Étymologie :
THON, subst. masc.
Étymol. et Hist. 1. Ca 1393 ton ichtyol. (Ménagier de Paris, éd. G. E. Brereton et J. M. Ferrier, p. 237, 32) ; 1538 thon (Est., s.v. muria) ; 2. 1690 « chair de ce poisson » (Fur.). Du lat. thunnus, thynnus, de même sens, gr. θ υ ́ ν ν ο ς « id. », peut-être par l'intermédiaire du prov. ton « id. » (att. seulement dep. le xves. ds Levy Prov.). Voir FEW t. 13, 1, p. 318b.
Lire également la définition du nom thon afin d'amorcer la réflexion symbolique.
Zoologie :
Dans Les Génies des mers, Quand les animaux marins défient les sciences (Éditions Flammarion, Paris, 2023) Bill François attire notre attention sur les merveilles révélées par l'ichtyologie :
Les as de la course au large
Dans les immensités bleus où l'horizon tient lieu de rivage, le thon passe sa vie en voyage. Un jour en Corse, le lendemain en Espagne, il traverse l'Atlantique en un mois. N'importe quel athlète aimerait connaître le secret d'une telle endurance. Quelle est donc sa potion magique ?
Une vie sur les routes : En vérité, si le thon est un champion de natation, c'est qu'il n'a pas le choix. Il est condamné à nager sans cesse, même quand il dort, faute de quoi il coulerait, et se noierait !
Les poissons qui vivent près du fond, comme nos poissons rouges font circuler l'eau qui leur permet de respirer en battant des ouïes. Le thon n'a pas cette chance : dépourvu de la faculté de ventiler activement ses branchies, il doit pour respirer sillonner les flots, la bouche ouverte. Il nage donc même en dormant et ne connaît jamais le repos.
Ce qui paraît un triste sort constitue en fait une formidable adaptation à la vie au grand large. L'évolution a donné aux thons les conditions d'une vie à la mesure du vaste océan. Ils arpentent sans répit les zones les plus riches en nourriture, afin d'alimenter leurs muscles en se goinfrant de bancs d'anchois, lors d'immenses festins sauvages le gueuleton des thons est impressionnant à voir : la mer bouillonne sur des kilomètres lorsque ces animaux affamés font ripaille à la surface. Jeune, le thon dévore l'équivalent de son propre poids chaque jour. sa masse double ainsi chaque année. Et pour manger toujours plus, il nage toujours plus vite, et plus loin.
Ce mode de vie sans limites, il el partage avec d'autres compagnons de démesure, comme lui sprinters du grand large. Les poissons à rostre, marlins et espadons, mais aussi les coryphènes, les wahoos et même l'humble maquereau, qui n'est autre qu'une version miniature des grands thons. Ce sont les bolides de l'océan, des êtres dont la vie n'est qu'un éternel voyage : on les appelle les poissons pélagiques.
Voler sous l'eau : Bien sûr, pour nager vite, l'effort ne suffit pas, il faut aussi de la technique. Thons et autres pélagiques ont développé un mode de nage extrêmement efficace, qui ridiculiserait - s'il en était besoin - nos brasses papillon et autres dos crawlés, tout juste bons à nous faire boire la tasse. Eus ont inventé une manière de voler dans l'eau.
Lorsque nous nageons, deux forces sont susceptibles de nous aider à avancer : la traînée et la portance. La trainée, c'est la résistance de l'eau à notre mouvement. Nous savons tous en faire bon usage. C'est grâce à elle que, lorsqu'on bat des palmes, que l'on effectue une brasse ou que l'on rame, on accélère. On s'appuie en quelque sorte sur l'eau en exploitant le fait qu'elle s'oppose à nous, de façon à nous propulser. Mais le poisson pélagique préfère procéder autrement. Il met plutôt à profit la portance, c'est-à-dire l'aspiration qui le porte par appel d'eau, lorsque le fluide s'écoule très vite au-dessus de ses nageoires. C'est la même aspiration qui, dans l'air, fait voler les avions. D'ailleurs, toutes les nageoires des pélagiques sont galbées, à l'image des ailes de nos aéronefs, et leur corps est tout aussi rigide. Mais, pour effectuer cette nage, l'animal doit aller très vite, afin que l'eau s'écoule à grande vitesse au-dessus de ses ailes, générant ainsi d'intenses forces de portance. Il lui faut donc un moteur efficace.
