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L'Orchidée marteau

Dernière mise à jour : 18 oct.





Étymologie :


Étymol. et Hist. 1. 1766 « famille de plantes monocotylédones bulbeuses dont l'orchis est le type » (Rozier et Claret de La Tourette, Démonstrations élém. de bot., I, 53) ; 2. 1870 «nom vulgaire des diverses espèces d'orchis ; la fleur elle-même » fleur, racine d'une orchidée (Privat-Foc., s.v. orchiées). Dér. du lat. orchis, lui-même du gr. ορχις « testicule », puis « orchidée » d'apr. la forme de la racine, d'apr. le gr. ο ̓ρχι ́διον dimin. de ορχις « petit testicule », « orchidée ».


Étymol. et Hist. 1. Ca 1140 « outil de fer propre à battre, à forger » marteals (Voyage de Charlemagne, éd. G. Favati, 328) ; d'où 1389 marteau a maçon (Registre criminel du Châtelet, t. I, p.37 ds IGLF) ; 1453 marteau de tapicerie (Arnaud d'Agnel, les Comptes du roi René, I, 12, ibid.) ; 1676 marteau d'assiette (Félibien) ; d'où a) 1206 entre le marteil et l'anclume (Guiot de Provins, La Bible, éd. J. Orr, 2366) ; b) 1587 avoir un coup de marteau « être fou » (Ronsard, Œuvres, éd. P. Laumonier, t. 18, p. 293, vers 11) ; 1889 être marteau (d'apr. Esn.) ; 2. p. anal. a) 1302 eaux et forêts (Arch. du Pas-de-Calais, A 1803ds Gay) ; b) xive s. « battant fixé à la partie extérieure d'une porte » (Poèmes français sur les biens du ménage, Dit du ménage, 189, éd. U. Nyström, p.101) ; c) 1391 marteau d'arme (Archives Hist. Saintonge, XXVI, 248 ds IGLF) ; d) 1453 marteau d'orloige (Recherches sur Orléans, I, 308, ibid.) ; e) 1751 mus. (Diderot, Lettre sur les sourds et muets ds Littré) ; f) 1848 marteau des commissaires priseurs (Balzac, Cous. Pons, p.10) ; g) 1912 sports lancement du marteau (Almanach Hachette 1914, Les épreuves sportives de l'année 1912, p.119) ; 3. p. anal. de forme a) 1611 anat. (Cotgr.) ; b) id. zool. marteau de mer (ibid.) ; c) 1757 perruque à trois marteaux (ds J. Quicherat, Hist. du cost. en France). Du lat. tardif martellus (att. chez Isidore de Séville, et dans les glossaires lat., v. TLL s.v.), issu du lat. impérial martulus, forme altérée de marculus « marteau », en réaction hypercorrecte au passage en lat. vulg. à -cl- (cf. veclus pour vetulus, v. vieux).


Lire également la définition des noms orchidée et marteau afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms :  Drakaea -

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Botanique :


Dans La Vie sexuelle des Fleurs (Éditions E/P/A Hachette Livres, 2022), illustré par Loan Nguyen Thanh Lan, Simon Klein explicite les mécanismes de reproduction des fleurs :


Orchidée marteau : Elle rend toc-toc


Si vous avez la chance d'explorer le bush australien, vous pourrez entendre une histoire captivante dont la principale protagoniste est une fleur pour le moins surprenante.

Dans les prairies sèches du sud-ouest de l'Australie se trouvent des orchidées qui valent le détour : les orchidées marteaux (ou Drakaea). Elle sont peu spectaculaires, n'arborent aucune couleur voyante ou forme évocatrice ; non, ces orchidées marteaux ne sont pas de celles que l'on offre à sa belle-mère. Visuellement, nous sommes plutôt en présence d'une excroissance boursouflée marronnasse, évoquant une fleur en bouton ou une fleur fanée. Et pourtant, la drakaea est au faîte de son sex-appeal. Mais nous allons y revenir, car nous allons d'abord nous intéresser à l'autre protagoniste de cette histoire.

