Étymologie :
Étymol. et Hist. 1. Ca 1135 « sorte de chien » (Couronnement Louis, éd. Y. G. Lepage, AB 662) ; 2. 1622 fig. les levriers du bourreau « les sergents et les archers » (Sorel, Francion, éd. E. Roy, t. 1, p. 93) ; 1690 (Fur. : On dit, Lascher des levriers aprés quelqu'un, pour dire, Envoyer des gens aprés luy pour le prendre). Dér. de lièvre*; suff. -ier*. Cf. b. lat. canis leporarius (ca 720, Leg. Alam., p. 143, 3 ds Blaise Latin. Med. Aev.) veltris leporarius (802-803, Lex Sal. Karol. 6, 2 ds Mittellat. W. s.v. argutarius) « lévrier » (proprement : « chien à lièvres »; leporarius est dér. de lepus, leporis « lièvre »).
Lire également la définition du nom lévrier afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Symbolisme :
Bénédict-Henry Révoil, auteur d'une Histoire physiologique et anecdotique des chiens de toutes les races. (E. Dentu, 1857) rapporte les éléments suivants :
Le lévrier est le symbole de l'aristocratie de haute lignée , d'une valeur incertaine, mais d'une grâce exquise. [...]
De nos jours, les lévriers sont tombés en oubli, et si l'on en voit encore quelques-uns destinés à la chasse, c'est seulement dans le midi de la France, dans la Crau ou dans la Camargue, où l'usage de ces animaux est sinon permis, du moins toléré.
Dans le nord de la France, les lévriers ne sont considérés que comme chiens de luxe.
[...]
Dans le désert africain, tandis que les chiens de diverses espèces sont peu appréciés et confondus dans les rangs des esclaves de la domesticité, le sloughi, au contraire, a l'estime, la considération, la tendresse attentive de son maître. Le riche et le pauvre le regardent comme le compagnon de leurs plaisirs chevaleresques et le pourvoyeur de leur besoin le plus impérieux, l'alimentation. On comprend dès lors les soins que l'on prodigue à une sloughia et la surveillance que l'on exerce sur les accouplements. Un habitant du Sahara fait souvent vingt- cinq ou trente lieues pour accoupler une belle levrette avec un lévrier renommé, c'est-à-dire un animal qui prend la gazelle à la course.
[...]
Il existe, dans l'île de Sardaigne, une charmante espèce de lévrier que l'on nomme chien biche, ainsi nommée parce que ces chiens ont la forme semblable à celle de cet animal aux pieds légers et que leur poil est de la même couleur. Afin de rendre la ressemblance plus exacte, les propriétaires font comme Alcibiade, et de cette façon, l'appendice caudal restant court, la couleur blanche prête à l'illusion. Cette race est fort rare.
Selon Joanne S. Norman, auteur de "Les confréries et l'iconographie populaire des sept péchés capitaux". (In : Renaissance and Reformation/Renaissance et Réforme, 1989, pp. 89-114) :
Enfin, l'Envie est présentée par un marchand sur un lévrier rongeant un os. D'une main il tient sa bourse ; l'autre est levée, en signe de défense.
Comme le montrent des exemples plus tardifs, les figures de Roussines ne présentent pas le modèle-type qui se développera par la suite. Pourtant, outre le fait d'être l'exemple pictural le plus primitif, ces figures montrent un nombre de caractéristiques significatives. Premièrement, elles représentent très distinctement les sept péchés capitaux, et non une série de vices indifférenciés face aux vertus. Ce sont des figures humaines, non des démons, et leur nature est révélée à travers des actes types de péchés particuliers ainsi que par l'animal symbolique qu'ils montent. Le soin donné à l'habillement contemporain aide à personnifier les péchés, tandis que les différences sociales, que reflètent aussi les costumes, suggèrent que chaque classe a ses propres faiblesses.
[...]
Dans la vieille cathédrale de Notre-Dame-du-Bourg, à Digne (Haute Provence), se trouve l'un des exemples les plus anciens (circa 1480) et les plus complets d'une peinture disposée en trois registres, typique de cette région. [...] l'Envie, montant un lévrier, se montre l'œil du doigt et regarde de travers ses voisins.
