Ethnomycologie :
Selon Jacques Barrau auteur d'un article intitulé "Observations et travaux récents sur les végétaux hallucinogènes de la Nouvelle-Guinée." (In : Journal d'agriculture tropicale et de botanique appliquée, vol. 9, n°3-6, Mars-avril-mai-juin 1962. pp. 245-249) :
[...] Ceci nous ramène aux hallucinogènes car, dans ces hautes terres de la Nouvelle-Guinée, des champignons sont aussi utilisés par les autochtones pour provoquer des hallucinations.
Gitlow mentionna pour la première fois cet usage en 1947, Officier dans l'armée de l'air américaine, il avait fait un bref séjour pendant la dernière guerre dans la région du Mont Hagen et y avait rencontré un missionnaire catholique, le Père Ross, de la Société du Verbe Divin, qui lui fournit la plupart des éléments d'un mémoire que publia l'American Ethnographical Society. Entre autres renseignements le Père Ross, l'un des premiers explorateurs de la région du Mont Hagen et l'un des plus anciens résidents européens de cette région, signala à Gitlow l'utilisation de champignons hallucinogènes dits Nonda dans le parler local.
Singer identifia en 1958 l'un des champignons néo-guinéens réputés hallucinogènes, un Russule, mais il fallut attendre les travaux de Reay [en 1959 et 1960] pour mieux connaître l'usage de ces champignons, leurs effets apparents sur l'organisme humain et leur importance dans la psycho-sociologie locale, ceci dans Le cas des habitants de la vallée du Wahgi, près du Mont Hagen.
Reay nota que la consommation occasionnelle de ces champignons paraissait surtout destiné à provoquer une catharsis sociale; autrement dit, sous l'influence vraie ou auto-suggérée des champignons Nonda, les autochtones, hommes et femmes, peuvent, sans risque de sanction échapper temporairement aux contraintes des us et coutumes locaux et ainsi se « purger » d'inhibitions sociales.
Quel est le rôle exact des champignons Nonda dans cette affaire ? Il est bien difficile de le dire pour l'instant. Mon ami le docteur Jamieson qui fut médecin résident dans la région en question et étudia quelques cas de « folie Nonda » m'a dit qu'elle paraissait souvent ou en partie simulée ou auto-suggérée. On a noté en effet [Reay (10)] que, par exemple les hommes, ayant ingéré volontairement les champignons en question, manifestent une apparente, violente et surprenante agressivité à l'égard des gens de leur propre clan. Cependant, cette violence est bien rarement meurtrière et paraît comme raisonnablement limitée par le sujet lui-même... Tout se passe comme si l'ingestion de champignons fournissait une excuse admise à une mauvaise conduite temporaire plus ou moins symbolique. Il est probable que cette croyance en les vertus hallucinogènes de certains champignons n'est pas sans fondement physique encore ce dernier reste-t-il à découvrir et ceci est aussi vrai des autres plantes hallucinogènes.
Quant à l'identité des champignons Nonda, on ne la connaît guère ; Dorothy Shaw, mycologue du Service de l'Agriculture du Territoire de Papouasie et Nouvelle-Guinée, m'a dit que les échantillons qui ont pour l'instant été soumis à l'identification correspondaient à des champignons très divers : Armillaires, Polypores, Russules...
M. le Professeur Roger Heim, Directeur du Muséum National d'Histoire Naturelle, prépare actuellement une expédition en Nouvelle-Guinée pour étudier sur place ces champignons réputés hallucinogènes ; il faudra attendre les résultats de cette mission pour savoir de quoi il s'agit au juste.
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Adrien Bolay, auteur d'un article intitulé "Les champignons hallucinogènes." (Bulletin du Cercle vaudois de botanique., 1972, vol. 13, pp. 21-30) évoque lui aussi ce mystérieux champignon Nonda :
Les champignons hallucinogènes sont d'un emploi régulier en Nouvelle-Guinée australienne, chez les Papous de la tribu des Kuns qui vivent sur les bords de la rivière Wahgi. Les Kumas, très mycophages, connaissent les propriétés hallucinogènes de quatre espèces différentes de champignons qu'ils appellent "nonda" .
Ces champignons semblent appartenir aux Agarics et poussent sur des troncs morts ou des débris de feuilles pourries dans la forêt.
D'après Marie Reay, citée par Heim (1963), les effets des "nonda" se traduisent par une vision double des objets, accompagnée de frissonnements intenses, avec aphasie intermittente, Les répercussions qu'exercent les champignons ne sont pas les mêmes sur les hommes que sur les femmes. Le comportement caractériel des premiers se traduit rapidement par une tension, une excitation violente, tandis que celles-ci ne livrent tout d'abord que les signes d'une sorte de douce innocence. Les hommes courent, furieux, saisissent leurs lances, leurs flèches et leurs arcs, et sortent afin de terroriser la communauté, poursuivant et dirigeant leurs armes contre tous ceux qu' ils voient.
