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Le Curare




Étymologie :

  • CURARE, subst. masc.

Étymol. et Hist. 1758 (Hist. nat., civ. et géogr. de l'Orénoque etc., par le P. Jos. Gumilla, trad. de l'esp. sur la sec. éd. par M. Eidous, t. III, p. 1 ds König, p. 87). Empr. à l'esp. curare, attesté dep. 1745 (Gumilla ds Fried.), lui-même empr. au caraïbe urari (v. Fried. et FEW t. 20, p. 83b).


Lire également la définition du nom curare afin d'amorcer la réflexion symbolique.




Botanique :


Selon Joëlle Quetin-Leclercq, autrice d'un article intitulé "Le voyage insolite de la plante au médicament." (In : Journal de pharmacie de Belgique, 2002, vol. 57, pp. 11-20) :


La première référence aux curares date de 1548 : Alonso Perez de Tolosa relate l'utilisation par les indiens vivant autour du lac de Maracaïbo (Colombie) de flèches provoquant, chez leurs ennemis, une paralysie de 2-3 heures qu'ils mettaient à profit pour fuir. En 1596, Raleigh cite pour la première fois l'utilisation du mot ourari pour qualifier ces poisons. Les observations de leurs modes de préparation sont de plus en plus nombreuses au 18ème siècle. Il s'agit d'extraits végétaux (auxquels on ajoute parfois des extraits animaux : venins, ... ) sirupeux ou durs et préparés par extraction aqueuse puis concentration à la chaleur.

Ces poisons ont une composition souvent

complexe et qui varie selon les tribus. Cependant leurs actions sont semblables (paralysie, relaxation musculaire). Les observations montrent que les plantes actives appartiennent principalement à deux familles : les Loganiacées et les Ménispermacées.

Les curares sont d'abord classés en fonction du récipient utilisé pour les conserver qui dépend de la région dans laquelle ils étaient préparés. On s'apercevra plus tard que cette classification correspond également à des différences de composition des curares. Ainsi, on distingue :

  • les curares en calebasses, en général à base de différentes espèces de Strychnos (Loganiacées) d'Amazonie et de Guyane ;

  • les curares en tubes, le plus souvent à base de Chondodendron sp, Curarea sp . (Ménispermacées) des Andes et du Rio Napo ;

  • les curares en pots contenant souvent un mélange de Loganiacées et de Ménispermacées que l'on retrouve dans une région intermédiaire entre les deux précédentes.

Les modes d'action de ces curares ont été étudiés dès 1820 par Charles Waterton puis par Claude Bernard (1844) alors que les plantes utilisées pour leur préparation n'étaient pas encore identifiées. Ils provoquent un relâchement musculaire en se fixant de manière compétitive aux récepteurs postsynaptiques de l'acétylcholine (provoquant un blocage) et saturent les récepteurs présynaptiques, ce qui induit une libération réduite d'acétylcholine empêchant la contraction musculaire des muscles striés. Ils sont inactifs par voie orale (ce qui permet aux indiens de se nourrir des animaux curarisés).

Le premier principe actif fut isolé en 1835 à partir d'un échantillon de curare en tube du British Museum: on lui a donné le nom de tubo-curarine. D'autres principes actifs ont été ensuite isolés d'échantillons de curares: curarine, calebassine, ... ou des plantes utilisées pour leur préparation. Il s'agit, dans tous les cas, d'alcaloïdes dimères possédant un squelette rigide et deux azotes quaternaires distants d'environ 1 nm (fig. 4).

La connaissance de ces structures et des récepteurs a conduit à la synthèse de nouvelles molécules, dont certaines, comme p. ex. le suxaméthonium, à squelette plus souple, agissent par un mécanisme différent (provoquant une dépolarisation persistante).

