Cet article est la suite d'un premier post sur cet arbre sacré des Gaulois.
Émouvante et fragile, la plantule s'émancipe de sa gangue terrestre et part à la conquête de l'air sans hésiter à braver la gravité qui nous semble si pesante. Miracle quotidien au printemps !
Par Neil Bormhall :
Rituels :
Sharlyn Hidalgo, autrice de Rites de magie celtique, Les Cérémonies des treize lunes et de Samhain (Éditions Danaé, 2020) associe à la Lune de Mai la Cérémonie du Chêne :
Préparatifs : Munissez-vous d'un récipient contenant des glands. Préparez un pot rempli de terre suffisamment grand pour contenir les bougies du groupe. Amenez une grosse bougie centrale et suffisamment de petites bougies pour tous les participants.
Accueil et remerciements : Bienvenue à la cérémonie du Chêne. Présentez-vous et faites le tour du cercle en demandant à chaque participant d'indiquer son nom et la raison pour laquelle il s'est joint à vous. Demandez à vos invités de fermer les yeux et observez un moment de silence pour vous préparer à la cérémonie.
Invocation des points cardinaux : Invoquer les points cardinaux, les énergies du chêne (force, printemps, union sacrée) ainsi que ses totems, guides et divinités (le taureau, le Cerf blanc, Herne le Chasseur, Cernunnos, la Grande Déesse).
Enseignements : Le chêne célèbre la fertilité. Les portes et portails revêtent une signification particulière. Autour de nous, les fleurs et les arbres s'épanouissent. C'est le début du renouveau. La beauté est partout. Nous rendons hommage aux fées, au peuple des elfes et au royaume invisible. Nous remercions les dévas et les dryades des plantes et des arbres qui organisent et protègent le cycle des saisons. Cette époque de l'année est une période de magie, de gaieté et de jeu. Le chêne nous ancre, nous procure force et stabilité.
Lecture : Nous honorons la jeune fille et les jeunes générations. Nous honorons Gaïa, notre Terre-Mère. Nous célébrons sa force de vie retrouvée. Tout autour de nous n'est que nouveauté dans les fleurs et les bourgeons du printemps.
Incantation : Que nous enseigne le chêne ? La fertilité.
Le retour de la jeune fille du monde souterrain nous permet de renaître.
Nous sommes libres de créer la vie et d'apporter du bonheur.
Nous voulons célébrer ensemble dans la joie.
Que nous enseigne le chêne ? Se créer et de nous amuser.
Chants : Choisissez des chants qui célèbrent le printemps.
Activité : gland et nouveaux départs : Avant de commencer la méditation, faites passer le récipient contenant des glands. demandez à chaque personne d'en prendre un. Ensuite, prononcez les mots suivants : « Que ce gland représente ce que vous voulez entreprendre et voir grandir dans votre vie. A quoi aimeriez-vous qu'il donne naissance ? » (Longue pause).
Demandez aux participants de fermer les yeux un instant, puis récitez ce qui suit : « Vos rêves, désirs et objectifs ne sont rien de moins qu'un enfant de votre chair ; ils font partie de vous et ne demandent qu'à s'exprimer. Comment allez-vous les honorer lorsqu'ils prendront vie ? » (Pause).
Méditation guidée : Tenez votre petit gland dans les mains et fermez les yeux. Nous allons entreprendre un beau voyage ensemble. respirez lentement et concentrez-vous sur votre coeur. Alimentez-le d'amour. Oubliez vos soucis et problèmes. Inspirez profondément. Imprégnez-vous de votre gland.
Vous vous trouvez dans un joli pâturage rempli d'arbres et de fleurs. Le soleil brille et vous entendez les oiseaux voler et descendre en piqué. Des nuages blancs cotonneux se déplacent lentement dans le ciel bleu. C'est un endroit magique où vous vous sentez en sécurité. Les couleurs sont vives. Vous avez l'impression d'être chez vous.
Vous marchez dans le pré et arrivez dans un endroit spécial. C'est ici que vous pouvez planter le gland de vos rêves et de vos désirs. Prenez tout le temps nécessaire pour creuser un trou. Une fois que vous avez terminé, placez-y le gland, ajoutez de l'engrais magique, rebouchez le trou et priez. Il y a peut-être un arrosoir à proximité pour arroser la terre où vous avez planté votre gland spécial. Placez vos mains au-dessus, et donnez de l'amour et de l'énergie positive à votre gland.
Imaginez à présent votre arbre pousser. Vous l'observez grandir encore et encore jusqu'à ce qu'il devienne un puissant chêne. Le temps a passé. Regardez votre chêne. Son tronc a grossi et sa ramure est désormais ornée de feuilles. Observez les branches et les feuilles se déployer vers le ciel et prendre de plus en plus de place. Voyez ses racines s'enfoncer dans la terre. Ressentez la grandeur de cet énorme chêne que vous avez vu grandir sous vos yeux. Prenez un moment pour réaliser que vous en êtes le gardien. Nourrissez votre arbre d'amour et de reconnaissance.
Notez qu'un groupe d'amis s'est joint à vous pour célébrer sa croissance. Des totems, guides et divinités du monde des esprits peuvent également vous rejoindre. Les fées font leur apparition. Vous vous prenez tous par la main et commencez à chanter et danser autour du chêne. Une fois la danse terminée, tous ceux présents restent en cercle et vous observent approcher de votre arbre. Ils vous invitent à l'enlacer et le toucher. L'arbre communique avec vous et vous l'écoutez...
Imaginez maintenant que le gland que vous avez planté corresponde à vos voeux et vos souhaits. Représentez-vous vos rêves quelques temps plus tard comme vous l'avez fait pour la croissance du chêne. Prenez un moment pour assimiler cette vision future et voir le fruit de votre rêve devenir réalité... (Pause) A présent, éprouvez la joie d'avoir manifesté les désirs de votre coeur. Célébrez cette manifestation dans votre esprit.
Une fois que vous avez terminé, remerciez vos amis et vos guides. Exprimez votre gratitude envers le chêne pour vos rêves et désirs. C'est la fin de votre voyage ; recentrez-vous. Dès que vous serez prêt et revenu à la réalité, ouvrez doucement les yeux.
Échanges : Accordez du temps aux participants afin qu'ils consigent leur expériecne dans leur journal et la partagent. Quel message leur arbre leur a-t-il transmis ? Qu'ont-ils éprouvé en voyant le gland grandir et développer son plein potentiel ? Quel objectif ou désir s'est manifesté pendant leur voyage ? Qu'ont-ils ressenti en voyant que les rêves deviennent réalité ?
Chants : Choisissez des chants en rapport avec le printemps, la fertilité, la Déesse, l'abondance, la joie et la célébration.
Activité : partager nos objectifs et souhaits : Demandez aux participants d'allumer au centre du cercle une bougie représentant l'objectif sur lequel ils ont décidé de se concentrer pour qu'il se manifeste. Chaque fois qu'un participant allume une bougie et fait part de son souhait, tous les autres répondent : « Nous sommes les témoins. Nous te soutenons et t'aimons. »
Chants : Levez-vous, prenez-vous par la main et entonnez des chants de clôture de cercle tels que « May the Circle Be Open », « Merry Meet » et « We Are a Circle ». Vous pouvez également choisir des chants en l'honneur du printemps et de la Déesse sou son visage de jeune fille.
Clôture : Libérez les points cardinaux et remerciez le chêne ainsi que ses totems, guides et divinités. Demandez aux participants de ramener leur gland chez eux. Ils peuvent le planter ou le placer sur leur autel pour se rappeler leurs objectifs et souhaits. Ouvrez le cercle.
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Mythologie :
Le Glossaire théosophique (1ère édition G.R.S. MEAD, Londres, 1892) d'Helena Petrovna Blavatsky propose plusieurs entrées relatives au chêne :
CHENE SACRE. Chez les Druides le chêne était l'arbre le plus sacré, et ainsi également chez les anciens Grecs, si nous pouvons ajouter foi à Phéréxydes et à sa Cosmogonie, qui nous parle du chêne sacré "dans les branches exubérantes duquel un serpent (c'est-à-dire la Sagesse) habite, et ne peut être délogé". Chaque peuple possède ses propres arbres sacrés, les Hindous entre tous.
DONAR (scandinavie), ou Thunar, Thor. Dans le Nord, le Dieu du Tonnerre ; c'était le Jupiter Tonans de Scandinavie. Comme le chêne était l'arbre de Jupiter, on le trouvait aussi consacré à Thor, et ses autels étaient ombragés de chêne. Thor ou Donar était le fils d'Odin "le Dieu Tout-Puissant du Ciel", et de Mère Terre.
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D'après Angelo de Gubernatis, auteur de La Mythologie des plantes ou les légendes du règne végétal, tome 2 (C. Reinwald Libraire-Éditeur, Paris, 1882),
CHENE (Quercus aesculus). — Le chêne mériterait à lui seul tout un livre explicatif, tellement son rôle mythologique et légendaire est important dans la tradition européenne. Il résume, en effet, tous les attributs mythologiques qui appartiennent, dans les Légendes orientales, à l’açvattha, au cèdre, au palmier, au cyprès, au pin. Le plus vaste, le plus fort, et, comme on l’a dit, le plus utile des arbres, est devenu, en Europe, le roi de la végétation (1). La place d’honneur que l’aigle et le lion ont occupée parmi les animaux revient, parmi les végétaux, au chêne (2). De même que, dans l’açvattha indien, on a reconnu l’image du ciel abritant la terre, le chêne, à cause des proportions gigantesques qu’il a pu atteindre sur le sol européen, a été représenté par la tradition européenne comme l’arbre cosmogonique et anthropogonique par excellence. Socrate jurait par le chêne, l’arbre divin des oracles et, par conséquent, l’arbre de la sagesse (3). On sait que Zeus l’avait adopté comme son arbre de prédilection, et on ne s’en étonne point. Une fois que le chêne représente le ciel sombre et nuageux, la place naturelle du dieu de la foudre et du tonnerre est au milieu du chêne (4). C’est dans le ciel nuageux, c’est dans le mystère céleste qui enveloppait le dieu de la lumière, que les premiers croyants de la Grèce sont allés consulter l’oracle divin, l’oracle d’Apollon et de Zeus. La première réponse de l’oracle a été donnée par le tonnerre. Le premier temple de Jupiter à Dodone a été une forêt de chênes. C’est par le bruit des feuilles de son chêne, qui s’agitaient sans être remuées par le vent, que Zeus annonçait aux hommes sa volonté suprême. De même, les oracles de Praeneste étaient rendus par des lettres sculptées sur le chêne (5). Zeus qui tonne dans le nuage, Zeus qui fait remuer les feuilles de son chêne, Zeus qui parle par son chêne, Zeus dont la volonté est exprimée par des lettres mystérieuses qui se montrent sculptées sur son chêne, sont quatre différentes images poétiques de la même conception naturelle.
