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Le Miroir

Dernière mise à jour : 27 sept.




Étymol.ogie :


Étymol. et Hist. 1. a) [1119 mirëur (Philippe de Thaon, Comput, 2657 ds T.-L., s.v. mirëor − var. ms. A xiie s. mirueir)] 1260 miroir « objet dont la surface sert à refléter l'image de quelque chose ou de quelqu'un » (Etienne Boileau, Métiers, 43 ds T.-L., s.v. mirëoir) ; b) 1432 miroir ardant (Bertrandon de La Broquière, Voyage d'outremer, éd. Schefer, p.61 ds Gay) ; c) av. 1573 « objet réfléchissant la lumière pour tromper les animaux que l'on chasse » (Jodelle, Œuvres et Meslanges poëtiques, Paris, Lemerre, II, 308 ds IGLF) ; 1844 au fig. (Sainte-Beuve, Corresp., t. 5, p. 735 : voilà que son livre mystérieux d'Outre Tombe va servir, en quelque sorte, de miroir à prendre les alouettes, c'est-à-dire à faire des chalands à M. Emile Girardin) ; 1846 au propre miroir à alouettes (Besch.) ; 1898 au fig. miroir aux alouettes (Lorrain, Âmes automne, p. 33) ; d) 1803 miroir magique (Krüdener, Valérie, préf., p. 78) ; 2. [ca 1165 mirëor (Troie, 5121 ds T.-L., s.v. mirëor)] ca 1280 mirëoirs « modèle, type idéal » (Girard d'Amiens, Escanor, 25830, ibid., s.v. mirëoir) ; 3. [1er quart xiiie s. mirëours (Reclus de Molliens, Charité, 60, 1, ibid., s.v. mirëor)] 1266 « ce qui offre l'image des choses ou des gens, représentation exacte de », utilisé dans des titres d'ouvrages didactiques (Robert de L'Omme, Li Miroirs de Vie et de Mort, éd. A. Långfors ds Romania t. 47, p. 513) ; 4. début xive s. « surface qui réfléchit la lumière et l'image des choses » li mireoirs de la fontaine (Ovide moralisé, éd. C. de Boer, III, 1883) ; 1680 œufs au miroir (Rich., s.v. œufs) ; 5. ca 1450 « tache chatoyante de plume de paon » (Archives du Nord, B 7662, pièce 9 ds IGLF) ; 1611 « taches de la robe du cheval » bay à miroir (Cotgr.). Dér. de mirer*; suff. -oir*.


Lire également la définition du nom miroir afin d'amorcer la réflexion symbolique.

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Symbolisme :


Selon Guy Michaud, auteur de "Symbolique et symbolisme". (Cahiers de l'AIEF, 1954, vol. 6, no 1, pp. 75-95) :


Si le poète, avec Hérodiade, invoque le miroir, c'est encore, à cette époque, pour s'y chercher soi-même, comme le voyageur de Verlaine. Mais qu'y trouve-t-il ? La nudité de son rêve, c'est-à-dire le vide, le néant.

Et l'on évoque alors le jeu dangereux auquel s'est soumis Mallarmé durant des heures entières, l'épreuve du miroir, où il voyait disparaître peu à peu son image et où il avait l'étrange sensation de devenir impersonnel. Alors seulement il a pu voir apparaître dans la glace quelque chose d'autre, comme dans le sonnet en -yx :


Elle, défunte nue en le miroir, encor

Que, dans l'oubli fermé par le cadre, se fixe

De scintillations sitôt le septuor.


Ainsi le miroir joue-t-il le rôle d'intercesseur : miroir magique, il est le révélateur d'une autre réalité, inaccessible à nos yeux mortels.

Cette dialectique s'éclaire singulièrement à la lumière de ces lignes écrites par Georges Vanor en 1888, dans l'Art symboliste :


La relation existant entre le monde physique et le monde moral s'établira entre le monde moral et le monde surnaturel ; l'esprit de l'homme, c'est-à-dire le monde intelligible, sera comme un écran de verre transparent entre ces deux miroirs, et, la nature étant l'image de l'homme, l'homme sera l'image de Dieu, et nous ajoutons : sa preuve.


On voit ainsi que le miroir est le symbole même du symbolisme. La création est un immense jeu de miroirs, et le miroir est ce qui permet le passage d'un monde à l'autre et, dans chaque monde, d'un plan à l'autre. Il est le révélateur des correspondances et, à ce titre, l'instrument par excellence du poète. Mais celui-ci doit apprendre à s'en servir : il ne doit pas en rester prisonnier comme le voyageur verlainien, il ne doit pas, comme Narcisse, se perdre dans le miroir des eaux fuyantes de son passé, mais il doit apprendre d'abord comme Hérodiade à s'oublier devant son miroir, il doit ensuite apprendre à y lire le reflet des Formes éternelles, en attendant de pouvoir, une fois sorti de la caverne platonicienne, les contempler directement.

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Selon Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, auteurs du Dictionnaire des symboles (1969, édition revue et corrigée : Robert Laffont, 1982),


Speculum (miroir) a donné le nom de spéculation : à l'origine, spéculer c'était observer le ciel et les mouvements relatifs des étoiles, à l'aide d'un miroir. Sidus (étoile) a également donné considération, qui signifie étymologiquement regarder l'ensemble des étoiles. Ces deux mots abstraits, qui désignent aujourd'hui des opérations hautement intellectuelles, s'enracinent dans l'étude des astres reflétée dans des miroirs. De là vient que le miroir, en tant que surface réfléchissante, soit le support d'un symbolisme extrêmement riche dans l'ordre de la connaissance.

Que reflète le miroir ? La vérité, la sincérité, le contenu du cœur et de la conscience : Comme le Soleil, comme la Lune, comme l'eau, comme l'or, lit-on sur un miroir chinois du musée de Hanoï, sois clair et brillant et reflète ce qu'il y a dans ton cœur. Ce rôle est utilisé dans les contes initiatiques d'Occident, dans le rituel des sociétés secrètes chinoise, dans le récit de Novalis, Die Lehrlinge zu Saltz, dans le poème de Mallarmé :


O miroir !

