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Le Serpent (suite)



Article en 3 parties :



Symbolisme celte :


Philip et Stephanie Carr-Gomm, auteurs de L'Oracle des Druides, Comment utiliser les animaux sacrés de la tradition druidique (édition originale 1994, traduction française Guy Trédaniel 2008) nous apprennent le Serpent (Nathair) est associé aux mots-clefs suivants :


Transformation - Guérison - Énergie vitale


La carte représente un couple de serpents ; les bardes appelaient parfois les druides de ce nom, ce qui explique peut-être que dans la légende, saint Patrick ait chassé les serpents d'Irlande. Derrière eux s'élève la pierre du serpent de Cumbria, autel recouvert de lierre qui, tout comme le serpent, contient du poison et représente les mystères de la vie et le la mort. Ses circonvolutions symbolisent le voyage de l'âme entre ce monde et l'au-delà. Le symbole du labyrinthe est sculpté sur le devant de l'autel. De tels entrelacs, comme ceux de Tintagel en Cornouailles, sont très fréquents. Au premier plan, se trouvent des fossiles d'ammonites et d'oursins, que les druides utilisaient peut-être en guise de "pierres magiques du serpent". Le serpent offre la guérison et la transformation. recherchant l'ombre en se glissant agilement dans les fissures des rochers, il nous relie au Monde des Profondeurs, à 'Autre Monde et au royaume de la mort. C'est l'animal-totem de la déesse de la terre et du dieu du soleil, le créateur du ciel. Il représente nos morts et nos renaissances successives, ainsi que l'énergie sexuelle. Avec l'amitié du serpent, votre vie sera empreinte de grâce et de magie. Vous abandonnerez facilement au moment venu une vie devenue obsolète - que ce soit lors de votre mort physique ou d'une évolution de votre personnalité dans votre incarnation présente.


Renversée, la carte vous engage à soigner au lieu de blesser. Le serpent, bien que venimeux et symbole du diable dans la religion chrétienne, représente la guérison et le renouvellement chez les druides et dans beaucoup d'autres traditions. Le serpent totem nous montre comment utiliser notre énergie pour pénétrer, rapides et silencieux, au cœur du processus de guérison et aider les autres à guérir plutôt que de leur faire mal. En accueillant et canalisant l'énergie du serpent, nous nous ouvrons aux courants qui traversent la terre et notre corps, afin qu'ils puissent couler, bénéfiques, miraculeux, nourrissants, comme les méandres d'une rivière, vers la mer.


Le Serpent dans la Tradition


Je suis le serpent, je suis l'amour ;

J'ai vécu dans la montagne et dans le fleuve

Taliesin

Suivez le serpent dans l'herbe ; prenez sa peau pour vous glisser avec lui dans la fissure étroite du rocher. Un monde sombre et humide, jusque-là caché, vous attend. Vous descendez, vous fouillez, vos soucis disparaissent, vous oubliez qui vous êtes et perdez la notion du temps. Cela fait des heures, semble-t-il, que vous êtes là, quand vous apercevez un trait de lumière et vous vous faufilez vers lui. Plus vous vous rapprochez de la lumière, plus la fissure se resserre et vous presse les flancs. Mais vous persévérez et vous sentez votre peau se détacher de votre corps. Enfin vous émergez sur l'herbe, votre nouvelle peau brillant dans la lumière matinale.

La mue du serpent suggère qu'il participe aux mystères de la guérison et de la renaissance. Ses mouvements sinueux, mimant ceux de l'énergie vibrant dans nos corps et dans la terre, en ont fait un symbole puissant et essentiel dans la tradition druidique.


Symbole de fertilité

On a retrouvé à Maryport dans le Cumbria et à Lypian Park dans le Gloucestershire, d'anciens autels druidiques de forme phallique. Sur l'un des côtés de l'autel du Cumbria, un serpent est sculpté, un œuf entre ses mâchoires. Un autre est représenté enroulé autour de l'autel du Gloucestershire.

L’œuf dans la bouche du serpent signale que les anciens connaissaient les détails de la conception, peut-être grâce à des visions ou des rêves ; le serpent représente le spermatozoïde et l’œuf l'ovule. Des sculptures rupestres pictes retrouvées en Écosse représentent elles aussi un spermatozoïde rencontrant des ovules.

Associé au pénis et au sperme, le serpent symbolisait le dieu et la sexualité masculine, mais il était aussi lié à la déesse dont il veillait sur les puits sacrés en s'y enroulant pendant la nuit. Sa consécration à Brighid, déesse des puits, de l'eau, du feu se retrouve à l'époque chrétienne dans certains hymnes gaéliques :

A la Sainte Bride, le serpent le matin

Sortira de son trou,

Je ne lui ferai pas de mal,

et lui ne me touchera pas.


La forme du serpent et son double pénis l'ont évidemment fait associer à la fertilité et aux dieux qui la symbolisent. On représentait souvent Cernunnos avec des serpents à la main ou en guise de jambes. La femelle du serpent, se mouvant comme les rivières sinueuses et donnant naissance à un nombre prodigieux de petits, renforce encore ce lien. On nommait le Cuckmere, dans le Sussex, la Rivière du serpent et l'on représentait Verbia, la déesse du Wharfe dans le Yorkshire, tenant un serpent à chaque main.


Nwyvre et la Pierre du Serpent

Le serpent servait à représenter le mystère de la procréation physique et métaphysique. Envenimé, il pouvait garder le secret de la régénération, qui est celui de l'utilisation correcte d l'énergie de l'énergie vitale, appelé Nwyvre dans la tradition druidique et Kundalini en Asie. Les deux serpents enlacés représentent la dualité de cette force qui, unifiées, engendre la vie. Une tradition galloise voulait que chaque ferme abrite deux serpents, mâle et femelle, qui protégeaient le foyer. Le Kundalini est parfois représenté en Asie sous la forme de deux serpents, Ida et Pingala. En Occident, la profession médicale a reçu l'emblème du caducée de mercure, suggérant que la vraie guérison passe par l'union des deux serpents formant un tout. L’œuf du serpent, symbole de cette unité, avait une importance capitale das la tradition druidique. Il représentait le plus grand trésor qu'un druide puisse posséder et avait de nombreuses propriétés magiques. Son nom écossais était glain neidre, la pierre du serpent, ou gleini na Droedh, le gemme du druide. Certains pensent qu'il s'agissait d'un talisman en verre et il est possible que les Pheryllts, les alchimistes druides, étaient aussi tourneurs de verre. D'autres penchent pour l'hypothèse des fossiles d'ammonites et d'oursins, ou des coquilles brillantes de buccins que l'on trouve parfois sur les plages. Les spirales des fossiles ayant la forme supposée de l'énergie terrestre, il est probable qu'ils aient été précieux à l'époque des druides. Quoi qu'il en soit, le véritable pouvoir des pierres du serpent relève du monde intérieur ; elles y catalysent l'incubation et la régénération du moi."