[...]
C'est donc à Les Vigneaux (1470), sur le mur extérieur du chœur de l'église paroissiale de Saint-Laurent qu'apparaît une peinture abîmée de la procession des péchés capitaux dans laquelle les vices humains, le cou enchaîné, défilent de la gauche à la droite : [...] l'Envie, les bras croisés, pointe du doigt dans des sens opposés et monte un lévrier qui ronge un os.
[...]
Les gestes symboliques des Péchés, les objets qu'ils portent ainsi que leurs montures respectives sont représentées de manière plus significative au XVème siècle. [...] . L'Envie monte un lévrier, et se croise les bras pour pointer dans deux sens contraires. Ce geste particulier peut être interprété comme un signe extérieur du désir pervers de l'hypocrisie, la nature essentiellement contradictoire du péché, puisque cette attitude se retrouve régulièrement dans l'art roman pour représenter le mensonge et la contradiction.
[...]
Un autre exemple de la procession de Péchés dans la même région se trouve en l'Eglise de la Masse, à Les Junie. [...] D'autre part, l'Envie pointe en direction de son œil et se tient l'estomac, toujours monté sur un lévrier. Cette représentation de l'Envie réunit des éléments de Roubion et de Plampinet. Dans cette peinture, ce sont les animaux, plutôt que les cavaliers, qui sont enchaînés et le diable les tire jusqu'en Enfer à l'aide d'une chaîne passée par-dessus son épaule, et chaque péché est aussi accompagné par un diable.
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Denis Hüe. écrit un article intitulé "Un chien dans le cycle du Roi : le lévrier d’Auberi et les enjeux symboliques du pouvoir dans l’imaginaire carolingien." (In : « Qui tant savoit d’engin et d’art ». Mélanges de philologie médiévale offerts à Gabriel Bianciotto. [Textes réunis et publiés par Claudio Galderisi et Jean Maurice] Poitiers : Centre d'études supérieures de civilisation médiévale, 2006. pp. 549-561. (Civilisation Médiévale, 16)) qui s'appuie sur le symbolisme du lévrier :
[...] L’arrivée de Macaire entraîne vite un combat étrange, qui s’apparente à une exécution : Auberi n’a pas d’armure et sera comme exécuté, malgré sa vaillance. Celle-ci est pourtant évoquée par une comparaison épique « Devers Macario s’en vait cun çengler » : la valeur d’ Auberi est indiscutable, comme l'est la traîtrise de Macaire ; il s'agit d'un assassinat plus que d'un combat.
Une fois tué déloyalement par Macaire, il sera vengé par son chien, un lévrier. Bien sûr, l'animal n'est pas décrit ; mais plus qu'un homme il semble mériter les adjectifs de « heingre, gresle et eschewid » (1) qui étaient attribués à Thierry. Apparaît ainsi comme un réseau d'équivalence fonctionnelle, encore ténu, entre Auberi et son chien, bien sûr, mais aussi entre Auberi et Thierry, et entre Thierry et le lévrier. Une telle situation - trois personnages partagent quelques traits - peut se résumer superficiellement à cette situation d'un combat contre le lignage de Ganelon. Il semble cependant qu'elle soit plus profonde, dans la mesure où le combat de Thierry contre Pinabel est, dans le Roland, annoncé et comme redoublé par les rêves de Charlemagne: contre un léopard, contre un ours, l'empereur voir surgir un chien, un vautre (2) - qui est justement une sorte de lévrier. Il s'agit certes du chien le plus fréquent dans l'aristocratie, mais parce que sa vaillance et sa fidélité sont emblématiques et riches de sens.
Ainsi se met en place un système d'équivalence, où le combat contre « ceux de Mayence » se joue à deux reprises, tantôt sous la forme symbolique d'un combat entre animaux, tantôt comme un authentique combat judiciaire ; dans cette perspective, le chien de Macaire a exactement la même fonction que Thierry dans le Roland ; il répare le préjudice porté au roi, et l'on pourrait même dire, le double préjudice de la mort d'un vassal et de la mise en péril de la continuité de l'empire. [...]
