D’après l'abbé Coste, Ægilops vient du grec aïgos « chèvre » et ôps « œil » du fait que les épillets ressembleraient à des yeux de chèvre à cause des longs épillets qui les entourent. Cette étymologie apparemment pleine de fantaisie n’est pas reprise par Fournier qui indique qu’il s’agit de l’ancien nom grec d’une graminée indéterminée, probablement la Folle avoine. Pourtant l’étymologie donnée par Coste est sans doute proche de la réalité car diverses graminées étaient nommées œil de chèvre.
Autres noms : Ægilops -
Ægilops geniculata - Égilope ovoïde - Égylope ovale -
Botanique :
Maria Luisa Pignoli, autrice d'une thèse intitulée Les désignations des plantes sauvages dans les variétés arbëreshe (albanais d'Italie) : étude sémantique et motivationnelle. (Linguistique. COMUE Université Côte d'Azur (2015 - 2019) ; Università degli studi della Calabria, 2017. Français) consacre une courte section à la description de l'égilope ovale :
Description botanique : L’égylope est une plante annuelle de 10 à 40 cm, velue, à racine fibreuse qui présente des tiges en touffe, genouillées-ascendantes. Les feuilles sont planes et rugueuses, l’épi est court (1- 2 cm), ovale, à axe non fragile, d’un vert pâle ou glauque. Les épillets sont au nombre de 2-4, dont 1 ou 2 supérieurs petits, stériles et 2 inférieurs gros, fertiles, imbriqués et ovoïdes. Ils sont munis chacun d’environ 12 arêtes étalées, longues de 2-3 cm, scabres dès la base. Les glumes se présentent ventrues, à 4 arêtes presque égales et la glumelle inférieure à 2 arêtes longues ; 1 ou 2 épillets rudimentaires sont à la base de l’épi. Elle pousse dans les chemins et les lieux arides et fleurit entre mai et juillet (Pignatti, 1982, III : 542).
Paul Montagne, dans un article intitulé "Les plantes messicoles Des herbes que l’on dit mauvaises" (In : Etudes Touloises, 2017, 159, pp. 3-11) nous renseigne sur le rôle de certaines égilopes dans l'apparition des céréales cultivées :
Comme leur qualificatif l'indique, les plantes messicoles (du latin messis : moisson et colere : habiter) sont des plantes qui poussent dans les moissons. Les messicoles sont des adventices (adventicius : qui vient du dehors) des cultures : pour le botaniste des plantes introduites dans un lieu où elles ne sot pas présentes et qui s'y répandent spontanément ; pour l'agronome, des plantes qui poussent sans avoir été semées et sont des mauvaises herbes dans le champ cultivé.
La plupart des plantes messicoles sont des archéophytes, des plantes arrivées anciennement chez nous, entre le Néolithique (9500 av. J.-C.) et la fin du Moyen Âge (1500).
Elles ont une origine géographique identique à celle des cultures primitives ou située sur le parcours historique de leur diffusion en Europe. Les plantes messicoles sont des passagères clandestines de la diffusion des cultures primitives.
Au Néolithique, dans le crissant fertile moyen-oriental, l'homme nomade, chasseur-cueilleur, se sédentarise et commence à cultiver des végétaux pour se nourrir. C'est l'émergence de l'agriculture, et l'apparition d'un nouveau milieu écologique : le champ labouré, ensemencé et cultivé.
La parcelle cultivée avec son labour, son semis et sa récolte constitue le cadre de vie des espèces messicoles, de leur germination jusqu'à leur fructification. Leur cycle de vie est ainsi adapté à celui des cultures : les plantes messicoles sont des espèces annuelles, à germination automnale ou hivernale et qui fructifient avant la récolte de l'espèce cultivée.
Dans ce nouveau milieu écologique créé par l'homme agriculteur, sont cultivées quelques légumineuses sauvages (pois, vesces, lentilles...) et surtout des graminées sauvages qui conduiront aux céréales primitives puis, au fil des siècles, à nos céréales actuelles.
Sur la figure 1 sont schématisées les principales étapes de l'évolution de quelques graminées sauvages vers nos céréales cultivées :
- A : l'homme qui cueillait l'Engrain sauvage se met à le cultiver. C'est la première graminée domestiquée dans le croissant fertile, au Néolithique, vers 9000 av. J.-C. L'Engrain pauvre en gluten et difficilement panifiable, est encore localement cultivé, notamment en Provence, sous le nom de Petit Épeautre (Triticum monococcum).
