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Le Serpent Arc-en-Ciel

Dernière mise à jour : 11 avr.





Symbolisme :


Dans une "Conférence de M. Luc de Heusch". (In : École pratique des hautes études, 5e section, Sciences religieuses. Annuaire. Tome 82, Fascicule III. Comptes rendus des conférences de l'année universitaire 1973-1974. 1973. pp. 43-46) on peut lire les informations suivantes :


A l'ouest du domaine kongo (au nord du fleuve), chez les Yombe, la figure du serpent arc-en-ciel Mbumba domine le mythe cosmogonique. On a pu montrer cependant que le cycle de Nkenge n'en est, à tout prendre, qu'une transformation comme le suggérait déjà la présence discrète de Mbumba dans le rituel kimpasi.

Le serpent arc-en-ciel, maître des eaux terrestres, connotant comme le silure le changement des saisons, introduit dans la pensée symbolique yombe un axe vertical ciel-terre qui complète la distribution spatiale (elle-même simplifiée) des simbi et des nkita, respectivement associés ici à l'eau et à la brousse. A l'articulation des deux systèmes qui semblent d'origine historique différente, s'insère une donnée nouvelle : les génies du sol, nkisi tsi, auxquels les nkita sont subordonnés. [...]

Chez les Yombe, le serpent arc-en-ciel, médiateur entre le haut et le bas, contrôle les rites de passage et protège les guerriers, assurant ainsi un second type de médiation, entre fécondité et violence.

Ces deux termes entrent dans la définition du pouvoir politique qui bascule au moins partiellement dans la sorcellerie.

On montra que les Yombe partagent cette conception de l'autorité avec un certain nombre de sociétés bantoues. On assiste aussi à une nouvelle distribution des monstres sacrés : le génie de la pluie prend en charge les jumeaux alors que le serpent arc-en-ciel, son adversaire, préside à la fécondité normale ; les albinos et les gens affectés d'une malformation physique se répartissent sur l'autre axe symbolique : les premiers sont des simbi, les seconds doivent aux nkita d'être aveugles ou borgnes ou encore d'avoir les jambes paralysées.

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Dans un article intitulé "L'analyse structurale des mythes " qui ouvre Des symboles et leurs doubles (Éditions Plon, 1989), Jean Guiart résume certains travaux de Claude Lévi-Strauss :


C'était déjà pour notre auteur, le propos de ses ouvrages pionniers que sont Le Totémisme aujourd'hui et La Pensée sauvage, qui avaient trait à la capacité des aborigènes d'Australie à modeler leurs institutions sur la réalité naturelle qui les entourait, ce que le mythe des sœurs Wawilak et du serpent Yurlunggur, dans l'extrême Nord-est de la Terre d'Arnhem, traduisait par des cycles symboliques de transgression (du tabou de l'inceste), suivi par la sanction infligée par le "serpent arc-en-ciel", attiré par le sang menstruel des deux sœurs qui, après avoir couché avec des frères classificatoires et en avoir eu des enfants, dansent auprès du trou d'eau au fond duquel dort le serpent. Celui-ci se réveille, se dresse, les avale, et les régurgite après s'être aperçu qu'elles étaient de la même moitié matrimoniale que lui. La danse indéfinie des sœurs Wawilak provoque une pluie de mousson interminable. Le temps sec, propice à la collecte des plantes et des tubercules comestibles ayant poussé grâce à la pluie, reviendra lorsque le serpent Yurlunggur, connu par ailleurs comme le "serpent arc-en-ciel", malade d'avoir commis une forme d'inceste, se laisse tomber sur le sol et rejette les deux sœurs et leurs enfants lesquels n'ont plus qu'à partir à la recherche de leur nourriture.

L'enseignement transmis aux adolescents à initier consistera dans le commentaire de la forme donnée au lieu cultuel, construit sous l'aspect d'un triangle allongé en creux censé être l'empreinte du corps du serpent tombant au sol et rendant à la vie les héroïnes, ainsi que des peintures sur écorce, modèles des peintures corporelles que les initiés apprennent à porter pour la première fois et qui ont les unes et les autres trait à la représentation du mythe.

