ou de Merlin, peut-être ?
Étymologie :
MERLE, subst. masc.
Ca 1165 (Benoît de Sainte-Maure, Troie, éd. L. Constans, 2187 [genre indéterminé]) ; fin xiiie s. masc. (G. de Bibbesworth, Traité, 711 ds T.-L.), surtout fém. jusqu'au xvie s., genre conservé dans certains parlers (v. FEW t. 6, 2, pp. 35-36) ; début xviiie s. vilain merle « homme très désagréable » (Dancourt, Eaux de Bourbon, sc. 21 dans Littré).
Du lat. merŭla «merle noir» (cf. roum. mierlă, ital. merla, cat. merla, esp. mierlă ), à côté duquel existe aussi une forme masc. merulus, rare et tardive, v. André Oiseaux. Fréq. abs. littér. : 388. Fréq. rel. littér. : xixe s.: a) 219, b) 849 ; xxe s.: a) 657, b) 612.
Voir aussi la définition du nom pour quelques pistes concernant la symbolique.
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Croyances populaires :
Adolphe de Chesnel, auteur d'un Dictionnaire des superstitions, erreurs, préjugés, et traditions populaires... (J.-P. Migne Éditeur, 1856) propose la notice suivante :
MERLE. Dans les préjugés et les croyances superstitieuses du moyen âge, cet oiseau jouissait d'un grand nombre de vertus. Ainsi, en suspendant les plumes de son aile droite à un fil rouge, on ne pouvait dormir dans la maison où ce maléfice avait été disposé, son cœur, placé sous la tête d'une personne endormie, lui faisait dire, lorsqu'on l'interrogeait, tout ce qu'elle avait fait pendant la journée. Enfin, le diable se montrait aussi quelquefois sous la figure d'un merle. Jadis, dans la conversation, on citait un merle blanc comme exemple d'une chose impossible ; or on trouve des merles blancs dans l'Amérique du Nord et les régions boréales.
Symbolisme :
Pour Hildegarde de Bingen, dans Physica, Le Livre des subtilités des créatures divines (XIIe siècle ; trad. P. Monat, 2011) :
"Le merle est froid ; sa nourriture est immonde et nocive ; il ne vaut rien à manger, ni pour les malades, ni pour les bien-portants, et il n'y a en lui aucun remède."
Selon Ted Andrews, auteur de Le Langage secret des animaux, Pouvoirs magiques et spirituels des créatures des plus petites aux plus grandes (Édition originale, 1993 ; traduction française, Éditions Dervy, 2017), le Merle noir a les caractéristiques suivantes :
Points clés : Compréhension des énergies de Mère Nature.
Cycle de puissance : Été.
Le merle noir a de longue date été lié aux présages et au mysticisme. Rien que sa couleur évoquait tant la peur que la promesse. A dire vrai, si l'on parle de merle noir pour la variété la plus connue (en anglais, blackbird, littéralement « oiseau noir »), seul le mâle est de cette couleur. Généralement, les femelles ont un plumage brun strié.
Au demeurant, tous les oiseaux que l'on nomme blackbirds en anglais ne sont pas noirs, ou pas intégralement noirs. Par exemple, une variété (carouge à tête jaune) a une tête et une gorge jaunes, une couleur qui ressort particulièrement sur le plumage noir. La coloration jaune et noir a depuis longtemps été associée à l'archange Uriel. Celui-ci est considéré comme le plus grand des anges (en taille), avec des yeux capables de voir par-delà l'éternité. Cet être a l'œil sur l'intégralité de la Nature et tous les esprits de celle-ci. Uriel est traditionnellement lié à la saison de l'été.
Une autre variante du merle est la carouge à épaulettes (en anglais red-winged blackbird, littéralement « merle/oiseau noir à ailes rouges »). Cet oiseau a une grosse tache rouge sur les ailes, soulignée d'un trait jaune. Ces couleurs le relient au niveau (sephiroth) de l'arbre de vie kabbalistique appelé Binah. C'est le niveau associé à la mère noire ou nombre et aux énergies féminines primordiales. Cet oiseau a des liens avec toutes les forces créatrices de la Nature.
Sur l'arbre de vie, le noir est justement la couleur de Binah et le rouge celle de Guebourah (le type d'énergie Mars). Le jaune ou l'ambre est la couleur du chemin qui relie les deux et c'est le chemin du Cancer, le signe de la « mère » dans le zodiaque. La carouge à épaulettes est donc un totem associé aux énergies stellaires du Cancer.
La carouge à épaulettes mâle perd son lustre au cours de l'hiver. Cela montre bien à quel point l'été est pour lui, et donc pour ceux qui l'ont pour totem, le temps de al brillance et de la vitalité; Ce la indique aussi qu'i est nécessaire de profiter de l'hiver pour retourner dans al grande matrice de la vie afin de pouvoir produire une nouvelle énergie et des manifestations de cette énergie au cours de l'été suivant.
Les merles font leurs nids dans les marais, les marécages et les taillis - généralement à quelque spas de l'eau. Cela traduit encore une fois un lien avec cette dernière qui est un symbole séculaire de la force féminine et de la Nature. Ils se servent souvent de joncs de quenouilles comme de perchoir. Une étude des qualités et caractéristiques végétales de la quenouille fournira d'autre perspectives.