Les scènes durent deux jours. Pendant la première journée, Ies femmes affectées par I'action des champignons se détendent dans leurs maisons, tout en racontant avec force ricanements des aventures à la fois réelles et imaginaires. Le matin du second jour, elles demandent à leurs maris de les parer ; les hommes choisissent leurs plus belles plumes, les plus précieux ornements et les fixent sur leurs compagnes, qui commencent danser en formations correspondant aux clans masculins. Cette scène porte le nom de "daad" .
C'est la seule occasion permettant aux femmes de danser comme les hommes et comme leurs sœurs non mariées. Après la danse, elles reprennent leurs rires, leurs vantardises qui s'appliquent à des exploits sexuels, et elles flirtent outrageusement avec les hommes du clan de leurs maris. Les filles non mariées somment les hommes de faire preuve d'audace à leur égard.
Les récentes analyses de Heim (1963) n'ont pas apporté la preuve que les champignons '"nonda" soient réellement hallucinogènes ou alors cette propriété proviendrait de stances encore inconnues. Cet auteur émet l'hypothèse d'une coïncidence entre une excitation hystérique collective saisonnière de la tribu Kuma d'une part, et l'utilisation des champignons d'autre part ; les champignons serviraient en quelque sorte d'excuse à un comportement anormal. II est également concevable que 1'autosuggestion ajoute sa pesée à une action hallucinatoire.
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Sur le site de Benjamin Thomas, Ethnobotany and Anthropology, on trouve l'article suivant [à traduire quand j'aurais le temps] :
HISTORY : The use of nonda mushrooms was first reported from the Mount Hagen area of the Western Highlands by Father William A. Ross (1936:351). Ross, an American Catholic priest of the Divine Word (S. V. D.) who had been living in the Wahgi Valley since 1933, noted that "...ginger [Zingiber spp. (Zingiberaceae)] called kobena and a kind of wild mushroom called nonda" were the only "...quasi-narcotics [sic] or stimulants" used in the Mount Hagen area (1936:351). According to Ross (1936:351) "...The wild mushroom called nonda makes the user temporarily insane. He flies into a fit of frenzy. Death is even known to have resulted from its use. It is used before going out to kill another native, or in times of great excitement, anger or sorrow". American anthropologist Abraham L. Gitlow also referred to the use of "...a type of wild mushroom" called nonda from the Mount Hagen area (1947:18). Gitlow's description of nonda (1947:18) is similar to the description by Ross (1936:351). According to Gitlow, "...The wild mushroom incites fits of frenzy, and has even been known to result in death. It is taken before going out to kill an enemy, or in times of anger, sorrow, or excitement" (1947:18). Ross's original description of nonda mushrooms (1936:351) has also been reported in several publications (Vicedom & Tischner 1943-1948; Wasson & Wasson 1957; Dobkin de Rios 1984). The pioneering ethnomycologists Valentina Pavlovna Wasson and R. Gordon Wasson learned of Father Ross' account of nonda mushrooms in the Wahgi Valley and described the effects of nonda mushrooms in their epic work Mushrooms Russia and History (1957).
American mycologist Rolf Singer (1958) then identified nonda as a single new species, Russula nondorbingi Singer [Russulaceae]. Singer had examined specimens of nonda that had been sent to the Royal Botanic Gardens in Kew, England, by Dorothy Shaw from the Papua New Guinea Department of Agriculture, Stock and Fisheries (Shaw 1972). Nonda, according to Singer (1958) produced "cerebral mycetisms". Singer, however, never visited the Wahgi Valley to collect nonda mushrooms.