La première utilisation clinique des curares dans une opération chirurgicale date de 1912. Les curares, dont les activités étaient parfois inconstantes, puis les curarisants naturels ont été longtemps utilisés pour provoquer une relaxation musculaire. Ils sont maintenant remplacés par des dérivés synthétiques utilisés principalement en anesthésiologie (intubation endotrachéale, myorelaxation, ... ), pour faciliter la ventilation artificielle, mais aussi parfois pour réduire l'intensité des convulsions en cas d'électrochocs ou dans le traitement du tétanos.

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Découverte du Curare par les Européens :


Dans l'article intitulé "Thérapeutique, Toxicomanie et Plantes Américaines." (In : Cahiers d'outre-mer. N° 179-180 - 45e année, Juillet-décembre 1992. Les plantes américaines à la conquête du monde. pp. 263-286) Denis Lemordant résumé l'histoire du Curare :


Si l'on excepte le tabac et le cacao, offrandes de l'accueil des Indiens aux Espagnols, la première drogue1 rencontrée parles conquérants à leurs dépens fut celle des mélanges d'extraits végétaux dont les indigènes d'Amérique du Sud enduisaient leurs flèches. A l'origine, ces flèches paralysantes étaient destinées à la chasse au petit gibier, singes et oiseaux ; provoquant la relaxation musculaire, elles permettaient leur chute au sol alors qu'ils restaient accrochés aux branches et inaccessibles.

La légende veut qu'un Indien chassant à la sarbacane sur les bords de l'Amazone vit un rapace griffer une liane avant d'attaquer sa proie qui creva aussitôt qu'atteinte par les serres. Ayant fait de même avec la pointe de ses dards, le chasseur constata leur efficacité et la rapidité de leur action. Ses descendants fabriquèrent des extraits à partir de cette liane. Aux tribus primitives pacifiques de chasseurs à la sarbacane, des tribus guerrières plus évoluées usant de l'arc empruntèrent les extraits végétaux pour la chasse à l'Espagnol. Les conquérants furent très impressionnés par le pouvoir foudroyant de cette « mort volante silencieuse » qui terrorisa notamment l'expédition de Pedriaras pour les conquêtes de l'isthme de Panama et de la Colombie.

Le mot curare est une déformation des divers noms vemaculaires d'Amazonie attribués à la liane de la légende et au poison qu'elle fournit, parmi lesquels urareri signifiant « liquide pour tuer les oiseaux » selon certains auteurs. Les autres noms, transcrits de façon approximative comme il est fréquent, sont courari, wourara, wourari, wourali, courara et, aux Caraïbes carouchi et mavacouré. C'est sous le nom d'ourari que les premiers extraits ont été rapportés en Europe par Sir W. Raleigh en 1 595, soit un siècle après la conquête. C'est La Condamine qui les fit connaître à la France en 1745, au retour de l'expédition destinée à mesurer le méridien terrestre.

Les curares se présentent sous forme d'extraits noirâtres ou brun rougeâtre, durcissant avec le temps et montrant alors une cassure brillante. Pendant longtemps, faute d 'autres informations botaniques ou chimiques, on les a classés d'après Boehm arbitrairement selon la nature du récipient.

Les curares en tubes ou tubocurares, coulés dans des entre-noeuds de bambous de 20 à 25 cm provenaient du Haut-Amazone, du Pérou, du Brésil, de Guyane française. On a su par la suite qu'ils étaient à base de diverses espèces de Ménispermacées du genre Chondrodendron, principalement C. tomentosum R. et P., l 'ambihuasca de Von Humboldt, connu sous le nom de pareira brava, dont la racine est employée par ailleurs comme diurétique et tonique. L'analyse révéla qu'ils renfermaient des alcaloïdes d'un type particulier (à noyau bisbenzyl-i soquinoléi que) .

Les curares en calebasses étaient contenus dans le fruit d'une Bignoniacée du genre Crescentia ; on les trouvait au Venezuela, en Colombie, en Guyane anglaise. Ils sont à base d'espèces de Loganiacées du genre Strychnos et leurs alcaloïdes sont de nature indolique.

