Autres noms : Aglais io ; Inachis io ; Cocarde (Normandie) ; Œil de paon ; Paon de jour ; Reine ; Vanesse Paon de jour.
Sur Le Blog de Jean-Yves Cordier on trouve une étude zoonymique des papillons tout à fait passionnante. Voici le résumé qui concerne le Paon-du-jour :
Aglais, Dalman 1816 vient du grec ἀγλαΐα, aglaḯa (« splendeur, brillance »); cette espèce était rangée sous la bannière du genre Vanessa, puis Inachis (du nom du dieu-fleuve Inachos, le père de la belle Io), mais ce qualificatif d'aglaia convient parfaitement à l'une des plus éblouissantes espèces de rhopalocères.
Aglais io (Linnaeus, 1758) : Selon les Métamorphoses d'Ovide, Io a été poursuivie par le regard concupiscent de Zeus, par le regard jaloux de la déesse Héra, puis, transformée en génisse, par les cent yeux panoptiques d'Argos, avant que son surveillant ne soit décapité par Hermes et que ses yeux ne viennent orner le plumage du paon royal de Héra. Comme les ocelles du beau papillon avaient été comparés aux yeux du paon, Linné, après l'avoir nommé oculus pavonis, le baptisa Papilio io ; belle revanche de la femme-génisse sur sa rivale !
les noms vernaculaires français ont été La Reine (d'après la description de Moffet qui débutait par Omnium Regina) ; Le Paon de jour (Geoffroy 1762), qui traduit le pavonis de Linné mais le différencie du Paon de nuit ; L'Œil de paon (Geoffroy, 1762), traduction de oculus pavonis ; Le Paon du jour (Engramelle, 1779) ; La Vanesse io, copie du nom scientifique alors en usage (Latreille, 1819) ; La Vanesse Paon de jour (Godart, 1821) ; et enfin depuis la recension de Luquet en 1986 : Le Paon-du-jour. Tous ces noms honorent l'élément le plus remarquable du papillon, ses quatre ocelles qui partagent avec les "yeux" du plumage du paon leur capacité à iriser les rayons lumineux en couleurs chatoyantes.
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Bienfaits thérapeutiques :
Dans Les Papillons, Guide pratique de la prescription des papillons en homéopathie (Éditions Publibook, 2010) le Dr Patricia Leroux propose un tableau clinique du remède Inaquis Io :
Symptômes clefs pédiatriques :
Sensation d'abandon quand il n'est plus guidé : ce sont des enfants qui ont besoin de cadrage et d'autorité.
Difficultés de concentration et de mémoire : bon médicament d'enfants qui papillonnent et qui ne se concentrent pas à l'école.
Métamorphose et regard recto-verso (masques) : aiment bien se déguiser et adorent les masques à double face ; de ce fait, ils surveillent le danger imminent.
Rêves de papillon : ils rapportent des rêves ou une passion pour les papillons.
Aiment s'amuser : ils sont toujours dans une dynamique colorée et amusée.
En conclusion : bon médicament d'enfant agité, qui ressent un danger imminent, aime s'amuser et est fasciné par les masques à double facette.
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Littérature :
Dans La Paix chez les bêtes (1916) Colette décrit une vanesse :
Mais le radieux paon-de-jour, en velours cramoisi, frappé d'yeux bleuâtres, clouté de turquoises, plus frais que la plus fraîche fleur, attend, confiant, la main qui l'emprisonne. Je le cueille, plié en deux comme un billet, noir au-dehors, flamme au-dedans. J'entrouvre de force ses ailes de diablotin luxueux, j'admire, près de son corselet, la nacre d'un duvet long, mordoré, qui se soulève à mon souffle, les sombres pattes fragiles et tremblantes, les yeux moirés comme ceux d'une abeille... Puis je desserre mes doigts, et son vol nonchalant le ramène sur la même fleur où je puis le cueillir encore, car il butine, goulu, content, déjà rassuré, fa trompe raidie et les ailes ouvertes, avec un doux battement voluptueux d'éventail.
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Yves Paccalet, dans son magnifique "Journal de nature" intitulé L'Odeur du soleil dans l'herbe (Éditions Robert Laffont S. A., 1992) évoque à sa manière le beau papillon :
18 août
(Fontaine-la-Verte)
Un paon du jour s'est posé sur ma fenêtre. Je l'observe à travers la vitre comme dans un vivarium. Bien entendu, c'est lui qui est dehors...
Les faux yeux de ses ailes (velours bleu sur lave cramoisie) sont conçus pour être vus. ls effraient certains prédateurs. Les yeux véritables, nimbés de mousse roussâtre et de gris olive, possèdent l'étrangeté absolue des regards d'arthropodes.
Je deviens paon du jour. Je lisse les poils de mon abdomen velu avec ma troisième paire de pattes. Mes tarses se font langues : ils détectent l'odeur de la térébenthine et du lin qui servirent, voici mille pluies, à repeindre la façade.
[Légende photographique] : Le papillon paon-de-jour cligne ses ocelles dans un rayon de soleil qui décline. Paon-de-jour moi-même !
