Étymologie :
BOUVREUIL, subst. masc.
Étymol. et Hist. 1721 bouvreur (Liger, Nouv. mais. rustique, 2, 628 dans Quem.) ; 1743 bouvreuil (Trév.). Prob. contraction de *bouvereuil, dér. de bœuf* (avec voyelle du rad. lat. devenue atone) + suff. -euil (lat. -olium, avec élargissement en -er- destiné à renforcer le suff.), p. métaph. plaisante, à cause de la silhouette trapue de ce passereau (cf. les appelations dial. du bouvreuil dans EWFS2 : bœuf Morbihan, Centre et les dér. bouvard Anjou, bouvreux Basse-Normandie et dans E. de Chambure, Gloss. du Morvan, 1878 : bôvreu) ; cette hyp. est sans doute plus satisfaisante du point de vue sém. que celle qui, plus recevable du point de vue morphol., fait de bouvreuil un dimin. de bouvier* + suff. -euil (v. Nyrop t. 3, § 226 ; Meyer-L. t. 2, p. 111) ; en effet, il n'est pas certain que le bouvreuil, essentiellement granivore, suive les bœufs pendant le labour pour manger les vers dans les sillons.
Lire également la définition du nom bouvreuil afin d'amorcer la réflexion symbolique.
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Symbolisme :
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Littérature :
A André Chénier
Oui, mon vers croit pouvoir, sans se mésallier,
Prendre à la prose un peu de son air familier.
André, c'est vrai, je ris quelquefois sur la lyre.
Voici pourquoi, tout jeune encor, tâchant de lire
Dans le livre effrayant des forêts et des eaux,
J'habitais un parc sombre où jasaient des oiseaux,
Où des pleurs souriaient dans l'œil bleu des pervenches ;
Un jour que je songeais seul au milieu des branches,
Un bouvreuil qui faisait le feuilleton du bois
M'a dit : Il faut marcher à terre quelquefois.
La nature est un peu moqueuse autour des hommes ;
O poète, tes chants, ou ce qu'ainsi tu nommes,
Lui ressembleraient mieux si tu les dégonflais.
Les bois ont des soupirs, mais ils ont des sifflets.
L'azur luit, quand parfois la gaîté le déchire ;
L'Olympe reste grand en éclatant de rire ;
Ne crois pas que l'esprit du poëte descend
Lorsque entre deux grands vers un mot passe en dansant.
Ce n'est pas un pleureur que le vent en démence ;
Le flot profond n'est pas un chanteur de romance ;
Et la nature, au fond des siècles et des nuits,
Accouplant Rabelais à Dante plein d'ennuis,
Et l'Ugolin sinistre au Grandgousier difforme,
Près de l'immense deuil montre le rire énorme.
Les Roches, juillet 1830.
Victor Hugo, « A André Chénier » in Les Contemplations, 1856.
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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque ainsi le Bouvreuil :
20 mars
(Fontaine-la-Verte)
Mesdames et messieurs, voici qu'au banquet de pain sur la souche un convive royal est venu se joindre... O la teinte surhumaine du poitrail du bouvreuil ! « Pivoine » est le mot : un rose de corail qui rayonne et ternit les autres pigments du cadre...
Le bouvreuil picore trois miettes, puis saute dans l'argent des chatons du saule. Plaisir subtil... Voici quelques années, sous la neige d'avril savoyarde, j'avais observé un couple de l'espèce dans un frêne. Cette contemplation m'avait empli le cœur et la cervelle d'un sang de bonheur pur, couleur pivoine.
[...] 13 avril
(Fontaine-la-Verte)
Le bouvreuil pivoine - costaud en gilet rose... Il m'apparaît de temps en temps, comme à d'autres l'Immaculée Conception. Ces rencontres ont à mes yeux la même importance métaphysique que les saluts de la Vierge aux bergères dans des grottes.
La rareté de ces entrevues, et l'inégalable splendeur du poitrail de l'oiseau me mettent dans une sorte de transe. Je crois contempler la Beauté pure. Je redoute qu'en s'envolant l'animal ne tranche le lien qui m'unit au Cosmos.