Les curares en pots, peu importants, ne sont plus que des curiosités de musée depuis longtemps. Ils proviennent d'Amazonie, du Haut-Orénoque et sont vraisemblablement un mélange d'extraits de Loganiacées et de Ménispermacées. King n'a trouvé que des Ménispermacées à l'analyse, il est vrai, d'un unique échantillon. Les provenances géographiques mentionnées ci-dessus n'ont rien d'absolu.

Plus tard, on s'est aperçu que diverses espèces de Rhyncliosia mais surtout d'Erythrina (Fabacées) renferment aussi des alcaloïdes curarisants actifs par voie buccale et non seulement par injection.

On a prétendu pendant longtemps que la préparation de ces extraits était réalisée par des initiés ou des sorciers qui l'entouraient de mystère. En réalité, elle n'a rien de secret et se pratique au grand jour et en public. Naturellement, les ingrédients sont multiples et variables suivant les tribus. Ils sont en majeure partie végétaux mais quelquefois fourmis, crochets de serpent sont ajoutés. La partie de plante utilisée est le plus souvent l'écorce de tige, quelquefois la racine. Après macération à l'eau froide, on porte à ébullition. Puis, on filtre et évapore à consistance d'extrait mou qui est alors coulé dans un récipient. L'efficacité du produit est vérifiée sur des grenouilles ou des oiseaux.

Il faut souligner les difficultés rencontrées parles Européens pour établir la composition botanique de ces extraits, difficultés liées, comme à l'habitude, au désir des populations locales de conserver leurs secrets tout en monnayant des produits différents inefficaces, destinés uniquement à tromper l'étranger, aujourd'hui nous dirions le touriste. Depuis le début du XIXe siècle, divers auteurs ont pu cependant établir que les espèces végétales utilisées appartiennent chez les Loganiacées au genre Strychnos et chez les Ménispermacées à divers genres : Chondrodendron, Cissampelos, Cocculus, Anomospermum, Telitoxicum, Sciadotenia, Elissarrhena, Abuta. De plus, interviennent dans les mélanges des espèces d'autres familles telles que Piper (Pipéracées), Annona (Annonacées), Lonchocarpus (Fabacées), Erythrochiton (Rutacées), Ficus (Moracées), Psychotria (Rubiacées), Aristolochia (Aristolochi acées), Capsicum (Solanacées). A l'origine de ces déterminations, il faut citer Humboldt et Bonpland (1 800), Von Martius et Von Spix (1820), Waterton (1833), les frères Scomberg (1835), de Castelnau et Weddell (1851), Crevaux, Gubler, Jobert et Schwacke (1878), Planchon qui a établi une classification géographique, de Lacerda et Barbosa Rodrigues (1903).

La première description valable des effets du curare est due au Père José Gumilla qui parle dans son ouvrage « El Orinoco ilustrado » datant de 1740, du « plus violent poison existant sur la surface de la terre », et constate également son inactivité par la bouche en l'absence de blessure des gencives. La première expérience physiologique eut lieu à Leyde en 1774. Aux travaux qui suivirent s'attachent les noms de F. Fontana à Florence (178 1), C. Waterton et Sir B. Collins Brodie, Claude Bernard (1844), Voisin, Vulpian (1870), Liouville, Gubler, Lapicque. C. Bernard montra, en 1 857, que le mode d'action des curarisants est une paralysie musculaire qui laisse la sensibilité intacte, «l' intelligence se trouvant en quelque sorte enfermée toute vive dans un cadavre». La paralysie s'installe à partir des muscles de la tête et descend vers le diaphragme, provoquant la mort par asphyxie quand elle l'atteint. Mais C. Bernard croyait le nerf mort. Vulpian montra que le produit agit en interrompant la transmission neuro-musculaire au niveau de la plaque motrice et que nerf et muscle restent séparément excitables.