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Julien d’Huy, dans un article intitulé "Première reconstruction statistique d’un rituel paléolithique : autour du motif du dragon" (In : Nouvelle Mythologie Comparée / New Comparative Mythology, 2016, 3) nous en apprend davantage sur le mythe du serpent arc-en-ciel :


[...] En utilisant des outils statistiques et phylogénétiques, et en m’appuyant sur deux bases de données différentes, je suis déjà parvenu à reconstruire le proto-récit du dragon, défini comme une chimère possédant pour une part au moins un corps de serpent, lors de la sortie de l’homme d’Afrique: « Le dragon garde les sources et autres points d’eau. Il peut voler et apparaît lorsque la pluie et le soleil s’interpénètrent. Il possède des écailles et des cornes, ainsi qu’une pilosité humaine. Il s’oppose (ou est associé) à la foudre et au tonnerre. Enfin, il peut provoquer des inondations, des tornades, et est peut-être en lien avec l’immortalité » (1). Cette reconstruction a été confirmée lorsque j’ai mis en regard divers arts rupestres d’Afrique, d’Australie, d’Asie et d’Amérique montrant des serpents cornus et la mythologie des peuples autochtones : le noyau commun des différents folklores tournant autour du serpent cornu, que l’on peut supposer extrêmement ancien, est presque identique à la reconstruction statistique, ce qui renforce considérablement mes conclusions. Ces résultats n’ont rien d’original: ma reconstruction statistique rejoint les conclusions d’autres auteurs, qui avaient pris, pour y aboutir, de tout autre chemin. Par exemple, que les premiers hommes aient fait un lien entre le serpent et l’arc-en-ciel avait été suggéré par John Loewenstein, Wim van Binsbergen ou Yuri Berezkin en s’appuyant sur la diffusion du motif à travers le monde; certains chercheurs ont pensé pouvoir reconnaître, avec plus ou moins de bonheur, sa représentation dans diverses œuvres paléolithiques et néolithiques.

[...]

L’arrivée en deux temps du folklore ophidien en Amérique pourrait refléter un départ en deux temps du continent africain (ou trois temps si l’on prend en compte une diffusion eurasiatique).

En effet, les caractéristiques de certains squelettes amérindiens datant du Pléistocène et du début de l’Holocène les rapprochent davantage des Australiens, des Mélanésiens, des peuples noirs d’Asie du Sud-Est et de certains peuples africains que des actuelles populations locales30. Morten Rasmussen et son équipe31 ont également montré que les aborigènes d’Australie étaient les descendants d’une première migration humaine en Asie, datée d’il y a 62000 à 75000 ans. Si cette migration avait abouti en Amérique du Sud, elle expliquerait le regroupement, sur notre arbre, des versions de Mélanésie et d’Amérique du Sud, dans un clade séparé des autres versions amérindiennes. L’utilisation d’outils phylogénétiques sur certains corpus de mythes, comme le motif du serpent arc-en-ciel buvant de l’eau sur terre ou dans le ciel, montre que des récits semblent avoir suivi spécifiquement cette première voie.

[...]

Nous pouvons reconstruire les proto-croyances eurasiatiques entourant le serpent. Dans ce proto-folklore, la mythisation du serpent est évidente. Certains spécimens, de taille normale, sont considérés comme cornus (I13B) (et parfois, si l’on en croit les conclusions obtenus à partir de deux arbres sur trois, il peut aussi s’agir de serpents géants (I13A)). Des serpents possèdent également une chose de valeur ayant des propriétés magiques, souvent une couronne, un bijou ou une petite corne. Un homme tente de s’en emparer (I13C). Le serpent est lié à l’eau, mais aussi au danger. Il peut voler et produit la pluie et/ou l’orage (I7). Il peut former un arc-en-ciel (I41).