Les situations sont indiscutablement parallèles : Thierry, le chevalier fidèle, est figuré dans le songe du Roland comme un lévrier protecteur de son maître, et réparera le préjudice causé par Ganelon qui a fait tuer Roland de façon déloyale, mettant ainsi en péril l'équilibre du pouvoir. Auberi, le chevalier fidèle assassiné par Macaire et qui cherchait à mettre en sûreté la reine et l'hériter à venir, est vengé par son lévrier.
Ce chien devient ainsi une figure emblématique, liée au pouvoir. [...]
Conformément à cette image véhiculée dans les encyclopédies — et, de façon significative pour notre propos, dans un texte composé en français dans le domaine italien - le chien, serviteur et protecteur de son maître, garant de l’ordre et de la justice, intervient donc à deux reprises au moins dans le cycle du roi.
1) c'est-à-dire malingre, chétif et longiligne (note personnelle).
2) C’est ce qu’indique le TLF : « Du lat. tardif vertragus « espèce de chien lévrier » (mot d’orig. celt.), att. sous la forme veltraga et veltraha, dans les Notes Tironiennes, veltraus dans les lois des Burgundes, veltrus, dans la loi salique (FEW, t. 14, p. 327b). »
Louis-Paul Fischer, Régine Verilhac, Jean-Jacques Ferrandis et al. auteurs de "Les plantes médicinales et symboliques dans les jardins mystiques des retables médiévaux". (In : Histoire des Sciences Médicinales, 2011, vol. 45, pp. 295-301) établissent un lien entre le lévrier et la symbolique chrétienne :
Nous conclurons avec La chasse mystique de 1480, retable de l’atelier de Martin Schongauer de l’église dominicaine de Colmar (musée d’Unterlinden), peinture mystique merveilleuse qui demande une large explication. Ce panneau de bois de 116 x 87 cm est un fragment d’un retable impressionnant de onze mètres sur trois mètres de haut ! La Fleur de pivoine sauvage (Paeonia officinalis) préconisée pour les maladies mentales. Vierge au manteau bleu de la douleur reçoit la visite de l’Archange Gabriel avec l’Annonciation de sa maternité : en même temps elle reçoit sur ses genoux la Licorne, animal mythique guère plus gros qu’un chevreau qui représente le corps du Christ mort sur la croix. À gauche, dans ce jardin clos par un mur rose circulaire à créneaux, l’ange Gabriel tient en laisse quatre lévriers, destinés à la poursuite de la licorne, qui représentent les quatre vertus de miséricorde, justice, paix et vérité (désignées en latin). La chasse à la licorne, animal avec une seule corne frontale torsadée, est la préfiguration mystique de la naissance et de la mort du Rédempteur.
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Luc Menapace, dans « La mandragore, iconographie d’un mythe botanique », (In : Revue de la BNF, vol. 56, no. 1, 2018, pp. 41-49) établit un lien, ténu certes mais peut-être à approfondir, entre le lévrier et la mandragore :
L’iconographie de la racine humaine est reprise pour illustrer des romans dont l’intrigue tourne autour de ce mythe, comme La Mandragore, de Jean Lorrain (1899). On y voit une reine exciter un lévrier noir à tirer sur une corde attachée à un plant de mandragore au pied d’une potence, dont le pendu squelettique contemple la scène d’un air narquois.
Quentin Leroy dans son "Etude de la population française de Petit Lévrier Italien : origine, description, évolution, situation actuelle et état de santé." (Thèse d'exercice, Médecine vétérinaire, Ecole Nationale Vétérinaire de Toulouse – ENVT, 2018, 135 p.) mentionne le symbolisme du Lévrier italien :
Au cours du Moyen-Age, le Petit Lévrier Italien devient présent dans le sud de l’Europe (principalement l’Espagne et le Portugal). Par la suite, à la fin du Moyen-Age et durant la Renaissance, entre le XIVème et le XVIIème siècle, la race gagna ses lettres de noblesse, popularisée par les familles nobles italiennes. Elle s’étendit dans toutes les cours d’Europe et prit le nom de Piccolo Levriero Italiano (Petit Lévrier Italien) de par son origine. Du fait de sa situation, il devint vite un symbole d’aristocratie, de grâce et de beauté et servit d’inspiration à de très nombreuses œuvres de la renaissance.
