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La Crapaudine

Dernière mise à jour : 7 nov.




Étymologie :


Étymol. et Hist. 1235 crapaudine « pierre que l'on croyait provenir de la tête du crapaud et qui est en réalité une dent pétrifiée de squale » (Huon de Mery, Torn. Antecr. éd. Wimmer, 634). Dér. de crapaud* ; suff. -ine*.


Lire également la définition du nom crapaudine afin d'amorcer la réflexion symbolique.


Autres noms : Buffonite - Pierre batrachite -

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Historique :


Lionel Cavin, auteur d'un article intitulé : "La crapaudine : un fossile qui est passé du cul des souffreteux à la couronne d’un empereur" (publié sur le site du Museum de Genève le 22 octobre 2021) retrace l'histoire de


La crapaudine : un fossile qui est passé du cul des souffreteux à la couronne d’un empereur


Selon Albert le Grand, avaler une crapaudine extraite de la tête d’un crapaud fait fuir la maladie. Une fois récupérée à l’autre bout du tube digestif, elle servira à nouveau comme médicament ou ornera la couronne d’un empereur !


Une pilule recyclable : L’ordonnance  médicale d’Albert nous semble aujourd’hui bien surprenante, voire dégoutante, mais elle a pourtant été prescrite pendant des siècles. Elle repose sur un principe pré-scientifique, qui persiste encore ici et là, celui de la magie sympathique. Cette croyance repose sur l’existence de rapports « fonctionnels », souvent inversés, entre des objets qui se ressemblent superficiellement. Les crapaudines, ou bufonites, sont de petites « pilules de pierre » ressemblant très vaguement aux glandes parantoïdes des crapauds, de gros pustules que ces amphibiens portent sur leurs tempes et qui contiennent du venin.

Les crapaudines sont investies du pouvoir de guérir des empoisonnements et, au passage, de guérir à peu près tous les maux . [...]

Christopher Duffin, paléontologue britannique spécialiste de l’étude scientifique des dents de requins fossiles, mais aussi de l’histoire de l’utilisation des fossiles comme médicaments, nous apprend plein de choses sur ces étrange objets (Duffin, 2008, 2010). Par exemple, Albert le Grand conseillait que la récolte des crapaudines se fasse alors que le crapaud est « encore vivant et frétillant » comme le montre une illustration dans le Hortus sanitatis (1473).


De précieuses crapaudines dans la littérature… Mais les crapaudines n’ont pas fait que transiter dans les tubes digestifs des malades du Moyen-Age et de la Renaissance, elles ont aussi été considérées comme des pierres précieuses.  Dans les Faits et prouesses épouvantables de Pantagruel (1532-1535), Rabelais écrit « Jean, de toute la troupe choisit un Chicanous à rouge museau, lequel au pouce de la main droite portait un gros et large anneau d’argent, en la palle duquel était enchâssée une bien grande crapaudine » (NB : les chicanous gagnent leur vie en se faisant battre, puis en demandant des réparations à leurs agresseurs lors d’un procès). Plus tard, William Shakespeare mentionne les crapaudines dans sa pièce Comme il vous plaira (1623) lorsqu’il fait dire au duc Frederick : « le crapaud, laid et venimeux, porte pourtant un bijou précieux dans sa tête ».


… et dans les trésors des souverains. On retrouve également des mentions de crapaudines dans les inventaires de trésors de ducs et autres princes européens, tels que ceux de Jean de Berry, Philippe le Bel et Louis Iᵉʳ d’Anjou, ainsi que de plusieurs monarques d’Angleterre. Mais, comme vient de le démontrer ma collègue Růžena Gregorová du Musée de Moravie de Brno, en République Tchèque, certaines de ces pierres ont même trôné sur la tête d’un empereur (Gregorová et al., 2020). Deux crapaudines sont enchâssées dans la couronne qui orne un buste de Charlemagne et qui a été portée par Charles IV lors de son couronnement comme empereur du Saint Empire Romain en 1349 (couronne conservée dans le trésor de la salle capitulaire d’Aix-la-Chapelle). L’origine de cette couronne n’est pas claire, certains la faisant remonter à Charlemagne lui-même alors que d’autres considèrent qu’elle a été fabriquée à l’occasion de sacre de Charles IV. Mais tout cela n’a pas grande importance dans notre enquête sur les crapaudines…