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Selon Sabine Heinz, auteure de Les Symboles des Celtes, (édition originale 1997, traduction française Guy Trédaniel Éditeur, 1998),


"Les premières apparitions de serpents sont des zigzags que l'on découvre sur les vestiges les plus anciens, des récipients datant de l'époque de Hallstatt par exemple. Par la suite, ils apparaissent sous forme de boucles de cheveux ou de serpentines. Les serpents jouent, sous différents aspects, un rôle prépondérant dans la symbolique des peuples de la terre entière, et donc dans la symbolique celtique. Le serpent n'y est pas considérée comme une espèce animale, mais comme un symbole à multiples facettes qui représente entre autres l'instant de la création. Il peut donc être remplacé par d'autres reptiles comme le lézard, le mille-pattes, le crocodile, et associé à certains attributs animaux comme les cornes, les bois, les têtes de cheval ou de bélier, etc.

Sa capacité de faire peau neuve en fait le symbole de la résurrection et sa forme rappelle celle d'un pénis ou d'un cordon ombilical. Tous deux symbolisent la fécondité et le nombre de descendants. Son venin destructeur suscite la frayeur, mais il peut également, comme la salive d'autres animaux (le chien, par exemple) ou l'haleine, symboliser la guérison. La forme et la manière dont le serpent se déplace établissent un lien entre la source et la mer, le ciel et la terre sont finalement associés au culte de l'eau, surtout parce qu'il provoque une grossesse si les femmes les avalent avec de l'eau, sous forme de vers par exemple. Il symbolise aussi la protection dans l'histoire de Conchobar : sa mère meurt à sa naissance, mais il tient dans ses mais les vers qui ont provoqué la grossesse. Sa fonction de gardien est étroitement liée à cette croyance ; il garde souvent l’entrée de l'Autre Monde. Conrad Cernach doit lui aussi sa vie au serpent qu'il tient également dans ses mains au moment de sa naissance. Dans l'histoire où les bœufs de Fraech sont chassés, Conrad Cernach est identifié au dieu-cerf Cernunnos (ce qui signifie maître des animaux), car le serpent, bien qu'il assume le rôle de gardien, ne lui fait aucun mal :


Fraech (ou Fraîch) apprit par sa mère que son troupeau, sa femme et ses enfants avaient été chassés dans les Alpes. Ignorant ses conseils, il se mit donc en route pour aller chercher ses bêtes. Il partit avec vingt-sept hommes, un chien et un faucon. Sur son chemin, il rencontra Conall Cernach, qui se joignit à lui. Dans les montagnes, une vieille femme d'origine irlandaise leur raconta que des bœufs venant de l'ouest de l'Irlande avaient été amenés ici. Elle les envoya chez une femme d'Ulster qui était la gardienne de ces bêtes et la concierge du château où ils devaient passer la nuit. La femme d'Ulster ne ferma pas le château, mais les mit en garde contre le serpent qui le gardait. Lorsque Conall et Fraech s'approchèrent de la porte du château, le serpent sauta dans la ceinture de Conall et y resta jusqu'au matin. Ils purent ainsi piller et détruire le château, et libérer femme, enfants et bétail.


Ses fonctions étant multiples, le serpent est souvent l'animal qui accompagne toutes les divinités étroitement liées aux cultes de la terre, de la fécondité et de la guérison. Représenté sur des armes, il fait peur et prend une allure guerrière.

L'être représenté sur la page de gauche est hermaphrodite et figure l'homme original indivis sur le point de se séparer en une partie mâle et une partie femelle. L'acte de création est symbolisé ici par le serpent qui sort de l'œuf. Le serpent n'a pas de pattes et est donc considéré comme l'état pré-humain. Son œuf est la première expression du passé pré-humain. Le serpent s'échappe en sortant de l’œuf (la mort) et mord le sein (la vie). Dans la mythologie celtique, au contraire de la conception biblique, l'homme ( le serpent) naît de la femme (l’œuf).

Sa faculté de faire peau neuve fait du serpent un symbole du créateur qui devient le signe du renouvellement. La double signification de son venin qui peut apporter la guérison mais aussi la mort correspond très bien à la pensée celtique qui considère à la base que la nature et les dieux sont finalement immortels et créent tout autant qu'ils détruisent. Le reptile suit très rigoureusement les saisons : quand le temps se rafraîchit à l'automne, il rentre sous terre. Ce n'est qu'au printemps, lorsque les jours redeviennent plus chauds, qu'il ressort de terre, la matière inanimée dont est issu l'être humain, et garde ainsi un lien avec les enfers. Il connaît la vie qu'on y mène et c'est pourquoi on le qualifie souvent de dieu des enfers qui féconde la déesse-mère en prenant la forme d'un cheval. Le serpent réunit les contraires et les rythmes que l'on trouve dans la vie de l'homme : il est venimeux ou inoffensif, vit sur terre u dans l'eau, se fige en hiver et ne se reproduit qu'à la lumière, au soleil (par suite, en Inde et en Égypte, il symbolise le soleil) ; il rampe sur le sol ou se dresse comme un arbre, il est vivipare ou ovipare. Les vers sont des serpents petit format. A des époques ultérieures, on rencontre des vers volants qui ressemblent à des dragons ou des serpents cornues (serpents à cornes de bélier) avec ou sans ailes. Geoffroy de Monmouth établit le lien entre le serpent et le dragon dan la Prophétie de Merlin. Les pieds ont été inventés plus tard pour aboutir au dragon que l'on retrouve sous différentes formes, avec parfois plusieurs têtes.

Dans la Bible, le serpent est le messager du Mal, il soumet Adam et Ève à la tentation et provoque la Chute. Selon la légende, saint Patrick chasse le serpent, un image illustrant le succès de la christianisation (Ve siècle) Nous retrouvons aussi le serpent aux Enfers (Voir The Voyage of the Sons of O'Corra).

Aujourd'hui, nous le rencontrons sous un jour plus positif, en tant que symbole de la sagesse, sur les blasons où il peut cependant représenter aussi le Diable. La dualité mort / vie qui l'accompagne est toujours présente, car son venin mortel guérit sous forme de médicament. Enroulé autour du bâton d'Esculape, il est aujourd'hui encore le caducée des médecins ; malheureusement, dans la plupart des cas, on le craint et on le considère comme un symbole de méchanceté et de fausseté."

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Symbolisme onirique :


Selon Georges Romey, auteur du Dictionnaire de la Symbolique, le vocabulaire fondamental des rêves, Tome 1 : couleurs, minéraux, métaux, végétaux, animaux (Albin Michel, 1995),


Les analystes et les symbolistes les plus réputés ont tous honoré l'ophidien d'une réflexion approfondie. Les textes consacrés à l'interprétation de ce symbole sont d'une exceptionnelle richesse. Prétendre réaliser en quelques pages une synthèse utile de ces travaux serait présomptueux.