Les merles sont connus pour leur capacité à surveiller et à défendre avec acharnement leur territoire, et ils se chargent souvent de chasser toutes les autres espèces du voisinage. De ce fait, la vue de deux merles assis ensemble est fréquemment considérée comme un bon présage. En Europe, les merles ont été associés à saint Kevin de Glendalough, un protecteur des animaux, et une histoire nous raconte comment un merle vint construire un nid dans sa main pour y pondre ses œufs et les couver. De nouveau, du fait de cette association, avoir des merles nichant dans votre environnement est généralement perçu comme un signe auspicieux. Saint Kevin était connu comme une personne d'une gentillesse et d'un amour infinis.
Les Européens avaient coutume de manger des merles en tourte, comme le rappellent certaines comptines enfantines (Voir notamment Sing a Song of Sixpence, dont on trouve l'écho dans La Nuit des rois de Shakespeare, et où il est question de « vingt-quatre merles cuits dans une tourte » (Four and twenty blackbirds baked in a pie). Mais, en réalité, la plupart du temps, des merles vivants étaient cachés dans des croûtes de tourte vides pour amuser la galerie lors de fêtes populaires. Si le merle entre dans votre vie en qualité de totem, préparez-vous à des surprises et à une nouvelle compréhension des forces de la nature qui vont se mettre à migrer dans votre existence.
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Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :
Le diable a parfois emprunté la forme de cet oiseau commun sous nos latitudes, dont les propriétés peuvent être utilisées en sorcellerie. L'envoûtement par le merle s'effectue en frottant les tempes de sa victime avec un mélange de cet oiseau e de sang de huppe. Le plumes de son aile droite, pendues avec un fil rouge dans une maison inhabitée, empêchent les nouveaux arrivants de dormir. Son cœur placé sous la tête d'une personne endormie est, parait-il, un puissant sérum de vérité la contraignant à raconter ses faits et gestes de la journée. S'il s'agit de faire avouer à sa femme ses infidélités, il faut lui placer, la nuit, sur son sein gauche, l'aile gauche de l'oiseau (Cher). Manger la tête ou les pieds du merle rend courageux ; sachez aussi que son cerveau mélangé à du foie de pigeon absorbé par quelqu'un, d'après une vieille recette du XVIIe siècle, le fait tomber amoureux de vous.
Voir un merle traverser le chemin devant soi porte bonheur et si la personne qui le rencontre le matin est à jeun, elle "chantera bien toute l'année" (Creuse). Dans la Mayenne, celui qui entend le chant de l'oiseau de bon matin va recevoir une bonne nouvelle ; au Pays basque, ses cris font retrouver la vue à un aveugle. Selon la tradition anglo-saxonne, le merle qui construit son nid dans un jardin annonce des fiançailles dans la famille et s'il est le premier oiseau que rencontre une jeune fille le jour de la Saint-Valentin (14 février), il lui annonce qu'elle épousera un homme d’Église ou un pasteur. Par ailleurs, au pays de Galles, un couple de merles présage la mort d'un proche, et en Suisse, les merles blancs qui s'approchent des maisons annoncent la guerre.
Si les merles font leur nid assez haut ou s'il chantent, la pluie est à craindre pendant l'été. Paradoxalement, un dicton belge signale qu'un merle chantant en haut des arbres annonce le beau temps. L'été sera sec et chaud si les nids de merle se trouvent au bas des arbres. Enfin, le froid est à redouter si le merle "court en criant le long des haies".
D'après une légende de l'Ain, le merle était originellement de couleur blanche mais son imprudence et sa cupidité transformèrent son plumage. Apprenant d'une pie qu'une sorte de prince, possesseur dans les entrailles de la terre d'un trésor fabuleux, était tout disposé à lui céder de l'or et des diamants, à la condition qu'il ne touchât pas à certaines richesses dûment signalées, le merle se dépêcha de transgresser l'interdit. Comme il avait plongé son bec dans de la poudre d'or, un démon le couvrit de feu et de fumée. Le merle parvint à fuir mais depuis son plumage est noir et son bec est de la couleur de l'or dont il voulut s'emparer.
En Roumanie (où le nom de l'oiseau est du genre féminin), on dit que le merle est la métamorphose de la fille d'un empereur, désespérée par la mort prématurée de son mari : "Ne pouvant plus se consoler de la perte de son mari, elle pria Dieu de la transformer en oiseau, et Dieu la changea en merle, au plumage noir, en signe de deuil. Depuis lors, il vit dans les forêts et se construit le nid, par préférence, dans les cimetières afin d'être plus près de son mari. Il chante les plus beaux airs dans l'espoir de faire ressusciter son mari bien-aimé".
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Selon Didier Colin, auteur du Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes ( (Hachette Livre, 2000) :
"Le merle noir est un oiseau familier. En effet, présent dans toute l'Europe et en Extrême-Orient, il vit aussi bien dans les campagnes, les bois et les forêts, que dans les villes. Il semble ainsi qu'il soit pourvu d'un grand pouvoir d'adaptation et d'une moins grande fragilité que beaucoup d'autres oiseaux. Toutefois, les merles des bois ou des forêts sont beaucoup plus craintifs que ceux que l'on trouve dans les villes. Ainsi, les premiers bâtissent leur nid en haut des arbres, tandis que les seconds font les leurs un peu partout, au petit bonheur la chance. le couple de merles produit 2 ou 3 nichées de 4 à 5 œufs, au printemps.