Amélie Rigolet, dans « La rose comme gage vassalique : l’exemple des Briouze, seigneurs du Gower » (In : Cahiers de civilisation médiévale, vol. 249, no. 1, 2020, pp. 3-18) précise la valence élitiste du symbolisme du lévrier :
[...] La récurrence de la figure du cercle se retrouve dans les versements en nature particuliers que Jean Iweyn remet à son seigneur Guillaume VII de Briouze pour des terres situées dans la péninsule du Gower. Annuellement, il donne une couronne de roses pour des terres dans le baillage de Swansea ainsi qu’un collier de lévrier pour la possession du village de Loughor. Si la forme de ces objets renvoie à la symbolique de la circularité précédemment évoquée, leur destination est également instructive. Les roses et le collier de lévrier sont les marqueurs de pratiques sociales aristocratiques, les roses ayant une connotation courtoise tandis que le collier de lévrier est une référence explicite au loisir de la chasse, privilège nobiliaire. La dimension élitiste des objets remis, renvoyant aux plaisirs chevaleresques, confirme les interférences symboliques qui enrichissent et dépassent l’expression de la soumission vassalique : vassaux et seigneurs appartiennent à un même groupe social qui partage les mêmes valeurs morales et les mêmes codes culturels.
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Symbolisme celte :
Marie-Luce Chênerie, autrice de « L'anonymat de Lancelot du Lac dans les préludes d'une carrière héroïque. » (In : Littératures, 1984, vol. 11, no 1, pp. 9-17) rappelle le lien entre le lévrier et la chevalerie :
Lancelot se croit lui-même un temps son fils. Mais l'éducation qu'elle lui assure ne fait que confirmer ou développer des goûts, des aptitudes, des vertus nobles ou royales : chasse, équitation, échecs, compagnie de jeunes gens ; élégance et beauté, jolie voix et goût du chant, service et préséances de table ; un enthousiasme pour les grandes choses, une colère prête à se déchaîner contre tout ce qui est lâche, déloyal, mesquin ; surtout une générosité royale, qui ennoblit tous ceux qui en bénéficient, dans la société : un jeune noble démuni, à qui il donne son propre cheval pour qu'il soit à temps dans une affaire d'honneur, un vieux chevalier à qui il abandonne le produit de sa chasse, pour que sa fille puisse être mariée, et cela lui vaut le don de deux lévriers, symboles de fidélité à la personne royale ; enfin il sera équipé comme un prince, par sa protectrice, pour sa carrière de chevalier.
Pierre Vincent dans "Les plaques mortuaires en cuivre." (Fédération des Sociétés d'Histoire et d'Archéologie de l'Aisne, Chauny, 1979, vol. 24, pp. 25-30 précise ce lien à la chevalerie :
[...] le chien, d‘une manière plus appropriée le lévrier, est le symbole de la fidélité à la chevalerie et pour les dames à leur maître et seigneur (ou époux).