- B : l'Amidonnier sauvage provient d'une hybridation spontanée entre l'Engrain et et une graminée sauvage, l'Égilope faux-épeautre. Cet hybride naturel tétraploïde est domestiqué vers 8000 ans av. J.-C. L'Amidonnier cultivé (Triticum turgidum) est à l'origine de nos blés durs.
- C : un peu plus tard et toujours dans le croissant fertile, l'Amidonnier déjà cultivé s'hybride lui aussi spontanément avec l'Égilope de Tausch, une nouvelle graminée sauvage. Ainsi naît l'Épeautre (Triticum aestivum), à l'origine de nos blés tendres.
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Usages traditionnels :
Dans sa thèse intitulée Les désignations des plantes sauvages dans les variétés arbëreshe (albanais d’Italie) : étude sémantique et motivationnelle. (Linguistique. Université Côte d’Azur ; Università degli studi della Calabria, 2017) Maria Luisa Pignoli rapporte les utilisations suivantes :
Propriétés et utilisation : Dans le livre XVIII de son Histoire Naturelle, Pline en discutant d’agriculture introduit une plante à chaume qui tue l’orge appelée « ægilops » (HN, XVIII, 155). Il continue d’illustrer les propriétés de cette plante en nous informant que c’est une plante annuelle poussant un an après ses semailles (HN, XXI, 103). Pline nous renseigne sur les vertus de cette plante en disant :
« L’aegilops est guéri par l’herbe du même nom, poussant dans les orges et à feuille de blé, par application de graine pilée et mélangée à de la farine, ou de suc. Ce suc est exprimé de la tige et des feuilles qui en sont gorgées, une fois l’épi ôté ; on le met en pastilles avec de la farine de blé de trois mois. » (HN, XXV, 146).
Il précise également que le suc de cette plante est aussi indiqué pour les indurations des nerfs (HN, XXVI, 130). Dans les communautés arbëreshe où la plante est reconnue et dénommée, la seule utilisation évoquée par les locuteurs consiste à suspendre au plafond, en été, des petites bottes d’égylope pour attirer les mouches : en Calabre, à Shën Sofia/Santa Sofia [bˈar mˈizaʧ] bar mizaç signifie en effet « herbe des mouches ». En revanche, dans d’autres régions d’Italie cette espèce est utilisée en médecine populaire, notamment dans les Abruzzes, pour les saignements de nez (Guarrera, 2006 : 48) alors qu’en Sardaigne, la décoction de racines sert à traiter la constipation (Atzei, 2003 : 160).
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Symbolisme :
Maria Luisa Pignoli, autrice d'une thèse intitulée Les désignations des plantes sauvages dans les variétés arbëreshe (albanais d’Italie) : étude sémantique et motivationnelle. (Linguistique. Université Côte d’Azur ; Università degli studi della Calabria, 2017) se penche sur les croyances liées aux différents noms arbëreshe de l'égilope ovale :
Nom scientifique : Le lat. ÆGILOPS semble renvoyer au gr. αiγiλωψ (André, 2010 : 6) dont l’étymon reste opaque car l’auteur affirme qu’on ne réussit pas à comprendre ce qui peut lier les deux éléments de ce nom composé, notamment la chèvre (αῖζ) et la chlamyde (λωψ) et qu’il n’y a aucun indice qui puisse nous éclairer sur le sens qu’a le premier nom par rapport à l’autre (André, 2010 : 6). Cet auteur affirme que chez Pline ce nom représente une espèce de graminée et met entre parenthèses le synonyme Ægilops ovata L. (André, 2010 : 6). En ce qui concerne la deuxième partie du binôme scientifique, geniculata, la base est le lat. GĔNĬCŬLĀTUS « noueux, courbé » (OLD : 758)
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Analyse lexico-sémantique des désignations : Les deux premières désignations de l’égylope, [sakwastrˈiʦ] et [bˈar mˈizaʧ], ont été collectées à Shën Sofia/Santa Sofia. Durant les entretiens avec nos informateurs, nous avons demandé une explication sur l’existence de deux noms pour la même plante, mais personne ne nous a répondu de façon satisfaisante.
