Étymologie :
ÉTYMOL. ET HIST. I.− 1. Mil. xie s. angele (Alexis, éd. Paris et Pannier, 18c ds T.-L. : une imagene... Qued angele firent); ca 1100 angle (Rol., éd. Bédier, 2262) ; xiie s. angre (Ronc., p. 92 ds Littré) ; 1641 ange (Calvin, Instit., 107, ibid.) ; 2. p. anal. fin xvie s. « jolie et douce créature (ici au fém., désigne une femme aimée) » (Guy de Tours, Le paradis d'amour, II, 21 ds Hug. : Pose la Devarfil auprès cette belle ange. Il n'est fille dans Tours plus digne de louange Pour la facondité de son langage doux). II.− a) 1340, 27 janv., par synecdoque, numism. « monnaie d'or émise par Philippe VI de Valois, portant sous un dais gothique un ange couronné, debout sur un dragon et tenant une croix à long pied et un écu, le tout dans une rosace » [d'apr. Giani, Les Monnaies royales fr., 1926, p. 64] (Ord., VI, X ds Gdf. Compl. : Deniers d'or fin appelez angles qui auront cours pour soixante quinze souls tournois la piece); b) peut-être par antiphrase, 1548 ichtyol. ange de mer « sorte de squale » (Rabelais, IV, 60 ds Hug.). Du lat. chrét. angelus (gr. α ́ γ γ ε λ ο ς « messager, envoyé », Homère, et « envoyé de Dieu, ange », Septante ds Bailly), attesté au sens 1 dep. Tertullien, passim ds TLL s.v., 45, 44-50 ; p. anal. au sens de « homme de piété remarquable » (Collectio avellana, 566, 8, ibid., 45, 68). Angle, angre sont de formation pop., reposant sur une forme syncopée par chute de la pénultième atone (paroxyton). Angele suppose un lat. proparoxyton où la pénultième atone a été conservée (en raison du caractère sav. du mot et prob. aussi en raison de la complexité du groupe consonantique qu'aurait entraîné la syncope); apr. chute régulière de la voyelle finale, la consonne intervocalique, devenue finale derrière voyelle inaccentuée, ne tarda pas à s'amuïr ; angele n'a été dès lors qu'une graphie traditionnelle ne comptant que pour deux syllabes; Fouché p. 472, 507, 661 ; voir aussi Berger, Die Lehnwörter in der frz. Sprache ältester Zeit. 1899, pp. 56-58.
Lire également la définition du nom ange afin d'amorcer la réflexion symbolique.
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Symbolisme :
Anne Manevy, autrice d'un article intitulé « « Tes anges ne sont pas les miens ! » », ( In : Archives de sciences sociales des religions [En ligne], 130 | avril - juin 2005) explique lé dénomination "traditionnelle" des anges :
[...] Les livres de Haziel et de ses émules postulent l'existence de soixante-douze anges, associés aux astres et « régissant » chaque individu en fonction de sa date de naissance. [...]
Pour comprendre cette typologie et ses nombreux avatars, il nous faut remonter au début du XIXe siècle. À l'époque, en 1823, un dénommé Lenain publie un ouvrage intitulé La Science cabalistique ou l'art de connaître les bons génies, ouvrage qui sera réédité en 1909, préfacé par le Docteur Papus. Au chapitre VI, Lenain explique les « influences » des soixante-douze « génies », qu'il appelle aussi, mais plus rarement, « anges ». C'est cette nomenclature que reprend Haziel au XXe siècle, ainsi que tous les auteurs d'ouvrages du même ordre, utilisant les mêmes noms et les mêmes attributs, les mettant, si besoin, « au goût du jour ». Lenain, pour sa part, reprenait déjà à son compte les soixante-douze noms répertoriés, à la Renaissance, par l'un des pères fondateurs de la kabbale chrétienne, Johannes Reuchlin (1455-1522) qui, au livre troisième de son De arte cabalistica, nomme les soixante-douze anges et décrit leurs « signatures » magiques. La démonstration de Reuchlin s'appuie sur la manipulation arithmétique de l'alphabet hébreu servie par des procédés de permutation, opérations ardues que je ne développerai pas ici. Notons encore que les suffixes -el et -iah sont déjà présents. Heinrich Cornelius Agrippa von Nettesheim (1486-1535 ?), un autre kabbaliste de renom, énumère lui aussi ces anges ainsi que leurs correspondances avec les astres. Lenain, fort de cette liste de noms, la parachève, affectant chacun des soixante-douze génies à un chœur angélique particulier et lui attribuant ce qu'il appelle une « nation » ainsi qu'un horaire précis.