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Patrice Lajoye, dans "À la recherche de Lug· deux exemples médiévaux français." (In : Bulletin de la Société de Mythologie Française, 2003, no 211, pp. 9-13) mentionne le lévrier comme motif celtique :
En résumé, Lug est crédité d'un ou deux frères jumeaux, dont il est séparé très tôt, celui-ci (ou ceux-ci) étant jetés ou se jetant à l'eau. Florent est quant à lui crédité d'un frère qui porte presque le même nom (un jumeau?) qui disparaît très tôt de sa vie, mort noyé. Fierabras étant assimilé à saint Florent, peut-on alors dire que le géant est lui aussi une survivance de Lug dans la chanson de geste ? Fierabras n'est qu'un sumom. J'avais il y a quelque temps émis l'hypothèse d'une équivalence avec Caradawc Vriechvras, devenu en français Caradoc Briebras, terme que l'on peut traduire en« au gros bras» et non en« au court bras» comme cela a pu être fait. Caradoc lui même, tel qu'il est décrit dans la Première continuation du roman du Graal, autrement nommée Continuation Gauvain 9 , a des aspect qui rappellent bien souvent Lug. Ainsi son père officieux (l'officiel et cocu étant le roi Caradoc de Vannes), Eliavrès, est un magicien, comme Gwydion. Sa mère est enfermée dans une tour 10 , comme Eithne. Pour compenser sa faute, Eliavres est condamné à s' accoupler à une levrette, une truie et une jument, qui donneront le jour à un chien, Guinaloc (sans doute équivalent de saint Guinefort, le saint lévrier), un sanglier, Torten ou Tortain (le Twrch Truith gallois, roi des sangliers) et un cheval, Levagort (le Lluagor gallois, cheval de Caradawc). De son côté, Gwyddion, père de Lleu (parenté non indiquée explicitement par les Mabinogi, mais qui est rapportée par d' autres textes) est condamné pour une faute antérieure, à s'accoupler avec son frère, tous deux étant transformés en cerf et biche, sanglier et truie, loup et louve ; ces trois accouplements étant à l'origine d'un cerf, d'un sanglier et d'un loup.
David Hopkin, Yann Lagadec et Stéphane Perréon nous rappellent dans un article intitulé "La bataille de Saint-Cast (1758) et sa mémoire : une mythologie bretonne.' (Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest. Anjou. Maine. Poitou-Charente. Touraine, 2007, no 114-4, p. 195-215.) l'assimilation du lévrier à la Bretagne :
Historien réputé, Arthur de La Borderie, directeur de la revue, ne pouvait manquer de prendre part au débat. Dans une chronique publiée une première fois dans le très conservateur Journal de Rennes le 16 août 1858, il se lançait dans une longue protestation contre « ce prétendu symbole national » proposé aux Bretons en ce lévrier rappelant « un acte de félonie exécuté au profit d’un prince vendu aux Anglais » : celui du lévrier de Charles de Blois à Auray en 1364 (1). Surtout, cette tribune était pour lui l’occasion de rappeler qu’en 1758, le duché de Bretagne « était uni à la Monarchie, il n’était pas absorbé ».
De nature très indirectement esthétique, ce débat, on le voit, en suggérait d’autres, bien plus généraux, notamment sur la nature des rapports entre la France et la Bretagne, entre Paris et l’ancienne province.
1) La Borderie, Arthur de, « Le Chien de Saint-Cast et ses défenseurs », Revue de Bretagne et de Vendée, 1858, p. 270. Sans doute n’est-il guère utile de revenir ici sur le fond de ce débat. Notons simplement que des lévriers ont, de manière récurrente, pu être utilisés pour représenter la Bretagne avant 1858.
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Dans "Les deux bœufs du déluge et la submersion de la ville d’Is." (In : Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest. Anjou. Maine. Poitou-Charente. Touraine, 2008, no 115-1, pp. 15-53) Claude Sterckx retrace rapidement la légende de Taliesin dans laquelle apparaît la femelle du lévrier :
[...] il s’agit de la fameuse légende de Taliesin, dont la meilleure version semble être offerte par Llywelyn Siôn, à la fin du seizième siècle.
La magicienne Cyrridwenn, épouse de Tegid Moel, a accouché de la plus belle fillette de Grande-Bretagne, Crairfyw, et du garçonnet le plus laid du monde, Morfrân « Grand Corbeau ». Celui-là est si repoussant qu’elle estime nécessaire de racheter sa laideur en lui assurant l’inspiration poétique et la connaissance suprême.
Grâce à sa magie, elle prépare alors un bouillon merveilleux : à condition de ne pas interrompre son ébullition pendant un an et un jour, il fournira la quintessence du savoir absolu. Et pour assurer le respect de la condition, elle charge un aveugle, Dallmor Dallmaen, d’entretenir le feu sous le chaudron et un page, Gwion Bach, de remuer régulièrement le bouillon.