Si c'est souvent à l'hirondelle que l'on associe le printemps, à cause du proverbe bien connu "une hirondelle ne fait pas le printemps" - cité pour la première fois par P. J. Le Roux dans son Dictionnaire comique, en 1718 - à tout seigneur tout honneur, rendons au merle ce qui lui appartient. Car c'est lui qui, le plus souvent, est le premier à annoncer le printemps de son chant mélodieux aux notes flûtées, regroupées en phrases très brèves et parfois répétitives. Et si le merle noir est courant, le merle blanc, quant à lui, est beaucoup plus rare. Il symbolise ainsi quelque chose de tout à fait exceptionnel."
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Symbolisme celte :
Dans L'Oracle des Druides (1994, traduction française 2006) de Philip et Stephanie Carr-Gomm, les mots clefs associés au merle (Druid Dhubh en gaélique) sont :
"Enchantement, Seuil, Appel intérieur".
La carte représente un merle posé sur une branche de sorbier des oiseleurs. C'est l'heure du crépuscule, et les premières étoiles apparaissent dans le ciel. Dans le fond, nous apercevons l'entrée d'une grotte enchantée. Le merle est l'oiseau du seul et de la forge.
Le merle siffle depuis le seuil entre deux mondes pour nous engager à suivre un chemin spirituel. Il nous appelle au crépuscule pour nous entraîner vers les secrets d'une autre réalité, nous indiquant les voies à suivre pour en apprendre davantage sur les potentiels et les motivations cachés en nous. Il est dans la vie des moments où il est important de nous concentrer sur le monde extérieur et les responsabilités qu'il nous faut assumer. Il est aussi des périodes où nous devons répondre à l'appel lancinant de notre âme. C'est alors qu'il nous faut étudier les vérités spirituelles et explorer notre monde intérieur, empruntant la voie des rêves et des mythes. En écoutant la chanson du merle, vous découvrirez l'apaisement, et la profondeur insoupçonnée de votre âme.
Renversée, la carte nous rappelle que le merle, oiseau du forgeron, chante pour nous inviter à travailler dans la forge de notre propre cœur où nous devons créer une vie remplie de passion et de détermination. Les quatre éléments sont utilisés dans le travail du métal et nous devons, pour mener une vie saine et équilibrée, travailler à développer et à intégrer notre esprit, notre cœur, nos instincts et nos intuitions. Rester sur le seuil séparant deux mondes sans le franchir dans un sens ou dans l'autre n'est que l'expression d'un refus d'assumer notre pouvoir et nos responsabilités.
Le Merle dans la Tradition
Jour de mai, saison douce, parfait moment de l'an,
le merle chante son poème au frêle rayon du premier soleil
Poème irlandais du IXè siècle
L'un des noms gaéliques du merle, Druid Dhubh, signifie le druide noir. Le merle est un oiseau dont le chant mélodieux s'élève au crépuscule et même plus tard. La tombée du jour représente la transition entre une réalité et la suivante et, dans la tradition druidique, ces moments de transition ont une signification très importante. Le chant du merle nous parvient au moment où tout change autour de nous. Il est là pour nous rappeler la grande beauté et le potentiel de ces moments du seuil.
Si nous savons suivre l'appel du merle, il nous conduira vers un endroit profond et enchanté où nous pourrons découvrir des secrets sur nous-mêmes et le monde. Un vieux conte français raconte comment le merle devint noir et pourquoi il a le bec doré. Sur les conseils d'une pie, un oiseau blanc était entré dans une grotte magique pour y chercher le trésor inestimable du Prince des richesses. Atteignant une seconde grotte intérieure, l'oiseau y découvre un tas de poudre d'or. Plongeant son bec dans la poudre, il est surpris par le démon gardien du trésor qui, crachant flammes et fumée, se précipite sur lui. Réussissant à s'envoler de la grotte pour échapper aux griffes du démon, l'oiseau blanc s'aperçoit qu'il est devenu noir et que son bec est resté d'un lumineux jaune d'or.
Les oiseaux du Temps du Rêve
Les merles, créatures vivant en partie dans l'au-delà, sont les oiseaux de Rhiannon. Dans le vieux conte écossais Branwen, fille de Llyr, ce sont eux, qui, en sifflant, veillent sur le héros, Bran - l'aimé des dieux - et ses sept compagnons, condamnés par le sort à vivre soixante-douze ans durant sans vieillir ni prendre conscience du temps qui s'écoule. Dans un autre conte, Culhwch et Olwen, le géant Yspadadden Pencawr demande au héros Culhwch de capturer les oiseaux de Rhiannon pour le distraire, en les décrivant comme "ceux qui veillent les morts et bercent les vivants." Nous voyons ici défini le rôle du merle, créature qui nous amène au royaume des rêves et s'entretient avec les âmes désincarnées.