L'image du serpent imprègne les couches les plus archaïques de la psyché. On pourrait dire que l'histoire de la conscience commence avec le serpent. Dans ces conditions, comment justifier une étude qui se propose d'éviter la référence aux mythes, cultes et coutumes qui constituent, pour l'essentiel, la base de toutes les traductions de l'ophidien ? Peut-être en rappelant, avec simplicité, que la vocation du Dictionnaire de la symbolique est de répondre aux besoins opérationnels de ceux qui ont un usage quotidien de l'image. Plus une image a fait l'objet d’observations portant sur les matériaux culturels et plus il nous paraît judicieux de concentrer notre effort sur sa place dans le rêve. En ce qui concerne le serpent, la référence au mythe sera réduite à ce qui est indispensable pour mettre en valeur la prodigieuse persistance, dans les replis de l'inconscient contemporain, des inspirations qui furent, jadis, à l'origine de la formation des représentations mythiques.

Quel serpent faut-il s'attendre à rencontrer dans les productions de l'imaginaire ? Cobra, aspics, naja, boa, vipère, couleuvre ? Dans la presque totalité des situations, c'est le terme générique serpent qui est utilisé par les rêveurs et les rêveuses. On notera, ici ou là, quelques boas, cobras ou vipères, mais ceux-là, ensemble, représentent moins de 10% des apparitions d'ophidiens.

Le serpent se manifeste dans 13% des scénarios de rêve éveillé, ce qui est considérable. Encore convient-il de s'interroger sur le poids de ses interventions. Est-il de ces images fugaces, évanouies aussitôt qu'aperçues ? S'inscrit-il parmi les symboles autour desquels se structure une séquence du rêve ? Possède-t-il la présence de ces grands acteurs du rêve, capables de tenir le premier rôle tout au long d'un vaste scénario ?

La démarche est opportune car elle suscite une réponse très spécifique au serpent ! Celui-là se manifeste avec autant de puissance dans chacune des trois situations que nous venons d'évoquer. Dans tous les cas, il servira la dynamique d'évolution. Il est, par nature, initiateur. Suivant les circonstances, il développera, en outre, des rôles particuliers.

Dans la moitié de ses interventions, il se présente sous la forme de ce que nous appellerons le serpent fugitif. Celui-là, très caractéristique, traverse la scène du rêve et disparaît. Surgi d'un lieu incertain, il passe et se perd dans un trou du sol. Cette apparition furtive n'est pas un acte mineur de la dynamique de l'imaginaire. Elle est une hiérophanie. Elle manifeste des énergies intemporelles que l'état de conscience particulier auquel le rêve éveillé donne accès rend visibles. Avec le serpent furtif, c'est le mystère des forces ignorées du psychisme qui passe. Une telle vision témoigne, prépare, annonce. Le serpent furtif est très souvent un éclaireur qui précède l'intervention du vieux sage dont il partage, nous reviendrons sur ce thème, la vocation initiatrice.

Lorsque l'ophidien élargit sa présence à la totalité d'une séquence plus ou moins importante du scénario, il peut y assumer des rôles divers. Il peut être, seul ou près du vieux sage, le gardien du seuil, celui qui, simultanément, interdit et propose le passage. Il est parfois une indéniable représentation phallique. A l'occasion, il symbolise clairement le mal, la violence, les pulsions destructrices refoulées par le rêveur. Souvent associé à la vision du Christ, il expose le mystère de la mort et de la résurrection. Le serpent, par essence, il sera facile de le montrer, est vie. Il est la vie manifestée. Il représente encore - mais n'est-ce pas la même chose ? - la puissance de l'anima, le principe féminin.

Lorsqu'il s'impose comme le personnage central d'un scénario, présent sur la scène tout au long de l'action, il s'agit toujours d'une emphase placée sur l'une ou plusieurs de ces composantes psychiques. L'imaginaire, par un grossissement parfois caricatural, entend soit rendre inéluctable la prise de conscience, soit protéger jusqu'à la limite extrême un contenu refoulé.

Cette dernière proposition ne peut trouver plus belle illustration que la vingt-deuxième de ma cure d'Anne-Marie. Ce rêve demeure la plus impressionnante aventure onirique placée sous le signe du serpent dont il nous ait été donne d'être témoins. Nous avons naguère reproduit la presque totalité de ce rêve dans Les Pharaons survivent en nous, en raison de la ressemblance entre cette hallucinante traversée du pays des serpents et le voyage nocturne d'Osiris dans les douze régions de la mort. Dans sa progression à travers les douze heures de la nuit, le dieu solaire est protégé des atteintes du serpent Apopi, symbole des forces mauvaises, par le serpent Mehen, déployé au-dessus de sa tête. Anne-Marie, pendant trente-cinq minutes, traverse un monde peuplé de serpents qui la menacent. Un cobra la guide et la protège. La longueur du scénario et l'abondance des autres documents oniriques nous contraignent à réduire la citation aux quelques phrases qui rendront sensible l'atmosphère du rêve de la patiente :


« ... Je suis tombée sur la plage, à travers les ronces... le sable, que je croyais plein de racines... est en fait grouillant de serpents. Je hurle de panique et me précipite vers la mer... la plage, le sable... ce n'est qu'un... qu'un conglomérat de serpents grouillants... je plonge dans la mer... je nage... je nage... mais la mer aussi est pleine de serpents... c'est horrible, cette impression !... Est-ce qu'ils sont dangereux ?... Ce contact est tellement horrible ! Il ne fait pas paniquer à ce contact... tant qu'ils ne m'ont pas tuée !... Les serpents ne me touchent plus.... il y en a partout dans la mer... ils nagent à des profondeurs inégales... j'aperçois une barque, et, dedans, il y a des cobras... c'est un cobra qui conduit la barque... je vois un serpent énorme, gros comme une baleine... c'est comme si j'étais plongée dans un monde, une planète, où il n'y a que des serpents... C'est effrayant ! Il y en a partout... je tente le tout pour le tout et je monte dans la barque où il y a le cobra et je lui demande de me conduire... c'est lui qui conduit la barque.... »

L'embarcation emmène Anne-Maire à travers un réseau de canaux étroits dont les berges sont infestées de reptiles, puis dans un tunnel dont la voûte basse est garnie de serpents qui sifflent et cherchent piquer la rêveuse. enfin, l'étrange nautonier guide l'esquif vers un débarcadère. Là une allée s'offre bordée d'arbres dont les branches abritent encore des serpents. Le cobra se place verticalement entre les jambes d'Anne-Marie qui avance "avec une démarche de canard". Et, soudain, le décor se transforme. Une maison apparaît, que la patiente reconnaît : elle fut le lieu d'un épisode particulièrement traumatisant de la petite enfance d'Anne-Marie. Le souvenir, jusqu'à ce jour inaccessible, s'impose avec une puissance imparable, par l'action de l'influx nerveux. Le noyau dur de la problématique vient de se dissoudre. Le rêve est achevé. La cure aussi !