In early October 1954, Australian anthropologist Marie Reay had observed that some of the Kuma who lived near Minj in the Central Wahgi Valley (Western Highlands District, New Guinea) suddenly began to run "amuck" (1959:188). The Kuma attributed this behaviour to eating a "mushroom-like fungus, nonda" (Reay 1959 : 188). Nonda was eaten by the Kuma all year, but at certain times of the year it produced "...temporary insanity in some" (Reay 1959 : 188). Reay first reported the use of nonda mushrooms by the Kuma in her monograph The Kuma : Freedom and Conformity in the New Guinea Highlands (1959 : 188-190). A brief ethnographic report by Reay ("'Mushroom madness' in the New Guinea Highlands") appeared in the journal Oceania in 1960 and discussed the use of the apparently hallucinogenic fungus nonda among the Kuma (1960). Reay originally informally identified four varieties of nonda associated with the outbreak of "mushroom madness" among the Kuma : tuaadwa (white with yellow stem) ; kermaikip (red with white stem) ; ngam-kindjkants (orange) and ngam-ngam (orange with purple middle stem) (1960 : 137 ; vide Heim 1963b : 1 97-198). Heim identified all four types of nonda described by Reay (1960 : 137) as species of Boletus : B. nigroviolaceus Heim [Boletaceae] (tuaadwa) ; B. nigerrimus Heim [Boletaceae] (kermaikip) ; B. kumaeus Heim [Boletaceae] (ngamp-kindjkants) ; and B. reayi Heim [Boletaceae] (ngam-ngam) (1963a ; 1963b ; Emboden 1972 : 26). Heim and R. Gordon Wasson decided to "... explore Minj and the Mt. Hagen area with a view to making further observations and collecting the species involved" (Heim 1972 : 171). Heim and Wasson spent three weeks in the Wahgi Valley in August and September 1963 with Reay and collected and identified nonda mushrooms associated with Kuma "mushroom madness" (Heim & Wasson 1964 ; 1965). As a result, Heim and Wasson collected and identified eleven species of nonda associated with Kuma "mushroom madness" : Boletus flammeus Heim [Boletaceae] (nonda ulné Kobi) ; B. kumaeus Heim [Boletaceae] (nonda ngamp kindjkants) ; B. manicus Heim [Boletaceae] (nonda gegwants ngimbigl) ; B. nigerrimus Heim [Boletaceae] (nonda kermaipip) ; B. nigroviolaceus Heim [Boletaceae] (nonda tua-rua) ; B. reayi Heim [Boletaceae] (nonda ngam-ngam) ; Heimiella anguiformis Heim [Boletaceae] (nonda mbolbe) ; Russula agglutinata Heim [Russulaceae] (nonda mos) ; R. kirinea Heim [Russulaceae] (kirin) ; R. maenadum Heim [Russulaceae] (nonda mos) ; and R. pseudomaenadum Heim [Russulaceae] (nonda wam) (Heim 1972:171-172). Heim & Wasson (1965 : 20) concluded that "... The mushrooms - or at least most of them - do not seem to cause physiological effects leading to madness", thus establishing that these species of nonda had no hallucinogenic properties (cf. Heim 1972).
ETHNOBOTANICAL DATA : B. manicus has been mentioned in several popular books on psychoactive plants (Emboden 1972 ; 1979 ; Schultes & Hofmann 1979 ; 1992 ; Ott 1993 ; 1996 ; Rätsch 1998). The Kuma name for this mushroom, nonda gegwants ngimbigl or nonda gegwants nyimbil, means literally "left-handed penis" because of the shape of the stem which to the Kuma evidently is reminiscent of a man's penis (Reay 1977:67-68) The Kuma also believed that this mushroom must be picked with the left hand (Reay 1977 : 68).
B. manicus is one of six mushroom species considered to be responsible for komugl taï and ndaadl among the Kuma (Heim 1972 : 171). Komugl taï is "... the condition of persons allegedly affected by mushrooms... [and] signifies a 'shivering madness'" (Reay 1977 : 55). The term also refers to a 1949 cargo cult that the Kuma participated in (Reay 1977 : 55). In Yu Wi (Yoowi), the language of the Kuma, Komugl means "ear" and also "deafness" (Reay 1977 : 55 ; Heim & Wasson 1965 : 15). In other areas of Papua New Guinea where outbreaks of temporary madness also occur, the local term for the state of madness also often indicates "deafness" (Clarke 1973 : 199). Among the Kuma, the term komugl covers any kind of inability to comprehend, including permanent and temporary madness (Reay 1977 : 55 ; Heim & Wasson 1965 : 15). Komugl is directly translatable into Tok Pisin (Pidgin) as "longlong" ("mad" or "madness") (Reay 1977 : 55). Taï is the Kuma formal name for the Raggiana Bird of Paradise (Paradisaea raggiana). However, in the context of the cargo cult and "mushroom madness", taï means "shivering" (Reay 1977 : 56). This is suggested to be based on the male Raggiana bird shivering to display his plumes (Heim & Wasson 1965 : 15 ; Reay 1977 : 56). Komugl taï then literally means "shivering deafness" in Yu Wi (Yoowi).
Ndaadl (daad) is the term for the condition of Kuma women during komugl taï and is also the name of the dance performed by the women (Reay 1960 : 139). Kuma women did not usually eat B. manicus (Reay 1977 : 67). B. manicus, however, could affect both men and women in the same way. In 1965 Reay (1977 : 67-68) observed a woman who was said to have eaten nonda gegwants nyimbil (B. manicus). This woman became aggressive like men affected by komugl taï and seized a spear and ran around threatening other women (Reay 1977 : 67-68).