Pline nous apprend, ce que d’ailleurs la science moderne admet aisément, que, dans la création, les chênes ont précédé les hommes. Nous avons dit que les Grecs appelaient les chênes, les premières mères. Rien d’étonnant que, les chênes ayant précédé les hommes, les pères des hommes, les dieux, ainsi que les abeilles qui symbolisent l’âme immortelle44, aient habité les chênes. C’est dans le tronc vide d’un chêne que les Dioskures helléniques se cachent de leurs ennemis. Ici, le chêne semble représenter l’arbre de la nuit, où le soir va se cacher, d’où sort tous les matins la lumière du jour. C’est le même chêne, sans doute, auquel était suspendue la toison d’or cherchée en Orient par les Argonautes (6). L’aurore ou la dame verte du printemps, représentée par Médée, la belle magicienne, et le soleil, représenté par le jeune et beau Iason, se retrouvent dans le ciel oriental, après avoir voyagé toute la nuit, ou tout l’hiver, dans un navire sur lequel la fille de Zeus, la sage déesse Athènè, une forme elle-même plus élevée de l’aurore, avait prudemment placé un copeau du chêne de Dodone, pour garantir les Argonautes du naufrage. Il est fort curieux maintenant d’observer que la même superstition consacrée par l’ancien mythe hellénique existe encore, légèrement modifiée, dans la campagne de Rome et en Toscane ; seulement il ne s’agit plus ici, comme de raison, d’un orage de mer, d’un naufrage, mais d’un orage terrestre. M. Vannuccini, ingénieur à Scansano, dans la province de Grosseto, m’apprend qu’à Sorano, dans la campagne de Rome, il n’y a pas encore quinze ans, une jeune bergère, surprise par l’orage, se réfugia sous un chêne, et pria la madone. Pendant qu’elle priait, une dame lui apparut ; grâce à cette dame, la pluie ne tomba point sur le chêne, et la jeune bergère retourna chez elle sans avoir reçu une seule goutte de pluie. On cria tout de suite au miracle. Le curé appela d’abord chez lui la jeune bergère, et puis la fit mener dans un couvent de Rome, où l’on prépare sans doute sa canonisation. C’est ainsi qu’il y a deux siècles, une bergère toscane, la bienheureuse Giovanna de Signa, fut canonisée. Dans le district de Lastra à Signa, entre Malmantile et Ginestra, on montre encore un chêne que le peuple adore. On raconte qu’un jour la bergère Jeanne, surprise par l’orage, rappela autour d’elle les pâtres et les brebis, et enfonça dans le sol son bâton de bergère. (Cf. Tilleul et Oléandre.) A l’instant même, surgit du sol un chêne qui abrita sous ses branches pâtres et brebis. Personne ne fut mouillé ; pour ce beau miracle, Jeanne fut canonisée ; près du chêne, on dressa une petite chapelle en l’honneur de la Vierge. Maintenant, les téméraires qui montent sur le chêne de Jeanne pour en couper des branches peuvent être sûrs que l’arbre les renversera ; il est cependant permis de détacher des branches quelques petites pousses pour les garder dans les maisons ; par ce talisman, on est, dit-on, garanti de tous les orages, pourvu que, devant cette touffe de chêne sacré, on invoque ainsi le nom de Jésus et de Marie :
Col nome di Gesù e di Maria,
Questa tempesta la vada via.
A Chieti, dans les Abruzzes, on cueille des feuilles du chêne sur lequel la fondre est tombée, et on les confie comme un talisman infaillible aux pauvres recrues qui partent pour la guerre (7). On prétend que, grâce à ce talisman, les soldats ne seront point atteints par les boulets. La théorie homéopathique, similia similibus, a affecté profondément le mythe. Où la foudre est tombée une fois, pense-t-on, elle ne tombera plus : son action est neutralisée par le chêne déjà frappé ; la foudre est l’arme divine : par analogie, l’on pense qu’aucune autre arme ne tombera sur un objet sur lequel l’arme divine elle-même n’a plus aucun pouvoir. Est-ce encore pour éloigner la foudre qu’en Allemagne on place une branche de chêne sur le dernier chariot de la moisson ?
Les anciens Grecs attribuaient le déluge de Béotie aux querelles de Zeus et de Héra ; dès que les pluies cessèrent, on vit s’élever sur la terre une statue en chêne, comme symbole de la paix conclue entre le roi des dieux et sa femme. Le chêne fut, dit-on, le premier arbre qui poussa sur la terre, et vraisemblablement ne donna pas seulement le miel (l’ambroisie de l’açvattha indien ; on sait que madhu « le doux » en sanscrit, désigne le miel et l’ambroisie) et le gland (d’où le nom de balanophagi donné aux premiers hommes (8), pour la nourriture, mais aussi pour la génération.
Le gland, disaient les anciens, excite Vénus. Fécond par excellence, on reconnut en lui non pas seulement un fécondateur parmi les arbres, mais le fécondateur des hommes. Dans un conte populaire anglais, on trouve le gland du chêne, en relation intime avec la génération de l’homme ; un follet chante : « Il n’est pas encore né, le gland d’où sortira le chêne, dans lequel on taille le berceau pour l’enfant meurtrier. » (On sait qu’Indra, Zeus, le héros solaire, en somme, est né parricide.) Il est évident que dans le conte anglais le berceau est une image poétique de l’enfant lui-même, et que le gland du chêne s’identifie ici avec le gland de l’homme. La mythologie scandinave fait du chêne ou du frène les premiers hommes : ainsi la fiction populaire latine accueillie par Virgile supposait les premiers hommes « duro de robore nati ». Les Arcadiens, de même, croyaient avoir été des chênes avant de devenir des hommes. En Piémont, pour éloigner les questions indiscrètes des petits enfants, on leur apprend qu’ils sont nés dans les bois, sous une souche d’arbre et, précisément, sous un vieux chêne.
Le chêne est donc l’arbre anthropogonique, par excellence, de la tradition européenne (9). D’après la superstition italienne, germanique, tchèque, serbe, etc., c’est une bûche de chêne que, la veille de Noël, pour la renaissance annuelle du soleil sauveur du monde, du Christ sauveur, il faut placer sur le feu. Hanté d’abord par les dieux brillants du paganisme, le chêne est devenu le refuge privilégié des madones et des saints adorés dans les campagnes. Mme Coronedi-Berti a constaté, d’après Toselli, chez les habitants de Bologne, c’est-à-dire dans une région anciennement celtique et, par conséquent, druidique, le culte spécial des chênes. Au XIVe siècle, lorsqu’on pava la place Beccadelli de Bologne, un vieux chêne s’y élevait encore. Non seulement le chêne était vénéré ; mais, par un reste, sans doute, d’un ancien usage celtique, toutes les réunions importantes du peuple devaient se tenir à l’ombre de l’arbre bienaimé. Dans les anciennes processions religieuses, les enfants de Bologne portaient des couronnes d’olivier et de chêne ; les soldats, les jours de parade, font encore de même. Dans les campagnes on voit souvent des images de la Vierge suspendues à un tronc de chêne ; l’image prend même parfois son nom de l’arbre auquel elle se trouve attachée ; on l’appelle donc près de Bologne la maduneina dla querza ou dla róuvra (c’est-à-dire la petite madone du chêne). Dans un livre populaire sur les miracles de la Vierge, imprimé à Bologne en l’année 1679, je trouve la légende qui suit : « Dans une chapelle, on avait oublié une petite statue de la Vierge : un pâtre pieux l’enleva et la plaça dans le trou d’un liège (quercus suber) devant lequel, pour faire honneur à la Vierge, il se rendait tous les jours et jouait de la flûte. Le vol ayant été dénoncé, le pâtre fut saisi et condamné à la mort. Mais, pendant la nuit, grâce à la madone, la statue et le pâtre revinrent à leur arbre bien-aimé. Les gendarmes se rendirent une seconde fois près du liège et essayèrent de ramener le pâtre fuyard ; mais, malgré tous leurs efforts pour s’éloigner de l’arbre, après avoir longuement marché, ils demeuraient toujours à la même place. « Ils attribuèrent alors ce fait étrange à un miracle de la Vierge, devant laquelle ils se prosternèrent, tout en demandant excuse au pâtre. » Saint Ronan ou Renan, de même, un saint fort entêté, ne veut point quitter ses vieux chênes. C’est M. Ernest Renan, un saint manqué lui-même (10), qui nous l’apprend dans ses Souvenirs d’enfance. A la mort du saint, « tous les chefs étaient assemblés dans la cellule autour du grand corps noir, gisant à terre, quand l’un d’eux ouvrit un sage avis : “De son vivant, nous n’avons jamais pu le comprendre ; il était plus facile de dessiner la voie de l’hirondelle au ciel que de suivre la trace de ses pensées ; mort, qu’il fasse encore à sa tête. Abattons quelques arbres ; faisons un chariot où nous attellerons quatre bœufs. Laissons-les le conduire où il voudra qu’on l’enterre.” Tous approuvèrent. On ajusta les poutres, on fit les roues avec des tambours pleins, sciés dans l’épaisseur des gros chênes, et on posa le saint dessus. Les bœufs, conduits par la main invisible de Renan, marchèrent droit devant eux, au plus épais de la forêt. Les arbres s’inclinaient ou se brisaient sous leurs pas avec des craquements effroyables. Arrivés enfin au centre de la forêt, à l’endroit où étaient les plus grands chênes, le chariot s’arrêta. On comprit ; on enterra le saint, et on bâtit son église en ce lieu ». Dans aucun pays d’ailleurs on ne s’attend à trouver le culte du chêne aussi répandu que dans la Gaule des Druides, où les chênes ont dû, pendant assez longtemps, tenir lieu de maisons, où le dieu Teute lui-même était représenté sous la forme d’un chêne. Le culte du chêne, pour le Druide, était l’équivalent du culte de sa propre maison, de son temple, de son pays (11). Le roi saint Louis administra encore la justice sous le chêne de Vincennes. Les Gaulois, le jour du danger, se rassemblaient, au son d’une timbale, autour des chênes (12). Le chêne ne donnait pas seulement aux Gaulois le toit, le gland, le miel, mais encore le gui, auquel ils attribuaient, ainsi que les Scandinaves, des propriétés magiques merveilleuses.