25 août
(Fontaine-la-Verte)
Têtes de moines tonsurés
Couronnes de cheveux mauves
Cardères
Les paons du jour tourbillonnent autour des cardères (cabarets des oiseaux), et plongent leur paille (je veux dire : leur trompe) dans les calices à nectar. J'aime ces papillons. Le dessous de leurs ailes est une nuit sidérale. Le dessus, carmin violacé, ressemble au ciel crépusculaire d'une planète de science-fiction sur laquelle se lèveraient quatre lunes bleu pâle.
De l'autre côté du sentier s'étend un pré que les orties colonisent. Les paons du jour pondent sur ces plantes. Du bistrot à la pouponnière, ils no(nt qu'une clôture de barbelés à passer. Il me manque des ailes pour devenir ovipare.
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Ariane Chottin nous propose une Histoire naturelle intitulée « le paon du jour / qu'un baiser vous réveille », (Vacarme, vol. 17, n°4, 2001, pp. 86-86) :
« Qu’est-ce… que c’est… que ça ? » demanda la licorne. « C’est une petite fille ! » répondit allégrement Haigha. « Nous avons trouvé ça aujourd’hui même. C’est grandeur nature et deux fois plus vrai que nature ! » « J’avais toujours cru que c’étaient des monstres fabuleux ! s’exclama la Licorne. Est-ce vivant ?» « Ça sait parler » répondit, d’un ton de voix solennel Haigha. La Licorne, d’un air rêveur, regarda Alice, et ordonna : « Parlez, mon enfant. » Alice ne put empêcher ses lèvres d’ébaucher un sourire tandis qu’elle disait : « Moi-même, voyez-vous bien, j’avais toujours cru que les licornes étaient des monstres fabuleux ! Je n’avais encore jamais vu aucune licorne vivante ! » « Eh bien, maintenant que nous nous sommes vues une bonne fois l’une l’autre, dit la Licorne, si vous croyez en mon existence, je croirai en la vôtre. Marché conclu ? » « Eh bien oui, si vous le voulez » dit Alice.
Voulez-vous que je vous raconte ? À la croisée des ailes brunes, les ocelles bleues du paon du jour s’ouvrent. Clin des yeux, posé à plat dos. Il butine. Cousin de la petite tortue et de la grande, du vulcain et de la belle dame, il butine le chardon, l’ortie, les ronces sous son ombrelle japonaise. Pavane lente / Sur quoi as-tu fermé les yeux, défunte ? Le visage devient tout à fait invisible. Non, non pas le tien, mais dans tes yeux, le nôtre. Le visage des enfants qu’il nous fallut construire, un par un, chacun pour soi, avant la nuit : la mort va-t-elle surgir toute armée ? Nous n’étions plus sous tes yeux. Perdus, accrochés dans ta chrysalide par de minuscules crochets, enflant dans ton linceul, enfants devant le drap recousu par une langue étrangère / Pour la première de ses trois existences, le paon naît chenille. Chenille affamée dévorant à bras-le-corps. Et puis c’est fini. Le minuscule intestin s’enveloppe. Passe au futur. Ferme ses lèvres / Sur quoi as-tu fermé les tiennes ? Dans tes baisers se tenaient nos réveils, notre audace aussi. Sourire des paupières plissées sur ton regard filant : s’y baigner pour grandir. Avant que s’ouvre le tombeau du maléfice : la mort va-t-elle surgir toute armée ? Qu’un baiser vous réveille / Pour la seconde de ses trois existences, la chenille se suspend dans le cocon qu’elle crache. Dévide en un fuseau le lacis de sa housse, l’épouse et se nymphose. Parfois, la chrysalide reste longtemps murée, il arrive même qu’elle « passe son temps », qu’elle traverse un autre hiver. On dirait qu’elle meurt sans mourir tout à fait / Encore aujourd’hui, d’anciens passages sont difficiles à déchiffrer. Et le resteront. Les langues se sont gelées au début de la syntaxe dans une matière aveugle. L’image est maculée.
Heureusement, pour contourner les obstacles, les fables nous prêtaient leurs échasses. Et l’on avançait, fiers d’être si grands, d’être si loin du sol, d’être plus près du ciel. Puisqu’enfanter avait été si âpre, il fallait s’enchanter. Les papillons fusaient des tiges, multicolores. On les capturait, cœur battant pour rendre vie aux défuntes par une acrobatie de l’esprit. Sous l’ombre rouge de leur cape, vite, leur baiser de petit éventail. On recommençait avec les cils contre la joue. En un clin d’œil. Qu’un baiser vous réveille / À l’aube de sa troisième existence, l’insecte termine sa métamorphose pli à pli : c’est l’imago. Elle est sexuée. Elle va chuter de son cocon. La couleur lui vient, la mollesse la quitte. Chatoiement lustré des écailles neuves, poudrées, miroitantes. Ailes déployées, elle s’élance comme un seul chant et fait le paon du jour, ses ocelles bleues ouvertes sur son dos. Immer / Himmel.
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