Les équivalents irlandais des oiseaux de Rhiannon sont ceux de la déesse Cliodna, qui vivent sur deux îles, dans le monde de l'au-delà. Leur description se rapproche de celle des merles, mais ils sont plus gros, avec des plumes rouges et des têtes vertes, et pondent des œufs cramoisis et bleus. Lorsqu'un être humain mange l'un de leurs œufs, il se couvre immédiatement de plumes que seule l'eau fera disparaître. Ces oiseaux magiques de l'au-delà sifflaient pour endormir les hommes malades ou blessés et les guérir par leur douce musique.
Les merles affectionnent les baies de sorbier, l'un des arbres sacrés de la tradition druidique dont chaque fruit porte un minuscule pentagramme. Celui-ci est un symbole de protection et de puissance qui a une place importante dans le travail druidique et représente entre autres la bonne santé. Friand de ces baies, le merle est donc capable de nous associer grâce à son chant apaisant aux pouvoirs régénérateurs de l'au-delà et de l'inconscient.
Les Animaux les plus Anciens
Le merle est le premier des cinq animaux-totems au cœur de la tradition druidique. Dans Cuhlwch et Olwen, le premier conte à mentionner le roi Arthur, le géant Yspadadden demande au héros de partir à la recherche de Mabon. Se mettant en route avec quelques hommes d'Arthur, Culhwch part chercher conseil auprès des plus anciens des animaux. Ils rendent d'abord visite au merle de Cilgwri qu'ils pensent être le plus vieux du monde. "Nous sommes les messagers du roi Arthur", lui disent-ils, "Nous venons te consulter car tu es le plus ancien des animaux. Que sais-tu de Mabon ?" Le merle répond qu'il est là depuis si longtemps qu'il a eu le temps d'élimer complètement une enclume de forgeron trouvée neuve lors de son arrivée à Cilgwri. Il admet cependant ne pas savoir qui est Mabon, mais propose de conduire Culhwch et ses hommes auprès d'un animal plus ancien qui pourra peut-être les aider. Ils partent donc rendre visite au cerf, à la chouette, à l'aigle et au saumon.
Le merle occupe la place qui lui revient au début de la série des animaux-totems. Depuis le seuil entre deux mondes où il s'est posé, il a pour mission de nous appeler, de bercer de son chant nos esprits rationnels et d'éveiller nos facultés psychiques. Nous allons avec lui rendre visite à des animaux encore plus anciens avant de parvenir au saumon de la sagesse qui vit dans l'étang sacré.
Le merle est l'oiseau du forgeron, comme nous le fait comprendre l'allusion à l'enclume dans le conte de Culhwch et Olwen. En gaélique, Ghobadhu signifie d'ailleurs à la fois forgeron et enclume. L'enclume utilisée par le merle est le rocher sur lequel il ouvre les coquilles d'escargots, et son plumage est aussi noir que le visage d'un forgeron ou le fer de la forge. Dans la tradition irlandaise, le dieu de la forge est Goibhniu, et en Écosse, Goffanon. Brighid, elle aussi, est la déesse des forgerons. Elle veille sur le feu, la métallurgie, et par extension, la poésie, l'inspiration et la médecine. Le forgeron était autrefois un personnage très important puisque c'était lui qui fabriquait les armes, les roues, les chaudrons et les charrues. Exploitant le pouvoir du feu en l'associant à celui de l'air, de l'eau, et au minerai extrait de la terre, il produisait à l'aide des quatre éléments des objets indispensables au bien-être de la tribu. De son côté, le merle représente un forgeron de l'au-delà, maître du feu, dont le chant nous appelle à travailler avec l'air, élément de l'esprit, l'eau, élément du cœur, la terre, lieu de nos instincts, et le feu de notre passion spirituelle, à créer une vie personnelle remplie de beauté et de dignité."
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Sabine Heinz, auteure des Symboles des Celtes (1997, traduction française : Guy Trédaniel Éditeur, 1998) rapporte deux poèmes traditionnels en lien avec le merle :
Int én gaires asin tsail L'oiseau que l'on entendait dans le saule
alainn guidnén as glan gair : chanter d'une voix merveilleusement claire :
rinn binn buide fir duib druin : avec les lèvres jaune tendre d'un garçon fort et noir :
cas cor cuirther, guth ind luin. il chantait avec une superbe sagesse, avec l'humeur d'un merle
Och, a luin, is buide duit Ah merle, tu es satisfait
cait sa muine a ful do net : tant que ton nid est dans les taillis
a dithrebaig nad clind cloc Ermite qu'aucune cloche ne déloge
is bind boc sithamail t'fet. ta mélodie est douce, paisible et tendre.
(Dillon / Murphy)
Au Pays de Galles, le merle compte parmi les animaux les plus anciens. On le cite souvent dans la littérature traditionnelle celtique, mais ses apparitions sont brèves.