Au commencement de l’année, écrit M. Chéruel (13), le chef des Druides cueillait avec une faucille d’or le gui sacré, auquel, d’ailleurs, on attribue, d’après Linné (14), une origine mystérieuse. Dans quelques provinces de la France, on conserva pendant longtemps l’usage d’aller cueillir du gui du chêne, que l’on regardait comme un talisman. Les enfants demandaient des étrennes en criant : Au gui l’an neuf ! La cérémonie de la récolte du gui par les Druides est décrite par le même auteur d’une manière plus détaillée, au mot Gui : « Le gui de chêne était une plante sacrée par les Druides, et ils allaient en grande pompe cueillir le gui le sixième jour ou plutôt dans la nuit de la sixième lune après le solstice d’hiver où commençait leur année. Ils appelaient cette nuit nuit mère. Le chef des Druides cueillait le gui avec une faucille d’or ; les autres Druides vêtus de tuniques blanches, le recevaient dans un bassin d’or, qu’ils exposaient ensuite à la vénération du peuple. Comme on attribuait au gui les plus grandes vertus, et entre autres des propriétés curatives merveilleuses, ils le mettaient dans l’eau et distribuaient cette eau lustrale à ceux qui en désiraient, pour les préserver ou les guérir de toutes sortes de maux. Cette eau était aussi regardée comme un remède souverain contre les maléfices et sortilèges. Cet usage druidique se perpétua sous diverses formes dans presque toutes les parties de la France. Plusieurs textes des conciles ou synodes attestent qu’aux XVe et XVIe siècles, on se livrait encore dans les campagnes à des fêtes qui rappellent la cérémonie du gui sacré, et qu’on appelait guilanleu, ou auguilanneuf (gui de l’an neuf). »
Pline d’ailleurs nous avait déjà largement renseigné sur le culte druidique du gui de chêne : « Nihil habent Druides, écrivait-il, visco et arbore in qua gignatur, si modo sit robur, sacratius. Jam per se roborum eligunt lucos, nec ulla sacra sine ea fronde conficiunt, ut inde appellari quoque, interpraetatione Graeca, possint Druides videri. Enimvero quicquid adnascatur illis, e coelo missum putant, signumque esse electae ab ipso deo arboris. Est autem id rarum admodum inventu, et repertum magna religione petitur. Et ante omnia, sexta luna, quae principia mensium annorumque his facit, et saeculi post trigesimum annum quia jam virium abunde habeat, nec sit sui dimidia, omnia sanantem appellantes suo vocabulo. Sacrificio epulisque rite sub arbore praeparatis, duos admovent candidi coloris tauros, quorum cornua tunc primum vinciuntur. Sacerdos, candida veste cultus, arborem scandit. Falce aurea dementit. Candido id excipitur sago. Tunc demum victimas immolant, precantes ut suum donum deus prosperum faciat his quibus dederit. Foecunditatem eo poto dari cuicumque animali steriliarbitrantur, contraque venena omnia esse remedio. » D’après le livre attribué à Albert le Grand (15), le gui de chêne ouvre toutes les serrures : « Decima herba a Chaldaeis dicitur Luperax, a Graecis Esifena, a Latinis viscus querci ; et crescit in arboribus, transforata arbore. Haec herba cum quadam alia herba quae dicitur Martegon, id est, sylvium, ut scribitur lingua Theutonica, omnes seras aperit ; et, si praedictum compositum in ore alicujus ponatur, et cogitetur de aliquo, si debet accidere, corde infigitur, si autem non, corde resilit. » L’usage populaire du Canavais (en Piémont) et des paysans de la Lombardie d’aller le matin de la Saint-Jean quérir sur les feuilles de chêne la prétendue huile de saint Jean, à laquelle on attribue spécialement la propriété de guérir les blessures faites par des armures tranchantes, est sans doute encore un reste de superstition celtique.
Les pays germaniques, qui avaient consacré le chêne au dieu Thunar, ont aussi conservé longtemps le culte du chêne, même après que Boniface, l’apôtre des Allemands, à Geismar sur le Weser, eut fait déraciner le chêne consacré au dieu du tonnerre. Rien de plus instructif, à ce propos, que le long récit du pape Pie II concernant le moine Jérôme : « Postremo, écrit-il, alios populos adiit qui sylvas daemonibus consecratas venerabantur, et inter alias unam cultu digniorem putavere. Praedicavit huic genti pluribus diebus fidei nostrae aperiens sacramenta, denique ut sylvam succideret imperavit. Ubi populus cum securibus adfuit, nemo erat, qui sacrum lignum ferro contingere auderet. Prior itaque Hieronymus, assumpta bipenni, excellentem quandam arborem detruncavit. Tum secuta multitudo, alacri certamine, alii serris, alli dolabris, alii securibus sylvam dejiciebant. Ventum erat ad medium nemoris, ubi quercum vetustissimum et ante omnes arbores religione sacram et quam potissime sedem esse putabant percutere aliquandiu nullus praesumpsit. Postremo ut est alteraltero audacior increpans quidam socios, qui lignum rem insensatam percutere formidarent, elevata bipenni, magno ictu, cum arborem caedere arbitraretur, tibiam suam percussit atque in terram semianimis cecidit. Attonita circum turba flere, conqueri, Hieronymum accusare, qui sacram Dei domum violari suasisset. Neque jam quisquam erat qui ferrum exercere auderet. Tum Hieronymus illusiones daemonum esse affirmans, quae deceptae plebis oculos fascinarent, surgere quem cecidisse vulneratum diximus imperavit et nulla in parte laesum ostendit, et mox ad arborem, adacto ferro, adjuvante multitudine, ingens onus cum magno fragore prostravit, totum nemus succidit. Erant in ea regione plures sylvae pari religione sacrae. Ad quas dum Hieronymus amputandas pergit, mulierum ingens numerus. plorans atque ejulans, Vitoldum adit, sacrum lucum succisum queritur et domum Dei ademptam, in qua divinam opem petere consuevissent ; inde pluvias, inde soles obtinuisse ; nescire jam quo in loco Deum quadrant, cui domicilium abstulerint. Esse aliquos minores lucos, in queis Dii coli soleant, eos quoque delere Hieronymum velle. » Cette complainte des femmes allemandes sur la destruction des chênes, demeure de leurs dieux, me semble très éloquente et nous représente assez vivement la ténacité du culte superstitieux des arbres chez les peuples germaniques. Pour sauver les chênes sacrés, les Allemands du moyen âge, non seulement pleuraient et priaient, mais ils recouraient à la ruse. L’évêque Othon de Bamberg, en l’année 1128, étant en mission à Stettin, y trouva encore des temples païens près d’un chêne et d’une source. Il songea naturellement à les démolir ; mais, pour ménager les paysans de Stettin par trop effarouchés, il fallut en venir à une espèce de compromis. Dans la vie d’Othon écrite par Hebrard, le regretté Mannhardt a lu ce qui suit : « Erat praeterea ibi quercus ingens et frondosa et fons subter eam amoenissimus, quam plebs simplex, numinis alicujus inhabitatione sacram existimans, magna veneratione colebat. Hanc etiam episcopus quum, post destructas continas, incidere vellet, rogatus est a populo ne faceret. Promittebant enim nunquam se ulterius, sub nomine religionis, nec arborem illam colituros, nec locum, sed solius umbrae atque amoenitatis gratia, quia hoc peccatum non sit ; salvare illam potius quam salvari ab illa se velle. Qua suscepta promissions : « Acquiesco, inquit episcopus, de arbore ». C’était tout ce qu’on voulait. D’après la croyance populaire germanique (16) aidée et entretenue, en grande partie, par l’Église, ces mêmes arbres, depuis qu’il n’est plus permis d’y chercher des dieux, sont la plupart hantés maintenant par des démons ou êtres malfaisants qui éloignent du chêne ce même peuple qui allait autrefois se prosterner devant lui.
Chez les Lettes, le chêne est représenté comme un arbre solaire. D’après leurs chants populaires, dès sa naissance, la fille du soleil a été promise par son père au Fils de Dieu. Mais lorsqu’elle fut en âge de se marier, le soleil, au lieu de la donner au Fils de Dieu, la livra à la lune, en priant le dieu Perkun (le dieu de la foudre) de prendre part à la noce. Alors Perkun frappa le chêne. Le sang du chêne jaillit sur le drap en laine de Marie. Un autre chant populaire s’exprime ainsi : « Je comptais les étoiles ; le seul astre du matin manquait ; il courait après la fille du soleil. Perkun parcourait le ciel, en se querellant avec le soleil. Le soleil n’obéissait point à Perkun. Il avait vendu sa fille à l’astre du matin. Perkun frappa le chêne d’or ; la fille du soleil pleura amèrement, en ramassant les branches d’or. Toutes les branches étaient là ; la seule branche du sommet manquait ; elle la retrouva après quatre ans. » Un troisième chant ajoute quelques détails intéressants : « La lune emmène la fille du soleil ; Perkun suit la noce ; sautant par la porte ouverte, il brise le chêne d’or ; le sang du chêne jaillit sur le rocher sombre ; la fille du soleil demeura trois ans sur les branches. » Un quatrième chant revient sur le même mythe, en y ajoutant une nouvelle image solaire : « L’astre du matin faisait sa noce ; Perkun chevauche par la porte, et il brisa le chêne vert. Le sang du chêne coula et jaillit sur mes habits et sur ma petite couronne. Ainsi pleurait la fille du soleil, et elle ramassa, pendant trois ans, les feuilles détachées : Ma mère, où dois-je laver mes habits, pour en effacer le sang ? — Ma fille, ma petite, va à l’étang, dans lequel neuf ruisseaux coulent. — Ma mère, où dois-je faire sécher mes habits ? — Ma fille, dans les jardins où poussent neuf rosiers ? — En quel jour, ma mère, devrai-je remettre mes habits blanchis ? — Fille, le jour où neuf soleils brilleront. »
Le mythe de Kutsa, dans le Rigveda, nous fait déjà assister à une ancienne querelle entre Indra, le dieu de la foudre, et le soleil : une fois Indra frappe la roue du chariot solaire ; une autre fois, il brise le chariot de l’aurore ; et on peut croire qu’Indra aussi, comme Perkun, se vengeait par jalousie, puisque plusieurs passages védiques nous représentent Indra comme un ami et protecteur de l’aurore. La célèbre légende d’Apâlâ dans le Rigveda fait du dieu Indra un véritable chevalier amoureux de l’aurore. Les chants populaires lettiques ajoutent un nouvel éclat et intérêt au mythe indien, en le ranimant par une légende végétale.