La typologie du pseudo-Denys, théoricien des premiers siècles du christianisme, a été ensuite articulée aux spéculations des kabbalistes chrétiens de la Renaissance. Cette tradition prend une nouvelle vigueur au XIXe siècle, époque marquée par le spiritisme, l'attrait pour l'Orient, l'égyptologie, etc., et où un certain nombre de sociétés secrètes se constituent. C'est d'ailleurs dans la première moitié du XIXe siècle qu'apparaissent les néologismes ésotérisme et occultisme 10. Inscrite dans la continuité de ces courants, l'angélologie de Haziel est évidemment différente de la doctrine de l'Église. Celle-ci a notamment marqué son opposition à l'idée qu'on pourrait dénombrer et nommer les anges.
Alors que la mystique juive et les écrits intertestamentaires, le livre d'Hénoch en particulier, nomment les anges, l'Église, quant à elle, récuse cette opération, les seuls anges nommés étant les trois archanges cités dans les textes canoniques. Très tôt dans l'histoire du christianisme est affirmée la prohibition des noms d'anges. Le concile d'Aixla-Chapelle (789) rappelle cette interdiction : « Conformément au canon trente-cinquième de Laodicée, on ne doit invoquer que les anges dont les noms sont connus : Michel, Raphaël et Gabriel sont seuls dans ce cas. » Au XVIIe siècle, Jean-Baptiste Thiers, dans son Traité des superstitions, n'a pas manqué de critiquer l'onomastique angélique et toutes les pratiques accompagnant la récitation de formules. Étant donné le soin méticuleux qu'il apportait à leur retranscription à des fins d'exhaustivité, la méthode utilisée par l'abbé Thiers nous renseigne en outre sur la nature de certaines conjurations. Au livre troisième, est ainsi mentionnée la pratique « superstitieuse » qui consiste à invoquer des « génies » : les Anges Uriel, Iniel, Assiniel et Jediel, liés à chacun des quatre points cardinaux. L'avantage de l'abbé Thiers est d'expliciter très clairement ce qui est redouté par l'Église à savoir que, si on nomme les anges, on les confond avec les « génies », on revient au paganisme antique. Aussi peut-on penser, comme le fait l'historien P. Faure, que l'Église a voulu, en acceptant uniquement la dénomination des trois archanges, canaliser un culte « sauvage », réglementation particulièrement profitable au culte de saint Michel archange. L'autorité canonique intègre archanges et bons anges dans le cadre de ses prérogatives, les déclarant saints. L'épisode des sept archanges est à cet égard significatif : en 1523, suite à la découverte d'une fresque, à Palerme, représentant sept archanges dont quatre apocryphes, Uriel, Jehudiel, Barachiel et Sealtiel, une église leur est consacrée et Rome, par l'intermédiaire du pape Pie IV, semble approuver la nouvelle dévotion puisqu'on lui consacre Sainte-Marie-aux-SeptArchanges en 1561. Très vite, cependant, l'Église revient sur ses positions et les noms des quatre anges illégitimes sont effacés des retables, seuls demeurent Michel, Gabriel et Raphaël.
Dans sa lutte contre la superstition, l'Église du temps de l'abbé Thiers ne pouvait que condamner le culte des génies. L'autorité romaine post-tridentine a donc encore durci sa position face aux « faux noms » tandis qu'elle mettait à l'honneur une dévotion nouvelle, la dévotion « au saint ange gardien ». Étendue à toute l'Église au XVIIe siècle, la fête des anges gardiens est fixée au 2 octobre. Bien que discrète par rapport à d'autres dévotions plus éclatantes comme le Rosaire, elle s'institutionnalise en s'organisant au sein de confréries, dont certaines ont perduré jusqu'à nos jours. Dans la piété tridentine, l'ange gardien, le « bon ange », le « saint ange », comme on l'appelle alors, est surtout un auxiliaire de la « bonne mort » dont la préparation embrasse tout le temps de « l'épreuve ». Il apparaît dans les testaments, dans les préparations à la mort et est donc réservé au chrétien préoccupé par son salut. Du même coup, il est aussi celui qui protège contre la mort subite et, par sa veille accrue, prévient les accidents. De plus, la dévotion aux anges, à travers les multiples formes qu'elle est susceptible de revêtir (prière, affiliation à une confrérie, port d'une médaille, etc.), permet au fidèle de bénéficier d'un certain nombre d'indulgences et, surtout, l'oriente vers les cultes centraux du catholicisme (le Christ et la Vierge). Progressivement, l'ange gardien va participer d'un système d'édification : il est proposé aux enfants comme conscience morale, censé encourager la modestie et la bonne conduite, bref, tout ce qui maintient le chrétien dans « le droit chemin ». Dès lors, il est vivement encouragé de se recommander sans cesse à ce compagnon invisible, ce « fidèle ami », auxiliaire de la persévérance. L'institution ecclésiale s'est donc appliquée à promouvoir et valider la figure du bon ange, s'appuyant sur ces référents faisant autorité que sont les sources testamentaires, patristiques, théologiques et pontificales et posant les limites normatives de la dévotion. Aujourd'hui encore, sont réitérées les mêmes mises en garde : Le Directoire sur la piété populaire et la liturgie réprouve « l'usage de donner aux Anges des noms particuliers que la Sainte Écriture ignore hormis ceux de Michel, Gabriel et Raphaël 16 ». En aucun cas, les anges gardiens du catholicisme ne peuvent être énumérés, ils sont des protecteurs tutélaires, certes, mais anonymes.