Int en bec Le petit oiseau
ro léic fet a envoyé un sifflement
do rind guib de la pointe de son bec
glanbuidi jaune lumineux
fo-ceird faid un merle
os Loch Laig envoie une chanson
lon do chraib par-delà le lac Loch Laig
chrandbuidi d'une branche de la lointaine forêt
(Anonyme, IXe siècle, Irlande)
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Pour John Matthews, dans Animaux Totems celtes, Un voyage chamanique à la rencontre de votre animal allié (2001, Éditions Véga 2015 pour la traduction française),
"Le merle a depuis longtemps été associé avec la magie et la faculté de passer dans l'Autre-Monde. Comme le suggère son nom irlandais (Ion-dubh, Druid-dubh), il était également associé avec les Druides, tandis que d'autres les apparentaient aux oiseaux de Rhiannon. Ces oiseaux, dont le chant avait le pouvoir de plonger dans le sommeil ou de soustraire au temps par enchantement, chantèrent au-dessus de l'île de Gwales, maintenant Bran le Béni et ses sept disciples en suspension temporelle durant soixante-douze ans. Dans cet état, ni ils ne vieillirent, ni ils n'eurent conscience de l'écoulement du temps. Ainsi, le merle est capable de transmettre des secrets appartenant à l'Autre-monde et de transporter en d'autres sphères celui qui l'écoute, au moment du crépuscule par exemple, lorsqu'il chante sa mélodie mystérieuse.
Préceptes du totem :
Éclaireur Le monde entier est à ta portée
Protecteur Tu as le pouvoir de voler loin
Challenger Que se passera-t-il alors ?
Aide Je t'accompagne de mon chant.
Merle = irlandais : Iob-dubh, Druid-dubh : Gallois : aderyn du ; gaélique : Ion-dubh : langue de Cornouailles : molgu dhu."
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Pour Gilles Wurtz, dans Chamanisme celtique, Animaux de pouvoir sauvages et mythiques de nos terres (2014),
Le merle est "le maître de chant. Le merle noir dont nous parlons ici nous est familier par sa manie caractéristique de gratter le sol, les feuilles mortes, pour trouver de quoi se nourrir : il fait toujours beaucoup de bruit. Souvent, quand on ne le voit pas, il peut faire croire, par son remue-ménage, à un gros animal qui se déplace sur le tapis de feuilles mortes ou dans les fourrés.
Le chant du merle a la réputation d'être l'un des plus beaux chants d'oiseaux d'Europe. Il se distingue par sa grande faculté d'improvisation, sa large gamme de mélodies et son vaste répertoire. Grand imitateur, il est capable de reproduire les sons d'autres oiseaux, d'êtres humains, d'autres animaux comme les chats, etc.
Le merle noir est généralement fidèle à vie, la femelle donne souvent naissance à deux couvées et parfois plus en une seule saison de nidification.
Applications chamaniques celtiques de jadis : Pour les Celtes, le merle était le maître de chant, celui qui pouvait les initier au chant et à la musique. Il était sans aucun doute l'animal le plus important pour les bardes : ils entretenaient une relation quotidienne avec l'esprit du merle qui les initiait aux chants, aux poèmes et à la musique et les inspirait. Les chanteurs et musiciens du peuple recherchaient également l'inspiration de l'esprit du merle pour composer des mélodies et des rythmes nouveaux, qui allaient animer les soirées et les fêtes. L'esprit du merle était souvent invoqué pour inspirer les chants et les musiques sacrées qui accompagnaient certains rituels et cérémonies et qui étaient principalement improvisés sur le moment.
Dans les huttes de sudation, précurseurs de nos saunas actuels et qui nous viennent de nos ancêtres celtiques du Nord, l'esprit du merle était invité en début de cérémonie pour accompagner et animer les chants sacrés durant tout le travail dans la hutte. La plupart des chants chamaniques de l'époque étaient des chants improvisés avec le soutien de l'esprit du merle. Les deux techniques de chants les plus répandues, les plus utilisées étaient le chant du Nord (qui doit son nom à son origine) et le chant du flux. Souvent pour entamer une soirée dans un bon état d'esprit, pour favoriser la détente et l'harmonie, les Celtes lançaient le chant du Nord. Celui-ci pouvait durer des heures avant de s'éteindre naturellement, de lui-même.
Dans sa pratique chamanique personnelle, chacun avait ses propres chants de pouvoir qu'il chantait lorsque la situation était propice, et là aussi l'esprit du merle était invoqué pour guider les chants. Certains chamans guérisseurs soignaient uniquement avec le chant ou les sons, et dans ces cas-là aussi, c'est l'esprit du merle qui agissait à travers le guérisseur.
Applications chamaniques celtiques de nos jours : Aujourd'hui encore, un praticien chamanique celtique peut faire appel à l'esprit du merle pour demander l'inspiration de chants sacrés ou de chants de pouvoir personnels. L'esprit du merle demeure aussi un guide incomparable de la pratique collective du chant lors de cérémonies, rituels ou huttes de sudation.
Les chanteurs et compositeurs de nos jours pourraient tout naturellement se faire suivre par l'esprit du merle pour constater la différence avec et sans son aide. Car les possibilités sont multiples, par exemple les chanteurs d'opéra pourraient s'investir de l'esprit du merle avant la représentation et se laisser guider par lui.
Chanter est également salutaire, exprimer sa propre voix par le chant peut participer à son éveil spirituel et à la libération des émotions fortes, difficiles, négatives... grâce au sentiment d'harmonie, de plénitude que procure le chant.
Mot-clef : Le maître de chant."
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Croyances populaires :
Toute personne qui tue un merle, même accidentellement aura une vie pleine de misère.
Si un merle rentre dans votre maison, c’est aussi un signe que quelqu’un va bientôt mourir.