A propos du mythe des Lettes, M. Mannhardt fait encore mention de l’arbre de Dieu, du Taaras ou chêne cosmogonique finnois, aux branches d’or, couvrant le ciel ; d’après le Kalevala, le chêne planté par le fils du soleil aurait été déraciné par un nain sorti de la mer et devenu géant. Cet arbre aux branches d’or qui couvre le ciel semble être ici l’aurore elle-même ; le nain est le soleil qui chasse l’aurore, en déracinant l’arbre qui la représente, le soir à l’occident, le matin à l’orient. La légende esthonienne fait de ce chêne un arbre bienheureux, un arbre de l’abondance, tel qu’étaient le pommier des Hespérides et l’açvattha védique. De ses branches sortent des berceaux, des tables, des maisons merveilleuses, et surtout la maison de bain de son propre frère qui viendra avec une hache le terrasser. La fenêtre de cette maison est la lune elle-même ; sur le toit le soleil s’amuse et les étoiles dansent. Le docteur Mannhardt compare ici très à propos à ce chêne celui de l’île de Bujan, une espèce de paradis terrestre dans la tradition populaire russe : sur le chêne de l’île de Bujan le soleil va se coucher tous les soirs ; du sommet de ce chêne il se lève tous les matins ; le chêne est habité par la vierge divine Zarjá (le nom russe de l’aurore) et gardé par le dragon Garafena. Eh bien, qu’en pensent messieurs les adversaires systématiques de la mythologie comparée ? Avons-nous ou n’avons-nous pas le droit de parler d’arbres solaires ?
A Pron, les chênes consacrés à la divinité étaient entourés par une espèce de bâtisse, qui rappelle les contines de la Prusse orientale. Cet endroit était le véritable sanctuaire de toute la contrée, et avait son prêtre, ses fêtes et ses sacrifices. Les cérémonies achevées, le peuple se rassemblait avec le prêtre et le chef du tribunal. Mais la cour, le sanctus sanctorum où s’élevait le chêne sacré, était réservé au prêtre, aux sacrificateurs, aux personnes menacées de mort qui y cherchaient un asile. A l’exemple des dieux qui se rassemblaient sous l’arbre universel (personnification du ciel) pour décider du sort de l’humanité, le tribunal des anciens Slaves, ainsi que celui des anciens Gaulois et des anciens Germains, se tenait sous un vieux chêne. L’arbre, personnification de la sagesse suprême, l’arbre spécialement duquel sortaient les réponses du Zeus dodonien, le chêne, devait inspirer aux juges la vérité dans les sentences. Constantin Porphyrogénète affirme que les anciens Russes, en arrivant à l’île de Saint-Georges, accomplissaient leurs sacrifices sous le grand chêne, devant lequel le peuple et le prêtre chantaient un Te Deum ; après quoi le prêtre distribuait des branches de chêne au peuple. Dans la province de Toula, lorsqu’on coupe les bois, les paysans vont encore à la recherche des vieux chênes qui s’élevaient près d’une source ; et ayant enlevé l’écorce de leurs branches, ils la trempent dans la source, pour la garder ensuite soigneusement dans leurs maisons comme le meilleur préservatif contre le mal de dents. Ailleurs, au premier coup de tonnerre, on appuie le dos contre le tronc d’un chêne, et on croit, par là, se garantir de tous les maux. Dans l’Ukraine, la semaine des Rois, appelée la semaine verte, on érige sur une grande place un mât de chêne, avec une roue attachée au sommet ; on entortille autour de la roue des herbes, des fleurs, des rubans ; autour du mât on plante des branches de bouleau ; on fait des jeux, on s’amuse et on chante ce qui suit :
Chêne sec, détords-toi,
La glace te couvrira.
— Je ne crains pas la glace,
Le printemps viendra :
Il me détordra.
Quoi de plus évident que cette évocation du printemps par le chêne ? Ainsi que le coucou annonçait aux paysans romains l’arrivée du printemps, ainsi que les paysans romains, lorsqu’ils entendaient au mois de mars gronder le tonnerre, étaient avertis que la belle saison arrivait, l’arbre du dieu de la foudre, l’arbre nuageux, l’arbre orageux d’Indra, de Zeus, de Perkoun ou Peroun, le chêne, évoquait, chez les Slaves, le retour de la nouvelle année.
Nous avons vu que, dans l’île de Bujan de la tradition russe, le chêne est évidemment un arbre solaire ; le ciel doré de l’Orient et de l’occident est représenté par cet arbre ; mais le ciel n’est pas toujours couvert de rayons d’or lorsque les nuages ou les ténèbres le couvrent, le ciel devient un arbre orageux. Le chêne se rencontre donc dans les légendes héroïques russes parfois sous la forme d’un arbre solaire, parfois en sa qualité d’arbre de l’orage. Le brigand Soloveï (Rossignol) bâtit son nid sur sept chênes ; on l’appelle Rossignol, parce qu’il siffle d’une manière effrayante et irrésistible et, par son sifflement, fait trembler toute la terre ; Rossignol personnifie évidemment le vent de l’orage. Ilia Muromietz (ÉIie de Mourom), le héros solaire par excellence, l’Hercule de l’épopée russe, pendant le combat, aime, comme Indra et comme Zeus, à se cacher ou à se déguiser. Il n’est plus alors le dieu lumineux, mais le dieu drapé du nuage comme d’une cuirasse, le dieu guerrier. Ilia, cependant, le même qui, avec son seul poignet, aurait pu arracher tous les chênes de la forêt, le même qui, dans un combat contre le géant Rossignol, avec une seule flèche avait brisé un chêne en mille morceaux (évidente représentation de la foudre qui déchire le nuage), a peur d’un héros plus fort que lui, Sviatogor, et, saisi de crainte, monte sur un chêne pour échapper à ses poursuites. De même, dans un hymne védique, on nous représente Indra, le dieu de la foudre, fuyant par crainte d’un ennemi mystérieux (peut-être de son ombre), après sa victoire sur le monstre Ahi.
La couronne civique des Romains était tressée avec des feuilles de chêne : « Civica (corona), écrit Pline (XVII, 4), lignea primo fuit, postea magis placuit ex esculo Jovi sacra. » Pline nous assure aussi que les deux chênes qui s’élevaient près de l’autel de Zeus dans le voisinage d’Héraclée avaient été plantés par Héraclès lui-même. La statue de la victoire d’Herculanum tient une couronne de chêne à la main. Dans l’ouvrage Herculanum et Pompéi, par H. Roux aîné, je trouve la description de deux candélabres symboliques avec des ramifications ou des branches sur lesquelles, comme sur un arbre, se tiennent deux oiseaux ; comment ne pas reconnaître dans ces deux oiseaux les colombes prophétiques des chênes de Dodone, les deux oiseaux qui hantent l’arbre de l’ambroisie, le pippala védique, et qui causent entre eux ?
Une petite chanson populaire piémontaise communiquée par M. Nigra au professeur Mannhardt parle de trois poules sur un chêne et de trois coqs dans un château, qui doivent invoquer le soleil et le beau temps :
Sol, mirasol,
Tre galiñe s’una rol,
Tre gai ant un castel,
Preghé Dio c’ a fassa bel
(Le coq et la poule semblent aussi, par leur chant, préluder aux amours des hommes, dans une autre chanson piémontaise, qui commence ainsi :
Canta il gallo,
Risponde la gallina,
Madama Donesina
Si mette alla finestra
Con la corona in testa, etc.
A l’origine il devait être question d’une seule poule et d’un seul coq, ainsi qu’il est question d’un seul chêne et d’un seul château ; par l’affection du peuple bien connue pour le nombre trois, on a dû inventer trois poules et trois coqs. Ce coq et cette poule prophétiques me semblent de la même famille mythologique que les colombes de Dodone et les kapotâs védiques. Indra aime à se transformer en faucon, Zeus en aigle ; le soleil est souvent représenté comme un oiseau d’or. Une énigme populaire russe représente le soleil ainsi : « Il existe sur un vieux chêne un oiseau, que ni le roi, ni la reine, ni la plus belle vierge ne peuvent attraper. » Le nuage ou la nuit qui cache le soleil, le chapeau qui rend le héros invisible, se retrouvent dans le conte populaire anglais de Tom Pouce sous la forme d’une simple feuille de chêne. Dans un autre conte populaire anglais, le jeune héros s’empare de l’épée lumineuse qui doit tuer le sorcier Gruagach, en frappant le roi des fenêtres de chêne, c’est-à-dire en déchirant les nuages, ou les ombres de la nuit. Dans un grand nombre de contes populaires qui se rattachent à la légende italienne de Çakuntalâ, le jeune prince de soleil quitte la jeune fille, sa fiancée, encore mal habillée, et la prie de l’attendre près d’un étang dominé par un arbre, jusqu’à ce qu’il revienne lui apporter des habits de noce. L’hymne védique dit que l’aurore se pare pour le soleil. Le prince Soleil veut embellir sa bien-aimée l’Aurore. C’est ainsi qu’Indra, trouvant laide et malade la jeune fille Apâlâ, se charge de la guérir et de l’embellir pendant la nuit, sans doute pour l’épouser, belle et resplendissante de toute la beauté de l’aurore, à la pointe du jour. En attendant que le prince revienne (c’est-à-dire que la nuit sombre passe et que le matin apporte à l’aurore sa robe de noce), la jeune fille monte sur un arbre, qui se trouve presque toujours être un chêne (ici, évidement le ciel sous forme d’arbre nocturne). Au pied de l’arbre, une femme noire, une vieille femme (autre représentation de la nuit), vient laver son linge ; l’image de la jeune fille se reflète dans l’eau d’océan nocturne) ; c’est ainsi que la jeune fille Apâlâ descendait à la fontaine pour y puiser Soma (l’ambroisie, la boisson chère à Indra, et la lune). Mais dans les contes, la vieille femme envieuse, la laideronne, la femme noire ne permet point à la jeune fille de s’admirer trop longtemps dans l’eau, ni de puiser cette eau de vie dont la sorcière semble avoir le secret ; elle pousse donc la jeune fille dans l’eau ainsi que le fait Çarmishthâ dans la légende indienne du Mahâbhârata. La nuit endort l’esprit, fait oublier ; et le prince oublie la jeune fille qui l’attendait ; la sorcière, la femme noire, la nuit occupe près du prince la place de la jeune fille : celle-ci, après avoir été plongée dans l’eau, passe par de nombreuses transformations, jusqu’à ce qu’elle prenne la forme d’une colombe qui adressera, en présence du prince, un doux reproche au pigeon volage pour l’avoir abandonnée. Alors le prince, ainsi que le roi indien Dushmanta, se ressouvient de tout ; il détruit le sortilège en ressouvient de tout ; il détruit le sortilège en frottant la tête de la colombe, qui redevient une jolie femme, et fait réparation à sa tendre et malheureuse épouse. Cette colombe qui se rencontre dans un conte populaire toscan, cette colombe qui dit son secret au pigeon, n’est-elle pas apparentée aux colombes fatidiques du chêne de Dodone, et aux deux oiseaux mystérieux du pippala védique, qui parlent entre eux ? Le mythe et le conte, n’en déplaise aux rieurs, se lient ici encore une fois très intimement. L’oiseau mâle nous cache un dieu ; la colombe qui lui parle, une déesse lumineuse, et, dans notre cas précisément, l’aurore éternelle, celle qui, en réveillant tous les jours le monde et en lui donnant la lumière, c’est-à-dire la sagesse, a eu le droit de s’appeler Athènes.