                    Eau froide par l'ennui dans ton cadre gelée

Que de fois et pendant des heures, désolée

Des songes et cherchant mes souvenirs qui sont

Comme des feuilles sous ta glace au trou profond,

Je m'apparus en toi comme une ombre lointaine,

Mais, horreur ! des soirs, dans ta sévère fontaine,

J'ai de mon rêve épars connu la nudité ! (Hérodiade)


Quoique sa signification profonde soit autre, le miroir est également mis en rapport, dans la tradition nippone, avec la révélation de la vérité, et non moins avec la pureté. C'est aussi dans la même perspective que Yama, le souverain indobouddhiste du royaume des morts, utilise pour le jugement un miroir du karma. Les miroirs magiques, s'ils ne sont sous une forme purement divinatoire, que les instruments dégénérés de la révélation de la parole de Dieu, n'en possèdent pas moins une étonnante efficacité dans les diverses formes du Chamanisme - qui utilisent à cet effet le cristal de roche - et aussi chez les Pygmées d'Afrique. La vérité révélée par le miroir peut évidemment être d'un ordre supérieur : évoquant le miroir magique des Ts'in, Nichiren lui compare le miroir du Dharma bouddhique, qui montre la cause des actes passés. Le miroir sera l'instrument de l'Illumination. Le miroir est en effet symbole de la sagesse et de la connaissance, le miroir couvert de poussière étant celui de l'esprit obscurci par l'ignorance. La Sagesse du grand Miroir du Bouddhisme tibétain enseigne le secret suprême, à savoir que le monde des formes qui s'y reflète n'est qu'un aspect de la vacuité.

Ces reflets de l'intelligence ou de la Parole célestes font apparaître le miroir comme le symbole de la manifestation reflétant l'intelligence créatrice. Il est aussi celui de l'Intellect divin réfléchissant la manifestation, la créant comme telle à son image. Cette révélation de l'identité et de la Différence dans le miroir est l'origine de la chute luciférienne. Plus généralement, elle est l'aboutissement de l'expérience spirituelle la plus haute. Ainsi dans Saint Paul (II, Corinthiens 3, 18) et chez de nombreux spirituels chrétiens et musulmans. Le cœur humain, miroir reflétant Dieu, s'exprime par exemple chez Angelus Silesius ; le miroir du cœur reflète, chez les Bouddhistes, la nature du Bouddha ; chez les Taoïstes, le Ciel et la Terre.

L'Intelligence céleste reflétée par le miroir s'identifie symboliquement au soleil : c'est pourquoi le miroir est souvent un symbole solaire. Mais il est aussi un symbole lunaire, en ce sens que la lune, comme un miroir, reflète la lumière du soleil. Le miroir solaire le plus connu est celui du mythe japonais d'Amaseratu : le miroir fait sortir la Lumière divine de la caverne et la réfléchit sur le monde. Dans le symbolisme sibérien, les deux grand miroirs célestes reflètent l'univers, reflet que e chaman capte à son tour à l'aide d'un miroir. Le reflet de la perfection cosmique s'exprime également dans le miroir du Devî et, au second degré, dans celui des Saramundari, qui sont ses messagères. Dans la tradition védique, le miroir est le mirage solaire des manifestations ; il symbolise la succession des formes, la durée limitée et toujours changeante des êtres.


Forme après forme, il a pris toute forme ;

La forme propre on la trouve partout ;

Indra, par ses magies, a maintes formes :

mille coursiers sont attelés pour lui ! (Rig-Veda, Grhyasutra 1,6)


La réflexion de la lumière ou de la réalité n'en change certes pas la nature, mais elle comporte un certain aspect d'illusion (la saisie de la lune dans l'eau), de mensonge à l'égard du Principe. Il y a identité dans la différence

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Muriel Levet, dans Objets chamaniques et leurs pouvoirs (Éditions Trajectoires, 2009) considère le miroir comme un accessoire indispensable à la transformation physique du chamane :


Le miroir, le premier support des esprits : Le miroir est un « accessoire » souvent présent sur le costume du chamane. Les chamanes sibériens les suspendaient à leur costume, parmi les différents autres pendant. En Corée, où les bijoux et objets ornant le costume sont assez rares, le miroir peut également être accroché à certaines robes ou certains manteaux, un peu comme une broche.

Les miroirs des anciens chamanes sibériens et des chamanes coréennes actuelles, sont étrangement similaires. ils se présentent sous la forme d'un disque, dont l'une des faces est décorée de différents symboles : en général des astres, qui éclairent le chamane, mais parfois des écrits anciens, comme des inscriptions sanskrites en Corée ou des caractères chinois en Sibérie. Car les miroirs des chamanes sibériens ne pouvaient pas être achetés. D'origine chinoise ou tibétaine, ces objets devaient en théorie être trouvés par terre, « par hasard », d'où leur caractère surnaturel.

Pour l'actuelle mudang, comme pour le chaman sibérien d'antan, le miroir a une importance capitale : il abrite les esprits auxiliaires. Il s'agit de leur premier support. Pour nourrir ces esprits, le chamane hezhen de Sibérie orientale aspergeait son ou ses miroirs d'alcool au début de la cérémonie, avant de les accrocher à son costume. Le miroir avait pour lui une telle importance, que s'il n'avait pas de costume, il lui arrivait d'agir avec un unique miroir, support par excellence des esprits.

En Corée, on prête également au miroir le pouvoir de chasser les mauvais esprits. Il semble avoir également eu cette fonction en Sibérie, où il servait aussi à la divination : le miroir « reflétait l'avenir ».

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Jean Ferré, auteur du Dictionnaire des symboles maçonniques (Éditions du Rocher, 2013) explique la place du miroir dans la tradition maçonnique :


Le miroir : Accroché en face de la table, le miroir est parfois orné d'un crêpe noir. Pourquoi sa présence dans le Cabinet de Réflexion ?

Le miroir possède un caractère quasi magique. On appelait d'ailleurs les magiciens specularii, du latin speculum, miroir. Dans de nombreuses civilisations, il évoque la connaissance de l'invisible. Dans le célèbre film de Cocteau, Le Sang d'un Poète, Alice et le Poète passent de l'autre côté du miroir et trouvent ainsi le monde de la fiction et du rêve, de l'irréalité. Le miroir est l'objet à qui l'on pose la question : « Miroir, dis-moi qui est la plus belle. » On peut, comme Catherine de Médicis, l'interroger sur les futurs rois de France...

Le mot speculum a donné le mot spéculation. À l'origine, spéculer était observer le ciel. Là encore, on touche au domaine de la Connaissance. Le Cosmopolite écrit :

Quiconque regarde en ce miroir peut voir et apprendre les trois parties de la sapience de tout le monde, et de cette manière, il deviendra très savant en ces trois règnes...

Et Sperber :

La pierre philosophale purifie et illumine tellement le corps et l'âme que celui qui la possède voit comme en un miroir tous les mouvements célestes des constellations et les influences des astres, sans même regarder le firmament.

Le miroir symbolise aussi la prudence. Cette dernière est parfois représentée sous la forme d'une femme portant un serpent et un miroir qui lui permet de regarder à la fois derrière elle et en elle. Une telle allégorie de la Prudence se trouve à Nantes, au tombeau de François II et de Marguerite de Foix.

Il peut aussi évoquer la sagesse (59.7,26) :

Car elle est un reflet de la lumière éternelle

un miroir sans tache de l'activité de Dieu.

Le miroir du cabinet de réflexion fait appel à toutes ces symboliques, mais il est surtout signifiant de la connaissance de soi, idée reprise par le deuxième Grade du Rite Ecossais Rectifié, où le Vénérable dit au récipiendaire immobilisé devant une glace : « Regardez-vous tel que vous êtes en vous-même.» Cet usage provient vraisemblablement de la Stricte Observance (1782).