La vérité sur les crapaudines ! Que sont pour de vrai ces crapaudines ? Ce ne sont certainement pas des concrétions qui pousseraient dans la tête des crapauds, mais bien des fossiles préservés dans les roches. Dans la chaîne du Jura, comme dans d’autres régions d’Europe, les carrières qui produisent des pierres de taille sont souvent occupées par de petites flaques d’eau et par une végétation pionnière. Ces environnements plaisent beaucoup à diverses espèces de crapauds (d’où la nécessité aujourd’hui de les protéger). Il a suffi que le hasard place quelques-uns de ces fossiles à proximité de crapauds vivants ou morts, mettant en lumière leur vague ressemblance avec les glandes parantoïdes, pour que des esprits dotés d’une bonne dose d’imagination ou de malice les fassent naître directement dans le crâne des amphibiens.  Mais, comme l’on démontré des naturalistes depuis le XVIIIème siècle au moins, ces fossiles sont en réalité des dents broyeuses de poissons qui vivaient un peu partout dans le monde au Jurassique et au Crétacé, entre 180 et 100 millions d’années environ (les glossopètres signalées plus haut, sont également des dents de poissons fossilisées, mais de requins cette fois, dont la racine bifide rappelle vaguement, mais alors très vaguement des langues de serpents.)

Ces poissons broyeurs appartiennent à un groupe de poissons aux épaisses écailles recouvertes d’une couche d’émail, les ginglymodiens, dont les seuls représentants actuels sont les lépisostés d’Amérique du Nord, redoutables carnassiers appelés parfois brochets alligators. On regroupait plusieurs de ces poissons du Mésozoïque dans le genre éteint Lepidotes, mais on sait maintenant qu’ils appartiennent à plusieurs genres différents, dont le genre Scheenstia.


François-Jules Pictet et les Lepidotes : On trouve notamment des dents de ces poissons, les fameuses crapaudines, dans les roches calcaires et marneuses de la chaîne du Jura. François-Jules Pictet de la Rive, célèbre entolomogiste et paléontologue genevois du 19ème siècle, leur a consacré un article au titre peu alléchant… Description de quelques débris de reptiles et poissons fossiles trouvés dans l’étage jurassique supérieur (Virgulien) du Jura neuchâtelois (1860). Un titre à vous dégoûter de faire de la paléontologie ! Il mentionne que les dents bulbeuses de ces poissons sont bien connues des ouvriers qui travaillent dans les carrières qui les nomment « fèves » ou « yeux ». Pictet signale aussi un morceau de mâchoire étonnant avec des dents qui sont portées des deux côtés de l’os, une « organisation difficile à comprendre » selon lui. Mais il signale plus loin  que les dents sur une des faces de l’os sont des dents de remplacement qui « exécutent leur évolution presque sur elles-mêmes, et détruisent dans ce mouvement la racine de celles qu’elles doivent remplacer ».


Mea Culpa… Lorsque l’auteur de ces lignes a lu cette dernière phrase dans l’article de Pictet, il est resté coi … Car il (l’auteur de ces lignes) a publié avec des collègues un article en 2019 dans lequel était présenté un mode de remplacement dentaire original et unique découvert chez ces poissons sur la base d’un fossile trouvé dans le canton du Jura, à savoir que chez ces poissons les dents de remplacement étaient portées à l’envers dans la mâchoire avant d’entrer en fonction. Ce que nous ne savions pas alors, c’est que Pictet avait suggéré ce mode de remplacement dentaire un siècle et demi avant nous… Certes, les méthodes que nous avons employé et le degré de précision de la description sont bien plus élevés dans notre étude que dans celle de Pictet, mais rendons à César ce qui appartient à César, Pictet nous a devancé de 159 ans !