C'est à Tincave, il y a des années, dans le grand éboulis où je gardais les chèvres, que la vraie nature du volatile me fut révélée. Perché sur un bonsaï de pin sylvestre, le bouvreuil me dominait comme un esprit de la montagne.
[...] 3 août
(Fontaine-la-Verte)
J'enfouis mon corps rêvé dans le duvet pivoine de la poitrine du bouvreuil.
L'oiseau m'a rendu visite à dix heures vingt-huit, sur le mur de terre jaune.
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Selon Guillaume Peynet, auteur de «Le rire des métaphores dans" Les Contemplations" de Victor Hugo. » (In : Colloque d'agrégation sur" Les Contemplations" de Victor Hugo, 2016), le bouvreuil a une connotation cosmique dans la poésie de Hugo :
[...]
Où l’on découvre que la bouche d’ombre est la sœur du bouvreuil
L’entrée dans la nuit métaphysique du livre VI paraît devoir tuer toute velléité de rire : vous qui entrez ici, quittez, non pas toute espérance, mais du moins toute humeur plaisantine. Le double couronnement du recueil, « Ce que dit la bouche d’ombre » d’une part et « À celle qui est restée en France » d’autre part, consacre trois lignes mélodiques (1), le terrible, le grandiose et l’élégie, qu’on imagine mal s’accommoder du comique. Mais c’est mal connaître le génie totalisateur de Hugo. Les paroles de la bouche d’ombre maintiennent vivante la flamme de l’humour métaphorique, de deux manières au moins, qu’on peut mettre en contraste.
La première est l’humour noir. Si l’idylle fantaisiste est le versant lumineux du mystère de la métempsycose, réciproquement, l’exposé de cette doctrine dans toute sa vérité funèbre reprend de façon grinçante et cruelle les motifs et les mécanismes de la fantaisie idyllique. Cruauté, d’abord, d’une prise au sérieux, et au tragique, de ce qui n’était au début du recueil que métaphores : fleurs, arbres, insectes, antres et rochers, sont pleins d’âmes en effet ; loin d’arborer comme des masques des identités fantasques et figurales (le barbon, le gamin, le séducteur, la coquette), ils sont eux-mêmes la geôle des êtres ; avec les conséquences affreuses que cette littéralité implique : « Les fleurs souffrent sous le ciseau, / Et se ferment ainsi que des paupières closes ; / Toutes les femmes sont teintes du sang des roses ; / La vierge au bal, qui danse, ange aux fraîches couleurs, / Et qui porte en sa main une touffe de fleurs, / Respire en souriant un bouquet d’agonies » (v. 606-611). Que ce soit rétrospectivement, en cette fin du recueil, ou à la relecture des premiers livres, la gaieté des personnifications idylliques sera désormais minée d’un sentiment sinistre.
Mais encore, humour grinçant de l’attribution des peines aux grands noms de l’histoire, selon une systématique analogique, qui donc tient encore à l’humour métaphorique (il y a toujours ressemblance entre le forfait et le châtiment), et qui est exactement la version noire de la virtuosité fantaisiste :
Ce scorpion au fond d’une pierre dormant,
C’est Clytemnestre aux bras d’Egisthe son amant ;
Du tombeau d’Anitus il sort une ciguë ;
Le houx sombre et l’ortie à la piqûre aiguë
Pleurent quand l’aquilon les fouette, et l’aquilon,
Leur dit : Tais-toi, Zoïle ! et souffre, Ganelon !
Dieu livre, choc affreux dont la plaine au loin gronde,
Au cheval Brunehaut le pavé Frédégonde ;
La pince qui rougit dans le brasier hideux
Est faite du duc d’Albe et de Philippe deux ; (v. 261-270)
Et elle est encore longue, la liste de ces damnations qui toutes font endosser aux suppliciés le costume douloureux (travestissement, donc, mais travestissement-tourment) de leur crime ou de leur vice.