L'image du cobra dressé entre les cuisses de la rêveuse et qui la guide vers le lieu du souvenir inflige l'évidence de l'attitude inconsciente de revendication du pénis. Cette composante de la problématique d'Anne-Marie est attestée par le contenu de plusieurs des autres scénarios de la cure. Elle ne pouvait pas, seule, provoquer la formidable multiplication des serpents du rêve. Ces visions fantasmatiques démesurées sont un rite de passage à l'échelle d'un refoulement entouré de protections exceptionnelles. Lorsqu'on se place à la distance suffisante des scènes oniriques, il n'y a aucune différence de nature ni de résultat entre le passage du serpent furtif, qui s'accomplit en quelques secondes et les trente-cinq minutes de l'aventure hallucinante d'Anne-Marie sur la planète des serpents !

Le caractère phallique de l'ophidien est évident, mais il est rarement ce qui détermine l'apparition du serpent dans le rêve ! Lorsque cet aspect se fait trop ostensible, il trahit la complicité entre des pulsions libidinales exacerbées et la mentalisation incontestable de l'image. Une brève séquence du neuvième scénario de Laurence constitue un bon exemple de ces situations dans lesquelles l'allégorie est si transparente qu'elle a fait douter de sa pureté !

« J'ai maintenant les pieds dans l'eau... il peut y avoir des serpents d'eau aussi ! J'ai pas vraiment peur... comme si ma hantise des serpents, elle aussi, était un jeu ! Je sens le serpent qui entoure mes chevilles... j'ai peur qu'il monte le long de ma jambe... peur qu'il aille directement au sexe... et que je ne pourrai rien faire... à la fois une attirance et une peur colossale... c'est froid et chaud un serpent... j'ai peur qu'il dévore l'intérieur !... »

L'association qui lie le serpent, l'arbre et la femme est aussi ancienne que la mémoire des hommes. Ancienne, elle l’était déjà lorsqu'elle a inspiré les images de la Genèse. Le nom de la première mère, Ève ou Eva, qui signifie vie, vient de heva ou hava désignant à la fois le serpent et la vie. A l'époque de la rédaction des textes bibliques, l'écriture ne reproduisait que les consonnes. Eve, la vie, c'est le V. Le V, c'est aussi le un qui devient deux, la figure qui expose le mouvement de séparation des contraires. Le développement de la conscience repose sur la distinction progressive des opposés. C'est le serpent, à la langue bifide, qui suggère la rupture de l'état d'innocence par la connaissance du bien et du mal. La perte du paradis est le prix qu'il faut acquitter pour entrer dans la manifestation, dans le monde de la conscience. Une vie s'ouvre, un état meurt. Le serpent, au plus fort du sens, est séparateur. Il se tient à la frontière entre chaque couple de contraires et, d'abord, entre l'être et le néant.

Deux séquences, extraites de scénarios aux tonalités très dissemblables, vont illustrer l'aptitude du serpent à prendre en charge la mystérieuse synthèse de la vie et de la mort. Elisabeth, au fil des premières séances de sa cure, expérimente une authentique renaissance psychologique. Les tensions qui neutralisaient une part importante de ses énergies se dissipent. Voici quelques phrases de la huitième séance :

« ... Là, je suis dans une forêt... tout est noir, les troncs sont intacts mais il n'y a plus de feuilles... tout a été carbonisé par un incendie... des corbeaux volent au-dessus, des aigles aussi, des rapaces carnivores, d'une autre époque... et là, je vis, plus loin, le soleil haut... c'est deux mondes, côte à côte, séparés par une ligne noire... d'un côté tout est carbonisé, de l'autre il y a des champs de blé avec la vie, la nature, les animaux... un monde noir et un monde blond, et moi,j'ai un pied dans chaque... le monde noir c'est l mort et je me dirige vers la vie... j'avance dans cette nature où je me sens tout de suite heureuse... je n'avais pas le bonheur en moi ! Ici, c'est la paix, la joie... l'amour de tout ce qui vit... j'ai , à nouveau, l'image d'une vipère... qui se transforme en énorme boa... enroulé autour d'un arbre... nos regards se croisent... il n'y a pas de peur mais pas le même amour que pour les autres animaux... »

Dans le dix-huitième scénario de Brann, la magie du rêve se déploie avec une ampleur qui provoque l'effroi. L'alchimie de l'imaginaire mêle avec aisance le mystère et la réalité apparente. Le traducteur hésite entre l'évidence du sens et le sentiment d'être placé devant l'inaccessible.


Brann est médecin. Il a trente-cinq ans. L'expérience de la vie et de la mort s'est inscrite dans sa chair lors de sa naissance. Né inanimé, considéré comme mort, il a été ramené à la vie dans les secondes qui précédaient le temps des lésions irréversibles. Le dix-huitième rêve restitue cette expérience à travers des images et des sensations saisissants. Des dauphins conduisent le rêveur au pied d'un iceberg dans lequel s'ouvre une grotte. Brann a cheminé longtemps dans un réseau de galeries aux parois glacées, à l'intérieur de l'iceberg. Maintenant, il est nu et la scène qui va suivre présente toutes les caractéristiques qui définissent habituellement les revécus du passage natal, sauf la chaleur douce. Aucun autre rêve ne contient une séquence comparable au franchissement de cette mère de glace !

« ... Je suis entré dans la faille... par une ouverture étroite, ce n'est pas facile !... J'ai l'impression d'être dans une galerie qui me colle à la peau... là, je sens le froid... y a juste la place pour moi. Si l'iceberg se resserrait ! Un moment, la galerie remonte un peu... me voilà à plat ventre... puis je rampe sur le dos... tout à coup, ça s'élargit dans le sens horizontal... là, j'arrive dans une grande salle... sur le dos !... Une grande salle de glace, comme une caverne... et là... y a des serpents... et un vieux bonhomme qui a l'air d'être le gardien des serpents... il a un bâton... les serpents sont groupés tout autour de lui... il retient les serpents... il a une barbe blanche, le crâne dégarni, le nez assez long... il porte une cape et des spartiates à lanières de cuir... il a une cloche dans l'autre main... y a une bonne trentaine de serpents, dressés autour de lui, en demi-cercle... là, par terre, ce n'est pas de la glace, c'est de la terre, là... le vieil homme sonne la cloche et tous les serpents se transforment en superbes femmes, puis en sirènes... leur corps a l'air d'être vivant, mais en même temps de glace un peu... le vieux resonne de la cloche et ça redevient des serpents... ils me laissent approcher... le vieux les contient... et, là, je vois son œil immense, très bleu... et je suis entré dans son œil... »

Le froid mortel, le froid glacial, qui s'est engrammé dans le système nerveux du bébé u cours de la naissance induit les images de passage du corps nu au contact des parois de glace. Par-delà ce rappel, terrible et guérisseur, la séquence rassemble presque toutes les connotations symboliques du serpent.