Cavin, L. 2021. Les lépidotes, des poissons broyeurs du Jurassique jurassien. Actes de la société jurassienne d’émulation, 2020 : 41-51.

Duffin C. J. 2008. Fossils as drugs : pharmaceutical palaeontology. Ferrantia 54 : 1-83.

Duffin, C. J. 2010. The toadstone–a rather unlikely jewel. Jewellery History Today, 8: 3-4.

Gregorová, R., Bohatý, M., Stehlíková, D., & Duffin, C. 2020. “Crapaudine” (Scheenstia teeth)–the jewel of Kings. Acta Mus. Moraviae, Sci. geol., 2: 277–294.

Pictet F. J. 1860 : Description de quelques débris de Reptiles et Poissons fossiles trouvés dans l’étage Jurassique supérieur (Virgulien) du Jura Neuchâtelois. J. Kessmann, H. Georg.

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Lithothérapie :


Elie-Charles Flamand, auteur de Les pierres magiques. (Éditions Le Courrier du Livre. Paris, 1981) rapporte les croyances traditionnelles au sujet du corail :


Un texte tardif, les Cyranides, qui se rattache à l'Ecole Alexandrine et que révéla l'érudit F. de Mély (1) est fortement teinté de gnosticisme. Il donne la façon de confectionner avec chaque minéral des abraxas, c'est-à-dire des amulettes portant des symboles magiques ayant pour but de renforcer l'action magico-thérapeutique de la gemme. On doit aussi associer à la pierre des substances d'origine animale et végétale, ce qui annonce les recettes des grimoires moyenâgeux. En voici quelques exemples : [...]

« Sur une pierre batrachite, appelée aussi crapaudine, grave un épervier, sous ses pattes une grenouille ; enferme dessous la langue d'une grenouille et une petite racine de la plante connue sous le nom de grenouillette, le bout de la langue du phrynos (oiseau jaune) et après fermeture, donne-la à porter : elle guérit, en effet, toute hémorragie et les asclépiades et sauve les ictériques. Elle convient également à ceux qui crachent du sang et aux femmes qui ont des hémorragies de l'utérus. Elle convient pour calmer les mouvements de colère des adversaires, surtout si tu as placé dessous des poils de phoque ; elle préserve aussi des bêtes venimeuses. »


Note : 1) ) F. de Mély, Les lapidaires de l'Antiquité et du Moyen Age, tome III, Les Lapidaires grecs, Paris, 1902, p. 33 sq.

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Symbolisme :


D'après Éloïse Mozzani, auteure du Livre des superstitions, mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019) :


La crapaudine, pierre précieuse provenant de la putréfaction des dents fossiles d'un poisson, doit son nom au fait qu'on croyait qu'elle pouvait provenir de la tête du crapaud : le batracien la rejetait par la bouche lorsqu'on lui présentait un drap rouge. Le magistrat et démonologue Pierre de Lancre, dans son Tableau de l'inconstance des mauvais anges et démons (Paris, 1612), prétend que « pour obtenir la pierre de la teste du crapaud, il faut le faire consommer dans un pot qu'on enfouit en terre ».

Le crapaud jouant un très grand rôle dans la sorcellerie, la crapaudine était utilisée par les sorciers dans la composition de leurs maléfices. Certains ont affirmé que la pierre était constituée de concrétions minérales « que les crapauds rejet[ai]ent après les avoir avalées pour nuire à l'homme ».

Réputée porter bonheur, la crapaudine est un puissant antidote contre tous les venins : elle soulage aussi des piqûres d'abeilles et des morsures d'animaux. A l'approche d'un toxique, ou pour prévenir son possesseur qu'il a été empoisonné, la pierre changerait de couleur, pâlirait, « suerait » et deviendrait « aussi cuisante que si elle était toute de feu ».

Selon une croyance du XVIIe siècle de la crapaudine réduite en poudre et avalée dans un peu d'eau remédiait à la peste.

Pour reconnaître une vraie crapaudine d'une contrefaçon, il suffit de la présenter à un crapaud : seule la pierre veritable le met dans un état de vive excitation : « Il se dresse incontinent et court après ».

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