La démarche n'est nullement narcissique. L'homme doit se regarder, analyser ses faiblesses et ses forces, combattre ce qu'il y a de mauvais en lui, et cultiver ce qu'il y a de bon.

On ne demande pas au futur Maçon de se regarder physiquement. Ce serait à la fois trop simple et inutile. Il doit accomplir un travail d'introspection. C'est le connais-toi toi-même socratique. Toute connaissance, connaissance vraie, commence par la connaissance de soi. Celle-ci est le fondement de toute spéculation d'ordre philosophique ou théologique. Saint Bernard écrit à ce sujet :

Commence... par te considérer toi-même, bien plus, finis par là... Tu es le premier, tu es aussi le dernier...

[...] Comment demandes-tu à me voir dans ma clarté, toi qui ne te connais pas encore toi-même ?

Ne pas effectuer ce voyage en soi, ne pas entamer cette quête de I'Ego, c'est s'interdire tout progrès, c'est se refuser à toute initiation, ou du moins la rendre vaine et stérile. Ce thème est développé dans le premier poème du Cantique des Cantiques :

Si tu l'ignores, ô la plus belle des femmes,

Suis les traces du troupeau...

Malgré tout ce qui vient d'être dit, le miroir peut présenter des aspects négatifs et pervers. Mal utilisé, il peut servir la vanité, l'orgueil, le narcissisme, la coquetterie... Mais ces défauts n'existent pas chez les Maçons...

Dans le rituel du Rite Français (Grand Orient) édité par E. Gloton en 1946 (déjà cité), on trouve ce dialogue entre le Vénérable et le Premier Surveillant, qui résume brièvement les différents éléments symboliques du Cabinet de Réflexion.

Frère Premier Surveillant, donnez au néophyte des explications sur les allégories du Cabinet de Réflexion.

- Monsieur, l'on vous a fait asseoir devant une petite table sur laquelle étaient :

Un sablier, image du temps qui s'écoule. Une lampe, symbole de l'esprit qui éclaire. Un crâne humain qui vous a rappelé la vanité des plaisirs, des richesses, de la fortune et la brièveté de la vie.

Le pain et le sel qui sont offerts aux voyageurs sont le signe de l'hospitalité.

Le soufre est un vieux symbole des alchimistes.

En face de vous, un miroir reflétait votre image pour vous montrer que vous étiez seul en face de votre conscience qui vous jugeait.

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Ksenia Pimenova, autrice d'un article intitulé « Traditions et emprunts dans un miroir chamanique. Réflexions autour d’un nouveau rituel touva ». (ethnographiques.org, Numéro 33 - décembre 2016) relate en détail une cure avec un miroir chamaniqure :


L’exemple suivant de la cure avec le miroir montrera comment l’usage de la dissymétrie dans la communication entre le chamane et son assistance permet d’optimiser et d’innover le rituel tout en préservant son identité chamanique.


La cure avec le miroir : Le “miroir” (touva : küzüngü) est un des outils rituels largement répandus en Mongolie (Badamxatan 1986 ; Humphrey 2007), en Mongolie-Extérieure (Humphrey & Onon 1996 : 224), en Sibérie du Sud (Potanin 1883 : 50) et en Sibérie du Nord (Alekseev 1984 : 146). Il se présente comme un disque en métal avec une face polie. La face opposée, parfois ornée de divers motifs décoratifs, dispose d’un arceau dans lequel on passe une corde ou un ruban pour faciliter les manipulations.

Les miroirs en métal ont une longue histoire en Sibérie du Sud où leur production et leur commerce remontent aux VIIe-IIIe siècles avant J.-C. (Loubo-Lesnitchenko 1975). Dans les légendes touvas, les miroirs étaient des objets célestes. Ils « jouaient » dans l’air et les chamanes les plus habiles les attrapaient. Dans le passé, ils étaient considérés parmi des outils rituels principaux et étaient utilisés pour la protection du chamane ou dans les rituels thérapeutiques (Kenin-Lopsan 1987 : 56-60). Aujourd’hui, la divination et la protection personnelle du chamane sont les usages les plus répandus. Ils renvoient à la double capacité de réflexion du miroir qui reflète l’invisible et repousse les attaques des entités néfastes. La capacité d’émettre une force pour chasser les mauvais esprits attribuée aux miroirs chez d’autres populations centrasiatiques (Humphrey 2007 : 189), est en revanche latente chez les Touvas, bien qu’elle apparaisse dans notre exemple.

Le rituel analysé ici repense les fonctions du miroir dans une perspective thérapeutique, d’où le titre que le chamane donne au rituel : une cure au miroir (touva : küzüngülèèshkin). Il est conduit par un jeune chamane, Lodoj-Damba Kuular. Originaire de la province Süt-Khöl’ (centre-ouest de Touva), où la cure a lieu, il vit dans la capitale touva Kyzyl et est affilié à une des organisations de chamanes. La pratique rituelle n’est pas cependant son unique activité. Étudiant en sciences de l’ingénieur pour l’aménagement urbain, il entame au moment du rituel sa quatrième année universitaire. Quelques années avant cela, il a été novice dans un monastère bouddhiste pendant un an. Lodoj est aussi le frère cadet d’une chamane expérimentée et – selon la légende familiale – héritier d’une dynastie chamanique connue sous le nom des Sept chamanes dans sa province d’origine. La dernière de cette lignée était l’arrière-grand-mère maternelle de Lodoj.

Nous retiendrons ici la jeunesse du chamane (il a 22 ans au moment du rituel) et son héritage chamanique. D’une part, Lodoj a besoin de se distinguer de ses collègues aînés, et notamment de sa sœur, en élaborant un style rituel original. D’autre part, il est censé faire preuve d’une connaissance de la tradition qu’il incarne par son ascendance. On soulignera aussi deux autres aspects biographiques importants pour la construction du rituel : la proximité du chamane avec le bouddhisme et sa formation en sciences exactes.

Le rituel est organisé pour un parent du chamane du côté maternel. Ce patient, vivant d’élevage et de chasse, ainsi que sa famille, partage les mémoires familiales sur les Sept chamanes. Le patient, homme d’une trentaine d’années, consulte le chamane pour des douleurs récurrentes au foie et à l’estomac. Il a été récemment blessé à l’arme blanche par des ivrognes lors d’une bagarre à la chasse. Les blessures – à un bras et à une jambe – ont été mises en rapport avec les douleurs récurrentes, même si leur localisation dans le corps n’est pas la même.


Rituel observé : Le rituel en costume chamanique, mais sans tambour, se déroule dans la maison du patient. Il est court et se passe en silence. L’instrument principal est le miroir. Les deux autres accessoires utilisés par le chamane sont deux pierres d’environ 5 cm de diamètre chacune, l’une noire et l’autre rouge.