Son association avec le vieux sage témoigne de sa fonction de gardien du seuil. Ici, le franchissement du seuil prend le double sens de la naissance et de la renaissance psychologique. La nature féminine du serpent ne pourrait être montrée plus clairement que par sa métamorphose en femme puis en sirène ! Il est utile de préciser que le rêveur dispose d'une anima puissante.

Le lien de l'ophidien avec le double mystère de la vie et de la mort trouve ici son expression la plus pathétique. La présence du serpent dans la scène du retour à la vie et sa participation à la dissolution des séquelles de l'accident natal affirment son pouvoir de guérison.

L'identification du serpent au vieux sage est encore plus nette dans un scénario produit par une autre personne qui voit une dizaine de vieux sages assis en cercle, tournés vers l'intérieur et qui, alternativement, se penchent jusqu'à faire se toucher leurs têtes et se redressent. La rêveuse évoque l'image d'une fleur qui s'ouvre et se referme. A plusieurs reprises, les vieux sages se métamorphosent en serpents qui accomplissent le même mouvement rituel. Le serpent, comme le vieux sage, paraît alors comme le détenteur de la mémoire du monde. Une mémoire qui englobe les événements du passé et l'histoire des temps à venir ! Eux seuls, possesseurs de la connaissance totale, échappent à la relativité qui réduit la conception humaine du bien et du mal.

Tant de scènes oniriques proposent le serpent dans ses rôles les plus enthousiasmants qu'il nous faut faire un grand effort pour respecter le cadre défini pour cet article.

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En présence de cet éminent symbole, on devra se souvenir du fait que son incursion dans le rêve, qu'elle soit brève, appuyée ou dominante, manifeste toujours des énergies psychique non soumises aux limitations du mental.

Celles-là expriment les besoins de la vie totale. La vérité qu'elles se proposent de promouvoir déborde infiniment le cadre des repères du Moi. Le sens de la vie totale peut s'opposer à celui-là et placer ses valeurs en risque mortel. Affranchi des limites humaines dans le rapport au bien et au mal, le serpent imaginé peut être le plus décisif ou le plus dangereux des agents d'évolution.

L'observation des rêves fait apparaître une corrélation entre le serpent et le cercle, particulièrement avec les cercles concentriques. Ceux-là sont l'une des images qui expriment le plus sûrement le processus d'élargissement du champ de conscience. Cela n'est pas sans rapport avec le serpent qui se mord la queue, l'Ouroboros.

Prince d'un royaume aux dimensions inappréciables par l'intellect, détenteur d'un pouvoir dont l'exercice est affranchi des contraintes d'un bien et d'un mal codifiés, incarnation de l'énergie impersonnelle qui mène l'univers, le serpent du rêve prend sens en fonction des images qui l'environnent.

Gardien du seuil, il annonce ou préside une phase décisive de la dynamique d'évolution. Sa nature féminine en fait un actif promoteur de l'anima. Il se prête à la projection des contenus refoulés de l'inconscient, de l'ombre et prend alors le masque hideux du seigneur du mal. Il ne dédaigne pas d'assumer le rôle de représentation phallique. sa nature le prédispose à servir brillamment la dialectique non humaine de la vie et de la mort.

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Mythologie :


Jean Poirier et Marie-Joseph Dubois proposent dans un article intitulé "Les mythes de Maré" (paru dans le Journal de la Société des océanistes, tome 4, 1948. pp. 5-47) une transcription du mythe de Tashongone :


Tashongone.

La grand-mère et son petit-fils restent à Nece. Aux plantations, le petit garçon, Waicahane, trouve un petit serpent, Tashongone. Il l'apporte à sa grand-mère. Il prend un coco sec et le met dedans. Le serpent reste dans la noix de coco sèche et le petit lui donne à manger. Le serpent grandit et ne peut plus rester dans la noix de coco. Waica le met dans une gourde (wawene) .' A son tour, il remplit le wawene. Il le met dans le trou creusé dans un tronc de cocotier wabanu. Le serpent grandit encore et remplit le wabanu. Il le met dans une grande case ronde à toit pointu (meice) ; le serpent grandit toujours; puis dans une grotte (malu). Le serpent ne peut plus rester dans le malu. La nuit, il va à la pêche. Sa queue est à Guadurehmu et sa tête à Dua i Wadrorima. En faisant le cercle, il rabat les poissons au petit banc de sable de Pawaroi. Le matin, Waica est allé lui donner à manger dans le malu. Le serpent dit au petit : « Va dire à ta grand-mère d'aller chercher des yenamio » (plante marine comestible) .

Ils vont voir les yenamio. A la place, ils trouvent le poisson rabattu par Tashongone. Et c'est comme cela toutes les nuits. A côté du malu, il y a un grand banian yedenge. Tous les matins, le serpent monte dessus et se chauffe au soleil, sur sa cime. Les si Medu ont entendu que le serpent attrape beaucoup de poisson et veulent le tuer par jalousie, mais pas en l'attaquant directement parce qu'ils en ont peur. Ils ont fait un nœud coulant canewe avec des lianes menide. Ils l'ont placé sur la branche du grand denge. Le matin, le serpent est monté sur le grand banian, il est entré dans le nœud coulant. Les si Medu ont tiré la corde. Le nœud a serré. Le serpent s'est débattu; il a même cassé une grosse branche, mais le nœud a tenu. Les si Medu ont tué le serpent et l'ont mangé. Ceux qui l'ont mangé sont morts.

*

*

Autre mythe tiré du même ouvrage :


Waunacaiei.

Toa-titi lifou.

En ce temps-là, tout le monde allait chercher des piritru (sorte de champignons) pour faire des échanges. Un jeune homme dit à ses parents : « Je vais en chercher dans la forêt ». Il trouve des figuiers yeukane morts couverts de piritru. Il monte sur un yeukane et remplit son panier. Mais il n'a pas vu un petit serpent noir et méchant, waunacaiei, qui était perdu dans la forêt. Le serpent lui saute autour du cou. Dans sa peur, le garçon est tombé du figuier. Le serpent lui dit : « N'aie pas peur. Conduis-moi chez mon père et ma mère. — Je ne sais pas où sont votre père et votre mère. — Je vais te montrer le chemin et tu iras. » Ils entrent tous deux dans la forêt. Le serpent montre le chemin et le garçon le suit. Ils arrivent dans une clairière, guhnahnerece. Le serpent : « Quand nous serons dans cette clairière, il ne faudra pas avoir peur, car tous les serpents vont venir de toutes parts. Sous le rocher, il y a mon père et ma mère. Ils sont déjà vieux. Tu vas aller tout droit vers eux, et n'aie pas peur ». Le garçon aperçoit le vieux serpent dont la barbe traîne jusqu'à terre. Le garçon arrive et se tient devant le vieux. Le petit serpent saute de son cou et s'en va trouver son père et sa mère qui sont dans la joie... Tous les serpents crient de joie dans leur langue parce qu'ils ont retrouvé leur frère.