Notes : 1) Dans l’Histoire naturelle, de Oxfort, il est question d’un chêne qui pouvait abriter sous ses branches 300 cavaliers avec leurs chevaux. Dans l’Histoire générale des Plantes, de Ray, il est parlé d’un tronc de chêne dont le diamètre mesurait dix mètres
2) Quelquefois, cependant, dans le Nord, le chêne est remplacé par le bouleau. Les mêmes attentions que les jeunes filles de la Dalmatie ont pour le chêne, dont elles entourent le tronc d’un ruban, les jeunes russes les prodiguent au bouleau.
3) Les femmes de Samos prêtaient serment par les ombres du chêne.
4) Sur le mont Lycée, en Arcadie, existait autrefois un temple de Zeus, près d’une source. Les Arcadiens croyaient que, pour faire tomber la pluie, il suffisait de tremper une branche de chêne dans l’eau de cette sourc
5) « Praenestinarum sortium, quae claruerunt diutissime, cum refrixissent coeterae, talis traditur inventio. Numerus quidam Suffius, honestus homo et nobilis, cum, somniis crebris, ad extremum etiam minitantibus, juberetur certo in loco silicem caedere, perterritus visis, irridentibus suis civibus, id agere coepit. Perfracto saxo, mox sortes eruperunt, in robore insculptae priscarum litterarum notae. Is postea locus septus religiose est, propter Jovis pueri, qui lactens cum Junone in gremio Fortunae sedens, mammas appetens, castissime colitur a matribus. » Peucerus, De Praecipuis Generibus Divinationum (Wittemberg, 1580)
6) C’est aussi sous un chêne, dans le royaume des serpents (la nuit), que se trouve le trésor cherché par Basile Bestchastnoï (Afanassieff, Narodniya Russkiya Skasaki, I, 13). Le beau-père persécuteur envoie Basile au royaume des serpents, certain qu’il périra. Basile rencontre un chêne de trois cents ans, qui le charge de demander au serpent combien d’années il restera encore debout. Le serpent répond que le chêne tombera lorsqu’on viendra le pousser d’un coup de pied vers l’Orient ; alors le chêne sera déraciné, et sous les racines on trouvera le trésor. On ne pourrait indiquer plus clairement le mythe ; l’arbre de la nuit tombe à l’Orient d’où l’aurore se lève avec ses trésors de lumière. (Cf. plus loin, dans ce même article, ce qui est dit de l’île de Bujan.)
7) Ceci est cependant en contradiction avec le témoignage de Festus et de Servius, au sujet d’une superstition des Romains ; lorsqu’un chêne était frappé par la foudre, ils considéraient cet événement comme de très mauvais augure pour l’agriculture, le gland représentant à leurs yeux toute la récolte.
8) Le professeur Mantegazza a encore trouvé, dans l’île de Sardaigne, des hommes qui se nourrissent avec un pain de glands.
9) D’après la légende de Milon de Crotone, ce héros populaire laissa cependant la vie dans la fente d’un tronc de chêne, où il eut l’imprudence d’essayer le même tour de force que le singe de la première fable du Pantchatantra indien, dont il se montre évidemment un parent légendaire très proche.
10) Puisque nous en sommes à saint Renan, il ne sera pas superflu d’indiquer ici que, grâce à monsieur Renan, en sa qualité d’auteur de la Vie de Jésus, et à l’ignorance de quelques bigots florentins, peu s’en est fallu qu’un nouveau saint ne fît son entrée dans le calendrier catholique. A l’apparition de la Vie de Jésus, l’archevêque de Florence organisa dans la cathédrale des prières d’expiation pour ce grand sacrilège. Pendant trois jours le peuple accourait entendre les sermons contre l’impie Renan. Le troisième jour, je demandais à une bonne femme de ma connaissance, qui se bâtait pour entrer dans le temple, ce qu’il y avait de nouveau : « C’è la predica di san Renano, » me répondit-elle.
11) Dans les Côtes-du-Nord, « on préserve les vaches de la maladie appelée cocotte, en leur mettant au cou un collier de branches de chêne ». (D’après une communication obligeante de M. Sébillot.)
12) Le docteur Schweinfurth a constaté un usage pareil chez les Chillous, en Afrique.
13) Dictionnaire historique des Institutions, Mœurs et Coutumes de la France.
14) Sponsalia Plantarum : « Viscum veteres absque semine produci putarunt, quippe eundem saepe in inferiori latere ramorum enasci videbant ; quomodo autem semina visci ab una arbore ad alteram volitare, ibique lateri inferiori adhaerere potuerint, captu fuit ipsis admodum difficile. Dies vero edocuit turdum baccas ejus comedere, pulpaque illarum vesci ; semina vero reddere integra, quae una cum excrementis ramis inhaerent... sic turdus sibimet ipse malum cacat. »
15) De Virtutibus Herbarum.
16) En France, il en est arrivé de même. D’après Gérard de Rialle, les paysans d’Elbeuf redoutent encore le chêne du Val-à-l’Homme.
GLAND (Cf. Chêne). — Quoique le chêne soit l’arbre sacré de Jupiter, il ne paraît pas que le roi des Dieux en ait beaucoup aimé les fruits, puisque les Grecs appelaient Dios Bálanos (gland de Zeus) la châtaigne (cf.) et les Latins Jovis glans, juglans (gland de Jupiter) la noix (cf.)
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PAEDEROS. — Dans les sacrifices en honneur de Vénus, dans la grande Grèce, en brûlant les cuisses de la victime, on allumait aussi des feuilles de cet arbre, espèce de chêne.
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Selon Aurore Petrilli auteur d'un article intitulé "Le trésor du dragon : pomme ou mouton ?" (paru In : Gaia : revue interdisciplinaire sur la Grèce Archaïque, numéro 16, 2013. pp. 133-154) :
Le chêne est un arbre investi de nombreux privilèges dévolus à la divinité suprême. Il est le symbole de la force, de la puissance et de la majesté, quelles que soient les traditions. La toison qui y est déposée est le résultat d’une offrande à Zeus. Le chêne en tant que roi des arbres est consacré à Zeus, le roi des dieux (Belfiore, 2010, p. 237-238). Le plus célèbre exemple de l’attribution du chêne à Zeus se trouve sans doute dans le sanctuaire de Dodone, en Épire. Les oracles en étaient rendus après interprétation du bruissement des feuilles du chêne qui s’y trouvait 9. Cependant, l’arbre portant la Toison d’or est situé dans un bois consacré à Arès. L’association de ces deux divinités dans ce contexte est pour le moins déroutante, d’autant plus que, pour Homère par exemple, Zeus n’apprécie pas Arès : « Je te hais plus qu’aucun des dieux qui vivent sur l’Olympe car tu ne rêves que discordes, guerres et carnage. » (Iliade, V, 872-873)
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Selon Véronique Barrau et Richard Ely, auteurs de Les Plantes des Fées et des autres esprits de la nature (Éditions Plume de Carotte, 2014), le chêne pédonculé est un "arbre enchanté".
Nymphes boisés : Comme assoupis, dans les profondeurs des sous-bois oubliés par les hommes, de vieux troncs de chênes parés de mousse et de lierre abandonnent leur frondaison aux caprices du vent. Alors que les branches et feuillages se balancent dans le clair-obscur, l'écorce d'un chêne vénérable s'ouvre avec parcimonie pour laisser place à une svelte jeune femme dont seuls le buste et la tête émergent de l'arbre. L'hamadryade, tel est le nom de cet être, ne quitte jamais sa demeure avec laquelle elle ne fait qu'un. Si un bûcheron abat sa hache sur le bois, la nymphe gémit et souffre mille tourments avec son frère de sève jusqu'à partager son dernier soupir. Les dryades, nymphes protectrices des forêts vivant dans les chênes, ont plus de latitude puisqu'elles peuvent librement sortir des troncs. Le front ceint d'une couronne de feuilles, les belles dansent autour des arbres immenses mais échappent au regard des curieux en se métamorphosant en arbuste. A l'approche des bûcherons, les dryades poussent des plaintes menaçantes. Celui qui abandonne sa hache profitera de la gratitude des nymphes, le sans-cœur sera sévèrement puni. Pour éviter de tels drames, mieux vaut inviter les habitantes à quitter leur antre ou demander à un prêtre de s'assurer que les dryades sont parties avant de se mettre au travail. Quand leur demeure boisée est vaincue et tombe à terre, les tristes demoiselles cherchent refuge dans d'autres chênes millénaires.
Les folkloristes donnent une espérance de vie démesurée au hamadryades : 933 120 ans !
Des paroles d'or : Dans les Pyrénées Atlantiques, celui qui aspirait à devenir riche sollicitait la bienveillance de la fée d'Escout. Il empruntait une cavité naturelle s'ouvrant sous un chêne millénaire, s'adressait en termes courtois à l'habitante des lieux puis déposait un vase au pied de l'arbre. S'il avait trouvé les mots ayant su toucher la fée, il retrouvait quelque heures plus tard son récipient empli de métaux précieux.
Logis pour tous : Dans le Nord de l'Angleterre, dans les taillis de chênes où de jeunes pousses prennent le relais de leurs aînés abattus sur plusieurs générations, là où les jacinthes fleurissent jusqu'à recouvrir l'humus brun, de petits gardiens veillent au crépuscule sur la quiétude des lieux. Les Oakmen sont des nains au corps sec et rabougri, coiffés d'un bonnet rouge sur la tête rappelant une amanite tue-mouches. Danser dans leur bosquet durant la nuit est dangereux, récolter des champignons l'est plus encore. Ces petits êtres prennent en effet un malin plaisir à leur donner une apparence faussement comestible...
Selon un vieil adage, les vieux chênes au tronc immense et aux branches nouées par l'âge offrent l'hospitalité au peuple de Féerie. Cette croyance est commune à de nombreux pays où cette espèce était considérée comme sacrée. les elfes trouvent refuge dans les creux des arbres rongés par le temps. En France, fées et Dames blanches apparaissent fréquemment sous les chênes. Sur une colline du Leicestershire, une vision bien plus effrayante attendait les Anglais ! Près d'une grotte, s'élevait ainsi un grand chêne dont les branches pliaient sous le poids de peaux animales et humaines ! Ces membranes étaient mises à sécher par Black Annis, une sorcière qui se dissimulait dans l'arbre pour tomber sur ses proies et les dépecer. Grâce à ses victimes, la créature se confectionnait de nouvelles jupes... Les Britanniques ne peuvent que saluer sa disparition advenue voilà plusieurs siècles.