Note : 1) d'Huy, 2013, p.206. Lorsque l'on enracine l'arbre Mesquite construit dans cet article (figure 3) entre les deux versions africaine, on obtient le proto-récit suivant : « Les serpents mythologiques gardent les points d'eau, ne libérant l'eau que sous certaines conditions (K38D). Ils peuvent voler (I7) et forment un arc-en-ciel (I41). Ils sont géants et possèdent des cornes (I13A). Ils peuvent produire la pluie et/ou l'orage (I7) ; enfin, ils sont à l'origine de la première mort, ou/et s'opposent aux êtres humains comme des êtres immortels grâce à leur mue (H4, H5) ; ainsi, une personne, dans une situation désespérée, observe la façon dont un serpent parvient à se soigner ou à ressusciter, et l'imite avec succès (K79). » Il est remarquable que cette reconstruction, réalisée à partir d'un corpus et d'un enracinement totalement différents, parviennent aux mêmes résultats que d'Huy 2013.

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Symbolisme celte :


Selon F. M. Luzel, auteur d'un article intitulé "L'Arc-en-ciel" (In : Revue Celtique - Tome III - 1876-1878) :


Il existe dans le peuple, en Basse-Bretagne, plusieurs traditions intéressantes relatives à l'arc-en-ciel. M. Ernault en a déjà fait connaître une, dans Mclusine, colonne 502. En voici une autre.

Une croyance populaire fort répandue dans le département des Côtes-du-Nord, et surtout dans l'arrondissement de Lannion, veut que l'arc-en-ciel soit un grand serpent qui vient se désaltérer sur la terre, lorsque l'eau lui manque là-haut. Quand nos paysans l'aperçoivent dessinant son arc immense sur le ciel, ils disent ordinairement : « Voyez ! il boit à tel étang, à tel ruisseau ou à telle rivière. « Je me rappelle fort bien encore, dans mon enfance, plein de confiance en la parole des personnes qui nous parlaient ainsi, je me rappelle avoir mainte fois couru à travers champs et prés pour le surprendre buvant à l'étang de Guernachanhaye, à celui du Pont-Meur, ou à la rivière du Léguer. Mais, lorsque, accompagné de mes frères et d'autres camarades de mon âge, j'arrivais, tout essoufflé, à l'étang ou à la rivière désignée, notre désappointement était grand de nous apercevoir qu'il était toujours plus loin, à un autre étang ou à une autre rivière, ou que nous arrivions trop tard. Cependant nous ne perdions pas l'espoir d'arriver quelque jour en temps et en lieu opportun. Quelques personnes qui, plus heureuses que nous, prétendaient l'avoir surpris et vu de près pompant l'eau de nos étangs et de nos cours d'eau, affirmaient qu'il avait une énorme tête de serpent, avec des yeux flamboyants ; d'autres assuraient avoir vu une tête de taureau ou de bœuf.

L'arc-en-ciel s'appelle en breton goarec ar glao, c'est-à-dire : l'arc de la pluie. Mais, par une altération du langage très-fréquente dans le peuple, on dit communément aujourd'hui, dans tout l'arrondissement de Lannion, et dans celui de Guingamp aussi : Kloarec ar glao, clerc de la pluie. La substitution de kloarec à goarec a été opérée et rendue facile par la consonnance ou la ressemblance phonétique de ces deux mots et surtout par l'archaïsme relatif de goarec qui, dans certaines régions, commence à tomber en désuétude et est à peine compris. « On sait, — dit avec raison M. Bréal, — quelle influence l'étymologie populaire peut exercer sur la forme d'un mythe : un nom qu'on ne comprend plus est décomposé et expliqué par un conte. »

Je suis convaincu qu'il existe dans nos campagnes bretonnes quelque conte populaire sur le kloarec ar glao ou clerc de la pluie : je ne l'ai pas encore découvert, mais le dicton : Hir ha moan evel cloarec ar glao, c'est-à-dire : Long et mince comme le clerc de la pluie, est connu de tout le monde, en Basse-Bretagne."