Dans cet environnement au climat méditerranéen vivent des guêpes thynnides. Ces guêpes solitaires déposent les œufs dans le sol et les femelles adultes sont dépourvues d'ailes, tandis que les mâles, plus gros, peuvent, eux, voler. A la saison de reproduction, les femelles sortent de la terre et grimpent tout en haut de tiges alentour. Une fois arrivées tout en haut de la tige, elle signalent leur présence aux males en diffusant des phéromones sexuelles Ce doux parfum attire les mâles qui viennent se saisir des femelles pour s'envoler avec elles. Le couple va ainsi voler durant quelques heures, afin que le mâle féconde la femelle, mais lui offre aussi de pouvoir se nourrir de nectar sur plusieurs fleurs, avant de la reposer sur le sol et qu'elle retourne sous terre pour pondre.


Le stratagème : Et l'orchidée marteau dans tout ça ? L'évolution ne finissant pas de nous étonner, il s'est avéré qu'au cours de milliers d'années, certaines espèces d'orchidées se sont modifiées afin de tirer parti de l'étrange ballet sexuel des guêpes thynnides.

La drakaea produit une seule fleur, perchée à la cime d'une longue tige, environ à la même hauteur que la cime des herbes alentours où vont se placer les femelles thynnides avant le vol nuptial. Le labelle (ce gros pétale inférieur caractéristique des orchidées) de l'orchidée marteau est renflé, noir et poilu, légèrement collant et surtout écarté de la cime de la tige et retenu à la fleur par une simple articulation lui permettant de se balancer. A l'autre extrémité se trouvent les organes sexuels de l'orchidée, les pollinies (ces sacs de grains de pollen compacts enduits d'une sorte de colle prête à se fixer sur le front d'un pollinisateur,) et les stigmates qui coiffent le style, formant le pistil. Mais rien d'autre. Vous l'aurez deviné, point d'odeur de fleur, mais un mélange chimique se rapprochant très fortement des phéromones émises par les femelles thynnides lorsqu'elle attendent le mâle pour s'envoler au septième ciel.

Ainsi tout y est, comme l'ophrys bourdon, l'orchidée marteau favorise la pollinisation croisée par le phénomène de pseudo-copulation. Le mâle de la guêpe, attiré par ce qu'il voit et par les effluves chimiques, pâles imitations des phéromones de femelle, se rapproche de ce qu'il pense être une femelle de son espèce. Il tente de s'emparer de la « chose » qui n'est en fait que le labelle de l'orchidée, toujours attaché à la tige. En tentant de dégager cette fausse femelle, le pauvre mâle se débat comme un beau diable, et rapidement un mouvement de balancier se met en lace, et comme un forgeron tapant du marteau sur ton enclume, le mâle guêpe vient frapper les pièces sexuelles de l'orchidée. Au bot de quelques allers-retours, les pollinies se détachent de la plante et se collent sur le front de l'insecte mâle. A peine sont-ils libérés que la glu entourant les pollinies, au contact de l'air, se fige et les deux ballonnets de pollen sont solidement fixés au crâne de l'insecte. le mâle guêpe fatigue, puis abandonne. Il part à la recherche d'autres femelles. Il tombe sur un autre « spécimen » s'avérant être, encore une fois, le labelle d'une orchidée marteau. L'histoire se répète : le balancier, les coups de marteau... Cette fois, des grains de pollen entrent en contact avec le stigmate et le tour est joué : il y a bien fécondation croisée !

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Symbolisme :


Thierry Bardini, auteur d'un article intitulé "Devenir animal et vie aérienne. Prolégomènes à une biologie transcendantale". (In : Chimères, 2010, vol. 73, no 2, pp. 111-127)


« Mes réflexions avaient suivi une pente que je décrirai plus tard

et j’avais déjà tiré de la ruse apparente des fleurs une conséquence

sur toute une partie inconsciente de l’œuvre littéraire, quand je vis

M. de Charlus qui ressortait de chez la marquise ».


Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe I

[...]

Ça manque (encore) d’air ! « Devenir orchidée de la guêpe ? » (MP, 17). Lorsque Deleuze et Guattari développent le principe de rupture asignifiante du rhizome, après une rapide évocation du rhizome fourmi, ils en arrivent vite aux deux illustrations animales qui vont m’intéresser ici : la fable de la guêpe et de l’orchidée, d’une part, et les virus infectant chats et babouins.

