Étymologie :
TAON, subst. masc.
Étymol. et Hist. 1176-81 toons (Chrétien de Troyes, Chevalier au Lion, éd. M. Roques, 177) ; ca 1180 taün (Marie de France, Fables, Del leün e del gupil, v. 48, éd. A. Ewert et R. C. Johnston, p. 45) ; ca 1220 tahons (Constant du Hamel, Fabliau, éd. C. Rostaing, 446) ; 1701 la premiere mouche qui le piquera sera un taon « le moindre malheur qui lui arrivera, achèvera de le perdre » (Trév.). Du lat. tardif tabonem, acc. de tabo, -onis (att. ds l'Egloga Nasonis, Poet. Carol. I, 338, 21 d'apr. Ern.-Meillet), altér. par substitution de suff. du lat. class. tabanus « taon ». Le type tabo est également représenté par le roum. taun et le port. tavao ; le type tabanus, lui, a donné l'a. prov. tavan et l'esp. tabano (v. Rayn., Cor. t. 4, p. 321 et REW no8507).
Lire également la définition du nom taon afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Zoologie :
Symbolisme :
Dans Le Livre des superstitions, Mythes, croyances et légendes (Éditions Robert Laffont, 1995 et 2019), Éloïse Mozzani nous propose la notice suivante :
Dans les Bouches-du-Rhône, le taon rouge est un bon présage mais le taon noir porte malheur.
Selon une croyance du Mentonnais, le double d'une sorcière endormie peut prendre la forme d'un taon qui s'échappe de sa bouche pour exécuter ses forfaits : « Si on change de place le corps pendant son absence, la sorcière meurt ».
Quand les taons piquent ou qu'ils se collent à la peau de l'homme, c'est que l'orage arrive.
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Emmanuelle Es-Borrat, dans un article intitulé "Entre le taon et la raie-torpille, pratique de la maïeutique au XXIe siècle" (In : Actes du 26e colloque de l’ADMEE-Europe, Cultures et politiques de l'évaluation en éducation et en formation, 2014), rappelle le lien symbolique entre le taon et le philosophe :
La tradition rapporte de Socrate qu’il s’adressait à ses amis au gré de ses rencontres sur l’agora, la place publique. Fils de sage-femme, Socrate aimait à dire qu’il pratiquait le même métier que sa mère, à savoir celui d’accoucheur. La différence majeure résidait dans le fait que sa maïeutique consistait à faire accoucher les esprits, autrement dit, à faire prendre conscience à son interlocuteur d’une vérité autre que ses opinions premières (Platon, 1992). Cette « mise au monde » a pour forme le dialogue, lui-même soutenu essentiellement par des questions. Socrate brandissait en effet volontiers sa fameuse maxime « Je sais que je ne sais rien ». S’il posait des questions, c’est donc qu’il n’avait pas de réponse toute faite à offrir. Son rôle, par contre, consistait à accoucher les réponses de son interlocuteur afin que ce dernier trouve, par lui-même, réponse à ses interrogations.
Dans ce contexte, l’interprétation que donne Hannah Arendt de l’attitude de Socrate dans ses Considérations morales est particulièrement significative. Puisant dans les sources antiques, la philosophe rappelle en effet que Socrate était comparé à un taon et à une raie-torpille. Deux images a priori contraires : l’insecte aiguillonne alors que le poisson paralyse ! Ces métaphores font pourtant sens dans le contexte de la maïeutique. En effet, si Socrate « piquait » son interlocuteur par ses questions, l’encourageant à trouver par lui-même les réponses à sa recherche, la position d’interrogateur du philosophe conduisait également le dialogue à un stade de doute, d’embarras face à un savoir que l’on croyait acquis et se révélait au fil de l’entretien un non-savoir. Socrate se défendait donc d’enseigner quoi que ce soit (il n’a d’ailleurs rien écrit), mais il permettait à son interlocuteur de prendre conscience du pouvoir de sa raison et de sa liberté à aller chercher elles-mêmes une vérité.
[...]
Le taon pique : le début du chemin réflexif
« Premièrement, Socrate est un taon : il sait comment réveiller les citoyens qui sans lui « dormiraient paisiblement le reste de leurs jours », à moins qu’un autre ne les réveille à nouveau. Et à quoi les éveille-t-il ? A la pensée, à examiner des questions, activité sans laquelle, selon lui, la vie non seulement ne valait pas grand-chose mais n’était même pas tout à fait vivante. » Arendt, 1996, p. 49
Comme Socrate, l’enseignant peut être un éveilleur de pensée et accompagner la recherche personnelle de l’apprenant. Tel Socrate, il admet d’emblée l’opinion de son interlocuteur, répond par questions et commentaires permettant à la pensée d’envisager de nouvelles directions, et pique sans confrontation abrupte. Autrement dit :
Il n’enseigne pas… mais invite à l’examen critique.
Il questionne et commente dans l’espace d’un dialogue spécifique.
Il ne confronte pas… mais « facilite ». [...]