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Mythologie :


Luc de Heusch, auteur d'un "Essai sur la mythologie bantoue." (In : Journal des africanistes, 2012, vol. 82, no 82-1/2, pp. 319-328) fait part d'un mythe africain qui met en scène le serpent arc-en-ciel :


Prenons les Yombe du bas Congo. Le Python arc-en-ciel présidait, au début du XXe siècle, les rites féminins qui assurent la fertilité de la femme ; il présidait aussi aux rites de passage des hommes en tant que guerriers (Doutreloux 1967 : 217). Un mythe cosmogonique montre aussi que Mbumba quitta un jour son trou d’eau (Bittremieux 1936 : 245-265) :


Des femmes étaient en train de pêcher lorsque Mbumba le Serpent Arc-en-ciel s’était réfugié dans un trou qu’elles avaient asséché. Il mordit violemment le doigt de l’une d’entre elles. Les femmes étaient loin de soupçonner qu’elles se trouvaient en présence du génie de l’eau ; un magicien de son culte entra dans une transe au milieu de la rivière. Un autre jour Nzazi, la foudre, accueillit favorablement Mbumba là-haut, au Ciel. Il voulut lui confi la garde du village qu’ils avaient construit ensemble mais Mbumba refusa et regagna la terre où il s’établit dans les eaux. Après un incident de pêche qui l’opposa aux femmes (et que nous venons de raconter) il décida d’aller au ciel pour plaider la cause d’un esclave. Mais Nzazi était absent, il était descendu sur terre pour tuer six hommes. Il remonta au ciel pour rencontrer Mbumba qui commença la palabre pour reconnaître en lui le maître de ces lieux. Il lui donna ensuite un esclave en le menaçant d’une grosse pluie qui l’inonderait s’il frappait celui-ci. Mbumba revint sur terre. Il y rencontra son ami Mpulu Bunzi qui le réconcilia avec Nzazi. Mais Mbumba chez qui s’était attardé Mpulu Bunzi durant la pluie, fi par être tué pour des raisons obscures par les hommes de son ami. Mpulu Bunzi cria : « Prenez la tête, mettez-la bien haut (et) allez enterrer le tronc du cadavre ».


Il est aisé de montrer que ce mythe symbolise le combat de la saison des pluies (Nzazi puis Mpulu Bunzi) et de la saison sèche (Mbumba) par l’intermédiaire de la foudre (Nzazi) maître du Ciel, qui fait des ravages sur Terre. Mbumba fait des allées et venues de la terre au ciel, tel l’arc-en-ciel ; il est le médiateur inverse de Nzazi entre ces deux mondes en tant que maître de la Terre pacificateur. Au Mayombe, Mbumba joue un rôle ambivalent, comme chez les Fang du Gabon. Il est finalement mis à mort par les hommes du maître de la pluie, Bunzi, avec qui il avait d’abord conclu un pacte d’alliance, mais il renaîtra sans cesse grâce à l’intervention de celui-ci, qui dresse sa tête décapitée en direction du ciel.

Examinons plus attentivement cette partie occidentale de l’Afrique centrale où le génie python arc-en-ciel portait le nom de Mbumba jusqu’à une époque récente. Un silure doit être avalé tout cru par le candidat yombe lors de l’initiation religieuse khimba. Dans le mythe, Mbumba surgit du trou d’eau où il avait cherché refuge (vraisemblablement durant la saison sèche car c’est à cette époque que les eaux sont basses et permettent la pêche). Les femmes prennent Mbumba pour un gros silure rouge ; il attaque les femmes qui tentent de l’assommer : il mord le doigt de l’une d’entre elles et la sœur de celle-ci s’évanouit. Il ne les tue cependant pas, mais remonte au ciel où il plaide la cause d’un esclave malmené par le génie Foudre. Ce génie est secourable, malgré le fait qu’il prenne « le foie d’un patient » parmi les gabonais contemporains. Il ne ressemble nullement aux sorciers avec qui les médecins ont actuellement à faire. Remarquons que Mbumba, le génie python arc-en-ciel yombe est la figure centrale du rituel initiatique religieux que constitue le khimba. On peut légitimement le comparer au bwete gabonais : il initie les jeunes gens lorsque le malheur prend des proportions alarmantes dans toute une région. Dans le khimba, on leur présentait à un moment donné la statue de bois du génie python arc-en-ciel appelée Mbumba ; elle représente deux personnages adossés au sommet d’une espèce de sceptre. Elle connote la dualité de l’arc-en-ciel dont l’extrémité supérieure s’élançait dans le ciel pour le brûler et l’extrémité inférieure restait enracinée dans la terre. Bittremieux était particulièrement hostile au khimba qu’il a décrit comme « société secrète » en se vantant d’avoir arraché quelques bribes d’informations. Chez les Vii contemporains, Hersak (1998) retrouve la bisexualité de Mbumba : le serpent mâle est l’allié de la foudre, le serpent femelle empêche la pluie de tomber. Nous avons déjà noté que Mbumba était présent dans le rite gabonais étudié par Bonhomme.

