Étymologie :
HOLOTHURIE, subst. fém.
Étymol. et Hist. 1572 (J. Des Moulins, Matthiole, éd. 1572 ds Gdf. Compl.). Empr. au lat. imp. holothuria, -orum, plur. neutre « sorte de madrépores », transcr. du gr. ο ̔ λ ο θ ο υ ́ ρ ι ο ν (plur. ο ̔ λ ο θ ο υ ́ ρ ι α) « sorte de zoophyte marin ».
Lire également la définition du nom holothurie afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Autres noms : Holothuroidea - Bêche de mer - Pénis de mer -
Selon Entr’Actes 2022, Linguistique et lexicographie Le thème de l’eau dans la littérature dialectale, Varia (Éditions EGC Monaco, 2022) publié sous la direction de Claude Passet et Inès Igier-Passet :
Nom monégasque : beli̍n de marina
Transcription phonétique : [beˈlĩŋ de maˈɹina]
Nomenclature scientifique : Holothuria (LIinnaeus 1758)
Nom vulgaire français : concombres de mer.
« Pénis de mer », en raison de la forme oblongue de ces espèces animales et de leur capacité à expulser l’eau lorsqu’on les presse. Nom répandu dans toute la Ligurie (vPL Pesci : 29) ainsi qu’à Menton (belen de marina, Caserio et Barberis 2006 : 32) et roquebrune (Marignani et Caserio 2017 : 24 ; la source semble suggérer qu’il s’agit d’un emprunt au mentonnais, puisque le terme pour ‘pénis’ est lexicalisé avec la graphie belin). La vaste discussion étymologique sur le terme beli̍n, véritable « terme drapeau » du génois et des parlers ligures, a été récemment résumée et mise à jour par Toso (2015 : 68-69), qui suggère que le mot (trivialement un diminutif de BĔLLUS REW 1027) a été introduit en Ligurie depuis la région de la vallée du Pô, où il avait (et a toujours) dans plusieurs zones l’acception de ‘hochet’, dont dériverait métaphoriquement le sens obscène qu’il a dans les variétés liguriennes, y compris le monégasque.
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Zoologie :
Gérard Fonty, dans un article intitulé "L’effet des plastiques sur les écosystèmes marins". (In : Numéros, 2021, vol. 2, p. 23) classent les concombres de mer dans une catégorie intéressante du point de vue symbolique :
Les détritivores consomment des déchets organiques, c’est-à-dire les restes d’animaux ou de végétaux. Cela est fréquent chez de nombreux crustacés, vers et échinodermes. L’holothurie ou « concombre de mer » en est un bon exemple, elle absorbe le sable et le nettoie dans son organisme pour se nourrir des particules organiques.
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Symbolisme :
Selon Michel Denizot, auteur de "La théorie de la signature des plantes et ses implications." (In : Conférence à l’Académie des sciences et lettres de Montpellier. No. 3952. 2006) :
Vous connaissez tous la théorie de la signature des plantes, au moins pour le nom et pour l'image d'une feuille qui permet au mieux de sourire avec indulgence pour cette époque qui ne connaissait pas encore la raison. Car chacun s'est esbaudi de certaines concordances, qui paraissent aujourd'hui bien folkloriques aux yeux des gens éclairés. Nous allons voir que la question est un peu différente et la prendrons autrement, car cette théorie utilise des notions bien difficiles : il faudra parler du sens et du signe, sujets que nous n'épuiserons pas ce soir. La théorie du signe fait l'objet de multiples discussions et reste un objet de recherches, aussi bien en science que dans le cadre de la conscience et de la confiance à accorder à notre bonne mère nature. La théorie de la signature est un modèle naïf d'un mécanisme de la connaissance, mais elle ne peut que nous amener à nous interroger sur deux questions importantes et malcommodes: la théorie de la connaissance et l'ontologie de la nature.
[...]
Par contre le concombre de mer, tripang des Indonésiens, rori des Polynésiens, a une action digestive, mais c'est surtout sa forme qui confirme ses bienfaits érotiques ; les scientifiques l'ont appelé Holothurie, ce qui veut dire "tout à fait impudique". Cet animal marin côtier, facile à récolter, se vide épisodiquement de son contenu et se reconstitue par son enveloppe ; particularité qui ne peut que confirmer sa puissance.
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Lucie Chopot, autrice de "Qui veut la peau du concombre de mer ?." (In : The Conversation, 2019) fait le point sur la pêche de la bêche-de-mer :
Le concombre de mer est un vrai symbole de la mondialisation. Il est pêché par plus de 70 territoires différents et chaque océan, chaque mer, abrite, au moins, une pêcherie de concombre de mer. Les premières traces de consommation au cours des banquets royaux chinois datent de la Dynastie Ming (1368-1644) et ont pris toute leur place au cours de la Dynastie Qing (1644-1912). Or, aujourd’hui, cet animal subit une forte pression du fait d’une surpêche tentant de répondre à une très forte demande, notamment en Chine où il est un ingrédient des plats traditionnels, et qui concerne directement certains territoires comme la petite communauté française de Saint-Pierre et Miquelon. Dans ce petit territoire, on en pêche environ 1 400 tonnes et 100 000 tonnes au niveau mondial selon la FAO.