Au début du rituel, le chamane allonge son patient sur le lit et lui demande de tenir la pierre rouge avec la main gauche. Le chamane se tient debout au-dessus du lit. Dans sa main gauche il garde la pierre noire et dans sa main droite son miroir.

La cure comprend deux phases. Dans un premier temps, le chamane tient le miroir côté lisse vers le bas, au-dessus du corps du patient. Il le déplace lentement tout au long du corps, sans le toucher, au-dessus des jambes et des bras, en faisant de larges cercles.Dans la seconde phase du rituel, le chamane retourne le miroir la face polie vers le haut, en le tenant lâchement par les rubans accrochés à son revers. Toujours sans dire un mot, le chamane secoue fortement et rapidement le miroir tout en continuant de faire de larges cercles au-dessus du corps du patient. Ce mouvement génère un son métallique continu.Enfin, le chamane reprend la pierre rouge de la main du patient, range les deux pierres et son miroir et fait une purification du patient avec de la fumée de genévrier.


Explications du chamane : Cet usage du miroir à des fins thérapeutiques et les gestes du chamane ne ressemblaient pas à ceux que nous avions observés auparavant. Questionné sur le sens du rituel et de ses éléments, Lodoj a produit une explication cohérente et complexe du schéma conceptuel qui y était à l’œuvre.

Selon le chamane, la souffrance du patient était causée par la présence dans son corps d’un « obstacle » (doora). Ce terme, omniprésent aujourd’hui à Touva, mais introuvable dans les sources anciennes, est vraisemblablement d’origine bouddhiste. Les bouddhistes prient en effet certaines divinités de dissiper les « obstacles » sur la voie de l’Éveil, tels l’ignorance. S’éloignant de sa connotation religieuse originale, le terme d’obstacle désigne un état de maladie ou d’infortune, le plus souvent causé par des attaques de sorcellerie. Ici, en revanche, il est utilisé avec un sens pathologique et non pas étiologique. Selon le chamane, l’obstacle, apparu à la suite de l’accident pendant la chasse, s’est introduit dans le corps du patient comme un agent pathogène : « L’obstacle s’accumule autour des organes malades et empêche la circulation de la force » (küsh).

La cure au miroir vise à extraire l’obstacle du corps du patient. Pour cela, selon le chamane, il faut « ouvrir les voies de l’âme » (sünezin oruktaryn ažydar). Cette expression n’appartient qu’au langage rituel personnel de Lodoj. Il s’agit pour lui d’ouvrir les « voies de vents intérieurs et les canaux de passage pour l’énergie », un détail auquel nous reviendrons. Le premier but du rituel consiste donc à préparer le corps du patient, puis à en repousser l’obstacle en dehors.

L’ouverture des « voies de l’âme » se fait grâce à l’utilisation conjointe de trois objets : la pierre rouge (PR), la pierre noire (PN) et le miroir chamanique (MC). Pendant la première phase du rituel la face lisse du miroir est orientée vers le bas, vers le corps du patient allongé. Les pierres jouent ici un rôle crucial. Ramassées près du lieu de naissance du chamane, elles matérialisent le lien avec ses esprits auxiliaires qui aident le chamane et lui donnent une partie de sa force chamanique (küsh).

Schéma 1. Évacuation de l’obstacle doora du corps du patient.


C’est la pierre rouge, donnée au patient, qui a la capacité « d’ouvrir les voies de l’âme ». En revanche, la pierre noire (PN), tenue dans la main de Lodoj, émet une force que le chamane oriente vers le corps du patient par le biais du miroir (MC) en « travaillant » les zones d’accumulation de l’obstacle. Autrement dit, le miroir est utilisé ici pour concentrer et réorienter la force émise par les esprits auxiliaires afin de repousser l’obstacle.

Lors de la deuxième phase du rituel, le miroir est retourné la face polie vers le haut et secoué. Selon le chamane, c’est ainsi que s’accumule sur la surface du miroir le « bonheur » (aas-kezhik). Dans son usage le plus fréquent, le « bonheur », à défaut d’un terme meilleur, est un concept à la fois chamanique et bouddhique, au croisement entre les idées de chance et d’abondance (aas-kezhik signifie littéralement le « bonheur de la bouche ») et la notion bouddhiste de mérite – une action vertueuse (bujan-kezhik, littéralement « mérite-bonheur »). Dans son interprétation personnelle de ces concepts, Lodoj attribue au bonheur les qualités d’une force matérielle positive. Cette force est en quelque sorte dissipée dans l’univers, pour être ensuite retenue sur la surface du miroir. Du miroir, elle pénètre dans le corps du patient par les voies de l’âme toujours ouvertes et lui procure la santé, la longévité, la chance et la prospérité.

À la fin du rituel, lorsque le chamane range les pierres et le miroir, les voies de l’âme se referment par elles-mêmes. Ainsi, le bonheur est comme scellé à l’intérieur du corps qui non seulement a été débarrassé de l’agent pathogène, mais retrouve aussi son intégrité positive.


Emprunts, réinterprétations et identité chamanique du rituel : Dans la diversité de rituels chamaniques, il y a peu de règles constitutives communes. Selon Hamayon, un des principes fondateurs des chamanismes sibériens à l’époque présoviétique était le contact direct avec les esprits. Ce contact était symboliquement rendu sur un mode dramatique ou verbal, par des gestes ou des invocations (Hamayon 2006 : 34). Dans les rituels thérapeutiques, ces gestes évoquent la manipulation d’esprits nuisibles et renvoient aux conceptions répandues sur la maladie. Chez les populations de l’Altaï-Saïan au XIXe et dans la première moitié du XXe siècle, la maladie était causée le plus souvent par l’attaque d’un esprit nuisible (Potapov 1991 :135). Aujourd’hui cette représentation de la maladie reste d’actualité dans la plupart des cas. Les chamanes demandent aux esprits néfastes de quitter le corps dans leurs invocations ; ils font les gestes de les arracher, de les enlever en crachant vers le patient, en soufflant sur lui ou en imitant la succion. Dans tous ces cas l’esprit est représenté comme ayant une matérialité et une forme.

La cure avec le miroir est en revanche un exemple de la transformation contemporaine de la notion d’esprit sous la double influence du concept New Age d’énergie et de la notion bouddhiste d’humeur. Les principes que Lodoj met en mouvement sont des « forces », ou des « énergies » (russe : ènergii) : la force chamanique, l’obstacle et le bonheur. Certes, ces forces, positives ou pathogènes, sont pensées ici comme des entités qui peuvent être repoussées du corps ou y être introduites. Dans le schéma épistémique élaboré par le chamane, elles n’ont cependant aucune forme distincte. L’obstacle apparaît ainsi comme une entité matérielle, mais à l’aspect fluide et informe. La fluidité est notamment évoquée par les mouvements circulaires du miroir qui servent à repousser l’obstacle en dehors du corps du patient. Les esprits auxiliaires du chamane ne sont pas pour autant complètement absents, mais plus distanciés, leur action passant par la médiation de la force qu’ils produisent.