Mais elle leur abandonne tout le souci et, en son absence, voilà finalement que trois gouttes brûlantes jaillissent du bouillon et viennent éclabousser le pouce de Gwion : en un réflexe naturel, il le porte aussitôt à sa bouche pour en sucer la douleur… et il obtient pour lui la science absolue car ce sont précisément ces trois gouttes-là qui l’ont concentrée !
Sa première révélation est heureusement celle du sort que Cyrridwen lui réservera si elle le prend, et il s’enfuit à toutes jambes. Quant au chaudron, il explose car, hormis les trois gouttes merveilleuses, le reste du bouillon constitue un poison si violent qu’il n’y peut résister.
Arrivant alors pour recueillir le fruit de sa préparation, Cyrridwen enrage d’en être flouée et sa lance à la poursuite du page. Quand il la voit derrière lui, celui-ci se transforme en lièvre : Cyrridwen se change en lice (1) et lui donne la chasse ; arrivant près d’une rivière, Gwion y plonge et se transforme en poisson : Cyrridwen le presse sous la forme d’une loutre ; Gwion se transforme en oiseau et s’envole : Cyrridwen se change en faucon et le traque dans les airs ; serré de près et épuisé, Gwion aperçoit un tas de froment battu sur une aire et il s’y dissimule sous la forme d’un grain de blé : Cyrridwen se métamorphose en poule noire, le picore et l’avale.
Revenue à la forme humaine, Cyrridwen se trouve alors enceinte du petit Gwion. Après neuf mois de gestation, elle le (re)met au monde sous les traits d’un enfantelet si joli qu’elle n’a pas le cœur de le tuer : elle l’enferme dans un sac en cuir qu’elle jette à la mer…
Le nouveau-né est sauvé deux jours plus tard. En ce temps-là en effet, un prince gallois, Gwyddno Garanhir, aviat un fils, Elffin, qui était le garçon le plus malchanceux qui fût. Gwyddno possédait aussi une senne merveilleuse qui lui rapportait cent livres de poissons d’un seul coup à chaque calende de mai. Dans l’espoir de porter enfin chance à son fils, il lui confie la senne cette année-là… et Elffin n’en retire pour sa part que le sac en cuir contenant le bébé de Cyrridwen. Quand il l’ouvre, la fraîcheur du bambin le fait s’écrier « le beau front [= visage] que voilà ! », ce qui assure à l’enfançon le nom de Taliesin « Beau Front ».
Ici s’arrête le texte de Llywelyn Siôn. La suite de l’histoire se trouve dans une version plus ancienne mais moins précise : l’Ystoria Taliesin d’Ellis Gruffydd.
Elle conte comment désormais la chance sourit sans discontinuer à Elffin et prête à Taliesin un long poème dans lequel il révèle qu’il est né au commencement des temps, a transcendé tous les âges et subsistera jusqu’à la fin des temps.
1) Lice : femelle d'un chien de chasse. De nombreuses traductions donne directement "levrette" étant donné la primauté donné à ce chien par les Celtes. (note personnelle)
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Mythologie :
Patrick J. Geary nous propose un compte-rendu de l'ouvrage de "Jean-Claude Schmitt, Le saint lévrier : Guinefort, guérisseur d'enfants depuis le XIIIe siècle". (In : Annales. Economies, sociétés, civilisations. 36ᵉ année, N. 2, 1981. pp. 236-237) qui nous permet de découvrir un culte pour le moins surprenant :
[...) Dans les Dombes une légende indo-européenne - dont Occident médiéval connaît douze versions -, un ensemble de rites rencontrés très couramment pour identifier des changelins et une dévotion à un saint vénéré dans une région qui s'étend du Pô à la Saône et jusqu'à la Haute-Loire, se sont combinés pour expliquer, d'un point de vue populaire, la ruine d'un château et pour répondre au problème des enfants atteints de maladies chroniques. L'unification du rite et de la légende est claire : selon la légende, un chien, en l'absence de son maître, sauve d'un serpent le fils du maître, mais il est tué par le père qui, à son retour prend le sang du serpent sur le chien pour celui de l'enfant. Dans le rite, le même chien continue de sauver des démons les enfants humains. Ainsi la légende se perpétue en se réactualisant dans le rituel, et les éléments de l'une et de l'autre sont identiques :
Légende Rite
lévrier (saint) lévrier (saint)
serpent (diable ?) loup (diable)
enfant enfant
parents et nourrice mère et vieille femme
[...]
