Étymologie :
ZÉBU, subst. masc.
Étymol. et Hist. 1754 (Buffon, Hist. nat., t. 11, p. 298). Mot tiré des parlers de l'Inde ou du tibétain zeu, zeba « bosse du zébu, du chameau ».
Lire également la définition du nom zébu pour amorcer la réflexion symbolique.
Zoologie :
Dans l'article intitulé "Buffles et zébus au Proche-Orient ancien." (paru in Hethitica XVI. Mélanges Neu, 2003, p. 1-9) Olivier Casabonne nous apprend que :
[...] Le zébu est, à l'instar du buffle, originaire d'Inde comme son nom savant l'indique - Bos indicus. C’est un animal au squelette assez gracile – à l’opposé du buffle qui est bien plus massif – et avec de longues jambes. On le reconnaît aisément par son fanon sous la gorge et, surtout, par la bosse au-dessus du garrot, masse musculo-graisseuse, résultat de la domestication de l’animal (1). Ce mammifère est particulièrement adapté aux zones steppiques et, contrairement au buffle, peut résister longtemps à la privation d’eau. Il habite surtout dans les pays chauds, son fanon et ses longues oreilles assurant une plus forte déperdition thermique. Des vestiges ostéologiques de zébus, remontant au Bronze Récent, ont été retrouvés au Proche-Orient, en Anatolie comme au Levant. Ainsi, l’archéologie vient confirmer les renseignements fournis pas les sources littéraires classiques. La documentation iconographique, également, atteste de la domestication de l’animal dès l’âge du Bronze.
Note : 1) D’où le problème que pose le terme agrioi qu’utilise Aristote pour qualifier les bovins syriens. Faut-il traduire ce terme par « sauvages » ? Ou bien un sens premier renvoyant, tout simplement, à un usage agro-pastoral ne doit-il pas plutôt être retenu ? La bosse du zébu peut prendre de grandes proportions à la fin de la saison humide tandis qu’elle devient molle et flasque à la fin d’une saison sèche.
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Symbolisme :
Selon Armelle de Saint-Sauveur, auteure d'un article intitulé "Le zébu dans le Sud-Ouest malgache, gardien des espaces pastoraux et des territoires ancestraux", 2003 (paru dans Le symbolisme des animaux L'animal, clef de voûte de la relation entre l'homme et la nature ?, Éditions IRD, Collection Colloques et Séminaires Paris, 2007) :
[...] 1. La symbolique de l’individu zébu : dénomination et appartenance
Le zébu malgache (Bos taurus indicus L., Bovidae), qui constitue l’essentiel du cheptel bovin de l’île, est un animal allochtone comme en témoignent la tradition orale et l’absence de fossiles (Dandoy 1980). Cet animal a été introduit par l’homme à partir de l’Afrique, il y a environ 1 000 ans (Daget et Lhoste 1995). Son nom malgache, aomby ou aombe, est dérivé du swahili ngombe.
Un des moyens d’approcher la symbolique du zébu chez les Bara est de s’intéresser à la façon dont ces animaux sont nommés par leur propriétaire. Les éleveurs bara ont une connaissance très fine de leurs animaux, en particulier de leur psychologie et de leurs caractéristiques physiques individuelles. L’individu zébu se distingue par le croisement de quatre types de caractères naturels : l’âge, le sexe, la couleur de la robe, la forme des cornes. À ceux-ci, il faut ajouter les marques effectuées aux oreilles par le propriétaire. Ces critères de distinction, qui peuvent sembler au premier abord purement descriptifs, nous renseignent, en fait, sur le rapport que l’homme entretient avec cet animal.
Le zébu est généralement nommé d’après sa robe “poil de bœuf” volon’aomby, mais aussi “robe”, “vêtement” akanzo, dont les nuances très nombreuses sont décrites avec une grande précision. Les Bara distinguent plusieurs types de robe définis par l’emplacement, la taille et la répartition des taches présentes. Ces types se déclinent dans quatre couleurs de base (noir, rouge-fauve, blanc, beige-gris). Par exemple :
soavolo : le corps est noir, avec de nombreuses et larges taches blanches sur les flancs ;
soavolo mety : le corps est blanc, avec de nombreuses et larges taches noires sur les flancs ;
soavolo mena : le corps est blanc, avec de nombreuses et larges taches rouges sur les flancs ;
soavolo mavo : le corps est blanc, avec de nombreuses et larges taches beiges sur les flancs ;
farimaso mety : le corps est blanc, une large tache noire autour des yeux ;
farimaso mena : le corps est blanc, une large tache rouge autour des yeux, etc. (Elli 1993 : 181-182).