Le vieux serpent dit au garçon en se servant du petit serpent comme interprète (sic) : « Que vais-je te donner, puisque tu as ramené mon fils ? » Le petit serpent dit : « II faut demander ce qu'il y a dans sa bouche ». Le vieux serpent dit : « C'est bien ». Le petit serpent dit au garçon : « N'aie pas peur, ferme les yeux et ouvre la bouche ». Le vieux serpent approche et fait entrer sa langue dans la bouche du garçon. Il lui crache dans la bouche. Le vieux serpent dit à son fils : « Le garçon va comprendre le langage des oiseaux et des animaux. Mais il ne devra dire son secret à personne ». Quand le garçon part, tous les serpents le saluent, et il va trouver son père et sa mère.

Le garçon est riche, parce qu'il comprend le langage des oiseaux et des. animaux. Parce qu'il est riche, il prend une femme. Un jour, il part avec sa femme aux champs. Là, il entend les oiseaux qui disent : « II va pleuvoir ». Il dit à sa femme : « Vite, il va pleuvoir ». La femme : « Mais quoi ? Il fait beau. » — « Deko, non, fais vite. » — Mais il fait beau. — Non.

Les oiseaux répètent : « II va pleuvoir ». L'homme se retourne pour voir les oiseaux. La femme lui dit : « Que regardes-tu ? — Rien. — Si. Il faut dire parce que tu regardes quelque chose ». La femme le questionne jusqu'à ce qu'il avoue son secret. Il dit : « Je comprends le langage des oiseaux et des animaux ».

Ils retournent à la maison. Là, leur maison, son père, sa mère, les arbres, les plantes, tout a disparu. C'est la punition de l'homme parce qu'il a désobéi au serpent.

*

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Et encore :


Une et Poneri.

Les deux époux ont trois garçons et un dernier wananaase qui n'est pas bien (mal bâti) . Il est morveux (wawebengode) et mal fait. Quand les trois premiers ont grandi, ils sont jaloux du petit, parce que leurs parents aiment leur dernier-né, parce qu'il est mal bâti. Il s'appelle Poneri. Les trois vont chercher à manger. Au retour, ils donnent à manger à leurs parents et disent : « II ne faut rien donner à ce petit ». Le matin, les trois vont encore chercher à manger. Le soir, ils retournent, ils donnent à manger à leurs parents et disent encore : « II ne faut rien donner à ce petit ». Quand le petit a un peu grandi, me nubone ha hma, vers trois ans, le petit va voir où ses frères font le four, il trouve les écorces de magnania xexue et les mange. Le soir, les autres disent : « II a un gros ventre ». Ils montent sur son ventre et le piétinent hueze et ce qu'il a mangé sort. Et c'est comme ça tous les jours.

Quand il est jeune garçon, il sort sans rien dire à personne, va derrière la maison, il voit les racines de banian, il les suit jusqu'à un grand creux (wathebe). Il voit au centre du wathebe un champ d'ignames, de bananiers, de cannes à sucre, de taros. Il reste debout sur le bord du wathebe. Il entend une voix qui dit : « Pourquoi regardes-tu? » II a peur : « Qui êtes-vous? — Moi. — Qui moi? » La voix part d'un banian de l'autre côté du wathebe : « Regarde le banian ». Il aperçoit un gros serpent noir une sur le denge. Poneri a peur et tremble. Une lui dit : « Descends, n'aie pas peur et reste debout au milieu du wathebe. Je vois que tes frères ne sont pas bons pour toi. Je te donne ce champ avec les ignames, les bananes, les cannes à sucre, les taros, pour les porter à ton père et à ta mère ». Poneri fait ce que dit Une et il les porte à ses parents.

Sa mère : « Qui t'a donné ça ? — C'est Une. — Kei ! Merci oreone ». Le matin, Poneri repart encore jusqu'au bord du wathebe. Une lui dit : « Descends ». Son père et sa mère ont dit à Poneri : « Dis à Une de se faire voir complètement » car Poneri ne l'avait pas bien vu. Poneri dit à Une : « Retoke, je veux vous voir ». — Je ne suis pas un homme, je suis un esprit uianet. — II faut vous montrer pour que je vous voie ». Une : « Reste là debout et n'aie pas peur ». Poneri debout au milieu du wathebe entend les banians balancés par Une qui se déroule d'eux. Une : « N'aie pas peur ». Poneri entend quelque chose qui se traîne. Une vient au devant de Poneri, tourne autour de lui, l'enroule et lui dit : « Ouvre ta bouche ». Poneri ouvre la bouche et ferme les yeux. Une fait entrer sa langue dans la bouche de Poneri et lui crache dedans. Une : « C'est fini » et il se déroule. Puis : « Poneri, ma puissance nene est avec toi. Quand tu parleras et que tu auras besoin de quelque chose, tu diras seulement : « Je veux cela » et tu l'auras ». Poneri : « Merci ». Une : « Voici les ignames. Prends pour ton père et ta mère. Haekede. » Le garçon va partir.

Une lui dit encore : « Demain, tu iras au village et tu trouveras un poisson iatoke ; tu l'apporteras et tu le cuiras pour tes parents à la place des saletés apportées par tes frères. A la mer, tu prendras duwani, tu le rouleras avec la main sur une pierre et tu verseras le jus blanc sur le corps. Tu deviendras tout blanc, fort et beau. Tu vas monter sur le pedidi, couper un suyu, tu en feras un casse-tête. Sur le pedidi tu crieras : « Inu co there o re hna shiti tha ni Poneri. Je viens chercher ce qui a été serré dans les boyaux de Poneri ». Poneri fait cela. Ses frères entendent : « II y a quelqu'un, disent-ils, qui crie : Je viens chercher ce qui a été serré dans les boyaux de Poneri. Et c'est Poneri qui crie cela ». Ils ont peur. Ils restent là, et Poneri est un grand gaillard vigoureux. Il pose son panier, appelle ses frères : « Autrefois, quand j'étais petit, vous m'avez piétiné sur le ventre. Maintenant, je suis un homme fort ». Il court sur eux avec son casse-tête et leur fend le crâne à tous. Ils sont tous morts. Poneri va trouver Une : « Caca (Papa) , j'ai tué mes trois frères parce qu'autrefois ils m'ont piétiné le ventre ». Une : « II ne faut pas garder rancune. Autrefois, j'ai eu pitié de toi. Il fallait avoir pitié d'eux ».

Et Poneri est resté seul avec Une.

*

*

Dans son ouvrage Celui qui marchait avec les esprits (Édition originale, 1995 ; traduction française Éditions Robert Laffont, 1997), Hank Wesselman rapporte la rencontre du héros Naïnoa avec le serpent de sagesse :


"Sa lance à la main, Naïnoa s'approcha prudemment de l'endroit où les chiens s'étaient arrêtés, mais il faillit ne pas le voir. Juste devant lui, dans un gros arbre qui surplombait la mare, somnolait un énorme serpent.