[...]

Mbumba est associé plus spécialement aux eaux terrestres d’où il s’élance sous la forme brûlante de l’arc-en-ciel vers le domaine céleste dont le maître est Foudre. Il se brouille avec lui, mais le rival le plus important dans le mythe yombe est Pulu-Bunzi qui surgit de la rivière « lors des orages et des fortes pluies » (Doutreloux 1967 : 219), dans l’apparat d’un grand chef pour mettre fin aux agissements de Foudre. Bunzi scelle d’abord un pacte d’amitié avec Mbumba pour l’affronter ensuite et mettre fin au règne de la saison sèche, représentée par Mbumba. Mais les Yombe accolent parfois le nom Lwangu à celui de Mbumba (van Wing 1938 : 22). Seigneur Python du Loango (MambomaTshilwangu), tel était précisément le titre du principal dignitaire dans cet ancien royaume de Loango, situé au nord de celui du Kongo. Il était le ministre le plus important, le maître de l’arc-en-ciel dont le python est la forme animale ; il était censé protéger le royaume tout en jouant un rôle politique et judiciaire dominant (Hagenbucher-Sacripanti 1973 : 78).

Le culte de Mbumba était apparemment originaire du Mayombe. Il était encore très vivant il y a une quarantaine d’années dans la chefferie de Vungu (Doutreloux 1967 : 217). Il est tombé dans l’oubli chez les Woyo de l’ancien royaume voisin Ngoyo, à l’est de la région yombe (Mulinda 1986 : 163). Son souvenir y subsiste cependant. Mbumba l’arc-en-ciel (Mbumba ntshiama) est invoqué lors de l’investiture du chef de clan afin « qu’il aide les enfants » (id. : 84). Cet esprit arc-en-ciel est aussi un gros serpent (id. : 163). Bittremieux a ramené du pays woyo et confié au Musée de Tervuren un serpent de bois qualifié de serpent de Mbumba (nyoka zi Mbumba) et de khiama (variante phonétique de ntshiama, l’arc-en-ciel). Les Woyo possèdent aussi un fétiche (nkisi) animé par Mbumba qui assure la protection des guerriers (id. : 208). On se demandera aussi avec Gilliard si Mbomba, le génie supérieur des Ntumba, était la transformation radicale de Mbumba (1926 : 532). La même question se pose à propos de Mboom, le Dieu du Ciel des Kuba. Bunzi se vit attribuer le changement de sexe et acquérir la qualité féminine de maîtresse des esprits aquatiques dans la région kongo côtière. Cette divinité féminine suprême est la reine de tous les esprits de la terre chez les Woyo et chez les Vili du royaume de Loango (Heusch de 2000 : chap. II et III), alors que dans le mythe récolté chez les Yombe elle était de sexe masculin. Cela ne doit pas nous étonner car les génies supérieurs changent de sexe comme nous le verrons à propos des Luba et des Lunda.