Ce qui caractérise donc la position de l'Église, c'est le refus de dénombrer et d'individualiser, en les nommant, les anges et plus particulièrement les anges gardiens. Ce refus, comme on l'a dit, a été initialement inspiré par la volonté de lutter contre le paganisme. Ce combat n'est plus d'actualité. Personne ne croit encore aux « génies » et il est significatif, de ce point de vue, que le terme soit présent dans l'ouvrage de Lenain mais qu'il disparaisse du lexique de Haziel qui parle uniquement d'anges, archanges ou anges gardiens. Pour mieux comprendre pourquoi l'on a pu reprendre à la tradition catholique ces désignations et pour mieux saisir, aussi, ce qui rompt avec elle dans l'usage qui en est fait, il faut examiner maintenant quel type de pratiques se rattachent à ces figures.
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Le catholicisme a fortement encouragé l'exercice de l'examen de conscience dans l'idée qu'une telle pratique stimulait l'aveu, donc le pardon. « S'examiner souvent » oblige le chrétien à traquer ses moindres fautes et imperfections. L'ange gardien mis en exergue au XIXe siècle devait inspirer le respect (et tenir, précisément, les enfants en respect) ; corollaire de l'examen de conscience, de la confession et de la contrition, il permettait au chrétien de se corriger et de demander pardon, au terme d'une démarche réflexive et récapitulative. Avec les anges dénommés, cette attitude moralisante disparaît, seules demeurent les propriétés et les compétences. Il ne s'agit pas de dénoncer (portrait de l'autre) ni d'avouer (ses fautes) mais de se conforter dans ce que l'on croit savoir de soi-même ou de ce que l'on souhaite être. Pour ce faire, la taxinomie des anges repose sur une rhétorique de l'épithète. La traque constante du défaut – l'orgueil en particulier – a été remplacée par une quête des potentialités. Dans le système des soixante-douze anges, la supposée connaissance de soi permet assurance et amélioration des compétences, rien a voir, donc, avec la correction. Identifier avec précision son ange gardien et lui assigner un trait de caractère c'est, du même coup, attribuer à l'individu qu'il protège et détermine une sorte d'unité ontologique, une cohérence stable et permanente même si celle-ci doit parfois être découverte ou, pour le moins, reconnue.
Tous ces efforts typologiques entendent caractériser un individu sur mesure, rassuré dans sa singularité. Autre procédé de catégorisation courant, dérivant du modèle des patronages professionnels institutionnalisés dans le catholicisme qui attribue à chaque corps de métier un saint particulier, on trouve également une forme de patronage angélique. Au XVe siècle, Marsile Ficin, kabbaliste chrétien selon lequel un « Ange », « Démon » ou « Génie » associé à une « Estoille » est attribué à l'homme dès sa naissance, entrevoyait l'importance d'une adéquation entre le « métier » et l'ange gardien personnel. « Il y a donc deux sortes d'hommes infortunez par dessus tous les autres, écrivait-il. L'un de ceux qui ne faisans aucune profession ne font rien. L'autre de ceux qui entreprennent profession estrange à leur naturel et contraire à leur génie ».
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Penser l'ange gardien en termes de propension donc, dans une certaine mesure, d'élection, c'est bien entendu une façon de valoriser l'individu ainsi favorisé. L'attribution de l'ange se fait, on l'a dit, de façon automatique, selon la date de naissance. Tous les individus sont donc, à leur insu, dotés d'au moins un ange gardien. Or, certains semblent plus aptes que d'autres à accéder à cette figure tutélaire. [...]