Le rituel s’appuie aussi sur une conception du corps humain qui n’est pas courante dans le chamanisme passé et présent. Le chamanisme traditionnel s’intéressait peu à la composition interne du corps. Même lorsque la maladie d’un certain organe était évoquée dans le diagnostic, tout se passait comme si la localisation de l’esprit nuisible n’avait que peu d’importance. Le rituel ciblait non pas un organe en particulier, mais le corps dans son intégrité indivisible (Kenin-Lopsan 1987 : 59).

Or, la cure avec le miroir se base sur l’image du corps beaucoup plus détaillée. Lodoj précise que les « vents et les souffles intérieurs » circulent à travers les « canaux subtils », ou les « voies de l’âme ». Cette vision reflète vraisemblablement l’expérience personnelle du noviciat dans un monastère bouddhique. Selon le Kalatchakratantra, enseignement fondamental du bouddhisme, le corps humain est traversé de « canaux subtils […], des souffles internes ou forces vitales qui y circulent et des gouttes essentielles d’énergie » (Cornu 2006). La médecine tibétaine, elle aussi, attribue la santé de l’individu à l’équilibre des trois « humeurs » (vent, bile et phlegme) circulant dans les canaux : vaisseaux sanguins, nerfs, os.

L’emprunt de la conception bouddhique du corps humain influence également les fonctions du miroir et son usage thérapeutique détourné. Le miroir concentre et réoriente la force des auxiliaires pour ouvrir les voies de l’âme, évacuer l’obstacle et ensuite recharger le corps des valeurs positives.

Une dernière innovation concerne l’usage des pierres noire et rouge. Les pierres, disposées d’une certaine manière, semblent constituer deux pôles d’un circuit qui inclut les corps du patient, le corps du chamane et ses esprits auxiliaires. Ces pôles permettent d’ouvrir « les voies de l’âme » et d’assurer la circulation de la force envoyée par les esprits. Pour ce qui est du chamane, il devient littéralement un « corps conducteur » (Stépanoff 2014) qui ramène la force des esprits dans le monde des humains pour opérer une transformation thérapeutique. Il est probable que l’idée du circuit s’inspire du fonctionnement de l’électricité, avec lequel le chamane a pu se familiariser lors de ses études en sciences de l’ingénieur.

Les conceptions sous-jacentes à la construction rituelle n’existent que sur le plan de la réflexivité rituelle épistémique. Elles ne sont à aucun moment expliquées aux destinataires du rituel. Dans la perspective du patient et de sa famille, ce qui importe, c’est que le rituel atteigne son but thérapeutique. En attendant ce résultat, leur évaluation ne peut s’appuyer que sur les actions observables et les critères culturels, à savoir sur l’usage d’objets rituels connus et les gestes du chamane portant sur le corps du patient.

On notera d’abord que le chamane utilise les objets qui évoquent la présence des esprits auxiliaires, tels que le costume et la coiffe. Le caractère animé du costume relève du savoir commun dans les sociétés sibériennes. Le chapeau à plumes d’oiseaux, les « esprits-serpents » et les clochettes cousues sur le costume sont des esprits auxiliaires qui aident le chamane ou le protègent. Le costume transforme l’officiant en un « corps perfectionné », une « entité à nature multiple » (Pedersen 2007). Il signifie le pouvoir augmenté du chamane qui agit avec l’aide des esprits et apporte l’efficacité qui leur est associée aux humains.

Le miroir est un objet rituel dont nous avons déjà évoqué les deux usages typiques à Touva : la protection personnelle du chamane et les pratiques divinatoires, ces dernières étant les mieux connues des profanes. Pendant la divination les chamanes « voient » apparaître dans le miroir les personnes, les esprits, les objets en rapport avec les requêtes de leurs clients. Pour utiliser le miroir, il faut donc avoir une capacité de voyance que les profanes n’ont pas. C’est donc un outil qui a lui-même des qualités magiques, mais qui qualifie aussi l’identité du spécialiste.

Contrairement au costume et au miroir, les pierres ne sont pas des objets rituels fréquemment utilisés par les chamanes. Mais elles font partie d’une panoplie personnalisée de supports d’esprits et d’objets uniques que chaque chamane se constitue au fur et à mesure de l’avancement de sa pratique. Ces ensembles d’objets – dont le sens exact n’est pas révélé aux profanes – évoquent la singularité de l’officiant, principe fondamental du chamanisme.

Enfin, les gestes rituels du chamane visent le corps du patient et sont en quelque sorte autoréférentiels. Ainsi, la transformation thérapeutique du corps est suggérée par les mouvements du miroir, par le contact du patient avec une pierre appartenant à l’arsenal rituel du chamane, et donc interdite au toucher des profanes hors cadre rituel. À un niveau plus métaphorique, le patient se voit placé dans un circuit composé du corps du chamane, de ses objets rituels, et des esprits auxquels ces objets renvoient.


Conclusion : Malgré son apparence simple, la cure avec le miroir est une construction communicative complexe à plusieurs niveaux. Ces niveaux comprennent des choses que le chamane montre clairement, d’autres qu’il dissimule, et d’autres encore qu’il ne fait que suggérer. D’une part, au niveau perceptible par l’assistance, le rituel contient un métamessage concernant sa propre identité. Son caractère chamanique est stipulé par l’usage d’attributs rituels traditionnels qui évoquent les qualités extraordinaires attribuées au chamane et l’action de ses esprits personnels.

D’autre part, les explications du chamane, inaccessibles au patient et à sa famille, révèlent les innovations et les emprunts qui permettent d’optimiser le rituel. Ainsi, le concept de canaux subtils, d’origine bouddhique, enrichit la vision peu précise que les chamanismes sibériens ont du corps humain. La notion d’obstacle assouplit et élargit la notion de l’esprit fauteur de maladie, et celle du bonheur permet de terminer le rituel par une recharge positive supplémentaire opérée sur le corps du patient. Ces emprunts traduisent la connaissance que le chamane a du bouddhisme, son intérêt pour les sciences exactes, ainsi que l’influence du vocabulaire New Age, avec la notion d’énergie fluide qui se superpose, pour ce chamane, aux distinctions vernaculaires entre les différentes « forces » et entités positives ou négatives. Reflétant les influences qui ont marqué son parcours personnel et sa recherche de l’efficacité, les rituels du chamane apparaissent alors comme un condensé unique de ses réflexions sur le monde, sur les forces invisibles qu’il cherche à maîtriser et mettre à profit de ses patients.