Un biceps qui nage : Sans doute avez-vous déjà vu une darne de thon sur un étal de poissonnerie. Vous aurez alors remarqué qu'elle ne comporte quasiment que du muscle - à la joie des gastronomes. La cavité abdominale est réduite au strict nécessaire : un tout petit tuyau renferme tous les organes, laissant place au maximum de masse musculaire.
Vous aurez aussi remarqué que la chair du thon - le muscle, donc - se présente en feuilles concentriques, un peu comme les anneaux sur une coupe de tronc d'arbre. C'est que tous ces muscles sont en fait de longs tubes, que des tendons relient tous à la queue de l'animal. Toute la puissance générée dans le corps de la bête est ainsi restituée au niveau du pédoncule caudal. C'est la seule partie du thon qui se plie et engendre le mouvement. Le reste du corps est absolument rigide, et les nageoires latérales jouent uniquement un rôle de gouvernail. L'animal est bâti, en somme, comme les sous-marins nucléaires, dont toute l'énergie du réacteur n'alimente que l'hélice, au bout, qui les propulse.
Tenir un thon vivant dans ses mains procure une sensation étrange : on sent vibrer toute la masse musculaire avec une force qu'on en voit nulle part ailleurs dans le règne animal ; on a la sensation de tenir un marteau-piqueur, mais pas par la poignée... Et gare à celui qui tenterait d'attraper le thon par la queue. La force restituée y est telle qu'elle lui briserait facilement le poignet !
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Mais la force de ces animaux, qui est en train de caser leur perte en nous poussant à consommer massivement leurs muscles, est aussi ce qui eut les sauver. Les thons, considérés comme des merveilles de la nature par les premières civilisations de Méditerranée, fascinent en effet les Européens depuis le Néolithique, on en a retrouvé peints sur des murs de grottes préhistoriques en Sicile.
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Bancs : Quand mille poissons ne font qu'un seul [...] Les prédateurs aussi savent se mettre en banc. Et eux utilisent la stratégie de groupe comme une arme offensive. De nombreuses espèces sont de fait capables de se coordonner pour chasser. Ainsi, thons et carangues, en vrais régiments napoléoniens, livrent des batailles rangées aux anchois et autres maquereaux. Chaque individu aide ses voisins à rabattre ou à saisir le gibier. Certains brisent l'organisation des proies en sautant en plein milieu de ces dernières, créant une onde de choc qui les assomme, tandis que d'autres ramassent les individus ainsi dispersés.
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Symbolisme :
Selon Victoria Sabetai, auteure d'un article intitulé « Pêcheurs : les jeunes hommes et la mer », (paru dans Images Re-vues [En ligne], 16 | 2019) :
Un lécythe provenant de Sicile (520 avant J.-C.) porte une scène de pêche où les deux pêcheurs sont identifiés à Héraclès et Hermès, à savoir deux personnages mythiques qui incarnent la vigueur physique et l’esprit ingénieux nécessaires à l’homme pour dompter les créatures de la mer. Dans cette scène, Poséidon est représenté tenant le thynnos en tant qu’attribut et poisson emblématique, mais aussi comme victime sacrificielle en son honneur. Les chercheurs reconnaissent presque unanimement le poisson souvent tenu par Poséidon comme un thon bleu et notent que dans les sources écrites, cette association préexiste à celle du dieu accompagné de son autre animal maritime préféré, le dauphin. Le thon, à l’instar de l’anguille, est une créature aquatique jouant un rôle particulier dans les cultes et les sacrifices. D’ailleurs, Athénée mentionne que lors des Thynnaia, une fête qui avait lieu à Halai, le premier thon pêché était offert à Poséidon ; cela signifie qu’il s’agissait d’une espèce de dîme (dekatê) payée au dieu de la mer, rendu ainsi favorable à l’intervention des hommes dans son royaume maritime et remercié pour les moyens de subsistance qu’il leur consentait.