Il en eut le souffle coupé. Immobile, l'animal géant semblait faire partie de l'arbre. Dans la semi-obscurité du canyon, son corps brun-verdâtre était presque invisible, avec ses taches noires et ses marbrures aunes. L'animal était assez gros pour avaler un daim, un cochon des bois ou même un homme. Comme une partie de son corps disparaissait sous l'eau, Naïnoa ne put vérifier sa longueur, mais il l'estima à une vingtaine e mètres. Sa tête était longue comme l'avant-bras de Naïnoa, avec des yeux dorés étonnamment petits et une longue rayure noire en diagonale sur le crâne. Jamais Naïnoa n'avait vu de bête pareille, ni dans la forêt ni même au marché du village où l'on vendait la peau de serpent tannée. Le géant attendait probablement que son prochain repas passe sous l'arbre en venant s'abreuver à la mare, comme Naïnoa avait failli le faire. Comprenant à quel danger il venait d'échapper, Naïnoa frissonna vivement et vérifia autour de lui s'il n'y avait pas d'autres serpents. Puis, fasciné par les proportions monumentales de la bête, il s'accroupit pour le contempler.

De toute évidence, ce naheka occupait un rang élevé parmi les serpents. C'était peut-être un roi ou une reine. Ses écailles luisaient si curieusement que Naïnoa se demanda s'il était réel. Était-ce un être surnaturel, le "seigneur" du canyon, créature échappée d'un mythe ou d'une légende ? L'endroit aussi paraissait irréel. Naïnoa avait-il par mégarde franchi une porte menant au royaume mythique des esprits animaux ? Dans la mythologie de son peuple, le serpent était le symbole de la sagesse. Celui-là était si gros qu'il avait certainement vécu très longtemps et appris beaucoup. Nagaï avait dit à Naïnoa que pendant leur longue vie ces serpents ne cessaient de grandir.

Le vieux chasseur lui avait aussi parlé d'une histoire très ancienne où un gros serpent vivait dans un kapokier, dans un endroit mythique appelé Eden. Certains érudits situaient Eden dans Milu, le royaume inférieur des esprits animaux. D'autres pensaient qu'il était dans Lanikeha, le royaume supérieur des dieux, des héros et des maîtres spirituels. Il existait encore une version de l'histoire où ces différentes royaumes étaient reliés entre eux par un arbre dont les racines plongeaient dans le monde inférieur et les branches s'épanouissaient dans le royaume supérieur, son tronc passant par plusieurs niveaux d'apparences.

Les kahunas, expliquait Nagaï, croient que tout dans ce bas monde possède un aspect ordinaire visible et un aspect non ordinaire dans le royaume des esprits. Chaque nuit, quand une personne dort, sa conscience passe dans la réalité non ordinaire pendant le temps du rêve. Ce monde intermédiaire du rêve est aussi celui où va l'esprit de la personne quand elle meurt. Il y séjourne quelques temps pour s'habituer à son nouvel état et accomplir certaines actions avant de monter vers le royaume où résident les aumakuas, les esprits ancestraux. Selon la tradition, le serpent de Sagesse pouvait se déplacer du haut en bas de l'arbre et connaître ainsi tous les niveaux - supérieur, moyen, inférieur- de la réalité ordinaire et non ordinaire. En contemplant l'énorme reptile, Naïnoa se demanda s'il était en train de monter ou de descendre le long de l'arbre. ou s'il s'"était momentanément glissé par une porte pour venir se restaurer.

Dans l'un des mythes, le serpent offrait le don de sagesse à Éva, la première femme qui, à son tour, le donnait à son amant, Maui, le premier homme. Dans une autre version, Maui dérobait la sagesse au serpent par la ruse. Maui faisait toujours des choses extravagantes dans les légendes. C'était certainement le seul à pouvoir réussir un coup pareil. Heureusement, le grand serpent s'amusait des frasques de Maui, lui pardonnait et le prenait pour élève pendant un certain temps. Grâce aux enseignements du serpent, Maui arrivait finalement à rejeter sa vieille peau (comme le serpent) et devenait pleinement conscient, pleinement formé et informé de ce qu'était sa vraie nature. Ainsi, Maui devenait-il à la à la fin de ses jours un kahuna renommé, bien qu'il se soit comporté en vaurien pendant presque toute sa vie.

Selon d'autres mythes, le serpent était associé à un grand maître de l'enseignement spirituel nomme Iesu, également connu comme le "maître blanc". Iesu était menuisier et il devint un grand guérisseur kahuna après avoir reçu la sagesse du serpent. Dans certains récits, le serpent emmenait Iesu dans le jardin du monde d'en haut où ils retrouvaient un ancien élève du serpent, un grand sage nommé Kotama et souvent désigné par son titre honorifique, Kapukanui, la porte ou l'entrée suprême.

Comme Maui, Kotama avait autrefois été un homme, un prince qui vivait des milliers d'années plus tôt dans un pays de légende situé au-delà de l'océan, vers l'ouest. De son vivant, Kotama avait renoncé aux plaisirs terrestres pour se consacrer au savoir et au pouvoir spirituels que le serpent lui avait conférés un jour qu'il méditait, assis sous un kapokier. Kotama était alors devenu un grand maître spirituel et, à sa mort, avait pris comme résidence le jardin du monde d'en haut où il siège éternellement, absorbé dans une profonde méditation.

Quand Iesu et le serpent arrivèrent dans le jardin, Kotama les accueillit chaleureusement et servit de maître à Iesu, lui enseignant les méthodes menant à l'éveil de la conscience intérieure et à la connaissance de soi. Au bout de plusieurs années, Iesu redescendit sur terre pour enseigner le pardon et la compassion. Le mana de Iesu était si puissant qu'il lui permettait de marcher sur l'eau et de voler dans les airs comme un oiseau. Iesu pouvait même ramener l'âme d'une personne récemment décédée dans son corps et lui rendre la vie, avait affirmé Nagaï.

Dans d'autres légendes, le grand serpent se comportait en créateur et suscitait lui-même la vie. Il était alors "serpent arc-en-ciel", Kanaheaka' anuenue. Invisible le plus souvent, il ne pouvait être aperçu qu'en face du soleil, quand l'énergie solaire rencontrait l'eau de la vie qui tombait du monde d'en haut en pluie ou en brume. Alors le serpent arc-en-ciel devenait visible, au moment où il combinait lumière et eau pour en faire le fondement de toute vie....