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Mythologie :
Lise Wajeman et Emmanuelle Gallienne proposent un entretien avec Irène Bonnaud, dans un article intitulé "Le supplice du taon Ou comment les demandeurs d'asile ont beaucoup perdu depuis Eschyle" (In : Vacarme, 2013/2, n°63, pp. 34-57) :
Retour à Argos est une mise en scène des Suppliantes d’Eschyle, que vous avez choisi, dans votre traduction, de renommer Les Exilées. Le spectacle s’ouvre cependant par une scène empruntée à une autre pièce d’Eschyle, Prométhée enchaîné…
Dans cette scène qui nous sert de prologue, Prométhée est attaché à un rocher, puni parce qu’il a volé le feu. Mais tout à coup se produit cette chose très étrange : un personnage qui n’a rien à voir avec l’histoire arrive sur scène. C’est Io, fille du roi d’Argos. Zeus s’est épris d’elle, un oracle a affirmé qu’elle devait consentir ; Héra a surpris leur étreinte et pour se venger, transformé la pauvre jeune femme en génisse. Comme Zeus a continué malgré tout d’aller voir Io — « qui avait de belles cornes », dit Eschyle — Héra, de plus en plus furieuse, a envoyé un taon la persécuter. Pourchassée par cette épouvantable mouche, Io a été condamnée à faire le tour du monde dans une sorte d’errance perpétuelle : cela l’a conduite à quitter la Grèce, à arriver au bout du monde, très au Nord, au bord de l’océan, là où est enchaîné Prométhée. C’est ainsi que ces deux personnages qui n’ont aucun rapport entre eux se rencontrent dans la pièce d’Eschyle. C’est beau, parce que Prométhée est un Titan, un dieu de la génération d’avant les Olympiens, tandis que Io est une petite mortelle, et qu’ils se retrouvent tous deux torturés de façon symétrique. Prométhée est fixé sur son rocher pour des millénaires tandis qu’elle est condamnée à la mobilité perpétuelle.
Io demande à Prométhée quand son supplice prendra fin. Il se lance alors dans un grand récit : elle devra faire le tour du monde, traverser la steppe, monter en haut du Caucase, contourner la mer Caspienne, revenir, traverser le détroit entre l’Europe et l’Asie — qui s’appellera le Bosphore, c’est-à-dire le chemin de la vache — et elle finira par arriver en Afrique dans le delta du Nil, où Zeus aura pitié d’elle. Là, il la caressera. Elle retrouvera forme humaine et mettra au monde le fils de Zeus qui s’appelle Epaphos et qui est un enfant noir à l’origine des dynasties des rois d’Afrique. Ce roi aura une fille : Libye. Libye aura un fils : Belos. Belos aura à son tour deux enfants : Danaos et Egyptos.
[...]
Prométhée était l’emblème d’un mouvement ouvrier qui se voyait en Titan apportant le feu à l’humanité. Aujourd’hui c’est Io qui nous raconte notre monde. En Europe, les gens ne sont plus seulement enfermés dans des centres de rétention ou mis en prison pour défaut de papiers. Ce sont de plus en plus les victimes d’une sorte d’enfermement en mouvement, d’errance perpétuelle qui les épuise et qui s’avère aussi terrible qu’un enfermement : à l’image de Io, pourchassée par son taon, qui ne peut jamais se poser quelque part pour dormir, pour manger, et qui erre sans arrêt sur les routes.
Aujourd’hui, beaucoup de gens, à cause de la réglementation de l’espace Schengen, se retrouvent dans cette situation, en particulier du fait de Dublin II.
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Selon François Cassingena-Trévedy, auteur de « Harcèlement », (In : Études, vol. , no. 2, 2018, pp. 71-72) :
Il est, dans le Prométhée enchaîné d’Eschyle, une scène hautement pathétique: après que le héros, lui-même poursuivi par la vindicte du jeune souverain de l’Olympe, a été cadenassé par Héphaïstos sur un rocher désolé aux confins du monde, survient auprès de lui, pour le consulter sur le sens et l’issue de sa propre souffrance, Io l’infortunée, tourmentée par le taon que lui a infligé la jalousie d’Héra, en châtiment de son commerce avec Zeus, lequel l’avait séduite – encore lui – en prenant la forme d’un nuage. « Ah! ah! encore! Un spasme soudain, un accès délirant me brûlent. Le dard du taon me taraude, tel un fer rougi. Mon cœur épouvanté piétine mes entrailles. Mes yeux roulent convulsivement. Emportée hors de la carrière par un furieux souffle de rage, je ne commande déjà plus à ma langue et mes pensées confuses se heurtent en désordre au flot montant d’un mal hideux… » Io, Io, immense Io, dont le sublime tragique grec a su faire, non la comparse d’une histoire burlesque de cocuage, mais la figure d’un destin universel – l’errance constitutive de l’Homme sous le fouet d’un adversaire sans visage et d’une inquiétude sans remède –, comme le sera plus tard la Phèdre de Racine : « Tout m’afflige, et me nuit, et conspire à me nuire… » Io, victime emblématique, patronne du… harcèlement subi.