[...]
En effet, l’holothurie (concombre de mer de la famille des échinodermes) présente un rôle écologique fondamental puisque de par son mode de nutrition elle participe au recyclage des matières détritiques, à l’aération du sol, à la limitation de l’eutrophisation (un phénomène de pollution provoquée par un apport trop élevé de nutriments favorable au développement des algues notamment). Elle participe donc à la structuration des habitats d’autres espèces. De plus, comme tout autre être vivant elle appartient à un réseau trophique, c’est-à-dire la chaîne alimentaire entre les espèces d’un écosystème, qui fait d’elle et de ses juvéniles une source d’alimentation pour d’autres individus (prédation majeure par l’étoile de mer). Son rôle écologique est primordial et sa disparition peut avoir des conséquences catastrophiques pour un écosystème.
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Hanlai Wu, dans un article intitulé "Sagesse et folie du Singe égal du ciel." (In : TRANS-. Revue de littérature générale et comparée, 2020.) commente un ouvrage qui fait du concombre de mer un symbole d'humilité spirituelle :
Revenons sur Le Singe égal du ciel, où on peut identifier un principe d’écriture, celui de l’allégorisation de l’action, qui fait penser à l’hermétisme. Le relevé onomastique du roman justifie ce principe allégorique du chronotope, à commencer par les personnages : le Grand Éclaireur de la Parole, l’Esprit des Brouillards, les Maîtres de la Mort, de la Maladie, de la Peste, la Prêtresse de la Haine, l’Esprit de l’Épouvante, l’Immortel de la Science des Destinées, la Stricte Observance, etc. ; les lieux viennent ensuite : la Montagne des Cinq Éléments, la Montagne aux Écritures, l’Endroit sans Endroit, le Palais de Glace, la Falaise Insondable, le Palais de la Félicité, le Jardin de l’Ultime Contradiction, la monastère de la Ferveur Guerrière, le Très-Haut-Lieu-du-Très-Haut, etc. À ce propos, on peut rappeler que l’allégorie constitue un moyen de déchiffrement des mythes très important aussi bien dans la culture païenne (la philosophie hellénistique et romaine) que chrétienne (la patrologie).
Le chronotope romanesque ainsi circonscrit, on peut examiner le progrès spirituel du Singe, d’où on tire cinq moments décisifs. Le premier est l’apprentissage du Singe, illustré par le dialogue entre Souen et son maître Soubodhi :
[Le disciple :] Je me suis appliqué à pénétrer dans l’intérieur de tout ce que la création comporte d’animé et d’inanimé, et me voici à présent empli de l’univers tout entier. Quant à l’univers invisible, il m’est arrivé souvent de les côtoyer, mais une barrière m’interdisait encore certaines entrées. [Le maître : ] Malheureux enfant, c’est ton orgueil qui te guide. […] En refusant de te changer en concombre de mer, c’est le Père de Toutes Sérénités et Sagesses que tu insultes.
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Mythologie :
Olivier Ansart, auteur de "Sur quelques dispositifs servant à la mise en forme des choses - les rites du nouvel an au Japon." (In : Ebisu, n°10, 1995. pp. 67-116) rapporte des rites en lien avec la vision mythique du monde au Japon :
[...] Une telle pratique allait puiser sa justification dans la théorie des Cinq Agents. On le sait, celle-ci classe toutes les choses et les phénomènes du monde en cinq catégories qu'identifient les agents de la Terre, de l'Eau, du Bois, du Métal et du Feu. Entre ces cinq agents, comme entre tous les phénomènes qui leur correspondent, sont posées quelques lois - loi de la domination réciproque, loi de l'engendrement réciproque, lois de succession temporelle - qui, régissant leurs rapports, expliquent en même temps tout le mouvement de l'univers. Cette théorie, bien sûr, avait une ambition pratique tout autant que théorique. Les représentations du monde qui s'y déployaient étaient orientées vers sa domination. Elles restaient au service de la primitive volonté de manipulation des choses qui caractérisait déjà sans doute les rites sur la base desquels la théorie s'était développée.
[...]
Enfin les chasses rituelles du début de l'an doivent être mentionnées : chasses aux oiseaux, torioi, chasses aux taupes, etc. Les enfants parcourent les villages en frappant le sol avec des bâtons lorsqu'ils ne demeurent pas dans de petites cabanes pour surveiller les champs. Dans le rituel de la chasse aux taupes, ils traînent derrière eux, parfois un marteau en poussant des grands cris d'horreur devant les entrailles des taupes imaginaires qu'ils feignent d'éventrer, parfois une holothurie enveloppée dans une natte de paille. L'interprétation à différents niveaux de ces rites semble ouvrir d'infinies possibilités aux gloses. Pourquoi l'holothurie, ou concombre de mer, chasseur improbable des taupes par exemple ? Peut-être parce que son nom s'écrit avec les caractères qui signifient « rat de mer », namako, alors que celui de la taupe peut s'écrire de la même manière « rat de terre », mogura, et donc que, parents, ils sont aussi diamétralement opposés ?