Là où sont les chênes, les elfes ne sont pas loin et inversement.
Dommages collatéraux : Dans les Pyrénées-Orientales, la commune de Ria, portant aujourd'hui le nom de Ria-Sirach, possédait autrefois un remarquable chêne vert poussant près de la gare. A le voir si fier et si noble, personne ne l'aurait imaginé chétif et fragile. Et pourtant... Mais commençons par le début... Bien avant que la commune ne supplante la forêt originelle, un bois de chênes s'étendait en ce lieu. En ce temps-là, ces arbres ne perdaient jamais leur feuillage. Le vent d'automne et le vent d'hiver pouvaient bien souffler, les chênes pédonculés, les chênes-lièges et leurs autres cousins ne se dénudaient point. Voilà qui offrait un refuge fort approprié aux Encantadas, ces fées lavandières connues pour les mauvais tours qu'elles se plaisaient à jouer aux humains : gâter le lait des vaches, ouvrir la porte des étables et en faire sortir les bêtes...
Poursuivies par les fermiers munis de fourches, les demoiselles se dirigeaient en toute hâte vers les chênes au pied desquels elles récitaient une formule magique avant de disparaître dans les branches feuillues. Les paysans essoufflés arrivaient toujours trop tard. Ne voyant aucune trace des mauvaises fées, ils reprenaient leur chemin tout en s'interrogeant de ce mystère.
Une nuit où le froid était particulièrement mordant, des hommes se réunirent sous les arbres pour en découvrir le secret. Avec quelle frayeur ils sentirent leur couvre-chef disparaître de leur tête et entendirent des rires sardoniques s'échapper des branches ! Tous coururent se réfugier dans leur logis sans demander leur reste. C'est alors que le plus jeune et le plus chétif des chênes s'éleva contre ces agissements. Contrairement aux autres feuillus, il ne supportait plus de servir de cachette aux Encantadas et leur interdit de monter sur lui.
Les fées préférèrent partir pour trouver un bosquet plus accueillant. Elles gratifièrent les chênes qui leur avaient été fidèles en les parant de feuilles parfumées, de feuilles d'or ou de cristal. Seul le ch^,ne s'étant révolté garda sa verdure telle quelle. L'avenir lui donna raison car les frondaisons odorantes furent mangées par des chèvres, des contrebandiers arrachèrent les secondes et les dernières furent brisées par le vent. En définitive, seul le petit chêne ayant tenu tête garda son feuillage. Ses voisins en furent si jaloux qu'il dépérirent l'un après l'autre... Depuis ce jour, les Encantadas n'ont jamais plus fait usage de leur magie pour changer la verdure des arbres.
En Lorraine, dans la forêt de Ripaille, plus précisément au secteur de Hennefète, poussent d'étranges chênes, tout à la fois petits, tordus, bossus et souffreteux. Leur triste état serait dû à la dame Agaisse, une méchante fée qui les punit jadis pour ne pas avoir courbé leur cime devant elle, en signe d'hommage.
Suivi à la trace : Dans la forêt jurassienne de Montoie, le Foulta a fait des vieux chênes son habitat favori. Ce lutin maléfique fait du tort aux animaux comme aux humains qu'il suit dans la forêt sous la forme d'"un feu follet. Il n'était pas rare de voir, dans les prés où paissait le bétail, des chênes entourés d'une haie bien entretenue. Cette barrière végétale empêchait les troupeaux d'approcher de l'arbre dans lequel le Foulta avait été consigné à résidence.
Créatures lilliputiennes : Dans les parcs et jardins d’Écosse ou de Grande-Bretagne, les Pillywiggins, minuscules fées ailées, aiment à se nicher dans les fleurs sauvages poussant au pied des chênes vénérables. Le thym, les digitales, les primevères ou jacinthes des bois sont leur refuge favori.
Tromperies réciproques : Les fées d'Europe échangent souvent leurs enfants contre les nôtres. Quelques indices permettent rapidement de s'apercevoir du subterfuge. Un bébé qui hurle et vous réclame sans cesse à manger du jour au lendemain ne peut qu'être la progéniture d'une fée. Aucun doute n'est permis quand le changelin montre sa véritable apparence : une créature avec une grosse tête et le regard fixe ou pis, un être ridé et poilu ! Pour récupérer son enfant, une méthode consiste à faire avouer à l'intrus sa véritable nature. On peut par exemple accrocher au-dessus du feu treize glands dans lesquels on fait bouillir de l'eau ou faire brasser de la bière dans une cupule du même arbre. ce spectacle ne manquera pas d'étonner le changelin qui exprimera à voix haute son étonnement avec une phrase du type : "Moi qui suis aussi vieux qu'un chêne, je n'ai jamais vu la bière brassée dans une cupule". Sa capacité à parler démontre bien qu'il n'est pas un bébé comme les autres. Ainsi désavoué, il se voit obligé de quitter les lieux.
Le peuple de Féerie n'est pas le seul à user d'artifices. Vous avez peut-être déjà entendu parler du chêne sacré de Dodonne dont les prêtres grecs de l'Antiquité tiraient des oracles. Comme le rapporte l'écrivain Jacques Collin de Plancy au XIXe siècle, ce fait historique inspira un Anglais détenant un grand arbre de la même espèce. Ce chêne était considéré comme enchanté car des lamentations s'échappaient de son tronc. De nombreux visiteurs payèrent pour voir un tel phénomène. Or il advint un jour qu'un curieux voulut abattre l'arbre pour voir de quoi il retournait. Le propriétaire s'opposa en arguant que l'être féerique vivant dans le bois pourrait le tuer. Mais l'homme persista et abattit le chêne, révélant de la sorte un tuyau enterré sous terre. Ce n'était donc pas une créature surnaturelle qui faisait entendre sa voix mais un complice du propriétaire gémissant par l'autre bout de la canalisation...
Une vision évanescente : Plusieurs Normands d'autrefois ont déclaré avoir vu une étrange femme au bord d'un chemin forestier. La dame, postée à l'ombre d'un chêne ancien, présentait une chaîne aux promeneurs et voyageurs de passage. Une nuit, un cavalier dépassa sa première frayeur pour s'approcher de l'apparition. mais au fur et à mesure de son avancée, la silhouette perdait de ses contours pour s'effacer totalement. Les rayons de lune jouant sur l'écorce auraient-ils créé l'illusion ?
Le levage, c'est ainsi qu'on appelle la récolte du liège. Une légende portugaise dit qu'il faut frapper brièvement l'écorce de l'arbre avec l'outil avant de détacher l'écorce pour laisser le temps aux êtres qui se cachent dessous de s'en aller."
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Dans Arbres filles et garçons fleurs, Métamorphoses érotiques dans les mythes grecs (Éditions du Seuil, février 2017) de Françoise Frontisi-Ducroux, celle-ci propose de penser que :
"Les arbres sont féminins parce qu'ils peuvent être habités par des filles, les hamadryades, les nymphes des arbres, catégorie que nous n'avons pas encore évoquée. Comme leur nom le dit, elles vivent avec et en même temps, hama, que leur arbre, drys (Note : Ce qui n'en fait pas pour autant les résidus d'un culte des arbres, d'une "dendolâtrie" primitive. L'existence d'une phase animiste généralisée et universelle, préliminaire à d'autres formes d'expression religieuse, relève de constructions obsolètes, qui appliquaient à l'histoire des religions le schéma de l'évolutionnisme biologique.). Elles naissent, poussent et s'épanouissent, explique Aphrodite à Anchise, et lorsque leur destin touche à son terme, "leurs âmes quittent ensemble la lumière du soleil" (Hymne homérique à Aphrodite, 265-72). Les bûcherons connaissent bien ces divinités. Il les entendent frissonner et murmurer avec le vent. Et, fait plus inquiétant, elles crient lorsqu'on veut les abattre. Elles saignent aussi, telles Lotis, la " micocoulière ", dont Dryopé, inconsciente de son geste, arrache un rameau en voulant cueillir une fleur. L'histoire la plus terrible est celle que raconte Callimaque dans son Hymne à Déméter. L'impie Érysichthon s'en prit à un bois sacré très cher à Déméter. Il voulait en faire le plafond de sa salle à manger. La première frappée, une haute "peuplière" qui touchait jusqu'au ciel, poussa, au premier coup de hache, un son plaintif qui alerta la déesse. Courroucée, celle-ci punit le coupable en le frappant d'une faim inextinguible. après avoir tout dévoré dans la maison, chien, cheval, chatte et souris, après avoir mendié des quignons aux carrefours, lui, le fils du roi, il finit par se ronger lui-même (Note : Ovide remplace ce peuplier par un chêne, quercus, Métamorphoses, VIII, 71 s.).
[...]
Pour mieux décrire, par exemple, la rectitude du sapin, sont tronc unique et ses branches rectilignes, Théophraste l'oppose au chêne à la ramure courbe, plus sinueuse et étalée. De fait le chêne suggérait déjà à Homère une image virile et guerrière. Les Troyens qu'Hector mène avec fougue contre le camp des grecs rencontrent deux braves, placés devant le haute porte : "Ils sont pareils aux chênes qui, dressant leurs têtes sur les montagnes, résistent chaque jour, sous le vent, sous la pluie, en s'accrochant à leurs longues et fortes racines (Théophraste, IV, 6, 7 ; XII, 132-134). On comprend dès lors que notre Dryopé, "la Duchêne", ne soit pas devenue l'arbre dont elle porte le nom. Il est des arbres dont la féminité serait impensable. Ici le discours botanique antique est en cohérence avec le mythe."