[sakwastrˈiʦ] résulte être totalement opaque et personne n’a été en mesure de nous indiquer une hypothèse pour l’interpréter ; quelques informateurs ont ajouté qu’il s’agit probablement d’un mot ancien mais ils ne savaient pas préciser quel est son signifié originel. Il est possible malgré tout qu’il s’agisse d’un emprunt au calabrais saccutripa qui désigne, dans le sud de la Calabre et précisément dans la région de Reggio de Calabre, aussi bien le gaillet accrochant que l’orge des rats (NDDC : 597) ; Rohlfs ajoute aussi que le mot calabrais saccutripa < grec moderne. σακκoτρνπηζ « tissu (avec) trou » désigne une espèce d’avoine sauvage.
La forme [bˈar mˈizaʧ] « herbe des mouches », est transparente aux yeux des locuteurs qui reconnaissent l’utilité de cette plante, comme il a été dit dans le paragraphe précédent, en tant que « capture-mouches » dans la saison chaude. En revanche, l’approche motivationnelle nous emmène au-delà de la simple utilisation de la plante en tant qu’objet « capture-mouches » dans le cadre domestique : la présence d’un syntagme formé par un nom générique, bar « herbe » en combinaison avec le zoonyme mizaç « des mouches », révèle des nuances sémantiques qui sont influencées culturellement par les croyances populaires. Il s’agit certainement d’un nom substitutif cachant un ancien tabou puisque, en accord avec Zelenin (1989a : 231), le nom générique est typique des mots substitutifs et a la fonction de « signer » ce qui est doué de vertus occultes ou surnaturelles (Beccaria, 1995 : 242) ; en effet, les propriétés thérapeutiques de cette espèce, nombreuses et importantes, la rendent particulièrement « puissante » et « magique » dans l’imaginaire populaire, comme nous l’avons remarqué dans le paragraphe précèdent. En revanche, le spécificateur zoonymique, deuxième élément du syntagme, mizaç « des mouches », lexicalise la motivation secondaire. Nous rappelons à ce sujet le fait que, en zoonymie populaire, certains animaux représentent les épiphanies du diable. Parmi eux, notamment, les mouches, les fourmis, les souris, les chevaux, etc. (Riegler, 1981a : 317), comme le témoignent par exemple les différents noms que Penzig (1924, I : 10) a collecté pour cette espèce botanique en Italie : grano delle formiche (Toscane), gran da furmigh, gran furmighèn (Emilie-Romagne) et grano di formiche (Molise) « blé des fourmis » ; furmeint dal diàvel (Emilie-Romagne) « froment du diable » ; grano dei sorci « blé des souris » e scannacavallo « saigne-cheval » (Pouilles). Dans le système populaire des désignations phytonymiques, le diable traduit en général le « pouvoir » bénéfique d’une espèce botanique (Beccaria, 1995 : 239), c’est-à-dire ses « pouvoir surnaturels, magiques, thérapeutiques » (Beccaria, 1995 : 240). Cet anthropomorphisme peut également traduire le simple aspect nuisible d’une plante qui, dans le cas de l’égylope, est connu à partir de Pline : cet auteur identifiait l’orge comme nuisible (HN, XVIII, 155) en raison du fait qu’il s’agit d’une herbe sauvage parmi les plus mauvaises et infestantes (Lo Giudice & Cristaudo, 1995 : 173). L’utilisation des épis de cette plante comme objet « capture-mouches » est, donc, secondaire et récent et a certainement remplacé l’emploi thérapeutique originel, au moment où les locuteurs en ont perdu la connaissance.