À leur tour, les emprunts modifient l’usage que le chamane fait du miroir, ses gestes et le scénario du rituel. Observables, mais opaques pour l’assistance, ces modifications suggèrent la capacité du chamane de « jouer » avec les éléments traditionnels et de leur attribuer un sens nouveau. Loin d’être préjudiciable aux yeux de l’assistance, cette capacité de création renvoie à la singularité du chamane, indicatrice de ses savoirs et de ses pouvoirs uniques.

Depuis Lévi-Strauss (2003 (1958)), le partage du langage symbolique entre l’officiant et les destinataires du rituel apparaît comme une condition nécessaire pour que le rituel ait son effet (Hell 1999). Dans les exemples de rituels présentés dans l’article, le partage du langage symbolique est partiel, et la communication est dissymétrique. Ce n’est pas un hasard si dans la cure au miroir les influences bouddhiques se concentrent sur le niveau conceptuel du rituel et ne sont pas communiquées à l’assistance ne connaissant pas le bouddhisme. D’une manière comparable, la tenue d’un rituel supplémentaire original, destiné à compléter la commémoration d’un défunt, n’est pas communiquée à la famille en deuil. Cette manière des chamanes d’introduire de l’innovation en tenant compte de sa visibilité permet à l’assistance d’évaluer les rituels selon les critères culturels partagés collectivement. Les innovations sont ainsi en quelque sorte cryptées pour ne pas affecter l’identité chamanique de rituels pour l’assistance.

La cure avec le miroir, comme d’autres exemples présentés ici, permet d’éclairer certaines logiques de l’innovation rituelle dans le chamanisme post-soviétique à Touva. Depuis la chute de l’URSS, la globalisation religieuse et la politique normative de tradition conduite au sein des organisations de chamanes constituent un cadre historique et sociologique dans lequel évoluent les pratiques rituelles. D’autres logiques encore, liées au principe de la singularité du chamane et aux formes d’efficacité rituelle, façonnent en interne le contenu des rituels, tantôt en favorisant l’innovation, tantôt en lui opposant des limites. Ainsi négocié, le bricolage qui en résulte ne dissout pas l’identité chamanique de rituels, mais permet d’asseoir l’originalité de styles individuels et d’insuffler une nouvelle énergie aux rituels dans leur ensemble.

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Symbolisme celte :


Marc-Louis Questin, dans un ouvrage intitulé Traité pratique de magie celte (Éditions TrajectoirE, 2001) nous propose un rituel en lien avec le miroir :


Rituel de Feu et du Miroir


La magie du miroir est basée essentiellement sur la réflection progressive des différents doubles du corps subtil. Le miroir contient en lui-même tous les éléments : l'eau, le feu, l'air, la terre, l'éther et le sable. Son pouvoir hypnotique de fascination remonte à la nuit des temps, à l'époque des miroirs de bronze, d'obsidienne ou de jade.

On ne se regarde jamais dans un miroir. On est regardé, observé, par don double. Et ce double vit, de sa vie propre, dans une réalité ultra-dimensionnelle où tout est inversé, y compris les valeurs morales et spirituelles.

La purification active du feu, telle que peut l'exprimer la simple flamme d'une bougie, permet alors de contrôler l'action vampirisante des miroirs.

Il n'y a aucun danger dès lors que le magiste utilise parallèlement le pouvoir bénéfique du miroir de l'esprit. La pensée elle aussi est contenue dans un miroir. pour cette raison, profondément initiatique, le cristal et le feu (ainsi que l'eau de certaines fontaines sacrées) offrent des supports incomparables à tout rituel de théurgie et de voyance thérapeutique.

L'intention manifeste le désir d'évoluer, de progresser sur ce sentier du labyrinthe émotionnel. Volonté de puissance au service du divin, l'intelligence "luciférienne" (profondément prométhéenne) sait traverser tous les miroirs jusqu'à atteindre la cible ultime, c'est-à-dire l'infini, la source vive de toute action, de tout désir d'incarnation.

On peut aussi avoir recours à la traditionnelle magie du miroir dans le but de défendre son espace vital. Cette magie est très simple et très puissante à la fois. les Anciens se servaient du miroir la manière d'un émetteur à hautes fréquences capable de repousser les ondes de forme dangereuses.

N'oubliez pas que les Atlantes connaissaient déjà 'utilisation du cristal de roche et du quartz pour la divination et la guérison spirituelle. L'énergie qui traverse le cristal est de la même nature, à quelques variantes près, que celle des miroirs.

Le magiste fait appel à une lumière "artificielle", qui n'est pas de ce monde, dont l'existence est fugitive. Cette énergie relie les mondes et communique avec les dieux.

Concentrez-vous sur un miroir en invoquant le jeu des forces afin qu'elles puissent vous diriger vers le succès de votre souhait. Car le laser de la pensée traverse la flamme du miroir noir. C'est la magie de votre force qui va chasser l'obscurité et faire en sorte que la lumière se substitue aux noires ténèbres. L'intelligence et la bonté subjuguent les vagues de l'ignorance. C'est le miroir de votre cœur qui peut guérir le monde profane.

Vous pouvez célébrer ce rituel du feu et du miroir les jours de pluie ou d'orage, la nuit de préférence, un Mercredi ou un Jeudi.

Les lumières sont éteintes dans votre appartement. Une seule bougie rouge diffuse sa faible clarté dans le coin sud de votre pièce. Vous devez utiliser pour ce rituel un miroir ovoïde, circulaire ou sphérique. en aucun cas à angles droits !

Le miroir et la bougie rouge (allumée) se font face.

Avec la pointe de votre dague, tracez un cercle invisible, en tournant trois fois de suite (dans le sens habituel), lentement, avec majesté, autour de votre miroir et de cette bougie.

La flamme de la bougie doit bien se refléter au centre même du miroir.

En traçant votre cercle, prononcez à haute voix, lentement et distinctement, les paroles suivantes :


"L'Esprit du Feu éclaire la Nuit. Que cette lumière nous sanctifie !

L'Esprit de Dieu éclaire la terre. Que cette Présence nous sanctifie !"


Posez ensuite votre dague, la pointe tournée à l'extérieur de vous, entre la bougie rouge et le miroir.

Debout, joignez les mains en signe de prière et visualisez (ou désirez très fortement) pendant un court instant qe la Lumière éclaire la nuit, que votre lieu soit purifié, que les forces angéliques, bénéfiques, apaisantes se manifestent réellement, ici même, à l'instant.

Ce rituel est extrêmement court. Il n'en est pas moins puissant pour autant. Vous laisserez se consumer la bougie jusqu'au bout. Le miroir doit être ensuite recouvert d'un tissu mauve. S'il s'agit d'un miroir que vous utilisez régulièrement, il vous faudra le recouvrir pour une période de 24 heures.