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Contes et légendes :
Alexandre Arnoux nous propose un Calendrier de Flore (Éditions Bernard Grasset, 2014) dans lequel une place de choix est donnée au chêne :
Le crime de l'arbre
Ce fut à la Saint-Blaise, aux premiers jours de février, de tous les mois le plus court et le plus discourtois, quand les poules vont recommencer à pondre et que les hérissons et les écureuils s'étirent sous leur souche ou dans leur boule de mousse, s'apprêtent à s'éveiller de leur sommeil d'hiver. Les villageois recépaient leurs haies et préparaient leurs semailles d'orge et de seigle de printemps, ayant labouré et roulé leurs terres. L'archiprêtre Jurien, un grand et gros, qui avait un organe de basse-taille et le teint vermeil, toujours vert et fulminant au prêche, malgré l'approche de la septantaine, revenait du hameau de Rougemont, à travers la forêt, accompagné de l'enfant de chœur, Eloi Blaireau, qui agitait la sonnette ; il avait porté les saintes huiles à Romuald Bongallet, le riche vavasseur, et centenaire ou presque, qui se décidait enfin à périr d'indigestion, après une vie de vin, de cotillons et d'avarice, ayant tué trois femmes légitimes sous lui et fait languir hors de mesure ses héritiers et sa veuve de demain, quatrième épouse à laquelle la longue attente ôtait une bonne part du plaisir, en sorte qu'elle ne feignait qu'à demi la douleur. L'archiprêtre Jurien marchait jovialement ; non pas qu'il crût au salut de son ouaille et qu'il eût joué une tête d'ail sur sa chance de paradis, mais il supputait qu'en se ménageant, en observant le carême et en se purgeant à l'avril et à l'automne, solide comme il se sentait, il avait encore peut-être une trentaine d'années devant soi avant de recevoir le sacrement de bon voyage dans l'éternité. Il n'était pas méchant certes, seulement un peu dur et égoïste, plus attentif à la lettre des Évangiles que pénétré de leur substance, plus administrateur de la paroisse que pasteur et confident du divin ; la foi ne jetait pas en lui de prises assez profondes pour qu'il pût douter et les tentations de l'esprit, pas toujours celles des sens, surtout, sur le tard, les gourmandes, se brisaient à sa carapace de formalisme, de certitude et d'indifférence.
Il frappait donc allègrement la neige dure de son pas massif. Le froid contractait le ciel ; une épaisse couche blanche couvrait les bois charbonneux. L'Archiprêtre supputait la vendange de sa vigne, la rente de ses ruches et de sa moisson ; il combinait le menu du dîner où il convierait ses confrères des environs la semaine prochaine, et dont le lièvre, déjà pendu et vidé, acquérait la puanteur exquise ; il se réjouissait du don pour la réparation du toit de l'église arraché in extremis au vavasseur Romuald Bongallet ; il ne pleuvrait pas sur le tabernacle et l'officiant. La clochette, de temps en temps, carillonnait dans le silence glacé et une branche craquait sous le faix des cristaux brillants ; des perdreaux affamés becquetaient çà et là la housse froide qui leur dérobait la pâture, om se pétrifiait la pâture la trace du sanglier et du cerf et où, parfois, quelque grand oiseau aux pattes prisonnières avait, pour prendre appui, marqué l'empreinte de son aile aux rémiges en creux. Le curé et l'enfant de choeur arrivaient à la clairière du Bénivolent ; ainsi nomme-t-on le chêne immémorial qui s'y dresse, tronc puissant, maîtresses branches imposantes, croisées à angle droit, haute silhouette noire et d'un bleuté pâle et dense, squelette à deux couches de géant royal, une de ténèbres ligneuses, l'autre de lumière en pâte, qui a pris un poids énorme et un étincellement écrasé.
L'archiprêtre Jurien n'aimait pas, pour des raisons obscures et qu'il n'avait jamais essayé d'élucider, le Bénivolent ; il évitait d'ordinaire son ombre nourricière de superstitions païennes et contournait machinalement, sans s'avouer cet humiliant respect, sa zone de domination, d'influence, dessinée par les ronces, les fraisiers, les digitales, les douces-amères que son omnipotence décourage. Mais ce matin-là, le serviteur de Dieu n'hésita guère ; il fonça droit, par le diamètre du découvert ; peut-être parce qu'il avait aperçu, sur la gauche, la longue, maigre et large carcasse de Gengoux le Beluteur, qu'il n'entendait jamais à confesse, sorte d'ermite et de sorcier des paysans, de consolateur des membres démis et de ravageur du gibier. Sa prunelle perçante attirait et effrayait les filles, semblait refléter l'éclat d'un monde interdit, luisait, oui vraiment, comme une étoile de l'enfer. Elle intimidait, l'irrévérente, la dignité de l'Archiprêtre ; elle ne connaissait ni loi, ni hiérarchie, ni l'Eglise apostolique ; elle se moquait des institutions établies ; elle donnait à soupçonner qu'il en existait d'autres. Bref, le porteur de viatique prit par le plus court, toutes ses gaillardes pensées attristées, et passa sous le chêne bénivolent, le végétal ayant moins de malice et de perversité que l'homme, et le bois forestier que le suppôt de Satan. D'instinct le petit carillonneur secoua sa grêle campane ; au sud, un corbeau d'encre croassa ; on entendit comme un rire diabolique, mais dont on ne pouvait jurer qu'il eût retenti ailleurs que dans votre idée, au cœur du taillis où Gengoux le Beluteur avait disparu derrière un tronc, ne laissait qu'une ombre couchée sur le tapis moelleux, et courte, car l'heure approchait de midi, et aléatoire parce que le soleil n'avait pas sa franchise et son comandement de l'été.
Bon, tout ça ne fait rien au principal. Comme l'archiprêtre Jurien se trouvait juste à portée et dans le fil de sa chute, une des branches de la ramure, non pas une maîtresse bien sûr, la destinée l'eût réservée à un personnage plus considérable, un pape, un roi, mais une seconde, de masse et de nodosité bien suffisantes pour assommer un simple curé, une branche seconde, dis-je, blessée sans doute par la foudre ou rongée de quelque mal intérieur, rompit sous l'entassement de la neige, sous la charge candide et lourde, et fracassa deux ou trois vertèbres cervicales de cette pauvre victime que le hasard... (à suivre)
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Littérature :
Patricia Highsmith dans Eaux profondes (Edition originale ; traduction française Editions Calmann-Lévy, 1958) :
Trixie leva vers lui un regard songeur. Son petit visage ovale et hâlé par le soleil évoqua brusquement à Vix l’image d’un gland, un gland brillant et tout neuf tout juste tombé d’un arbre, avec un petit bout pointu qui était le menton de Trixie, et un chapeau qui était ses cheveux tout droits qu’on lui avait coupés de façon qu’ils lui couvrissent la moitié des oreilles.
Dans Les Secrets de Laviolette (Éditions Denoël, 1982), Pierre Magnan consacre toute une nouvelle à un chêne extraordinaire. Cette nouvelle s'intitule tout simplement "L'Arbre" :"
- Ça en est un de personnage, cet arbre, fiston ! Tu vas voir ! Et d'abord, une certaine nuit... oh, une nuit qui a dû voir les Trois Glorieuses, ou celle de l'Abolition des privilèges, ou peut-être la Saint-Barthélémy, est-ce qu'on sait ? Enfin une nuit qui se perd dans celle des temps. Une nuit en tout cas qui a compté dans la vie de cet arbre. Il s'est battu comme la foudre du crépuscule du soir jusqu'à celui de l'aube. Elle l'a eu à la fin mais pas trop profondément. Il était déjà trop gros même pour elle, pour l'écarteler en deux comme elle fait d'habitude.
Au matin, quand le premier charretier est passé, il a vu comme des nids de serpents d'écorce se tordre sur le chemin, au gré du vent, avec une odeur, a-t-il dit, de copeaux varlopés, pour qu'on se figure bien l'infernale menuiserie dont ce coin de la forêt avait été le témoin. Il dit que les chevaux s'ne étaient cabrés d'inquiétude devant ces volutes insolites et qu'il avait pu à grand-peine les refréner à coups de fouet et de hautes paroles. Tous ceux qui passèrent alors ce jour-là, puis les jours, les mois et les années qui suivirent, rapportèrent que du haut en bas de ses huit mètres de fût, cet arbre avait été lacéré par a foudre comme par les griffes d'un énorme lion et sur tout le pourtour de son tronc. Par ces égratignures, longtemps, très longtemps, il saigna sa sève comme un homme son sang. Plusieurs témoins dirent au cours des âges qu'à un moment ou à un autre on n'avait pas donné cher de sa peau, qu'un été même, il vécut sans frondaisons comme au gros de l'hiver, avec juste au bout des branches quelques ridicules houppes de feuilles grosses comme celles d'un chou, sans doute pour compenser la multitude de celles qui, d'ordinaire, lui permettaient de respirer.
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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque brièvement l'odeur du chêne :
10 décembre
(Col de la Madone de Gorbio)
L'odeur des chênes est puissante. Elle diffuse autour des branches, s'épanouit comme une nova qui explose et conquiert l'espace disponible. Un âcre et capiteux mélange de tanins et d'acides, avec un soupçon d'alcool et des fumées de chanvre...
Rien d'étonnant si les chênes ont été sacrés pour les Grecs et les Celtes. Leur haute taille et leur « majesté » n'ont rien à faire dans l'histoire. Seules leurs émanations chimiques ont joué. Le parfum de ces arbres agit sur nos récepteurs olfactifs, sur nos neurotransmetteurs, sur notre cœur et notre sexe - à la façon d'une phéromone. Je le prouve scientifiquement. Regardez ma culotte.
[...] 19 mars
(Fontaine-la-Verte)
Sous l'écorce des vieux chênes, les larves de scolytes creusent des canaux de Mars. Etranges sillons symétriques... On dirait des nœuds de vipères, des cheveux de Méduse, des mille-pattes ou les filaments d'A. D. N. d'un noyau cellulaire éclaté, qui n'existerait qu'en creux.
L'univers sous l'écorce fascine qui le dévoile. Mais qui lacère la peau de l'arbre commet un viol. Jouissance désespérée du sadique qui cède à sa pulsion...
[...] 1er juin
(Fontaine-la-Verte)
Les généraux ont choisi pour emblème la feuille de chêne : c'est la décision la lus intelligente de la gent d'armes depuis Caïn. Bien entendu, dans le limbe de Quercus les militaires honorent la « grandeur », la « force », la « virilité », etc., toutes qualités dépourvues de signification botanique. Mais je ne désespère pas qu'entre deux conférences consacrées aux meilleurs moyens d'anéantir leurs semblables nos chefs guerriers soient subjugués par la sinusoïde pacifique du symbole qu'ils épinglent à leur képi.
Feuille de chêne
Projet de paix
Perpétuelle
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Pierre Magnan, auteur de Chronique d'un château hanté (Éditions Denoël, 2008) construit son roman autour de la vie d'un chêne qui scande les aventures des personnages au-delà des siècles :
- Et alors ?
- Et alors rien. Au milieu de ce pré, sur un tertre, il y a un arbre, un gros chêne qui doit bien avoir cent ans... comme la prieure. Seulement alors lui, il est pas près de mourir ! Tu dirais un jeune homme. En octobre il resplendit comme un plat d'or ! Quand il fait du vent, c'est une pluie de glands !
- Et alors ?