[...]
Une de ces logiques causales, celle de l'homonymie mérite d'ailleurs une mention à part. Parce que rien n'empêche qu'on donne le nom qu'on souhaite à toute chose, c'est la plus plus féconde en en, W. liens, la plus créatrice d'objets de dispositifs. Dès lors en effet qu'il est possible de donner aux choses un nom particulier uniquement pour légitimer leur présence - c'est le engi kotoba - grâce à ce qu'on peut appeler une homonymie provoquée, les possibilités de justification augmentent de manière impressionante. On peut faire appel à ce procédé pour suppléer les carences de l'aspect naturel des choses, et surtout pour contourner un tabou né précisément du soin mis à composer les situations inaugurales. Certains de ces tabous peuvent en effet avoir été produits par la logique de l'homonymie elle-même : on dit bien que les hommes ne découvrent jamais que les problèmes dont, comme en quête d'emploi, les solutions existent simultanément, ou même que celles-ci, en quelque sorte, les précèdent.
L'holothurie, ou bêche de mer, concombre de mer, est un mollusque répugnant à l'œil et que rien ne désignerait comme élément d'un dispositif faste s'il n'était agréable au palais. Dans la région de Setonaikai, on l'appelle tawarago - sous le prétexte qu'elle ressemble à un tawara, ce sac de paille de riz fréquemment utilisé dans les dispositifs fastes du nouvel an. On va même jusqu'à raconter que les holothuries prises à Kinkazan (département de Miyagi) auraient du sable d'or dans le ventre, donc on parle de kinko. Ces appellations, comme celles de hatsutawara, tawarago, iriko, sont les engikotoba, les appellations fastes, évocatrices de bonnes choses, de l'holothurie qui justifient sa présence dans les dispositifs du début de l'année.
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Littérature :
Dans Un Baiser d'ailes bleues, 150 rencontres avec des animaux extraordinaires (Éditions Arthaud, 2009) Nicole Viloteau croque sur le vif des portraits animaliers insolites :
La tactique du concombre de mer
Dune Island. Dans un méandre corallien empli d'eau de mer, une curieuse bestiole se tient immobile : un boudin kaki d'une vingtaine de centimètres, une baudruche oblongue et distendue, hérissée d'épines flasques. Quelle est cette créature incongrue ? Elle ne m'inspire pas confiance. Pour tester ses réactions, je la titille avec la pointe de mon couteau. Stupeur ! L'« horreur molle » libère sus mes yeux des paquets de longs filaments jaunâtres. On dirait des ténias ou des filaires. Pourtant je ne l'ai pas blessée ! Je suis désolée, me sentant responsable malgré moi, de l'état pitoyable de cette bête. Que s'est-il passé ?
La réponse m'est donnée par un ouvrage sur la faune australienne. Ma créature kaki n'est autre qu'une holothurie, un trépang, un concombre ou bêche de mer. Particularité peu ragoûtante de cet inoffensif échinoderme tubulaire : l'expulsion de ses organes internes lorsqu'il se sent menacé ! Par chance, ceux-ci se régénèrent rapidement. Il faut néanmoins se protéger les yeux de son liquide viscéral particulièrement irritant... Ce gros mangeur de plancton, de poissons et de crustacés se sert à l'occasion de ses gluants boyaux en filaments pour les lancer sur de grosses proies afin de les immobiliser ! La tactique du filet de gladiateur...
Autrefois, les pêcheurs de perles australiens, habitués de plonger dans la mer d'Arafura du côté de Knocker Bay, voyaient fréquemment des trépangs sur les fonds vaseux. Mais la pêche intensive de ce mollusque très prisé des Chinois et des Japonais pour les prétendues vertus aphrodisiaques de sa peau accélère sa disparition des zones littorales. Il représente une source importante de revenus pour les populations de certaines îles de l'Indo-Pacifique, et tout un commerce continue de s'exercer au mépris des lois internationales de protection animale.
L'enveloppe cutanée des holothuries est rugueuse et très toxique : elle nécessite une préparation spéciale avant sa consommation. Cuite, séchée au soleil, ensablée, fumée, marinée ou encore servie en rouleau de printemps, elle suscite un véraitable engouement chez les Asisatiques soucieux d'entretenir leur... viriltié. Il en va de même de la chair de l'huître géante Pinctada maxima, vendue 100 dollars le kilo. Rôtie ou cuite au court-bouillon, elle reste dure comme de la semelle... et inopérante sur la libido féminine.
Du moins la mienne...
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