Une réplique de thon en métal dédiée à Poséidon (inscrite et datée de la fin de la période archaïque) constitue un important témoignage pour comprendre la valeur spécifique du thon. Cette réplique fidèle montre que diverses représentations sur les vases, habituellement considérées comme des images génériques de poissons, étaient reconnues dans l’antiquité comme appartenant à l’espèce du thon, chargée de diverses connotations religieuses et cultuelles. En général, le thon est associé aux représentations de grands poissons, mais d’autres, souvent réalistes, sont de dimensions plus modestes. La queue crochue - comme celle des poissons de notre skyphos - est caractéristique. L’iconographie de notre vase fait donc très probablement référence à la pêche au thon, une proie que la ruse d’Hermès permettait de piéger et que la force d’Héraclès permettait d’attraper, comme l’atteste aussi le lécythe provenant de Sicile. Il s’agissait donc d’un exploit qui convenait parfaitement aussi aux éphèbes. En passant à travers diverses épreuves, ceux-ci devaient démontrer qu’ils combinaient à la fois les qualités de l’esprit et du corps pour pouvoir s’intégrer en tant qu’hommes mûrs au sein de la communauté des citoyens. La chasse, activité organisée de caractère éducatif, cultuel et collectif, accomplie sous l’égide de la polis, constituait une telle épreuve.
La pêche est une variante de la chasse. Plus précisément, la pêche au thon constituait un événement social car il s’agissait d’une entreprise collective et spectaculaire, d’échelle majeure et de caractère violent, qui nécessitait esprit collectif, collaboration à plusieurs niveaux, endurance et habileté. Le groupe de pêche comprenait le thynnoskopos, qui observait depuis le sommet d’une tour de guet sur la côte (thynnoskopeion) le passage du banc de thons, et les rameurs, qui encerclaient le troupeau avec leurs bateaux, ainsi que les pêcheurs, qui le piégeaient dans des filets spéciaux. Des textes du IIe et du IIIe siècle de notre ère se réfèrent à la sagesse du thynnoskopos, tandis qu’ils comparent les poissons encerclés à une ville assiégée. Les comparaisons faites entre les hoplites morts héroïquement et les thons sont également remarquables. Autrement dit, la pêche au thon était aussi une espèce de topos littéraire pour les auteurs, qui y puisaient comparaisons et métaphores afin d’agrémenter leurs textes. Ceci valait également pour les peintres de vases et leur fiction vasculaire.
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L’interprétation de la figure du jeune homme couronné, en train d’examiner un morceau du corps du poisson qu’il tient, est essentielle pour la compréhension de l’image dans son contexte religieux / rituel. L’acte énigmatique qu’il accomplit n’a pas d’équivalent. Le corps des poissons seulement évoqué par le dessin de leur queue, tant dans le panier du premier, que dans la main du deuxième jeune homme, est peut-être une évocation indirecte du sacrifice qui a précédé. Si cela est correct, il s’agirait ici de la représentation de la divination dans le cadre du sacrifice du thon : le jeune homme tiendrait le poisson sans tête d’une main, tandis que de l’autre, il saisirait ses entrailles pour les examiner. Comme on le sait, cette forme de divination consistait en l’inspection des entrailles de la victime égorgée. Examen préalable, elle avait pour but de vérifier que le sacrifice était favorablement reçu par les dieux et que les présages étaient propices à l’issue future des événements. Si l’examen des entrailles était considéré comme favorable, on l’indiquait avec les mots ‘hierà kalá’ ou ‘sphagia kalá ’ et l’avenir ne présageait aucune contrariété. L’examen des entrailles est devenu un sujet favori de l’imagerie de vases vers la fin du VIe -début du V e s. av. J.-C., à savoir durant la période de confection de notre skyphos. [...] Par contre, le jeune homme couronné de notre skyphos n’est pas un hoplite, mais le membre d’un groupe d’éphèbes qui vient de conduire avec succès une chasse en mer. Pour cette raison, nous pensons que le sacrifice, l’examen divinatoire préalable et l’offrande de la dîme, doivent être interprétés comme s’intégrant à la fête célébrant l’éducation des éphèbes et marquant leur passage à la vie adulte et leur intégration au corps des citoyens.