- Et alors rien. La prieure elle a fait installer son fauteuil devant l'arbre. Elle m'a fait rester debout à côté d'elle. Elle était faible. Elle s'y est reprise à trois fois. On aurait dit que son bras décharné avait le monde à soulever ! Enfin elle a réussi avec son doigt tendu à me désigner l'arbre. Il n'y avait pas de doute, autour, à la ronde, il n'y avait rien d'autre que le pré vide et l'arbre ! Elle est morte quand son doigt sans force est retombé le long du fauteuil.
[…]
A droite du boyau où la voûte avait cédé, un trou énorme se dessinait dans la pénombre des torches. La nonne leva haut la sienne. Un étrange ensemble de barreaux épais interdisait l'accès à l'excavation et obstruait le cintre écroulé. Des tentacules végétaux dardés en tous sens descendaient en grappes hors l'obscurité sans limites que les torches ne dissipaient pas. Elles se retroussaient sur elles-mêmes et parfois, au contact du sol bouleversé profitant d'une fissure où le temps, l'humidité et la poussière avaient refondé une terre arable, elles s'y enfonçaient, y croissaient, s'y épaississaient et pulvérisaient les décombres. L'ensemble était couleur de marbre veiné de rouge car les lécanores véhiculées par l'eau qui suintait le long des tentacules s'étaient lancées en osmose vers le support végétal et le parasitaient. […]
- C'est un arbre ! C'est les racines d'un arbre. […]
A la lueur des torches, l'étrange spectacle de ce chariot enseveli sous les blocs taillés, les gravats et la poussière, et que les racines retenaient prisonnier, interpellait tel un point d'interrogation au centre de sa prison végétale. Tancrède toucha une de ces racines. Sa main n'en faisait pas le tour. Il y en avait d'aussi grosses que des colonnes dont elles avaient aussi l'aspect. Des stalactites de calcaire, suintant de la voûte, s'étaient au cours du temps étalées à la surface des racines et en avaient changé l'aspect. Elles étaient hérissées de pointes aux extrémités des radicules où s'irisaient des perles d'eau immobiles, d'une irréelle transparence, et que ne se décidaient pas à se détacher d'elles.
- Qu'est-ce que c'est que cet arbre ? demanda Tancrède.
Il avait baissé la voix instinctivement, peut-être saisi d'une sorte de respect devant cette énigme.
- C'est un chêne, dit Julie. Il est énorme. Il doit avoir deux cents ans ! Il est hors du monastère, au milieu d'un pré sur un tertre ! Tu le verrais, il te ferait peur !
[….]
- Vous comprenez, maître, quand on est en bas dessous, on n'est pas seuls à respirer, lui aussi il respire et il est est plus fort que nous !
- Qui « il » ?
- L'arbre !
Le Mèche haussa les épaules.
- Un arbre ça respire par les feuilles.
- Et alors ? Vous croyez que les racines elles en profitent pas ? Vous croyez que parce qu'elles sont immobiles, il se fait pas du travail chez elles aussi ? Ce marin, avant de descendre, je suis passé au pied de ce chêne, je l'a' mesuré du haut en bas. Je suis resté là à penser pendant au moins cinq minutes. C'est long cinq minutes quand on pense. Et c'est pas volontiers après que je suis descendu dans le boyau. Vous savez, maître, je ne suis qu'un pauvre homme, je réfléchis pas vite mais vous voyez, maintenant, même si vous me donniez dix liards la journée et qu'il y ait assez d'air en bas dedans, jamais je n'y retournerais, jamais je n'attaquerais des racines que vous vouliez nous faire couper.
Il respira un bon coup avant de poursuivre car c'est difficile de faire comprendre ce qu'on pense à un patron.
- Ce serait un assassinat, dit-il, et moi je refuse d'assassiner cet arbre .
[…]
A chacun de ces pèlerinages chez les clarisses, Julie et Tancrède ne manquaient jamais d'aller se promener du côté de l'arbre prodigieux qui se dressait au centre d'un grand vide au milieu d'un pré en jachère et qu'un accident du terrain soulevait sur un tertre.
Ce chêne avait maintenant deux cent trente ans. Son écorce aux profondes striures avait, au cours du temps, évolué en spirales suivant le cours du soleil, offrant toujours à la lumière l'éternelle jeunesse qui le faisait imperceptiblement croire chaque printemps.
Parfois, un peu de vent frissonnait sur ses frondaisons si c'était l'été ou alors, si c'était la bise d'hiver, celle-ci soufflait doucement à travers les branches apparemment mortes et c'était un vent de regret qu'elle orchestrait sur la mélancolie du pays.
Tancrède enlaçait tendrement Julie et lui ouvrait le sentier avec précaution, écartant les ronces devant elle.
Elle lui tirait hors de sa ceinture la dague de chasse qu'il portait toujours. Avec la pointe de ce couteau elle sculptait soigneusement dans l'écorce du chêne l'initiale du prénom choisi pour le nouvel héritier. Fille ou garçon, elle ne se trompa jamais.
Et Tancrède mourut et Julie vécut assez longtemps pour voir se morceler, éclater, se dissoudre par la croissance inexorable de l'arbre les initiales qui à chaque naissance avaient paru triomphales et qui, en disparaissant comme englouties dans la chair du tronc, supprimaient le passé au fur et à mesure que le chêne traçait, de son étrave immobile, son chemin vers l'avenir.
[….]
- Ce n'est pas tout, avait poursuivi le cardinal, lorsque votre reconnaissance au Seigneur pour tant de beauté se sera un tant soir peu calmée, vous irez saluer mon arbre.
- Un arbre ! s’était exclamé maître Chalgrin.
Il était estomaqué d'incrédulité à l'idée qu'un si haut personnage pût se préoccuper d'un arbre.
- Oui ! avait affirmé le cardinal, et vous verrez que c'est aussi une créature de Dieu !
Il avait bien précisé par un croquis l'emplacement de cet arbre et il n'avait pu s'empêcher d'en parsemer l'alentour avec des croix stylisées dont le nombre était impressionnant. Et il avait dit encore :
- Il se trouve au bord d'un pré tout seul. Son ombre a refusé à toute autre végétation le droit au soleil. A quelques toises de son tronc existent les ruines méconnaissables, ensevelies sous les arbres et les buissons, d'un couvent de clarisses martyrisées au siècle dernier par les huguenots. Je compte bien d'ailleurs demander la béatification de ces saintes femmes au prochain concile.
Même sans croquis, l'arbre aurait attiré l’œil du notaire car il était omniprésent. Un chemin à ornières à travers prés conduisait à ces ruines. Une mare s'était formée en son emplacement, d'une source qui avait été à l'origine du monastère et qui stagnait depuis, l'écoulement en ayant été obstrué. Le chêne se mirait en partie dans cette eau pure trop petite pour le refléter tout entier.
L'arbre s'élevait devant le ciel et empêchait de voir celui-ci. […]
Il trouva qu'en étendant les bras il aurait fallu être six pour enserrer le tronc. A hauteur d'homme, un creux dans l'écorce qui semblait avoir subi un écrasement, la forme d'un crâne humain était aplatie. A côté de cette dépression, éclatées, illisibles par la croissance de l'arbre autour de ce témoignage, deux initiales avaient été gravées.
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Dans le roman policier Nymphéas noirs (Éditions Presses de la Cité, 2010), Michel Bussi construit une intrigue mêlée d'histoire de l'art qui se passe à Giverny. C'est l'occasion d'en apprendre davantage sur le peintre bien connu :
- [...] Tiens, regarde l'arbre, en face, le peuplier. Sais-tu ce que Monet demanda un jour à un paysan ?
- Non...
- Il avait commencé à peindre un arbre en hiver, un vieux chêne. Mais quand il est revenu, trois mois plus tard, son arbre était couvert de feuilles. Alors, il a payé le propriétaire de l'arbre, un paysan, pour enlever toutes les feuilles de l'arbre, une à une...
- Tu me racontes des histoires...
- Non ! Il a fallu deux hommes, pendant une journée, pour déshabiller son modèle ! Et Monet a écrit à sa femme qu'il était tout fier de pouvoir peindre un paysage d'hiver en plein mois de mai !
Paul se contente de fixer les feuilles qui dansent dans le vent.
- Je le ferais pour toi, Fanette. Changer la couleur des arbres. Si tu me le demandais, je le ferais pour toi.
Je le sais, Paul. Je le sais."
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Dans le roman policier intitulé Temps glaciaires (Éditions Flammarion, 2015) de Fred Vargas, le lieutenant Retancourt est comparée à un arbre dont on apprendra plus tard qu'il s'agit d'un chêne :
- Montreux ? Adamsberg. T'as récolté trois gras cette nuit ?
- Cela vient de chez toi, ce qui leur est tombé dessus ? Un arbre ou quoi ?
- Un arbre sacré, c'est exact. Comment sont les gars ?
- Humiliés jusqu'à l'os. Elle les a tout simplement plaqués par direct à l'estomac, pas de casse, ton "arbre" sait retenir ses coups Pas de dommages aux testicules.
- Tout en douceur.
- Mais tout de même, avant l'assaut final, un nez écrasé pour l'un, une oreille déchiquetée pour l'autre, avec ses trois piercings - le gras hurle pour récupérer ses boucles d'oreille sur les lambeaux de sa peau - et une bonne entaille à la joue pour le troisième. Elle était dans son droit, ils ont essayé de se la faire, bourrés comme des outres. On a le témoignage de son collègue. C'est qui ce petit gars, par rapport à l'arbre , Une pousse de jonquille ?
- Un doux roseau pensant.
- C'est bien, c'est diversifié au moins. Moi j'ai cinq cons. Et toi ?
- Un seul, je crois.
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Voilà une réminiscence et réactualisation, tout à fait étonnante dans un roman policier, de l'arbre des Chamans sibériens qui les porte sur ses branches comme des fruits. En effet, Fred Vargas, dans son roman Quand sort la recluse (Éditions Flammarion, 2017) nous en propose une vision inédite :
"Adamsberg était heureux d'avoir retrouvé Retancourt, mais il n'avait pas su le lui dire, sauf par quelques gestes. Il arrivait que cette "déesse polyvalente", comme il la nommait, un mètre quatre-vingt cinq, cent dix kilos, dotée de l'énergie de dix hommes, l'impressionnât assez pour lui faire perdre son aisance naturelle. D'une puissance physique inégalable et d'une résistance mentale indélogeable, Retancourt apparaissait à Adamsberg comme un arbre de légende : de ceux sur les branches desquels la totalité des agents de la Brigade, pendus à la nuit dans une vaste forêt secouée par la tempête, pourraient se réfugier dans une sécurité définitive. Un chêne celtique. Bien sûr, avec ces qualités inusuelles, le lieutenant ne prétendait pas à la séduction féminine, et Noël ne manquait pas de le lui rappeler parfois grossièrement. Bien que Retancourt eût des traits délicats dans un visage certes presque carré."
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