Les études chimiques furent, c'est bien normal, plus tardives. Leur détail n'a pas sa place ici. Indiquons-en simplement les étapes qui commencent avec les travaux de Boussingault et Roulin en 1828 et se poursuivent par ceux de Preyer (1865), Boehm (1886), Sachs (1897), Spaeth (1928), Kuffner (1934), King (1935), Krukoff, Moldenke et Folkers (de 1937 à 1946), Freise (1936), Wieland (de 1936 à 1941), Berredo Camciro, Wintcrsteiner et Dutcher (1943), Karrer (de 1946 à 1954), Battersby enfin à partir de 1960.

Les premiers essais en thérapeutique datent de 1859 contre le tétanos. Après la Deuxième Guerre Mondiale, l'emploi des curarisants comme adju¬ vants de l'anesthésie se développa. En 1940, Bennett avait utilisé un extrait purifié pour combattre les effets néfastes de l'électrochoc (fractures, luxations). Il suggéra à L. H. Wright l'emploi en anesthésie générale ; ce dernier transmit l'information à l'anesthésiste H. R. Griffith, qui pratiqua en 1 942 les premières opérations assistées avec G.E. Johnson.

Les premiers curares de synthèse ont été mis au point par Bovet entre 1946 et 1948 et furent utilisés par Kern; ils l'étaient encore récemment. En 1948, étudient de nouveaux produits, d'une part W.D.M. Paton et E. Zainis et d'autre partR.B. Barlow et H.R. Ing. En 1949, Fourneau et Janot indiquaient que seul un petit nombre parmi les centaines de produits synthétisés pouvait servir à des essais cliniques.

Les curarisants permettent de diminuer la profondeur des anesthésies et, par conséquent, leur toxicité. Ils ne sont actifs que par injection. On les emploie surtout en chirurgie et pour lutter contre les contractions musculaires du tétanos et de l'électrochoc. Les curarisants sont également employés pour les fusils à seringue hypodermique destinée à la capture des animaux sauvages ou aux soins des animaux de cirque ou de parcs zoologiques.

L'histoire des curares illustre bien l'évolution de l'usage que l'homme peut faire des moyens mis à sa disposition par la nature. A partir de produits naturels utilisés par des sociétés primitives, l'homme moderne, sur le modèle fourni par une molécule naturelle, s'est attaché à créer, par la synthèse, des produits moins toxiques et plus actifs, ce qui est la règle en pharmacologie. Les derniers produits apparus n'ont souvent plus beaucoup de parenté avec le produit de départ. Cette recherche implique le concours de multiples disciplines : en particulier, sans identification botanique préliminaire précise, l'analyse chimique est inutile.

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Symbolisme :


Dans Histoire et légendes des plantes utiles et curieuses (Librairie de Firmin Didot, Frères, Fils et Cie, 1871), J. Rambosson poursuit la tradition du sélam à la mode au XIXe siècle :


Sous les noms de curare, de voorara, urali, ourary, etc., on désigne dans les diverses hordes de sauvages les poisons employés pour envenimer les flèches.

Tous ces poisons proviennent d'une seule et même plante, ou de plantes différentes, mais qui contiennent un principe actif identique, dont le caractère le plus saillant est de n'être absorbé que lorsqu'il se trouve en contact avec le sang, et d'être tout à fait inoffensif lorsqu'il est introduit dans le tube digestif.

M. de Humboldt donne une intéressante description de la préparation du curare, dans son Voyage aux régions équinoxiales du nouveau continent : « Lorsque nous arrivâmes à l'Esmeralda, la plupart des Indiens venaient d'une excursion qu'ils avaient faite à l'est, au delà du Rio-Padamo, pour recueillir des juriae, ou fruits du bertholletia, et la liane qui donne le curare.

« L'Indien qui devait nous instruire est connu dans la mission sous le nom de maître du poison (amo del curare) ; il avait cet air empesé et ce ton de pédanterie dont on a accusé jadis les pharmaciens en Europe.