*

*

André Leroi-Gourhan, dans un article intitulé « Ema », (In : Techniques & Culture, 57 | 2011, pp. 16-41) donne des précisions sur le symbolisme du Bœuf au Japon :


Le mot « e-ma » signifie « cheval peint ». D’une manière très générale ce sont des peintures sur bois, offertes aux temples pour obtenir l’accomplissement d’un vœu ou à la suite d’une promesse faite dans des circonstances difficiles ou dangereuses. Ce sont donc de véritables ex-voto, parfois exactement assimilables à ceux de l’occident, en particulier pour les bateaux que les marins offrent au temple après avoir couru de grands dangers sur mer. Leur nom de « chevaux peints » vient de ce qu’à l’origine on semble avoir offert des peintures de chevaux. À l’heure actuelle les chevaux sont encore le thème le plus courant.

[...]

Alors que les représentations de divinités se réduisent en fait à Jizô etTenjin (les Tengu sont des masques, les Nio et les hommes de pierre des statues), d’assez nombreux ema figurent l’animal ou l’objet qu’on associe au dieu, comme chez nous l’aigle de Jupiter ou le trident de Neptune. [...]


Serpent de Benten (shiro-hebi) : Benten (ou Benzai-ten), déesse de la probité, appartient au groupe des 7 dieux du Bonheur. Le serpent blanc l’accompagne, le luth est son instrument coutumier. On rencontre l’ema du serpent blanc dans la plupart des temples de cette déesse.

*

*


*





Littérature :


La Serpe et le Serpent


A un enfant qui murmurait dans l’ombre contre une mesure sage et utile.


Un jardinier, par aventure,

Oublia sa Serpe, et partit.

Un Serpent, près de là, veillait sous la verdure.

Il l’aperçut. Dès qu’il la vit :

— Que fais-tu là, dit-il, instrument de carnage ?

Est-ce moi que tu viens aujourd’hui maltraiter ?

La Serpe lui répond :

— Mais pourquoi t’irriter ?

Ai-je causé quelque dommage ?

— Eh quoi ! tous ces arbres si beaux

N’ont-ils pas, sous tes coups, vu tomber leurs rameaux ?

Tu ne respectes rien.

Le plus riche feuillage

Et les scions gracieux et nouveaux

Qui promettent le frais ombrage,

Tu n’as de paix, ni de repos,

Que tu n’atteignes tout de ton mortel outrage !

— Serpent, Serpent, ton langage est trompeur.

Je coupe la branche stérile,

Je donne au tronc plus de vigueur ;

L’arbre, qu’en apparence aujourd’hui je mutile,

Débarrassé d’une charge inutile,

A l’automne aura plus de fruits.

Va, je comprends la cause de tes cris.

Tu rampes dans la fange impure,

De ton venin tu souilles la verdure ;

Tu siffles dans l’obscurité,

Et, du milieu de l’ombre, atteignant l’innocence,

Tu n’as pour toi que ta malignité

Et le poison que ta langue me lance.

Si tu n’étais pas si méchant,

Si tu voulais être bon sur la terre,

Tu ne craindrais pas mon tranchant,

Et je ne devrais pas te déclarer la guerre.

Presque toujours nos jugements

Nous sont dictés par nos penchants.


Abbé Louis-Maximilien Duru, « La Serpe et le Serpent », Fables nouvelles, ou Leçons d’un maître à ses élèves, 1855. *

*

Dans ses Histoires naturelles (1874), Jules Renard brosse des portraits étonnants des animaux que nous connaissons bien :

Le serpent

I

Trop long.

II

La dix millionième partie du quart du méridien terrestre.

*

*

Dans Un lieu incertain (Éditions Viviane Hamy, 2008), Fred Vargas met le commissaire Adamsberg en prise avec un complot venu d'en haut :


"Adamsberg entendit Nolet sortir de la pièce, fermer une porte.

- OK, Adamsberg. Je suis seul. Vous me parlez bien de Carnot ? Emma Carnot ?

- Elle-même.

- Vous êtes en train de me demander de m'attaquer au serpent qui rôde ?

- Quel serpent ?

- Là-haut, merde. L'énorme serpent qui tourne dans leurs arrière-chambres. Vous m'appelez de votre portable ordinaire ?

- Non, Nolet. Il est bouffé par les écoutes comme une poutre par les vers.

- Très bien. Vous me demandez de m'attaquer à l'une des têtes du système ? Une tête collée à la tête princeps de l'Etat ? Vous savez que chaque écaille de ce serpent est collée à la suivante en une armure inviolable ? Savez-vous ce qu'il me restera à faire, après ? Si encore on me laisse faire ?

- Je serai avec vous.

- Que voulez-vous que ça me foute, Adamsberg ? cria Nolet. On sera où ?

- Je ne sais pas. Peut-être à Kisilova. Ou autre lieu incertain dans les buées.

- Merde, Adamsberg, vous savez que je vous ai toujours suivi. Mais je ne marche pas. On voit que vous n'avez pas de gosses.

- J'en ai deux.

- Ah bon, dit Nolet. C'est nouveau.

- Oui. Alors ?

- Alors non. Je ne suis pas saint Georges.

- Connais pas.

- Le gars qui tua le dragon.

- Oui, se reprit Adamsberg. Je le connais aussi.

- Tant mieux. Alors vous me comprenez. Je n'affronte pas le serpent qui rôde.

- Bien, Nolet. Alors transférez-moi le dossier Chevron. Je n'ai pas envie qu'un type meure parce qu'il a été témoin il y a vingt-neuf ans du mariage d'une ordure. Que cette ordure soit devenue une écaille du serpent ou pas.

- Une dent du serpent serait plus juste. Un crochet.

- Comme vous voudrez. Laissez un peu tomber ce serpent, transférez-moi ce dossier et oubliez tout. [...] Adamsberg regardait les ors du Palais soigneusement repeints.

- On gratte les ors et que trouve-t-on dessous, Danglard ?

- Les écailles du gros serpent, dirait Nolet.

- Collées à la Sainte-Chapelle. Ça ne va pas bien ensemble.

- Pas si mal. Il y a deux chapelles superposées et bien séparées. La chapelle basse était réservée aux gens du commun, la chapelle haute au roi et à son entourage. On en revient toujours là.

- Le gros serpent passait déjà là-haut au XIVe siècle, dit Adamsberg en levant les yeux vers la pointe de la flèche gothique.

- Au XIIIe siècle, corrigea Danglard. Pierre de Montreuil la fit construire entre 1242 et 1248.

[...] - Ça va faire une foutue explosion.

- Bien sûr. Les gens seront scandalisés, on proposera de réformer la justice, et puis on les fera oublier en exhumant une affaire quelconque. Et vous savez ce qui se passera ensuite.

- Le serpent blessé sur trois écailles, victime de quelques convulsions, les aura reconstituées dans deux mois.

- Ou moins. [...]

- Pourquoi protège-t-on cette ordure de Mordent ?

- Parce que le droit chemin n'est pas droit. Mordent ne fait pas partie du serpent, il a été gobé tout cru. Il est dans son ventre, comme Jonas."

*

*


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