Paul Dufournet recense des "Proverbes, dictons et locutions recueillis à Bassy et à Challonges (Haute-Savoie)". (In : Le Monde alpin et rhodanien. Revue régionale d’ethnologie, n°1/1973. pp. 7-21) :
Merla coquètâ que fâ ton ni intre mâr et avri —
Viendra compère févri qué te farà crévâ su ton ni. (C.)
Merle coquette qui fais ton nid entre mars et avril —
Viendra compère février qui te fera mourir sur ton nid.
Concerne le retour possible et agressif du froid de février, de mars à avril, en relation avec le merle qui fait son nid très tôt au printemps.
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Contes et légendes :
Histoire d'un merle blanc de Musset.
Selon Leçons d'elficologie, Géographie, Histoire, Leçons de choses (2006) de Pierre Dubois, Claudine et Roland Sabatier,
Le merle, en particulier le merle blanc est lié à l'ouverture de l'Autre Monde lors de Beltaine, la fête du Ier mai. "L'entrouverture a lieu au moment du plein épanouissement de l'aubépine... et pour le seul élu de cœur ; le Prince Charmant, en quête de Belles Dormantes à réveiller. La porte végétale aux mailles crochues ne s'écarte que pour lui. Berger solaire, paladin de l'improbable, le merle blanc l'invite à pénétrer le nuptial autel et déposer ses lèvres sur les lèvres rouges de la promise engourdie. Seul ce baiser échangé au bord de l'Autre Monde ramène à la vie la nymphe du printemps et la nature pétrifiée."
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Littérature :
Le Merle
Un oiseau siffle dans les branches Et sautille gai, plein d'espoir, Sur les herbes, de givre blanches, En bottes jaunes, en frac noir.
C'est un merle, chanteur crédule, Ignorant du calendrier, Qui rêve soleil, et module L'hymne d'avril en février.
Pourtant il vente, il pleut à verse ; L'Arve jaunit le Rhône bleu,
Et le salon, tendu de perse, Tient tous ses hôtes près du feu.
Les monts sur l'épaule ont l'hermine, Comme des magistrats siégeant. Leur blanc tribunal examine Un cas d'hiver se prolongeant.
Lustrant son aile qu'il essuie, L'oiseau persiste en sa chanson, Malgré neige, brouillard et pluie, Il croit à la jeune saison.
Il gronde l'aube paresseuse De rester au lit si longtemps Et, gourmandant la fleur frileuse, Met en demeure le printemps.
Il voit le jour derrière l'ombre, Tel un croyant, dans le saint lieu, L'autel désert, sous la nef sombre, Avec sa foi voit toujours Dieu.
A la nature il se confie, Car son instinct pressent la loi. Qui rit de ta philosophie, Beau merle, est moins sage que toi !
Théophile Gautier, "Le Merle" in Émaux et camées, 1852.
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Les Histoires naturelles (1874) de Jules Renard proposent une galerie de portrait d'animaux familiers tous plus étonnants les uns que les autres. Celui du merle n'échappe pas à cette règle :
Merle !
I
Dans mon jardin il y a un vieux noyer presque mort qui fait peur aux petits oiseaux. Seul un oiseau noir habite ses dernières feuilles.
Mais le reste du jardin est plein de jeunes arbres fleuris où nichent des oiseaux gais, vifs et de toutes les couleurs.
Et il semble que ces jeunes arbres se moquent du vieux noyer. À chaque instant, ils lui lancent, comme des paroles taquines, une volée d’oiseaux babillards.
Tour à tour, pierrots, martins, mésanges et pinsons le harcèlent. Ils choquent de l’aile la pointe de ses branches. L’air crépite de leurs cris menus ; puis ils se sauvent, et c’est une autre bande importune qui part des jeunes arbres.
Tant qu’elle peut, elle nargue, piaille, siffle et s’égosille.
Ainsi de l’aube au crépuscule, comme des mots railleurs, pinsons, mésanges, martins et pierrots s’échappent des jeunes arbres vers le vieux noyer.
Mais parfois il s’impatiente, il remue ses dernières feuilles, lâche son oiseau noir et répond :
Merle !
II
LE GEAI : Toujours en noir, vilain merle !
LE MERLE : Monsieur le sous-préfet, je n’ai que ça à me mettre.
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Treize façons de regarder un merle
I VIII
Dans vingt montagnes sous la neige Je sais des tons nobles
La seule chose en mouvement Des rythmes clairs et inévitables,
Était l’œil du merle. Mais je sais aussi
Que le merle est impliqué
II Dans ce que je sais.
J'étais de trois avis,
Comme un arbre, IX
Dans lequel il y a trois merles. Quand le merle s'est élancé hors de ma vue,
Il a marqué le bord
III De l'un des innombrables cercles.
Le merle tournoyait dans les vents de l'automne.
C’était une toute petite partie de la pantomime. X
A la vue des merles
IV Volant dans la lumière verte
Un homme plus une femme Même les maquerelles de l'euphonie
Font un. Pousseraient des cris perçants.
Un homme plus une femme plus un merle
Font un. XI
V Il traversait le Connecticut
Je ne sais que préférer, Dans un carrosse de verre.
La beauté des inflexions, Une fois, la peur le transperça,
La beauté des allusions, Car il avait pris
Le merle sifflant L'ombre de son équipage
Ou bien juste après. Pour des merles.
VI XII
Des chandelles de glace emplissaient la longue fenêtre La rivière bouge.