Ce qui est vraiment nouveau avec l'ange gardien dénommé et qualifié, c'est la part accordée aux notions de force et d'aptitude individuelles. On a, d'une part, des dispositions semblables à celles de l'ange (et sur lesquelles celui-ci peut avoir une influence) ; d'autre part, l'idée d'un mérite personnel dont les épreuves qualifiantes comme la maladie, la guerre ou, simplement, une propension familiale sont les meilleurs garants 37. Étant donné de telles qualités, l'individu doit les mettre à profit. Disparue, donc, l'idée de surveillance et de menace morale.
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Grossièrement, on a donc un découpage des propriétés angéliques selon des thèmes désormais classiques et présentés comme les composants indispensables à la réussite d'une vie. Cet équilibre biographique idéalisé passe par des succès, ou plutôt des accomplissements, d'ordre affectif, social, professionnel, financier. Finalement, il s'agit d'un système extrêmement normatif dans le sens où on a une valorisation très moderne du bonheur individuel à poursuivre. Grâce aux anges, en quelque sorte, il est possible de se donner les moyens d'atteindre cet idéal. À sa manière pourtant, la littérature de piété catholique a elle aussi consenti une forme de particularisation, encourageant notamment la prière à toute une série d'anges gardiens, notamment aux anges gardiens de cette catégorie si chère à l'institution ecclésiale, celle du prochain, et énumérant, au moyen de prières diverses, les occasions de les invoquer.
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» Il existe donc de « mauvais anges » pour lesquels, selon Mireille, un discours neutre est impossible. La mention discursive n'a pas lieu d'être car elle s'apparenterait d'emblée à une invocation et il y a toujours le risque d'utiliser ces anges « à mauvais escient ». Sur son terrain dans le Bocage où elle espérait étudier des pratiques de sorcellerie, Jeanne Favret-Saada a eu à affronter une économie de parole assez semblable 47. Le paradigme du secret est alors réservé aux seuls « mauvais anges », encore qu'on s'interdise, non d'évoquer leur existence comme l'exprime, dans un souffle craintif, l'appellation « les anges de l'abîme », mais, plus fondamentalement, de proférer leurs noms. On connaît bien, en effet, depuis J. L. Austin 48, la valeur performative du langage : les « utiliser à l'envers » consiste à invoquer d'autres noms, associés aux mêmes dates que les bons anges, et dont l'évocation même ne peut être anodine. Généralement, cette inversion s'opère en retournant le « profil », la qualité essentielle de l'ange. Haziel nomme « contreparties » ces puissances négatives qu'il répartit en neuf « légions », sur le modèle des neuf chœurs angéliques, et, vraisemblablement, en référence aux légions de démons de la théologie catholique. Ainsi, l'expansion, la réalisation (Sitael) ont pour contrepartie l'avidité et l'excès (Kimrah), l'ange de la réconciliation (Haziel) peut devenir rancœur et vengeance (Chochariel), etc. En 1823, Lenain évoquait pour sa part, sans le nommer, le « génie contraire » opposé à chaque bon génie et susceptible de provoquer l'effet inverse. Tout aussi efficaces que les bons anges, les « Anges de l'Abîme » bénéficient des mêmes procédés empiriques et leur dénomination est donc une condition indispensable au fonctionnement du système. Mais que les anges soient bons ou mauvais, ce paradigme d'imputation ne peut trouver grâce aux yeux de l'institution ecclésiale qui confine les saints anges dans leur rôle d'intercesseurs, au service du Créateur.
Pour l'Église de l'époque post-tridentine, les « génies » kabbalistiques réveillaient la vieille crainte du paganisme. Aujourd'hui, sont surtout à redouter les dérives superstitieuses et syncrétiques. Les listes d'anges diffusées au xixe siècle s'appuient, certes, sur des traditions antérieures mais s'en détachent nettement par leur orientation principale qui est, à mon sens, la distribution de l'humanité selon soixante-douze classes, démarche caractérologique également propre aux horoscopes qui se mettront en place au milieu du xxe siècle. On repère aussi une forme de spécialisation qui n'est pas sans rappeler une version moderne du culte des saints. Ces anges offrent à l'individu l'occasion d'un discours sur soi et l'expression d'une singularité. Trouver ou encore « connaître » son ange gardien participent alors d'une opération légitime et congruente, l'établissement, finalement, d'un autoportrait.