L’acte du jeune homme pourrait également être interprété comme la consommation rituelle du poisson traité, les sources écrites mentionnant aussi des offrandes sacrificielles de thons salés. Dans ce cas, le sacrifice du poisson devrait être conçu comme une offrande de nourriture, à savoir comme un cadeau qui souligne le besoin de l’homme de communiquer avec la divinité.
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Symbolisme alimentaire :
Pour Christiane Beerlandt, auteure de La Symbolique des aliments, la corne d'abondance (Éditions Beerlandt Publications, 2005, 2014), nos choix alimentaires reflètent notre état psychique :
Ce poisson est un gourmet. Il jouit de la vie. Lorsqu'il savoure pleinement les bonnes choses, le jus lui en dégouline hors de la bouche. Il ne se privera de rien !
Celui qui est attiré par ce poisson a envie de vivre davantage, d'en retirer le maximum, de s'autoriser à jouir pleinement de tous les délices de la vie. Il a besoin de s'en donner à cœur joie ! Il devra s'autoriser généreusement à se faire ainsi plaisir sans avoir, pour cela, besoin d'autrui, bien que la jouissance partagée puisse elle aussi faire partie des choses agréables.
Le Thon est un animal charmant qui aime la compagnie et se plaît à fréquenter les autres dans une ambiance chaleureuse. Pourtant, il aime aussi être seul : dans l'intimité douillette de son propre Être. Jouir de la vie lui est inné et il ne se retiendra pas ! Pourquoi le ferait-il ? Il prend, se délecte des fruits juteux de la vie. Il se nourrit très bien car cela est extrêmement important pour lui. Il aspire - quoique inconsciemment - à donner corps en lui à la rondeur, à la jovialité cordiale, à la tendresse et à la douceur. Il est sensible de nature. Il est très important pour l'amateur de Thon qu'il oriente sa vie vers la joie pour que sa forte charge affective puisse elle aussi s'orienter vers la gaieté, non vers la tristesse.
Il a quelque chose d'enfantin en lui et il permettra que cet enfant intérieur soit nourri, soit heureux, qu'il reçoive amour et tendresse, qu'il prenne appui sur ses propres jambes, qu'il ne dépende pas des autres pour se pourvoir en "bonheur". Il fera bien de s'autoriser les choses, sa sévérité. Il est très gentil et très bon pour lui-même, il se permet de jouir de la vie pleinement ! Au vu du caractère qui est le sien, le Thon s'apparente manifestement au Maquereau.
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Littérature :
Les Pêcheurs et le Thon
Des pêcheurs étant allés à la pêche avaient peiné longtemps sans rien prendre ; assis dans leur barque, ils s’abandonnaient au découragement. Juste à ce moment un thon qui était poursuivi et se sauvait à grand bruit, sauta par mégarde dans leur barque. Ils le prirent et l’emportèrent à la ville, où ils le vendirent.
Ainsi souvent ce que l’art nous refuse, le hasard nous le donne gratuitement.
Ésope, Traduction par Émile Chambry, Fables, Société d’édition « Les Belles Lettres », 1927.
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