D'une verrerie barbare Le merle doit voler.
L'ombre d'un merle la traversa de son va-et-vient.
L'humeur XIII
Traçait dans l'ombre Ce fut le soir tout l'après-midi.
Un motif indéchiffrable. Il neigeait,
Il allait neiger.
VII Le merle restait posé
Ô minces hommes de Haddam, Dans les branches du cèdre.
Pourquoi rêvez-vous d'oiseaux d'or ?
Ne voyez-vous pas comment
Le merle se promène autour
Des pieds de vos femmes alentour ?
Wallace Stevens, "Treize façons de regarder un merle" in Description sans domicile,
traduit et préfacé par Bernard Noël , Éditions Unes, 1989
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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque à plusieurs reprises le Merle :
26 novembre
(La Bastide)
Charbon qui sautille
A la poursuite de son bec jaune
Merle noir
[...] 14 décembre
(Paris, XVIe)
Le merle noir a sauté dans l'unique arbuste effeuillé de la cour. Il est né de l'extrême condensation du gris des nuages.
Un pigeon unijambiste s'est accroché à la poitrine un placard de médailles militaires.
[...] 3 janvier
(La Bastide)
Ce matin, j'ai trouvé quatre cadavres dans le domaine : un merle à côté d'un bidon, un hérisson dans un buisson, un rouge-gorge sur le goudron, un rat sous les citrons. J'ai l'air de plaisanter, mais j'écris la vérité pure.
Le merle avait la queue raide, la cage thoracique ouverte, les ailes en croix : son bec jaune achevait le totem.
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Dans L'Homme aux cercles bleus (Éditions Viviane Hamy, 1996), Fred Vargas nous présente le commissaire Adamsberg qui deviendra un personnage récurrent de ses romans ultérieurs. A la fin du roman, tandis qu'Adamsberg explique la manière dont s'y est pris le meurtrier ainsi que son mobile, un de ses subalternes, Castreau, est complètement absorbé dans la contemplation d'une merlette :
"Danglard fronçait les sourcils. trop de choses restaient obscures.
Il rejoignit le commissaire qui mâchonnait en silence un bout de pain avec Castreau, toujours assis sur le bord du sentier. De la main, Castreau essayait d'attirer une merlette avec quelques miettes.
- Pourquoi, dit Castreau, mais pourquoi les femelles des oiseaux sont-elles toujours plus ternes que les mâles ? Les femelles, c'est marron, c'est beige, c'est n'importe quoi. On dirait qu'elles s'en foutent. Mais leurs mâles, c'est rouge, c'est vert, c'est doré. mais pourquoi, bon Dieu ? C'est le monde à l'envers.
- On raconte, dit Adamsberg, que les mâles ont besoin de tout ça pour plaire. Il faut sans cesse qu'ils inventent des trucs, les mâles. Je ne sais pas si vous avez remarqué ça, Castreau. sans cesse des trucs. Quelle fatigue !
La merlette s'envola.
- La merlette, dit Delille, elle a assez de boulot à inventer ses œufs et à les faire pousser, non ?
- Comme moi, dit Danglard. Je dois être une merlette. Mes œufs me donnent plain de soucis. Surtout le dernier qu'on a mis dans mon nid, le petit coucou.
- Pas si vite, dit Castreau. tu ne t'habilles pas en beige et marron.
- Et puis merde, répondit Danglard. Les banalités zoo-anthropologiques, ça ne va pas chercher très loin. Ce n'est pas avec des oiseaux que tu vas comprendre les hommes. Qu'est-ce que tu crois ? Les oiseaux, c'est des oiseaux, c'est tout. Qu'est-ce que tu fiches à t'occuper de ça alors qu'on a un cadavre sur le dos et qu'on ne comprend rien à rien ? A moins que tu ne comprennes tout ?
Danglard sentait bien qu'il déraillait et qu'en d'autres circonstances il eût défendu un point de vue plus nuancé. Mais il n'avait pas le cran pour ça ce matin.
[...]
- Comment ça ? demanda Castreau. Tiens ! Voilà le mâle ! Voilà le mâle avec son bec jaune !
[...]
- Le merle a trouvé un cadeau pour la merlette, dit Castreau. C'est un petit bout d'aluminium.
- Ça ne t'intéresse pas ce qu'on dit ? demanda Danglard.
- Si. Mais je ne veux pas avoir l'air de trop écouter, j'aurais l'impression d'être un imbécile.
[...]
- Allons bon, dit Castreau, voilà un deuxième merle qui rapplique à présent. Qu'est-ce qu'il espère ? La merlette le regarde. Ça va être la guerre. Merde. Quelle vie, bon sang, quelle vie !
[...]
- Voilà, dit Castreau, la merlette s'envole maintenant, elle a perdu le petit bout d'aluminium. Crevez-vous le cul à faire des cadeaux. Non, elle revient. [...]
- C'est le petit mâle qui gagne, dit Castreau. Je vais lui filer du pain. Il a bien bossé.
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"Adamsberg s'assit, et Charles attrapa le grand cadre.
- Ici, dit-il, en posant son doigt sur une des photos, voici le frère, vers onze ans, posant sur une pelouse avec ses compagnons de première communion. nous sommes d'accord ?
Adamsberg hocha la tête.