De même que le rite et la légende présentent des éléments structurels communs qui favorisent leur combinaison, l'auteur explique que le culte de saint Guinefort, vénéré en Italie et en France, comme celui qui décide pour la vie ou pour la mort est bien compatible avec une série d'actions qui avaient pour but de laisser un enfant malingre, ou bien mourir (dans ce cas ce était pas un enfant humain mais un changelin) ou bien survivre, l'enfant humain était alors restitué sa mère.
Jacques Dubois, auteur de "(Saint Guinefort Vénéré des Dombes. Comment un martyr inconnu fut substitué à un chien-martyr". In : Journal des savants, 1980, n° pp. 141-155) étudie l'impact des moines clunisiens dans cette substitution :
Au milieu du xine siècle, le dominicain Etienne de Bourbon (f 1261) prêcha contre les sortilèges dans le diocèse de Lyon. Il fut écouté. Des femmes vinrent se confesser et lui avouèrent qu'elles avaient porté leurs enfants à saint Guinefort. Le prédicateur croyait qu'il s'agissait d'un saint quelconque, il eut la surprise d'apprendre qu'il s'agissait d'un chien lévrier.
Plus tard, Etienne de Bourbon composa à l'usage des prédicateurs un recueil x dans lequel il raconta cet épisode. Il suffira ici de le résumer : au diocèse de Lyon près du village des moniales nommé Neuville, sur la terre du sire de Villars, il y avait un château où demeurait un seigneur avec sa femme et leur bébé. Un jour, le bébé resta seul sous la garde du chien. Survint un serpent qui se dirigea vers l'enfant. Le chien se jeta sur lui et, après une rude bataille, le tua. Dans la bagarre, le berceau fut renversé. La nourrice survint et, ne voyant pas l'enfant, crut que le chien l'avait dévoré. La mère eut la même réaction. Le père tua le chien. On retrouva alors l'enfant, sain et sauf. Le cadavre du chien fut jeté dans un puits et recouvert de pierres. Les paysans, apprenant que ce chien avait été tué alors qu'il aurait dû être récompensé, l'honorèrent comme un martyr et pensèrent que celui qui avait protégé l'enfant confié à sa garde, saurait secourir les leurs.
Etienne de Bourbon décrit les rites superstitieux appliqués sur les conseils d'une vieille femme : on passait neuf fois entre deux arbres l'enfant nu, puis on le posait par terre entre deux chandelles allumées et on le laissait seul tant qu'elles n'étaient pas consumées, enfin on le plongeait neuf fois dans la rivière de la Chalaronne. Tant pour des motifs spirituels que par simple bon sens, Etienne de Bourbon considéra toutes ces pratiques comme superstitieuses et néfastes, si dangereuses pour les malheureux bébés que certains y avaient perdu la vie. Il fit exhumer et brûler les os du chien, puis couper le bois voisin.
Malgré cette solution radicale, le pèlerinage à saint Guinefort se maintint. [...]
Le chien martyr. — Quand Etienne de Bourbon est venu en Dombes, il a constaté les rites superstitieux qui s'adressaient à saint Guinefort, un saint quelconque comme il y en avait tant. C'est seulement à la fin, ad ultimum, qu'il a appris qu'on vénérait un chien. Sa surprise montre que le cas devait être rare. Il est pourtant certain que les prières s'adressaient à un chien assassiné. Qu'il y ait de nombreux parallèles dans des pays divers n'y change rien. Ils ne permettent même pas de nier la réalité de cette histoire qui est tout à fait vraisemblable, non seulement dans son déroulement, mais même dans sa conséquence, le culte rendu au chien.