Il était une fois une guêpe amoureuse d’une orchidée… En fait il s’agirait plutôt d’un sacré guêpier, un triangle amoureux où rien ni personne, aucun personnage conceptuel en fait, n’est exactement ce qu’il paraît. La fleur paraît être une guêpe femelle, qui, elle-même, ressemblerait plutôt à une fourmi (pour un retour imperceptible au rhizome précédent). La guêpe femelle, appelons-la la marquise si vous voulez, est dépourvue d’ailes et ne sort de son trou que deux à trois semaines après le mâle – appelons-le Charlus pour filer l’histoire. En attendant, Charlus s’entraîne donc sur la fleur : ou plutôt Charlus, à la recherche du temps perdu, se laisse prendre par la fleur. En attendant que sa partenaire légitime sorte de son trou, celui-ci assure donc la reproduction de celle-là. Celle-ci, disent les anglais avec tout leur tact habituel, est sexually deceptive : sexuellement trompeuse. Sa tromperie ou son leurre – quoi qu’en disent Deleuze et Guattari – est affaire de timing : ils ne durent que tant que la marquise est dans son trou. Pas si fou, Charlus, de s’écrier qu’ici aussi ça manque d’air, malgré leurs faux-airs.

Comme le dit Deleuze ailleurs, « une notion fondamentalement inexacte et pourtant absolument rigoureuse » (P, 45) fonde et ouvre cette histoire de la guêpe et de l’orchidée : devenir-orchidée, est-elle si folle, la guêpe? Car la fable n’a de sens dans l’économie littéraire de l’introduction à Mille Plateaux que pour son utilité à exprimer (plutôt qu’illustrer) la rupture asignifiante, au profit de l’affirmation d’un cas de système ouvert – le rhizome (P, 48). Déterritorialisation et reterritorialisation de la guêpe mâle et de l’orchidée, se répondent dans cette circulation d’intensités où ces deux êtres qui n’ont absolument rien à voir l’un avec l’autre, font rhizome. Ce devenir mutuel, aussi qualifié d’évolution aparallèle, est probablement la notion biologique la plus rigoureuse en effet, se présentant sous l’apparence de la plus grande inexactitude.

Évolution aparallèle, pas co-évolution, et encore moins symbiose ! Car la fable oublie de préciser qu’une fois le temps retrouvé, les guêpes mâle et femelle vaquent ensuite à leur destin biologique lorsqu’en plein vol, en même temps qu’il les emporte, et parfois même, oh ironie, sur l’orchidée, ils se fécondent joyeusement. Sans qu’un quelconque commerce mutualiste, hybride ou même symbiotique avec la fleur n’y change quoi que ce soit. Non, la vie et la survie de la guêpe ne demandent rien à l’orchidée, qui n’y participe qu’en tant que luxe, débauche ou mieux, passe-temps.

« Ça sent le renfermé » (AO, 428). Et si ça sentait encore le renfermé ? De l’air, de l’air, ça manque d’air… Pourquoi aura-t-il fallu prendre comme modèle une tige souterraine? Une tige certes, mais souterraine? Pour l’opposer à l’arbre, bien sûr, ce magnifique devenir de la tige aérienne. Mais dans cette opposition réside encore la possibilité du renfermé : est-ce que cela devra donc toujours sentir le renfermé? Comme des taupes, aveugles car sans portes ni fenêtres, reflétant clairement, mais à peine, cette lumière, ce bout du monde, là-haut, au bout de leur tunnel; comme des taupes. Posons donc, au risque de déplaire, cette quatrième proposition :

(4) Le rhizome, c’est aussi une affaire de taupes, et ça sent encore le renfermé, quand même.

L’insecte, lui, bourdon parfois, guêpe ici, renvoie à autre chose : ça butine en oblique, un commerce étrange, dit Anne Sauvagnargues, où le remplacement de l’animal par le végétal poursuit la critique rhizomatique. Bref, ça se fait capturer, un insecte, et même parfois comme ici, chez les guêpes de la fable, ça s’entre-capture. Bon, alors, on dira: d’accord, hétérogène, disjonctif, aparallèle même si on veut, mais captif quand même ; on aura beau dire entre-capture, symbiose vitale et tout ce rêve de mutualisme, mais il n’en reste pas moins que c’est l’orchidée qui capture la guêpe. Dans le trou, la guêpe, et plutôt deux fois qu’une ! Et la guêpe mâle de s’écrier, merde, ça sent encore le renfermé ! Et oui, comme il est dit, c’est la guêpe mâle qui féconde l’orchidée – qui seule, oh l’horrible dissymétrie, en a besoin.