Ce mode de dénomination, favorisé par la grande variété de couleurs que présente le zébu malgache, peut comporter jusqu’à une centaine de catégories (Elli 1993).
Les animaux mâles sont distingués des femelles par le préfixe re- placé devant le nom de la robe. Une “vache fauve” sera mena et un “mâle fauve” remena. Ce préfixe présente une similitude frappante avec le préfixe ra- placé devant le nom des hommes respectés du lignage, anciens et ancêtres défunts. Les zébus mâles sont particulièrement appréciés, voire admirés par les Bara, en raison de leur rôle dans les sacrifices cérémoniels.
La robe du zébu relève du sacré : les éleveurs disent parfois que c’est Dieu qui choisit la couleur que doit avoir leur mâle reproducteur. Lors des cérémonies, la robe de l’animal à sacrifier prend une signification mystique ; elle doit plaire aux ancêtres. Certaines couleurs sont requises pour certains rites : par exemple, un zébu noir doit être sacrifié chaque année aux esprits du territoire du village d’Ankaboka, auprès de la source où ils vivent. En général, les robes les plus rares sont les plus appréciées pour les sacrifices (Fauroux 1989). Certaines robes sont taboues pour certains clans. La “robe blanche mouchetée de roux” vandamena est interdite pour beaucoup de clans bara, le tabou étant presque toujours associé à une dispute meurtrière entre deux frères (Faublée 1954a). Si un veau de robe vandamena naît dans le troupeau, il doit être égorgé ou échangé au plus vite, sinon il provoquera la mort d’une personne liée au propriétaire (Faublée 1954b).
Le deuxième critère le plus utilisé pour définir un animal est l’âge associé au sexe : veau nouveau-né, veau sevré, génisse de deux à trois ans, taurillon de deux à trois ans, etc. On dénombre dix catégories dans la région de Sakaraha. La classification par âge a une connotation utilitaire, et sert surtout dans les transactions commerciales et pour les rapports avec l’administration. L’éleveur bara préfère appeler ses bêtes par leur robe, qui renvoie à une relation plus sentimentale et mystique : souvent, un troupeau a une couleur dominante qui reflète la préférence du propriétaire mais aussi celle de ses ancêtres et même de Dieu (pour la couleur des mâles reproducteurs). En nommant ses zébus par leur couleur et leur sexe, l’éleveur possède déjà un mode d’identification quasi individuel. Les robes sont tellement variées et le degré de précision de leur dénomination si élevé que chaque bête – ou presque – a un nom qui lui est propre.
La forme des cornes est aussi un moyen de distinguer les bêtes entre elles et revêt une grande importance esthétique. La direction des pointes et l’écartement des cornes sont les deux principaux critères retenus pour la classification. Pour les sacrifices, les bœufs âgés, dont les cornes sont recourbées vers l’arrière (ce qui se produit vers l’âge de sept ans), sont les plus appréciés.
Les marques d’oreilles, “les oreilles du clan” sofin’draza, sont des entailles faites selon un dessin préétabli qui peut être comparé a un blason clanique (fig. 2). Ce blason fait partie des quatre attributs qui définissent les clans dans le Sud-Ouest de Madagascar, avec le nom du clan, ses “interdits” fady et ses récits historiques (histoire des ancêtres).
Les blasons ont chacun un nom (différent du nom de clan) qui rappelle l’histoire du clan ou fait allusion à l’état originel, ou souhaité, du troupeau : “qui ne laisse pas pousser l’herbe” tsimagnabebosaka, “beaucoup de mâles” marolahy. Originellement, il existait une marque par clan. Aujourd’hui, ces marques claniques sont encore utilisées bien que les troupeaux n’appartiennent plus au clan mais à l’individu. Cependant, un lignage ou un propriétaire peut combiner à la marque clanique une entaille personnelle, ou même inventer une nouvelle marque pour les zébus obtenus par son travail. Enfin, certains animaux ne sont pas marqués, en particulier les animaux achetés et les zébus d’attelage, qui ne sont pas considérés dignes de porter la marque clanique.
La marque d’oreille n’est pas utilitaire. Elle ne permet pas, par exemple, de retrouver des zébus perdus ou volés. En effet, comme de très nombreux éleveurs partagent la même marque clanique et qu’un éleveur peut avoir des zébus portant diverses marques d’oreille (à cause des zébus offerts ou échangés), les marques ne sont pas d’une grande aide.