[...]
Le « saint lévrier » permet de donner des éléments de réponse concrets et donc très intéressants. Faut-il voir dans la dévotion à ce « chien martyr » une survivance du paganisme ou une déformation du christianisme ? Ses dévots s'adressaient à lui comme à un martyr, puisque Etienne de Bourbon a cru qu'il s'agissait d'un saint. Il ne s'agit donc pas de la survivance d'un dieu ayant l'apparence d'un animal, mais d'un anthropomorphisme qui prête à un animal des qualités humaines. Le chien martyr était considéré comme un intermédiaire entre les hommes et Dieu, il ne prenait pas sa place.
Mais pour obtenir ce qu'ils demandaient par son intercession, ses dévots recouraient à des rites superstitieux et magiques, auxquels ils prêtaient une efficacité allant jusqu'à contraindre la volonté de Dieu. Et cette déformation toujours répandue était inadmissible. Clercs et moines devaient réagir. Ils ont réussi à remplacer le chien par un martyr, mais non à extirper les pratiques superstitieuses : la dévotion populaire est moins attachée à son objet qu'aux résultats qu'elle en attend.
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Contes et légendes :
Jean-Jacques Barloy, dans un article intitulé "Rumeurs sur des animaux mystérieux." (In : Communications, 52, 1990. Rumeurs et légendes contemporaines. pp. 197-218) rapporte une anecdote énigmatique :
En juillet 1945, c'est au large de la Loire- Atlantique que M. André Duffay assiste à une étonnante apparition. Selon la lettre qu'il m'a adressée, il péchait à environ 1 500 mètres au large de La Turballe lorsqu'il entendit derrière lui un « plouf retentissant ». Mais laissons-lui la parole : « Je vis une tête émerger des vagues : cela ressemblait à une tête de lévrier ; les yeux avaient le diamètre de ceux d'un cheval, le cou m'a semblé faire environ de 25 à 30 centimètres de diamètre ; il sortit d'environ 50 centimètres au-dessus des vagues. »
La peau de l'animal est lisse, ou recouverte de minuscules écailles : elle est de couleur vase. L'animal, la tête toujours émergée, s'éloigna vers l'ouest.
D'autres témoignages se situent en Charente-Maritime, en Camargue, en Corse, etc.
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Littérature :
Andrea Gandolfo, auteur d'un roman policier intitulé Le Plagiat, (Édition originale, 1992, Éditions Métailié, 1993 pour la traduction française) évoque la course des lévriers :
Plus tard, dans l’après-midi, un orage éclata et pendant que Spartaco m’expliquait comment, à son avis, les concurrents d’Albi procédaient pour obtenir des clés d’appartements, de malheureux lévriers glissaient sous nos yeux dans la boue du cynodrome, leur museau pointant dans la pluie, leurs pattes tricotant éperdument tandis que les clameurs montaient. Ce que Spartaco disait avait une importance vitale pour moi, mais j’avais du mal à me concentrer sur ses explications. J’étais fasciné par le contraste entre les longs chiens au profil si noble, aux flancs émouvants, aux pattes de gazelles, et le stupide jouet de plastique qui filait en sifflant le long d’un câble. Dans les rafales de pluie, ils fonçaient, patinaient, tiraient sur leurs muscles comme sur des cordages, déployaient leur science de la vitesse, sans rattraper jamais le leurre fuyant, jusqu’au moment où la chose s’immobilisant, elle se livrait d’un coup à eux tous, dans sa prosaïque et crasseuse réalité.
Selon Carole Baughion, autrice de "L'écriture introspective de Charles d'Orléans ou la recherche d'une nouvelle poétique de l'image « En la forest de Longue Actente ». (In : Dalhousie French Studies, 2018, pp. 17-33) :
Symbole de loyauté et de fidélité, le lévrier est chez Dante l’animal vertueux et sage qui tuera la Bête dans le Chant 1 de l’Enfer.
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