Pendant que la marquise est dans le trou, Charlus ne tire absolument rien de son commerce avec la fleur: pas même à bouffer – lui, comme la marquise, ne festoie que de larves, sous terre. Du nectar de l’orchidée, comme de son pollen d’ailleurs, il s’en balance. La fleur elle, est dans le besoin ; sans le mâle ailé, pas de reproduction, y’a plus d’fleurs. Lui, il n’a besoin de rien, juste de passer le temps. À la fleur souveraine qui le capture correspond la marquise qui attend dans son trou avant de ne daigner sortir que pour qu’il la féconde: double-jeu de capture où le mâle n’est que le medium d’une reproduction croisée, aparallèle donc. Si deux lignes ne sont pas parallèles, elles se croisent alors ; sur le dos du mâle ailé ici, charmante histoire lorsqu’on sait qu’elle trouverait peut-être sa source chez les Sodomistes de La recherche du temps perdu.

J’évoquerai plus tard les raffinements possibles de cette capture croisée sous son autre nom, transduction. Mais pour l’instant, j’insiste sur cette double conclusion préliminaire, traduite en deux nouvelles propositions pour la suite :

(5) Ça manque encore d’air, et pourquoi donc ne pas s’élever, et filer vers l’aérien ?

Ce sera le stolon autant que le rhizome, alors, et :

(6) Toute cette histoire de capture du sujet transcendantal, cela devrait commencer par le corps le plus simple : c’est une histoire de sexe et de mort, et ça commence au niveau moléculaire. Ce sera donc le virus, là où le corps de la bestiole se réduit à un bout de code et quelques protéines dans des relations complexes et dynamiques avec un milieu alternativement intérieur et extérieur.

Du nexum au stolon (et vice-versa) : Le stolon est au rhizome ce que la guêpe mâle est à la guêpe femelle : sorti du trou en avance, savourant la vie aérienne. La guêpe, l’orchidée, et plus tard le virus ; à peine précisés, sans aucun détail taxonomique, à peine un soupçon d’éthologie, ni orchidée-marteau, chiloglottis, drakaea lividia, thynnidées, et encore moins thynninae rhagigasterinae, les noms propres de l’orchidée et de la guêpe n’apparaissent pas au générique. Une guêpe, une orchidée, un point c’est tout ; des concepts guêpe, orchidée, virus. Des personnages conceptuels pour introduire l’histoire du nexus, le grand opérateur de la capture généralisée. Le rhizome proliférant en souterrain, se multipliant en liens croisés jusqu’à ce qu’une tige, la même, émerge de terre à nouveau, la même et différente, une autre ou pas. Différences imperceptibles de la reproduction asexuée où l’un s’abîme dans la multiplicité colonisatrice. Mais pourquoi ce passage underground ? Et que sont ces codes capturés, ces plus-values ? Pourquoi pas le stolon alors, cette autre figure de la reproduction asexuée végétale, cette tige aérienne qui s’enracine et s’affranchit de la multiplicité ?

Liens et nœuds, nexum et appareils de capture: un autre plateau. Et si l’on retro-transposait tout cela ? L’orchidée pourrait alors affirmer : « l’Urstaat immémorial, plus haut que le néolithique même » (MP, 533), c’est moi ! Dans mon régime signifiant, je surcode la guêpe mâle et la lie par son surtravail. Dans ce premier terme de la double capture, nous serions alors, sans doute, déjà dans le régime du nexum, où « quelque chose est prêté ou même donné sans transfert de propriété, sans appropriation privée, et dont la contrepartie ne présente pas un intérêt ni un profit pour le donateur, mais plutôt une « rente » qui lui revient accompagnant le prêt d’usage ou la donation du revenu », (MP, 533). Le rhizome, cette connexion entre hétérogènes, participe bien de cette capture nécessairement double qui inaugure le régime du nexum et dont la fable de la guêpe et de l’orchidée est l’exemple princeps : à partir de là, elle peut tout expliquer, de l’écriture même de Deleuze et Guattari à la biologie, l’art, les sciences humaines et donc « en même temps des processus réels qui agencent l’histoire humaine, et des modes de pensée qui les décrivent ».

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