Les “oreilles du clan” sont plutôt un moyen pour l’homme d’affirmer son identité clanique à travers le seul support matériel qui lui reste à l’issue des scissions qui ont fragmenté les clans en lignages et segments de lignage. C’est l’appartenance de l’éleveur à son clan qui est mise en avant, bien davantage que l’appartenance des zébus à l’éleveur. Chez les Bara, le clan n’a plus d’existence concrète : il n’a pas de chef, pas de terres claniques, ses membres n’ont pas de tombeau commun et ne se réunissent pas (à l’exception du clan royal Zafimañely). Cependant, c’est l’appartenance au clan que les Bara de la région mettent en avant : les membres du lignage dominant du village de Bekily sont appelés “les Zafimitovo”, ceux du lignage dominant de Besakoa, “les Ambiloñy” ; or, Zafimitovo et Ambiloñy sont des noms de clans, dont l’origine n’est pas locale. Ces clans comptent de nombreux lignages dispersés dans le pays bara, mais on préférera la périphrase “les Ambiloñy du village de Besakoa” plutôt que de se référer au lignage exact. Le fait de ne pas nommer le lignage révèle probablement un refus idéologique de reconnaître la segmentation de l’organisation sociale, du clan vers des entités de plus en plus petites (segments de lignages). Seul le clan est idéologiquement reconnu. Le lignage n’est que le groupe réel au sein duquel l’idéologie du “clan” raza peut trouver sa réalisation concrète (Lavondes 1969). Faire porter la marque clanique à ses zébus représente donc aux yeux d’un Bara une grande importance sociale et idéologique.
Mais le zébu n’est pas le support inerte du blason : la marque qu’il porte l’intègre au clan, il en devient lui-même symboliquement membre (cf. J. Tubiana, cet ouvrage). L’éleveur, en le marquant du blason du clan, le nomme symboliquement du même nom que lui. Cette identification entre le zébu et l’homme apparaît encore plus clairement à travers le rôle cérémoniel du zébu.
2. La symbolique cérémonielle du zébu
En portant la marque du clan, le zébu devient l’intercesseur idéal pour établir la communication entre les vivants et les ancêtres. C’est à travers son rôle religieux que sa symbolique est la plus apparente.
Les Bara croient en l’existence d’un dieu unique, Zañahary, que seul le chef de lignage, qui est aussi le chef cérémoniel, peut invoquer. On l’appelle parfois “qui fait la prière” mpitata ou “qui fait le sacrifice” mpisoro. Le mpitata est chargé des rites qui font intervenir le dieu créateur Zañahary (cf. E. Fuchs et M.W. Callmander, cet ouvrage) et les ancêtres. Sa participation n’est pas nécessaire pour communiquer avec les esprits de la nature, que chacun peut prier directement ou par l’intermédiaire du “devin-guérisseur” ombiasy (Elli 1993). Tandis que les sacrifices offerts aux esprits de la nature ne requièrent que des animaux mineurs (poulets, moutons) et sont effectués au bénéfice d’un individu, le sacrifice effectué par le chef cérémoniel concerne le groupe : famille, lignage ou clan. Pour ces sacrifices, le zébu est requis, et en particulier le zébu marqué du blason clanique. Le zébu est le seul animal digne de mettre en relation le groupe familial, ses ancêtres et le Créateur.
Le contenu des prières indique très clairement une équivalence entre le zébu et l’homme. Par exemple :
« Voici le bœuf, ses mains, nous les échangeons contre nos mains, ses pieds, nous les échangeons contre nos pieds » (Elli 1993 : 95).
« Que personne ne meure de mes petits enfants et de mes enfants ; bénissez cet homme, il ne mourra pas, car voici le bœuf qu’ils amènent en demandant leur vie, que mes enfants ne soient pas malades, que je ne sois pas malade, pour avoir des enfants, voici le bœuf que nous échangeons contre nos enfants, que nous échangeons contre nos vies » (Elli 1993 : 94).