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Bernard Moizo, auteur de "Les boomerangs de l'aurore (Australie)." (2019, pp. 719-741) rend compte d'un mythe aborigène relatif au serpent arc-en-ciel :


Dans toute la région, un groupe de circonciseurs visitait les différentes communautés en descendant la rivière Fitzroy à l’inverse des deux serpents arc-en-ciel, créateurs de cette rivière l’ayant façonnée depuis son estuaire, la peuplant d’espèces aquatiques animales et végétales, et introduisant sur leur passage la circoncision parmi les être hybrides du Temps du Rêve et notamment l’ancêtre barramundi (Moizo, 2007). Ces serpents arc-en-ciel font partie des supra-créatures du Dreaming communes à presque tous les groupes aborigènes, indépendamment des différences linguistiques et culturelles. Ils ont agi comme catalyseur d’une certaine unité entre populations d’origines diverses, renforcée par un vécu commun dans les stations d’élevage. Le serpent arc-en-ciel, l’entité de référence dans la région, avait notamment la spécificité d’être multi-hybride : pour partie kangourou (Macropus rufus), python olive (Liasis olivaceus baronii) et crocodile marin (Crocodylus porosus), transcendant les barrières entre les différentes espèces animales (Descola, 2005, p. 142). Ces animaux sont respectivement représentatifs des trois aires culturelles présentes. De surcroît, le crocodile, le python et le kangourou sont aussi des totems importants associés aux trois grands ensembles présents à Fitzroy Crossing. [...]

Ce sont les serpents arc-en-ciel qui ont introduit la circoncision dans les Kimberleys. Même si, encore une fois, les interprétations diffèrent selon les groupes. Pour la plupart des Aborigènes de Junjuwa, le rite initiatique connu sous le nom générique de wallungari et le support mythique du serpent arc-en-ciel sont appropriés. D’une part, il s’agit du territoire contrôlé par les gens de rivière, et d’autre part, le mythe relate la création de la rivière Fitzroy.

Dans le mythe qui sert de support aux cycles de circoncision observés entre 1984 et 1988, deux serpents arc-en-ciel géants ont créé la rivière Fitzroy. Puis ils ont introduit la circoncision dans la région et donné naissance aux espèces animales suivantes : le poisson-archer et la roussette ; les deux proies favorites du barramundi. Ce dernier est l’animal totémique majeur associé au site des gorges de Geikie sur la Fitzroy6 . Les serpents arc-en-ciel ont aussi côtoyé le crocodile d’eau douce (Crocodylus johnsoni), totem majeur de la partie amont de la même rivière.

Voici un résumé du support mythique du cycle Wallungari. Lors du Dreaming, deux serpents arc-en-ciel géants, l’un mâle et l’autre femelle, parfois décrits comme la mère et le fils, créèrent la partie moyenne de la rivière Fitzroy et d’un de ses affluents, la Margaret, jusqu’aux gorges de Geikie. Les corps des deux serpents étaient remplis, l’un d’eau, l’autre de poissons. Lorsque les serpents, venant de la mer, remontèrent la rivière, ils délimitèrent son tracé et la remplirent d’eau. Ils la peuplèrent de diverses espèces aquatiques en la descendant. Sur leur passage, les serpents procédèrent à l’initiation de toutes les espèces animales, dont le poisson-archer et la roussette. Les serpents se séparèrent pour former la Margaret, puis se réunirent de nouveau en amont de Geikie après avoir formé les falaises et les gorges lors d’une lutte avec le barramundi. Ce dernier refusant d’être circoncis, les serpents le poursuivirent alors dans les gorges et parvinrent à le rattraper. Acculé contre la paroi des gorges, le barramundi persista à leur résister. Pour continuer de répandre la circoncision, les serpents n’eurent d’autre recours que de le tuer. Le barramundi mourant devint alors le « boss » (totem majeur) des gorges. C’est pour les serpents l’unique moyen de progresser car si le barramundi n’avait pas été circoncis et avait survécu, il aurait rompu le cycle initiatique. Ce qu’il advint ensuite des deux serpents est assez obscur. Selon les deux versions les plus communes dans la région, soit ils disparurent en eau profonde, soit ils s’enfouirent dans le sable. Dans les deux cas, tous les animaux créés devinrent finis, c’est-à-dire circoncis puis initiés, sauf le barramundi.