« Je sais, disait-il, que les blancs ont le secret de fabriquer du savon et de cette poudre noire qui a le défaut de faire du bruit et de chasser les animaux si on les manque. Le curare que nous préparons de père en fils est supérieur à tout ce que vous savez faire là-bas (au delà des mers). C'est le suc d'une herbe qui tue « tout bas (sans que l'on sache d'où le coup est parti). »

« Cette opération chimique, à laquelle le maître du curare mettait tant d'importance, nous paraissait d'une grande simplicité. On donne à la liane (bejuco) dont on se sert à l'Esmeralda pour la préparation du poison le même nom que dans les forêts de Javita. C'est le bejuco de mavacure, que l'on recueille abondamment à l'est de la mission, sur)a rive gauche de l'Orénoque, au delà du Rio Annaguaca, dans les terrains montueux et granitiques de Guanaya et de Yumariquin. On emploie indifféremment le mavacure frais ou desséché depuis plusieurs semaines. Le suc de la liane récemment recueilli n'est pas regardé comme vénéneux ; peut-être n'agit-il d'une manière sensible que lorsqu'il est fortement concentré. C'est l'écorce et une partie de l'aubier qui renferment ce terrible poison. On racle avec un couteau des branches de mavacure de 4 à 5 lignes de diamètre ; l'écorce enlevée est écrasée et réduite en filaments très minces, sur une pierre à broyer de la farine de manioc. Le suc vénéneux étant jaune, toute cette masse filandreuse prend la même couleur. On la jette dans un entonnoir de 9 pouces de haut et de 4 pouces d'ouverture. Cet entonnoir est de tous les ustensiles du laboratoire indien celui que le maître du poison nous vantait le plus. Il demanda à plusieurs reprises si par alla (là-bas, c'est-à-dire en Europe) nous avions vu jamais quelque chose de comparable à son embudo.

« C'était une feuille de bananier roulée en cornet sur elle-même, et placée dans un autre cornet plus fort, de feuille de palmier. Tout cet appareil était soutenu par un échafaudage léger de hachis de palmier. On commence à faire une infusion à froid en versant de l'eau sur la matière filandreuse, qui est l'écorce broyée du mavacure. Une eau jaunâtre filtre pendant plusieurs heures goutte à goutte, à l'embudo, ou entonnoir de feuillage. Cette eau filtrée est la liqueur vénéneuse ; mais elle n'acquiert de la force que lorsqu'elle est concentrée par l'évaporation, à la manière des mélasses, dans un grand vase d'argile. L'Indien nous engageait de temps en temps à goûter le liquide ; on juge d'après le goût, plus ou moins amer, si la concentration par le feu est poussée assez loin. Il n'y a aucun danger à cette opération, le curare n'étant délétère que lorsqu'il entre immédiatement en contact avec le sang. Aussi les vapeurs qui se dégagent de la chaudière ne sont-elles pas nuisibles, quoi qu'en aient dit les missionnaires de l'Orénoque. Fontana, dans ses belles expériences sur le poison des Ticumas de la rivière des Amazones, a prouvé depuis longtemps que les vapeurs que répand ce poison lorsqu'on le projette sur des charbons ardents peuvent être respirées sans crainte, et qu'il est faux, comme l'a annoncé M. de la Condamine, que les femmes indiennes condamnées à mort aient été tuées par les vapeurs du poison des Ticumas.

« Le suc le plus concentré du mavacure n'est pas assez épais pour s'attacher aux flèches. Ce n'est donc que pour donner du corps au poison que l'on verse dans l'infusion concentrée un autre suc végétal extrêmement gluant, et tiré d'un arbre à larges feuilles, appelé kiracaguero.

« Au moment où le suc gluant de l'arbre kiracaguero est versé dans la liqueur vénéneuse bien concentrée et tenue en ébullition, celle-ci se noircit et se coagule en une masse de consistance de goudron ou d'un sirop épais. C'est cette masse qui est le curare du commerce. Le changement de couleur qu'éprouve le mélange est dû à la décomposition d'un hydrure de carbone. L'hydrogène est brûlé, et le carbone se met à nu. On vend le curare dans des fruits de crescentia. »