- Et là, dit Charles en déplaçant son doigt, c'est un oiseau qui passe dans le ciel.
Charles reposa le cadre au sol.
- C'est une photo de professionnel, continua-t-il. On voit distinctement l'oiseau, un merle à plastron, Turdus torquatus alpestris. Un mâle, très reconnaissable au croissant blanc qui barre son jabot.
- Ah, dit Adamsberg d'une voix plate. Je veux bien vous croire.
- Vous pouvez.
- Allez-y, mon vieux, dit Adamsberg. Continuez. Moi, j'ai donné le cintre.
- Cette variété ne vit que dans le sud-est de la France. On ne l'a jamais observée au nord de la Loire. Cette photo n'a pas été prise à Lille. Cet homme n'a pas grandi à Lille. Il ment.
Adamsberg resta plusieurs secondes silencieux, sans bouger, les bras sur le ventre, les jambes allongées, les fesses glacées par l'humidité du banc. [...]
- Inconfort et humiliation, dit Danglard, telle est l'idée maîtresse de la cellule de dégrisement. Plus dégueulasse est l'idée, plus longtemps elle dure. Vous êtes journaliste ?
- Ornithologue.
- Evidemment, dit Adamsberg.
Le commissaire se leva lentement, passa ses mains sur son pantalon glacé. Il récupéra le cadre, examina le très petit croissant blanc qui ornait le jabot de l'oiseau en vol.
- La petite bricole dit-il, fonde le grand truc du truc.
- C'est cela, dit Charles."
Fred Vargas, "La Nuit des Brutes" in Contes noirs de fin de siècle, édition Fleuve noir, 1999.
Jacqueline Kelen, dans Un Chemin d'ambroisie, Amour, religion et chausse trappes (Éditions de La Table ronde, 2010), s'interroge :
"Un mois de février, à Paris. Il est onze heures du soir, j'entends un merle chanter à tue-tête, longuement, dans la nuit. Quelle est sa joie ? D'où lui vient cette envie folle d'entonner un cantique à une heure pareille ?"
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Dans son ouvrage poétique La Grande Vie (Éditions Gallimard, 2014) Christian Bobin évoque très souvent la nature et sa beauté sacrée. Ici, le merle :
Cher petit merle, j'aurais voulu t'écrire à l'instant de ton apparition mais je ne suis maître de rien : le téléphone a sonné, puis j'ai dû sortir faire des courses. Personne n'est tout à fait libre de son temps, n'est-ce pas. Même les rois s'inclinent devant un traité à signer, une migraine, une messe obligatoire. On m'a dit que l'empereur du Japon, et plus encore son épouse, étaient les plus célèbres prisonniers du pays. Un entretien avec eux est minuté. S'il se prolonge d'une minute les gardes qui se tiennent au fond de la salle d'audience, comme des soldats de plomb, font un pas en avant. Une minute de plus et ils avancent encore d'un cran. Les rois et les empereurs sont les poupées qu'un pays se fabrique pour dorer ses rêves. Parfois, las de jouer, il leur coupe la tête. Ta douceur, petit merle, cette manière si gracieuse de pencher ta tête légèrement de côté, était d'un roi qu'aucune étiquette n'empèse.
Sans doute ne te reverrai-je jamais. Tu ne m'as pas vu - encore que je n'en sois pas très sûr. Vous les animaux, vous avez une singulière façon de voir - par vos nerfs, vos muscles, votre dos, autant que par vos yeux. Tu venais d'atterrir de l'autre côté de la vitre, sur l'herbe verte du pré. Noir sur vert, et cette pâte orangée de ton bec, lumineuse comme une lampe Émile Gallé. Tiens, me suis-je dit en te voyant : du courrier. Un mot du ciel qui n'oublie pas ses égarés. Tu es resté dix secondes devant la fenêtre. C'était plus qu'il n'en fallait. Dieu faisait sa page d'écriture, une goutte d'encre noire tombait sur le pré. Tu étais cette tache noire avec un rien orangé, le grand prêtre de l'insouciance, porteur distrait de la très bonne nouvelle : la vie est à vivre sans crainte puisqu'elle est l'inespérée qui arrive, la très souple que rien ne brise. Dix secondes et tu as filé au ras de l'herbe jusque dans le bois, à l'autre bout de mes yeux. Le passage devant la fenêtre d'un ange en robe noire ne m'aurait pas mieux apaisé.
Et maintenant il fait nuit. Je pense à toi. Comment dors-tu, à quoi rêves-tu ? Un jour tu ne seras plus que calcaire. Le crâne des oiseaux est une toute petite chose sévère et émouvante. Quand par extraordinaire on en découvre un momifié sur un chemin, on voit quelque chose qui tient de la frêle relique de saint. Que seront devenus les chants qui passaient la petite porte de corne orange de ton bec ? Ils continueront de filer à l'infini, perdus dans le grand fleuve de l'air. Ta joie - insouciance -, petit merle, est passée de mes yeux à mon sang et de mon sang à ce papier qui me sert à t'écrire cette lettre. L'adresse ? Quelqu'un la trouvera, c'est sûr. Quelqu'un ou quelque chose te dira que j'ai écrit cette lettre pour toi.
Adieu camarade. Je te souhaite la vie belle et aventureuse. Tes dix secondes ont résumé toute ma vie.
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