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Littérature :


Dans Un Baiser d'ailes bleues, 150 rencontres avec des animaux extraordinaires (Éditions Arthaud, 2009) Nicole Viloteau croque sur le vif des portraits animaliers insolites :


Goorialla, le grand serpent cosmique


Parc national de Kakachu,, dans le Territoire du Nord. j'escalade un torrent, le remonte de roche en roche pour atteindre les chutes Jim-Jim... Une bête a plongé ! Devant moi ! Un tuyau d'écailles noir, orné de dessins géométriques beiges. Un python tapis ! Je l'ai raté d'une écaille. Frustration. Impossible de le localiser dans ces éboulis rocheux sombres, bouillonnant d'eaux vives. Terrain casse-cou, glissant, instable à souhait... Je renonce à pourchasser le fuyard. En Australie, les pythons sont le symbole vivant des fameux rainbow serpents, gigantesques serpents arc-en-ciel mythiques évoqués dans les légendes aborigènes du Dream Time, le « Temps du Rêve » : l'aube du monde, en quelque sorte.


L'un d'eux, Goorialla, mesurait plus de vingt kilomètres de long. Il serait venu dans le grand désert rouge du centre de l'Australie en traversant le continent du sud au nord à la recherche d'un territoire et d'une tribu à initier... Son écaillure arc-en-ciel étincelait de mille feux extraordinaires. Quand il était en colère, sa langue fourchue dardait des éclairs rouges et son souffle puissant pouvait déclencher orages, pluies et tempêtes de sable...


Errant ainsi sur d'infinies distances Goorialla se sentait terriblement seul et las de traîner son long corps si lourd et encombrant... Dans son sillage s'ouvraient le lit des rivières et des canyons emplis d'eau par sa seule volonté. Un soir enfin, il rencontra une tribu à sa convenance, dont il comprenait le langage. Il en devint le chef, lui apprit la technique du feu, les rites, les chants et les danses cérémoniels, l'art du maquillage et de la peinture sur écorce.


Un jour d'orage et de pluie torrentielle, deux frères de la tribu lui demandèrent de les abriter dans sa gueule, aussi spacieuse qu'une grotte... Mais Goorialla ne put résister à la tentation de les avaler ! Il s'en alla les digérer dans un coin du désert. Inquiets de l'absence des deux frères, les autres membres de la tribu partirent à leur recherche : ils trouvèrent Goorialla endormi, entendirent les deux victimes crier, se débattre dans le ventre de l'ogre-serpent.


Ils lui ouvrirent le flanc à l'aide de leurs pointes de lance en quartz rose. De la blessure sanglante s'échappèrent deux oiseaux au plumage arc-en-ciel : les deux frères métamorphosés en loriquets ! Des cailloux comblèrent la place des deux hommes, et l'entaille faite dans le flac de Goorialla fut recousue avec une fine tresse d'herbe à kangourou...


Lorsque Goorialla se réveilla, il entra dans une colère effroyable, déclenchant une violente tornade sur le campement de la tribu. Beaucoup périrent frappés par la foudre ou écrasés sous les avalanches de pierre déboulant des montagnes. Les rescapés furent métamorphosés en dingos, en wallabies, en émeus, en corbeaux, en cacatoès, en varans, en insectes...


Après le drame, qu'advint-il de Goorialla ? Certaines tribus affirment qu'il aurait disparu dans l'océan ou dans la mer intérieure où se situe actuellement l'immense lac Eyre. D'autres racontent que les étoiles filantes, les comètes et autres bolides célestes enflammant la nuit, ne sont autres que les yeux du Grand Serpent en train de les épier, pour châtier les ruptures d'interdits. Lorsque Goorialla se matérialise en arc-en-ciel, c'est pour avertir les tribus de châtiments célestes inéluctables.


N.B. Goorialla signifie « arc-en-ciel ». D'autres rainbow serpents (sacrés) portent des noms différents selon les ethnies. Près de Cairns, dans le Nord Queensland, Gudjugudju est un gigantesque serpent multicolore auquel croient les Aborigènes yirrigamydi ; Yanamie pour les Aborigènes warrogamagyan ; Maadrir Wagard est un python aquatique qui protège les cours d'eau de la Nyomgar country, en Australie-Occidentale.

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