Si l'identité des effets du curare et du venin des crotales, la même odeur que possèdent ces deux substances et l'influence de l'iode sur leur action, donnent beaucoup de poids à l'opinion, déjà assez répandue, que le principe actif du curare et des préparations analogues n'est autre chose que le venin des crotales conservé d'une manière particulière, il est des preuves qui établissent le contraire : M. Boussingault a affirmé à l'Académie des sciences que le curare qu'il a rapporté des bords d'un des affluents des Amazones ne renferme pas de venin de serpent. Les Indiens l'avaient obtenu en traitant par l'eau froide l'écorce d'une liane fort commune dans les forêts que traversent les grands fleuves de l'Amérique équatoriale. C'est avec ce même curare, remis en 1833 à M. Pelouze par M. Boussingault, qu'on a fait presque toutes les expériences qui ont été depuis publiées à Paris sur ce sujet.

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Mythologie :


Dans la forêt on entendait de petits coups frappés rapidement. "Qui peut causer ce bruit ?" se demandait-on. C'était Ribubusiriwe (1) (oiseau : Picumnus R. rufinventris, famille des Picidae) qui, accroché le long d'une liane à curare, y piquait de son bec.

Mais Mamokoriyoma (2), la maîtresse du curare, exécrait Ribubusiriwe, et celui-ci tomba au sol, foudroyé par le poison.

Son corps ne tarda pas à enfler. On le découvrit au pied de la liane et des cris de douleur, des sanglots, emplirent la forêt. "Sheta yai, hebaro yai !!!" (Quel grand malheur !) s'écriait-on.

On le transporta en le portant par les quatre membres et l'on construisit une plateforme sur laquelle on exposa son corps protégé de morceaux de bois. La plateforme était très petite, Ribubusiriwe étant petit lui-même.

Bien que le corps fut déjà gonflé par la mort, Ribubusiriwe devait ressusciter. Ses lèvres se joignirent et vibrèrent ; l'appel aux hèkura (3) se fit entendre. Ils accoururent et furent envoyés racler la liane : on aurait cru que les humains eux-mêmes étaient en train de recueillir l'écorce. Ils revinrent, Ribubusiriwe rompit son enveloppe, et descendit.

Il se demandait : "Quel peut être ce poison ?" Il avait, le premier, découvert le Curare. Alors il se mit à broyer les raclures d'écorce et prononça la formule :


"kushe ha (4)

vers le disque céleste (5)

Tabirawe (5) fait éclater la foudre,

vers le disque céleste

toi, Shokoriwe (Tamandua tetradyctala)

ferme ton gland.

kushe ha, kushe ha".


1) Dans une autre version Ribubusiriwe est accompagné de Kowébatatariwe (oiseau non identifié) dont le chant est caractéristique "kowe, kowe, kowe, batara..." Cet oiseau est assez rare, mais les Indiens pensent que, lorsque son chant se fait entendre, c'est qu'une liane à curare se trouve proximité.

2) Dans une version moins riche de ce mythe, obtenu près des groupes de la montagne, c'est un crapaud appelé mama (espèce non identifiée) qui, le premier, découvre le Curare. Les groupes mêmes qui font de Ribubusiriwe le découvreur du Curare, associent le crapaud mama et le curare de la manière suivante : lorsque ce crapaud coasse nuitamment à proximité d'un auvent, on dit "mamokorihe be ta koreyo !" (remportez votre curare). SI le crapaud s'aventure sous l'auvent, on lui brûle les yeux avec un tison, car on croit que son regard est pernicieux.

3) Les hèkura sont des esprits de la nature : esprits des animaux, des plantes, des éléments naturels (vents, tourbillons, etc.). Ces êtres forment un élément essentiel du monde surnaturel. Le pouvoir d'un chamane dépend du nombre de hèkura que sa poitrine abrite, et du pouvoir qu'il exerce sur eux.

4) "kushe ha ! " formule prononcée chaque fois que l'on souhaite la réussite d'une action donnée.

5) Les Yanomami pensent que la voûte céleste est un disque où habitent les âmes, le tonnerre, le foudre et certains démons.

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