La dernière forme appartient au parler arbëresh de Katundi/Greci, en Campanie : [mustˈɛca mˈaʧas] « moustaches de chat », est une désignation totalement transparente pour les locuteurs car ils nous ont fait remarquer plusieurs fois la ressemblance entre les moustaches des chats et les arêtes des épillets. Ce type de structure est très commun en phytonymie populaire : les désignations formées de « partie du corps animal » + « animal » sont très présentes dans notre corpus, comme le chapitre suivant le montrera. En particulier, le premier élément du syntagme, musteqa « moustaches », indique non seulement avec une métaphore les arêtes de cette espèce, mais il renvoie surtout à la valeur thérapeutique que les épillets ont pour la production d’un suc soignant la maladie que Pline appelle « aegilops » (HN, XXV, 146). À propos des légendes sur le monde végétal, De Gubernatis (1878 : 221) s’exprime aussi au sujet des plantes magiques et des propriétés extraordinaires que certaines plantes possèdent :
« Le suc des herbes nous apparait comme le principal élément générateur ; la semence immortelle, l’ambroise divine, avant de passer dans l’animal, a fécondé et multiplié les végétaux. »
Ce premier élément du syntagme a la fonction d’indiquer l’emploi thérapeutique de la partie de la plante utilisée pour la production du suc curatif et, donc, musteqa « moustaches » suggère qu’il s’agit surtout d’une plante médicinale et, seulement après, il se réfère à la morphologie des inflorescences de l’espèce, « nel quadro di quella somiglianza universale per cui nella natura tutto si somiglia se solo si cerca la somiglianza » [1] (Alinei, 1984 : 100). Guiraud (1986 : 222) partage aussi cette opinion lorsqu’il analyse cette structure parmi celles appartenant à la phytonymie populaire française : la partie du corps d’un animal suggère, dans la totalité des cas, qu’il s’agit d’une plante médicinale, tandis que le spécificateur lexicalisé avec un zoonyme indique des variables spécifiques. En effet, le deuxième élément syntagmatique spécifie une caractéristique ultérieure de l’herbe qui, comme dans le cas de la désignation précédente, n’est pas nécessairement liée au même domaine sémantique que le premier élément du syntagme. En effet, le zoonyme maças « de chat » peut être considéré comme « variante sémantique » du zoonyme mizaç « des mouches », parce que le chat est aussi l’une des épiphanies du diable en zoonymie populaire, ou plutôt, comme le souligne Riegler (1981a : 317), le diable se transforme volontiers en chat. Tout comme dans la désignation précédente, ce spécificateur zoonymique traduit le caractère mauvais de cette espèce botanique qui est nuisible pour les cultures céréalières.
Le fait que le chat soit considéré comme une manifestation du diable et que, par conséquent, il apporte de la négativité est témoigné par une ancienne croyance populaire selon laquelle le chat, surtout s’il est noir, porte malheur ; en Italie les gens croient que si un chat noir traverse la rue lorsqu’on est en train de la parcourir, il faut changer son itinéraire afin d’éviter que l’on puisse subir les conséquences d’événements néfastes. Le mot chat était tabou chez les chasseurs de zibeline russes, qui le remplaçaient systématiquement par des paraphrases descriptives du comportement de l’animal, telles que « assis sur les colonnes » ou « qui mène sa vie près du poêle », en raison du fait que prononcer le nom du chat pendant la chasse ou tout simplement le voir traverser la rue aurait rendu la chasse infructueuse en compromettant ses résultats (Zelenin, 1988 : 307). Le chat noir est présent dans un conte de fée arbëresh comme épiphanie d’une âme damnée (Bellusci, 1983 : 50). Dans la tradition légendaire sanskrite, le chat blanc en tant que nuage de la lune protège les animaux innocents, tandis que le chat noir symbolise la nuit obscure et persécute les animaux (De Gubernatis, 1874b : 44). Dans l’ancienne Égypte, le chat était l’un des animaux sacrés et il est attesté comme divinité à partir de la première dynastie (c. 2800-2250 a. J-C.) pendant laquelle on adorait la déesse-chat Mafdet « reine du Château de la Vie », invoquée parce qu’elle protégeait contre les morsures des serpents (Černý, 1951 : 22). Le chat était donc un animal protecteur en vertu de sa caractéristique comportementale qui faisait qu’il était considéré comme un chasseur indompté de serpents et par conséquent le protecteur des hommes qu’il protégeait contre les morsures de ces reptiles en les tuant. En vérité, ce félin résume en soi un dualisme culturel qui le rend, d’un côté, protecteur et gardien de l’homme et, de l’autre, manifestation de la négativité, du mauvais et porteur de malheur : une entité zoomorphique qui a continué à partir de l’antiquité à transformer le concept primitif totémique d’animal-protecteur en animal-ennemi, dangereux pour l’homme, pour en arriver à la vision chrétienne très récente pour laquelle le « mal » est représenté par le diable.
Note : 1) Dans le contexte concernant cette ressemblance universelle selon laquelle dans la nature tout se ressemble si l’on cherche une ressemblance (N.T.).
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