À cette première modalité, noire et grinçante, de l’humour métaphorique, la bouche d’ombre en allie une autre, dénuée de cruauté cette fois, mais non de malice. La première modalité tenait seulement au contenu de la révélation, à l’affreuse ironie de la destinée (2) ; la deuxième modalité tient davantage à la bouche d’ombre elle-même, à son énonciation. Claude Millet remarque l’humeur bougonne, l’exaspération facile de ce spectre, et (ce qui doit retenir ici notre attention) la raillerie dont il accable (à un certain moment, gardons-nous de trop généraliser) le poète. Cette raillerie fait une utilisation bien précise des métaphores, qu’on distinguera, sous le nom de sarcasme, de l’ironie plus ou moins parodique qu’on a décrite plus haut : dans l’un et l’autre cas, on exhibe de risibles métaphores qui sont celles de l’adversaire, celles du moins qui résument sa pensée ; mais l’ironie feint d’accepter cette pensée (donc ces métaphores) pour s’en moquer : le sarcasme, lui, attaque frontalement la pensée dont il se moque : c’est pourquoi les métaphores qui traduisent cette pensée sont frappées d’une énonciation négative, ou faussement interrogative et à implicitation négative :
Crois-tu que l’eau du fleuve et les arbres des bois,
S’ils n’avaient rien à dire, élèveraient la voix ?
Prends-tu le vent des mers pour un joueur de flûte ?
[…] Crois-tu que la nature énorme balbutie,
Et que Dieu se serait, dans son immensité,
Donné pour tout plaisir, pendant l’éternité,
D’entendre bégayer une sourde muette ? (v. 21-23 et 36-39)
La fabrication de ces métaphores risibles suit des procédés qu’on a déjà rencontrés : singularité du choix d’image, tendance au burlesque, succession rapide de variations… Constatons surtout que cette modalité nouvelle, le sarcasme métaphorique, fait de la bouche d’ombre une sœur du bouvreuil d’« À André Chénier » (I, 5) : le discours du petit oiseau recourait déjà à ce type de raillerie, avec des métaphores étrangement similaires : « Ce n’est pas un pleureur que le vent en démence ; / Le flot profond n’est pas un chanteur de romance » (v. 19-20).
De cette fraternité du bouvreuil (représentant du rire) et de la bouche d’ombre (représentante du deuil), que déduire d’autre que la profonde justesse des dires de ce même bouvreuil ? La nature « Près de l’immense deuil montre le rire énorme », cette affirmation est une vérité métapoétique dont nous venons d’obtenir deux preuves complémentaires : le deuil vampirise le rire de l’idylle, et c’est cet humour métaphorique noir qui rend si grinçante la révélation de la bouche d’ombre ; mais réciproquement le rire a sa place dans les révélations les plus funèbres, et le sarcasme métaphorique de l’oiseau peut donc passer dans la voix sinistre du spectre.
Notes : 1) Nous rejoignons ici la lecture qu’a donnée Claude Millet des Contemplations comme d’un « réseau » (selon le mot du poème « Écrit sur la plinthe d’un bas-relief antique » (III, 21) ; réseau, c’est-à-dire entrecroisement et tressage) de quatre séries mélodiques : la série bucolique, la série élégiaque, la série polémique, la série épicovisionnaire ; nous nous permettons de distinguer, au sein de la série épico-visionnaire, les deux lignes du terrible et du grandiose, qui correspondent respectivement au Dante infernal et au Dante paradisiaque.
2) « Ô loi ! pendant qu’assis à table, joyeux groupes, / Les pervers, les puissants, vidant toutes les coupes, / Oubliant qu’aujourd’hui par demain est guetté, / Étalent leur mâchoire en leur folle gaîté, / Voilà ce qu’en sa nuit muette et colossale, / Montrant comme eux ses dents tout au fond de la salle, / Leur réserve la mort, ce sinistre rieur ! » (v. 355-361 ; c’est moi qui souligne).
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