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Mythologie :


Catherine Ébert, autrice d'un article intitulé "Narcisse et Adam : miroir et moire du symbole." (Syncrétismes, mythes et littératures, Maison des Sciences de l'Homme, 2014, pp. 273-301) évoque les mythe de Narcisse et celui d'Adam afin de réfléchir à la notion de miroir :


[...] En revenant cependant à la relecture symboliste de Narcisse, on peut alléguer que, dans le droit prolongement de cette inversion, il est légitime de lire Narcisse comme le symbole de l’autoréflexivité que je rapporte à la narcissité (cf. supra). Ce motif se retrouve entièrement, bien que, une fois encore, de façon moins visible, dans le mythe d’Adam : tant que le premier homme a été créé «  à l’image de Dieu  », il est un miroir du créateur appelé à renvoyer à celui-ci son image. Dans une perspective selon laquelle les dieux sont les représentations anthropomorphiques des traits, des craintes et des aspirations de l’humanité, le besoin de disposer de son reflet attribué à la divinité est passible d’être lu comme un chiffrage du même besoin, mais d’origine humaine ; l’homme ne le reconnaît tout d’abord pas comme le sien propre et il le projette, sous l’effet de ce mécanisme psychique nommé justement la projection, sur ses dieux. On voit alors se dessiner un issu d’échos qui vibrent entre les deux mythes et qui sont autant de joints entre eux  ; un issu mouvant et frêle, une espèce de dentelle sémantique et conceptuelle.

[...]

Aussi Adam et Narcisse sont-ils appelés, à titre d’anciens témoins de l’unité déchue, à en rendre témoignage, à assumer, en anciens acteurs d’une expérience originelle, la restitution de celle-ci et les efforts répétés qu’elle exige. Ils figurent ainsi de manière ingénieuse, dans une poétique quasi maniériste, la structure ambivalente du Un dans le Deux et du Deux dans le Un. Ce noyau structurel consiste en la complémentarité et la réversibilité de l’unité dans la dualité et de la dualité dans l’unité et, une fois dégagé, il fait passer Narcisse et Adam au rang des métasymboles qui symbolisent la structure même du symbole, cette cohabitation des contraires dans une «  ténébreuse et profonde unité  ». Ainsi la structure des profondeurs des deux mythes et des deux symboles devient-elle le symbole du symbole même, voire de son essence : le miroir moiré de la symbolicité, qui engage le rapport entre l’original et sa copie dans un jeu iridescent de la figuration. Hormis la symbolicité, la même démarche peut nous conduire à nous questionner sur son pendant en ce qui concerne le mythe, c’est-à-dire sur la «  mythité  » et le caractère du lien entre l’essence générale du mythe et ces deux mythes particuliers. De ce point de vue, le mythe de Narcisse me paraît bénéficier là encore d’une position à part. Autant le ils de Céphise et de Liriopé médite son image, autant les mythes renvoyaient au premier homme la sienne. L’un des prolongements d’exégèse jette ainsi un éclairage révélateur sur l’une des premières foncions du mythe, sinon la première, qui s’identifie à la raison d’être même du mythe, la fonction réflexive qui répond au besoin de l’humanité archaïque de se tendre un miroir et d’y observer son reflet, dans lequel les représentations et les connaissances de l’ordre de αυτος sont articulées avec les représentations et les connaissances de l’ordre de αλλος de si près qu’ils forment un ensemble très soudé. L’autoréflexivité mise en relief par le mythe de Narcisse pointe ainsi la spécularité du mythe en tant que tel et sa relation indéfectible avec ce qu’elle nous révèle au sujet de l’humain et ce qui est déjà plutôt du ressort de l’anthropologie culturelle. Sous toute réserve, et compte tenu de la différence entre la réflexion culturelle («  symbolique  ») et la réflexion spéculaire (scopique, «  icônique  »), on pourrait avancer – en vertu d’une analogie de foncions – l’hypothèse que le mythe est à l’itinéraire phylogénétique ce que le miroir est à l’itinéraire ontogénétique, sans pouvoir donner au stade du miroir et à l’auteur de ce concept – adopté par maints modèles développementaux – une place autrement plus importante que cette référence simple et condensée.

[...]

L’extension de l’autoréflexivité adamico-narcissique nous conduit ainsi sans trop de sinuosités à la pensée de Hegel. Selon l’auteur de La Phénoménologie de l’Esprit, l’histoire est un cheminement continu de l’esprit universel, dont le but est la connaissance de soi ; la substance spirituelle du monde est animée d’un mouvement qui la fait tendre à se saisir elle-même, donc à se comprendre toujours mieux : c’est le moment de rappeler combien la compréhension est d’abord une « préhension », une « prise », conformément au geste ou à l’action physiques dont elle dérive. Le Weltgeist de Hegel est, dans ce sens, narcissique, car le mouvement au cours duquel cet « Esprit du monde » se rapproche de lui-même est la finalité suprême de l’histoire, y compris de la sienne propre. Traversant une phase de négation où il s’extériorise dans la nature, grâce à sa tendance à l’immanence il finira par se refléter en lui-même, et dans son retour triomphant à soi il marquera une identité de soi avec soi souveraine, son trajet se bouclant dans le cercle accompli d’une espèce de tautologie comme celle de Narcisse rivé à sa propre image. On remarque la continuité de ce type de pensée avec un modèle préphilosophique, mythique et religieux, perpétué par les traditions théosophique, alchimiste et hermétiste, et qui s’accorde avec les conceptions issues du bouddhisme et du chamanisme. Selon ce modèle, du Principe universel qui est l’Esprit ou l’Idée émane sa Manifestation qui est son incarnation connotée comme maculation, eo ipso sa réflexion dans la matière. (2)

Le même philosophème se retrouve chez Gaston Bachelard. Dans L’eau et les rêves, ce génie de la rêverie avec qui la théorie de celle-ci est encore une sorte de rêverie envoûtante revient sur Narcisse pour nommer d’après lui un complexe qui consiste en l’attirance incoercible du reflet sur l’eau. Bachelard distingue un «  narcissisme égoïste  » et un «  narcissisme cosmique  » qu’il évoque en empruntant une sentence à Joachim Gasquet, «  Le monde est un Narcisse immense en train de s’observer  »  : la surface des eaux où se mire l’univers entier devient un miroir cosmique. La notion de miroir cosmique apparaît en plus chez Josef Fulka dans son commentaire à un ouvrage tardif, inachevé et déjà cité de Maurice Merleau-Ponty, Le Visible et l’Invisible. Cette question de l’identité, de la réciprocité et des confusions liée au phénomène de la vision et de la vue nous confronte, une fois de plus, au miroir et à l’inquiétude déconcertante du dédoublement spéculaire, elle-même sujette à la contemplation, comme le suggère ce kôan zen  : «  L’homme observe le miroir, le miroir observe l’homme  ».