Dans cet échange, le zébu sacrifié vaut plusieurs vies humaines, il donne la vie à l’ensemble de la famille ou du lignage. Le “sacrifice” soro, effectué par le chef cérémoniel, a pour objet d’accroître la puissance vitale du groupe (Faublée 1954a). Ce rôle cérémoniel, qui est toujours à l’esprit de l’éleveur bara, rattache le zébu aux esprits et lui confère une aura particulière. Même dans la vie profane, le zébu est traité avec considération, comme un ancêtre, ou au moins comme un ancien. Le fait de porter la marque clanique rend le zébu “sacré” masy. Les interdits liés aux zébus sont nombreux et traduisent des marques de respect : il faut ôter son chapeau en entrant dans le parc à bœufs, on ne doit pas brûler le bois ayant servi de clôture au parc, la corde servant à traire ne doit pas tournoyer, etc. (Elli 1993).
On peut donc penser que le zébu est perçu par les Bara quasiment comme l’émanation des ancêtres. La marque d’oreille est un signe d’appartenance à une lignée composée non seulement des membres du clan ou du lignage, mais de ses ancêtres défunts. Pour J. Faublée, qui a vécu chez les Bara dans les années quarante, « La marque d’oreille fait du zébu le consanguin de l’homme, le raza comprend le troupeau presque au même titre que les hommes » (Faublée 1954a : 86). Il rapporte cette affirmation prononcée par un éleveur bara : raha raiky nanaova-ndrianañahary ñ’olo voho ñ’aomby “Dieu a fait un seul être des hommes et des bœufs” (Faublée 1947 : 382).
Le zébu symbolise donc l’homme, mais surtout l’homme en tant que membre d’une lignée patrilinéaire incluant les esprits des ancêtres. Grâce au zébu, la permanence et la vitalité de la lignée peuvent perdurer à travers les générations. C’est le zébu qui permet à l’homme d’exister en tant que membre d’un clan ; il est le double spirituel de l’homme, son lien avec les esprits de ses ancêtres et le Créateur.
3. Les implications de la symbolique sur le système d’élevage
[...) L’exploitation du troupeau est avant tout cérémonielle : un éleveur a un troupeau important pour que de nombreuses bêtes soient sacrifiées lors de ses funérailles et pour pouvoir offrir des animaux aux funérailles d’autres éleveurs afin d’augmenter son prestige. Il lui faut aussi des bêtes à sacrifier ou à offrir à l’occasion des différents rituels qui accompagnent les événements familiaux et sociaux : naissance, circoncision, mariage, maladie, pactes de sang.
[...] Le “devin-guérisseur” ombiasy fabrique en particulier les talismans “calme” toñy placés dans le parc à bétail et destinés à calmer les maladies de ce dernier. Dans le parc, le toñy est parfois enterré, mais il peut aussi être visible. C’est alors un piquet de bois creux planté en terre qui contient des substances magiques : encens, poudres de bois, herbes, etc. (photo 3). Chaque toñy est associé à des interdits qui le rendent efficace ; leur transgression lui enlève tout pouvoir. Le toñy envoûte les zébus, et un animal ne doit pas rester longtemps sous l’influence d’un toñy étranger, sinon il dépérit. Les animaux reçus lors de cérémonies sont donc rapidement donnés à nouveau.
Même si tout ce qui touche au pouvoir des devins-guérisseurs est soigneusement occulté, il est bien connu que les troupeaux les plus prospères sont protégés par des ombiasy particulièrement efficaces. Réciproquement, la valeur des ombiasy peut s’apprécier en fonction de l’évolution des troupeaux qu’ils suivent. Les propriétaires de très grands troupeaux sont toujours associés à des devins guérisseurs puissants, et ont parfois la réputation d’être eux-mêmes ombiasy.
L’efficacité des devins-guérisseurs s’explique en partie par la crainte qu’ils inspirent et qui éloigne les voleurs de zébus. Les ombiasy ont aussi un rôle actif dans les vols en déterminant le jour propice et en procurant aux protagonistes du vol des talismans protecteurs. Un vol de bétail ne peut avoir lieu sans l’intervention d’un ombiasy.
4. Le zébu gardien des espaces naturels et ancestraux
[...] Dans la forêt comme dans tous les lieux peu anthropisés, il existe des esprits qui sont considérés comme l’émanation des premiers occupants des lieux : ce sont les esprits tompontany (Fauroux 1997). Normalement, seuls les groupes qui ont scellé un accord avec les esprits du lieu peuvent exploiter les ressources de ce lieu sans provoquer leur courroux (cf. E. Dounias (sanglier), cet ouvrage). De ce fait, seuls le lignage fondateur du village et les lignages ou personnes qui lui sont liés par parenté (directe ou acquise par mariage ou pacte de sang) peuvent accéder à ces ressources. Les tombeaux lignagers sont généralement établis dans ces zones sauvages où les ancêtres ont pactisé avec les esprits tompontany.