Ces anges gardiens sont fort différents de ceux traditionnellement mis en avant par la catéchèse catholique. Il ne s'agit plus tant de bien faire que d'être favorisé, le rôle de tutelle morale disparaît au profit de la protection personnelle permanente. Ce n'est plus l'espoir de rédemption qui prime mais la réussite et la fortune, bref ce qu'il est convenu d'appeler le « bonheur ». Avec l'établissement d'une typologie censée épuiser tous les tempéraments humains, l'ange gardien s'efface en tant que moyen de salut pour devenir un instrument de félicité et, partant, s'individualise. Mais cette individualisation fait question au sein d'un catholicisme qui, justement, l'a favorisée, reconnaissant le « propre ange » de chacun tout en exprimant son refus du nom et de l'énumération. Un ange qui n'est plus un intercesseur mais qui est autonome et puissant est une dérive relevant de « la superstition » : il concurrence le Très-Haut mais aussi une autre figure exemplaire et souvent spécialisée, celle du saint intercesseur.
Voici le résumé d'un article d'Alain Génetiot intitulé "Modèle angélique et parole poétique." (Rencontres, 2021, pp. 331-340) :
Entre le Moyen Âge et nos jours, on a mis en évidence les évolutions de la figure de l’ange comme métaphore du poète et de l’inspiration. La poésie angélique, qu’elle soit proprement dévotionnelle ou simplement métaphorique, engage une médiation entre ciel et terre qui se joue dans la langue poétique même : sublimation qui fait signe vers l’Absolu, poésie apocalyptique d’illumination, purification par le feu, poésie de déchiffrement qui permet de nommer le monde dans sa complétude harmonieuse.
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Littérature :
Dans Éclats de sel (Éditions Gallimard, 1996) Sylvie Germain met en scène un personnage principal qui rencontre des personnages du quotidien plus étranges les uns que les autres :
Il y a une légende hassidique qui raconte que toute personne possède au ciel une lumière qui lui est propre, et ainsi, dès que deux personnes se rencontrent leurs lumières font de même ; de ce contact jaillit une nouvelle lueur, qui se nomme ange. Mais cet ange né du face-à-face de deux vivants est éphémère, sa durée d'existence est de douze mois, aussi disparaît-il si au terme d'un an les deux êtres qui avaient provoqué sa naissance ne se sont plus revus. Tout ange engendré par une rencontre meurt au fil d'une trop longue absence, il a besoin pour luire que les deux sources de son éclat restent en relation sur la terre « - Eh bien, s'exclama Ludvik, avec toutes les pannes de courant affectif en tout genre qui ont lieu sur la terre, le ciel doit être jonché de poussières d'anges jetés aux oubliettes ! - Oui et non ; la légende ajoute aussi que l'ange disparu à la suite de la séparation de ceux qui l'avaient engendré peut renaître si ces deux personnes se retrouvent de nouveau et prononcent une bénédiction en se saluant ; il leur faut invoquer Celui qui ressuscite les morts. » Elle se tut, et tous deux se regardèrent un instant en silence, la même pensée leur traversant l'esprit, puis ils échangèrent un sourire un peu triste. « Hum, fit Ludvik en reversant du vin dans leurs verres, si par miracle ressuscitait l'ange d'une certaine relation que j'aie eue et qui s'est brisée en mille morceaux très coupants, il n'aurait pas bien bonne mine, il ressemblerait à Lazare rappelé hors de sa tombe et qui déjà pourrissait sous ses bandelettes. Enfin, buvons à la santé de feu nos anges ! - La descente au tombeau ou la chute dans les limbes doivent sûrement laisser des traces, mais pourquoi celles-ci ne seraient-elles que laideur et rictus ? Si par miracle, comme tu dis, l'ange d'une passion perdue peut reprendre vie, il doit renaître transfiguré ; les anges défigurés et grimaçants n'ont aucun intérêt, même pas de sens. L'ange des retrouvailles, avec qui que ce soit, doit être tout lumineux de pardon, d'indulgence de douceur, sinon il n'est pas. Buvons donc à la santé d'anges plus modestes que ceux catapultés par les passions. A l'ange de l'instant présent ! »
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Il repensa à la légende de l'ange de la rencontre que lui avait racontée Katia ; sur le coup il n'avait su que limiter cette fable à sa liaison rompue avec Esther, - grand amour naufragé et ange en irrémédiable déroute. Mais cet ange, si déchu, meurtri fût-il, devait se tenir encore quelque part dans l'espace immatériel du temps, car ce qui a eu lieu ne peut être aboli, rien de ce qui un jour exista ne peut être renié, camouflé en néant. Chaque instant du passé demeure dans la chair du présent, obscur et fécond sédiment, infime casson de lumière indéfiniment refondu et luisant en secret tout au fond de l'oubli. Ludvik sentait en lui bouger et se soulever son passé, se lever une assemblée de transparents plus ou moins nombreux ou lumineux : tous les anges nés des rencontres qu'il avait faites au cours de sa vie.
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