Note : Il y aurait lieu de rappeler ici la découverte par les neurosciences des « neurones miroirs », actifs aussi bien lorsqu’un individu exécute certains gestes que lorsqu’il les imagine seulement ou qu’il regarde un autre les exécuter et dont la fonction d’apprentissage par imitation repose sur la perception et la récognition intuitives, spontanées du même. De manière analogique, la notion de «  mentalisation  » désigne, au confluent de la psychanalyse et de la psychologie développementale, la capacité de la mère à refléter les états affectifs du nouveau-né et de les lui renvoyer, également dans un processus d’apprentissage précoce qui se fait par le biais de l’inconscient. Cf. Peter Fonagy, Mary Target, Psychoanalyical Theories. Perspectives from Developmental Psychopathologie, New York Brunner-Routledge, 2003.

2)  Il en est ainsi dans le gnosticisme, où la Nature engendre Anthropos et conçoit un amour à la fois maternel et érotique pour son ils qui la reflète  ; elle est amoureuse de sa propre image que lui renvoie un miroir humain, le même dispositif réflectif que le Dieu de l’Ancien Testament s’assure en Adam. De même le Corpus hermeticum affirme que les dieux aiment écarter les nuages pour se mirer dans les humains et que ceux-ci se reflètent en leurs créateurs. Cf. aussi le motif du démiurge épris de l’Anthropos qu’il a créé, et dont l’image reflétée sur l’eau suscite en lui l’amour parce qu’il s’y reconnaît. Il est fort probable qu’on trouve la même idée, troublante et exaltante, de réflexion, donc de ressemblance réciproque, dans toutes les religions et toutes les mythologies de l’humanité, aussi nombreuses et variées soient-elles sur le plan phénoménal. Cf. Arthur Darby Nock, éd., Corpus hermeticum d’Hermès Trismégiste, tome I, traités I-XII, traduction de André-Jean Festugière, Paris, les Belles Letres, 1999.

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Littérature :


FABLE


Par le mot par commence donc ce texte

Dont la première ligne dit la vérité,

Mais ce tain sous l’une et l’autre

Peut-il être toléré ?

Cher lecteur déjà tu juges

Là de nos difficultés…


(après sept ans de malheurs

Elle brisa son miroir.)


Francis Ponge, "Fable" dans Le Parti pris des choses, suivi de Proêmes, 1942.



Arts visuels :


Dans Le Miroir au cinéma (Mémoire de master, ENS Louis Lumière, 2014) Carl Demaille nous propose la réflexion suivante :


Conclusion : Le miroir est un objet lié au désir. Il naît d’un désir : celui de se voir, de pouvoir contempler sa propre image. Il est un moyen de parler de ce désir, car il met en scène celui de la personne spectatrice pour cette image qu’il lui présente et qui se dote d’une dimension fantastique, voire magique. Il est un moyen de faire l’apologie de ce désir, en le stimulant en présentant le reflet comme un monde accessible sensiblement mais physiquement inaccessible. Si le miroir est lié au désir, c’est parce qu’il représente à la fois un support sur lequel le spectateur peut venir projeter ses fantasmes, et également un écran qui lui permet de les visualiser simultanément ; mais il est également un moyen de désigner ce désir comme une quête dans un premier temps irréalisable, mais qui, si elle est réalisée, n’en demeure pas moins incapable de combler les attentes du personnage-spectateur.

Objet à haute teneur symbolique, qui fait ainsi du reflet une image fantastique et liée à l’imaginaire, le miroir a également joué un rôle historique non négligeable, notamment dans la relation de l’Homme à son image. Cette relation peut être condamnée et vouée à l’échec et à la mort si elle ne repose que sur la complaisance à voir sa propre image ; elle est alors liée à la vanité, au mensonge et à l’illusion. Mais cette relation peut aussi être féconde si elle donne lieu à une lecture de la représentation illusoire de la réalité en tant que signe d’un monde spirituel qui se cache au-delà des apparences ; elle est alors liée à la vérité et à la connaissance de soi et du monde. Cette richesse symbolique dont va se doter le miroir se retrouve en histoire de l’art, où il devient un motif esthétique et pictural. Outil technique utile au travail du peintre, le miroir va ainsi se retrouver dans les œuvres elles-mêmes, pour ce qu’il représente mais également pour ce qu’il produit visuellement : des jeux dans la composition, sur le surcadrage, ou encore une multiplication des centres d’intérêt pour créer un dynamisme dans l’image.

Toutes ces caractéristiques se retrouvent au cinéma, mais la prise de vue cinématographique exige quelques précautions inédites, car elle est soumise à la réalité matérielle d’un profilmique. Il faut donc prendre en compte les propriétés optiques de la réflexion spéculaire pour réussir à filmer une scène avec des miroirs, sans qu’apparaissent à cause d’eux des éléments indésirables à l’image (et notamment la caméra elle-même). Afin de bénéficier de ce que la présence du miroir au sein d’une image produit narrativement et dramatiquement, il faut donc dans un premier temps réussir à comprendre les problématiques qu’il introduit dans le cadre d’une prise de vue. Parce que filmer un miroir présente quelques difficultés, cela a donné lieu à des solutions ingénieuses et a conduit à des expérimentations, qu’elles soient techniques ou liées à la mise en scène.

Ainsi, filmer le miroir au cinéma devient l’occasion de démontrer un savoir-faire technique et artistique en concevant une mise en scène spectaculaire, c’est-à-dire précisément qui s’affirme comme donnant à voir un spectacle, un objet digne du regard du spectateur. Ce faisant, le miroir devient un emblème de la célébration du cinéma comme spectacle qui procure un plaisir sensible à un spectateur, car il reproduit à l’intérieur d’un film le rôle de l’écran de cinéma, sur lequel apparaissent les peurs et les fantasmes de celui qui le regarde. Le monde du reflet, situé « de l’autre côté du miroir », apparaît donc comme un monde indépendant et imaginaire, comparable à celui que met en place un film, situé « dans l’écran ». La traversée du miroir, et avec elle la traversée de l’écran, cristallise alors le désir du spectateur pour ce monde imaginaire, le monde de ses fantasmes, qu’il percevait et auquel il peut désormais accéder.

Mais cette traversée du miroir n’est complète que lorsque ce monde « de l’autre côté du miroir » est précisément accepté comme un monde imaginaire, et que la « réalité » lui est préférée. Celui qui traverse le miroir revient donc invariablement du « bon » côté ; car après être devenu acteur pour un temps, il préfère retrouver le statut qui lui permet véritablement de profiter de ce monde imaginaire, celui de spectateur. C’est en effet lui qui détient le pouvoir sur un film, pouvoir d’ubiquité, mais également pouvoir de vie ou de mort sur les images qui défilent devant ses yeux. Puisque sans lui, le film n’existe pas, puisqu’« en regardant le film, [le spectateur] l’aide à naître, à vivre, puisque c’est en [lui] qu’il vivra et puisqu’il est fait pour cela : pour être regardé, c’est-à-dire pour n’arriver à être que sous le regard », le véritable créateur au cinéma semble se trouver non pas du côté de la production, mais du côté de la réception, devant l’écran, dans la salle, sous les traits du spectateur.

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