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Contes et légendes :
Ion Taloş, auteur d'un Petit dictionnaire de mythologie populaire roumaine. (Editions Ellug, 2002) rapporte un conte roumain :
Aleodor l'Empereur
Sur son lit de mort, un roi dit à son fils Aleodor qu'en aucun cas il ne devrait chasser sur les terres d'un demi-homme qui chevauche sans cesse un demi-lièvre. Aleodor passa outre l'interdiction et fut pris par le demi-homme qui exigea de lui, en contrepartie, qu'il lui ramène pour femme la fille de l'Empereur Vert. Chemin faisant, Aleodor aide un brochet, un corbeau et un taon en danger. Il reçoit une écaille du premier, une plume du second et un duvet du troisième, objets qui l'aideront dans les difficultés. L'Empereur Vert lui promet sa fille s'il réussit à se cacher trois jours de suite sans que celle-ci puisse le trouver, sinon on lui tranchera la tête et on la plantera sur le seul des cent pieux restant encore libre. Les animaux aident alors Aleodor. Le brochet le métamorphose en une brème et le cache au fond de la mer, mais la princesse le découvre au moyen d'une lunette merveilleuse. Le corbeau le transforme en son petit et l'enlève jusqu'au vent des cimes, mais là aussi elle le découvre. Le taon le change en une lente et le cache dans la natte de la princesse, où celle-ci ne peut le trouver. Aleodor obtient donc la princesse et se rend avec elle chez le demi-homme. Toutefois, elle refuse d'épouser le monstre qui meurt de rage. Aleodor épouse la princesse et son royaume englobe maintenant celui du demi-homme.
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Littérature :
Tant d’or.
Passez les patries à l’épreuve du tan
et du temps
et encore des taons.
Robert Desnos, Corps et Biens (Éditions Gallimard, 1930).
Dans Un Baiser d'ailes bleues, 150 rencontres avec des animaux extraordinaires (Éditions Arthaud, 2009) Nicole Viloteau croque sur le vif des portraits animaliers insolites :
Un taon aux yeux orange
Côte est du Nord-Queensland. Jungle de la grande cordillère australienne. Bruits de castagnettes des cigales géantes grises ou vertes. Rainettes perchées dans les strates arborées : Litoria rubella, Litoria gracilenta, Litoria rotbii... et Litoria bicolor. Abondance de champignons sur les troncs et les litières mouillées : amanites mortelles, coulemelles floconneuses et bolets jaunes suspects. je pénètre dans une forêt de cèdres au sol tapissé d'aiguilles rouges. Adossée à un arbre, je m'octroie une petite sieste bien méritée. Un taon noir, sinistre, au gros yeux orange fluorescents ausculte les bottes en caoutchouc que je viens de retirer... Il essaie à présent de sucer ma chaussette gauche. Comme beaucoup d'insectes, ses pattes d'un noir de réglisse ont des oreilles, minuscules excroissances ou « tympans » fixés sous les genoux, ultra-sensibles à la moindre vibration !
Le soir tombe J'ai dormi deux heures.
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Joanna Kotowska-Miziniak, autrice d'un article intitulé "« Salir pour nettoyer » : autour de la notion de pureté dans la pensée de G. Bachelard et dans la prose (néo) romanesque de M. Butor" (In : Acta Universitatis Lodziensis., Folia Litteraria Romanica, 2020, n°15, pp. 293-304) explique succinctement l'analogie entre un personnage et le taon :
L’univers de L’Emploi du temps [de Michel Butor] est rempli d’autres types d’ailes, cette fois minuscules et membraneuses. Parmi les divers insectes, règnent incontestablement les mouches, devenues synonymes d’impureté (1). Ce sont surtout les taons qui mériteraient un regard plus approfondi, car ses traits caractéristiques en font un animal emblématique de la ville. Selon les encyclopédies, le taon est une espèce de grosse mouche dont la femelle pique et suce le sang. Ses larves, qui se développent à partir d’œufs pondus en terrain pourri, vivent dans le sol humide ou dans la boue près des étangs (2). Cette description ne présente-t-elle pas des ressemblances frappantes avec Bleston ? Avec ses terres putréfiées et boueuses, à proximité de la rivière marécageuse, elle constitue un milieu idéal pour ce genre d’insectes. Et de surcroît, la ville elle-même suce les forces vitales de ses habitants à la manière d’un taon hématophage. Sans plus nous éloigner du sujet de l’article, remarquons pour finir que les insectes, tout comme les tristes oiseaux, ne sont pas exempts de la salissure communiquée par l’élément aquatique, comme le montre l’exemple d’un « taon blanc et sale aux ailes trempées dans l’eau de la Slee » (ET, 337).
Notes : 1) Curieusement, chez Jean-Paul Sartre, les mouches symbolisent une culpabilité collective.
2) Note sur le taon rédigée à partir des articles suivants : http://www.dinosoria.com/taon.htm, http:// www.mediadico.com/dictionnaire/definition/taon/1 ; consulté le 06.09.2019.
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