau de bois. Après qu'il eut peaufiné la dernière petite plume, l'alouette s'éleva dans le ciel pour en revenir aussitôt, tenant le mouchoir de la princesse dans son bec. Quelques rayons de soleil s'y accrochaient encore. La princesse étouffa de colère. "Ne te réjouis pas d'avance, chevalier Épouvantail ! Apporte-moi avant l'aube sept têtes de dragon. Après, je t'épouserai,. Si tu n'y parviens pas, tu seras décapité."
Cette fois, André était aux abois, se demandant ce qu'il lui faudrait sculpter avec son couteau magique pour vaincre le dragon à sept têtes. Soudain, il entendit un claquement de sabots.
"Rends-moi mon couteau qui ne te sera plus d'aucun secours, " appela le diable, "mais souviens-toi de la petite vieille du saule."
André se frappa le front.
"Mais bien sûr ! " exulta-t-il, et il rendit au diable son couteau en le remerciant. Dans la nuit, il s'introduisit en cachette dans la chambre de la princesse pour déposer une fleur d'amarante dans son soulier gauche. Dès l'aube, il se tint, penaud, devant le trône du roi.
"As-tu les têtes ?" interrogea le roi.
"Non", répondit André, baissant la tête, apparemment effrayé.
"Quel dommage !" estima le roi. "Tu vas te marier avec mon bourreau. Je te regretterai, car tu me plaisais bien."
Au même instant, la princesse pénétra dans la salle en courant. Elle ouvrit les bras et sauta au cou du jeune homme. "André, mon petit André ! Je t'aime tant !" s'écria-t-elle, en couvrant le sculpteur de baisers. la noce dura soixante-dix sept jours. Lorsque tous les convives eurent dansé jusqu'à épuisement. André demanda à son épouse royale de se rendre avec lui en carrosse à son village natal. Lorsque le magnifique cortège approcha près de la maison d'André, une paire de sabots claqua sur la place du village et le petit diable se mit à crier, en direction des fenêtres : "Sortez, braves gens, venez voir ! Le chevalier Épouvantail est de retour avec sa jeune épouse ! " Les villageois sortirent tous sur le pas de leur porte, en riant d'avance. "Ce sera sûrement une jolie souillon, la fiancée de l’Épouvantail", ricanaient-ils, préparant déjà leurs quolibets. Mais, voilà qu'un magnifique carrosse royal entra dans le village, à la tête d'un somptueux cortège. André et sa belle princesse lançaient au passage des poignées de ducats d'or. Saisis de respect et de crainte, tous les moqueurs malveillants tombèrent à genou pour demander pardon. André leur pardonna volontiers, car ils s'étaient punis eux-mêmes. Toutes les jeunes filles verdirent de jalousie, le nez des garçons rougit comme la crête des coqs, et ils restèrent ainsi pour l'éternité. dès lors, on put reconnaître sans nul doute le village natal du brave André grâce à ce signe."
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Littérature :
La Rose et l’Amarante
Une amarante qui avait poussé à côté d’une rose lui dit : « Comme tu es belle ! tu fais les délices des dieux et des hommes. Je te félicite de ta beauté et de ton parfum. — Moi, répondit la rose, je ne vis que peu de jours, amarante, et même si l’on ne me cueille pas, je me flétris ; mais toi, tu es toujours en fleur et tu restes toujours aussi jeune. »
Il vaut mieux durer en se contentant de peu que vivre dans le luxe quelque temps, pour subir ensuite un changement de fortune et même la mort.
Ésope, (fin VIIè siècle - début VIe siècle av. J. C.) ; traduction par Émile Chambry, Fables,
Société d’édition « Les Belles Lettres », 1927.
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