Les esprits de la nature, avec lesquels l’ombiasy communique, habitent également les endroits sauvages peu perturbés par l’homme. Ils s’abritent en particulier dans des lieux remarquables tels que sources, grottes ou grands arbres (Moizo 1997). Ces esprits, à travers l’intervention de l’ombiasy, peuvent influer sur l’état des troupeaux.
Les tanin’aomby lignagers sont établis dans ces territoires sauvages habités d’esprits : ceux des premiers occupants, ceux des ancêtres et ceux de la nature. Les hommes sont des intrus dans cet espace et doivent se comporter avec discrétion. Ils n’y vivent pas, sauf éventuellement dans des campements temporaires réservés aux bouviers. Le zébu s’y trouve au contraire dans son élément, proche de la surnature. L’éleveur considère que c’est là que le zébu peut le mieux s’épanouir. Un grand éleveur de la région dit même que les hommes “salissent” les bœufs : tsy hihosy raha maloto ny aomby, izay no mampitobo azy, « on ne se mélange pas car les bœufs seraient sales, ainsi ils se multiplient ».
Les éleveurs laissent parfois une partie de leur troupeau s’ensauvager, le plus souvent dans un pâturage comprenant une forêt où se cacher. Les bœufs ainsi ensauvagés (les aomby ly) sont difficiles à voler, car ils ne se laissent pas approcher et ils n’ont pas l’habitude de se déplacer en troupeau. Certains éleveurs considèrent aussi qu’ils se nourrissent mieux et sont en meilleure santé que les autres. Le propriétaire peut récupérer ses bœufs en louant les service d’un ombiasy spécialisé dans l’art d’apprivoiser les zébus : le mpanao donaky. Les sacrifices d’aomby ly sont particulièrement appréciés des ancêtres car ces bœufs, par leur mode de vie, sont en contact étroit avec les esprits de la nature et des ancêtres. Ils sont davantage identifiés au lignage que les autres zébus. De plus ils sont braves et forts, se débattent, et leur sacrifice fait forte impression (Fauroux et Rakotosalama 1992).
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Conclusion : À l’interface de trois mondes, un animal “clef de voûte”
Le zébu est considéré à la fois comme un membre du clan et comme un animal sauvage qui relève des espaces naturels. Cette apparente contradiction entre le zébu consanguin (donc humain) et le zébu sauvage (donc animal) éclaire les relations qu’entretiennent les Bara avec leur environnement. Chez les Bara, les ancêtres ne sont pas enterrés ou représentés dans les lieux habités, mais au contraire loin des villages, dans les espaces non anthropisés. La vie spirituelle des Bara implique un lien étroit avec la nature, et le zébu est le “passeur” entre le monde humain et le monde sauvage associé aux esprits (cf. M. Lebarbier, cet ouvrage). Sans zébus, la communication avec les ancêtres est impossible, et le lien avec la nature et ses esprits est rompu. L’homme n’est plus protégé par ses ancêtres, et les esprits de la nature peuvent devenir hostiles. La place de l’homme au sein de sa lignée et de son environnement est donc remise en cause.
La double appartenance du zébu au monde sauvage et au monde humain a également un impact important sur la gestion des espaces naturels. La présence des troupeaux sur les pâturages lignagers induit une forte appropriation foncière pour lutter contre les vols de bétail. Cette surveillance du territoire implique les Bara dans la préservation des espaces sauvages et ancestraux. Le fait que, pour les Bara, le zébu appartienne au monde de la nature et des esprits constitue un lien direct entre l’activité d’élevage et la pérennité des espaces naturels.
Le zébu est bien un animal déterminant pour l’équilibre de la société bara comme pour celui de l’écosystème. C’est un “animal clef de voûte” dans le sens où il met en correspondance les hommes, la nature et le monde invisible, assurant ainsi la pérennité du système écologique et social.
L’importance magico-religieuse du zébu malgache le distingue des autres animaux d’élevage, bovins ou camelins, qui ont pourtant un rôle social et environnemental très important chez les grands peuples pasteurs et agro-pasteurs d’Afrique (Peul, Touareg, Nuer, Borana, etc.) (cf. É. Garine, cet ouvrage). La place du zébu dans la civilisation et l’environnement bara se rapproche plutôt de celle d’animaux semidomestiques tels que le renne de Laponie ou le cheval de Mongolie (cf. I. Bianquis, cet ouvrage), eux aussi associés aux esprits et à la nature sauvage.
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