CHEMISTRY AND ACTIVITY : B. manicus has been reported to contain indolic substances (Heim 1965 ; 1972 ; 1978 ; Ott 1993 : 422 ; Rätsch 1998 : 688) [1]. Albert Hofmann detected trace amounts of three indolic substances in B. manicus (Heim 1965 ; 1978 ; Ott 1993 : 298 & 422 ; 1999). Heim (1972 : 173) has suggested that these indolic substances "... could be psychotropic". As a result, Heim conducted three bioassays with B. manicus (Heim 1965 ; 1972 ; 1978). Three trials with "weak doses" (less than 60 mg (Ott 1993 : 298)) of B. manicus were attempted by Heim, who suggested that "... the amounts were insufficient to make any definite deductions" (Heim 1972 : 173). However, in the second trial, the ingestion of a powder made by crushing the flesh of B. manicus was followed by "... the appearance of several luminous, fleeting visions during the course of a dream" (Heim 1972 : 173 ; vide Heim 1965 ; 1978).
KNOWN EFFECTS : B. manicus has been reported to have "... somewhat toxic properties" (Schultes & Hofmann 1979 : 36). Evidence for the presence of indolic substances in B. manicus can be found in the description of both the auditory and visual effects of nonda mushrooms (Reay 1977). After ingesting a species of nonda, most likely the variety gegwants nyimbil (B. manicus), Kuma men experienced "Lilliputian hallucinations" [sic] of bush-demons flying about their heads (Reay 1977 : 59). Such demons would "buzz" about their heads. It was reported by one Kuma man who had eaten nonda that these demons also made a "... strange and terrible noise 'inside his ears' which he interpreted as a bush-demon boxing his ears" (Reay 1977 : 59). Psilocybine and other tryptamines often produce a similar "buzzing" noise (Beach 1996-1997 : 13). The Kuma regarded bush-demons as "... tiny, two-dimensional, and often transparent creatures... [and] ... always identified cartoon figures... readily and positively as representations of bush-demons". Kuma bush-demons were seen, heard or felt to be any size up to the length of a person's forearm and could either be fat or thin. However, during komugl tai bush demons were supposed to be about the same size and proportions as wild bees (Reay 1977 : 59 n.7). Ethnopsychiatrist B. G. Burton-Bradley (1970) has claimed that the Kuma's nonda-induced hallucinations of bush demons are "... more bizarre" than any other descriptions of bush-demons elsewhere in Papua New Guinea. "Lilliputian hallucinations" [sic] have also been experienced with the ludible use of some tryptamines (O'Rorke 1998 : 32). On the basis of these ethnographic observations, I conjecture that B. manicus may contain psychoactive constituent(s).
Note. [1] An unidentified species of Boletus (section Ixocomus, group Nudi) known as "Namanama" was collected in the Mount Hagen area in 1963 (Gellert et al. 1973 : 689-670 ; Rätsch 1998 : 688). This mushroom was known locally to have "hallucinatory activity" involving "multiple or inverted vision" (Gellert et al. 1973 : 689). Pharmacological tests to detect LSD, mescaline or psilocybine type activity were negative (Gellert et al. 1973 : 690). Amino acids (alanine, glycine, valine, leucine, isoleucine, threonine, L-2-amino-4-methylhex-5-enoic acid and methionine) and steroids (ergosterol, steroid A, steroid B) were isolated from this Boletus species (Rudzats et al. 1972 ; Gellert et al. 1973 ; Gellert et al. 1978).
Références :
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Symbolisme :
André Dhôtel dans Rhétorique fabuleuse (Paris, Éditions Garnier, 1983) consacre un chapitre entier au "Vrai mystère des champignons". Les Nondas n'échappent pas à son œil amusé :
Tout de même, dans le domaine légendaire, demeure une féerie apparemment indiscutable, propre à confondre les savants, celle des champignons hallucinogènes.
Voyons donc de quoi il s’agit, nous dit le démon.
Certains champignons, par l’étonnant retour d’un langage créateur, procurent des visions d’une exceptionnelle pureté, et qui sont indiscutablement détachées du monde. C’est Roger Heim qui nous en livre les secrets.
En Nouvelle-Guinée, on consomme un peu au petit bonheur des champignons appelés nonda qui rendent les hommes furieux, mais les femmes heureuses et innocentes. Les femmes mariées ont alors le droit de danser, après quoi « elles flirtent outrageusement avec les hommes du clan de leur mari ». Soumises à un régime de fidélité sévère, elles peuvent alors en toute candeur se détendre un peu, sans que personne proteste, puisqu’elles sont sous l’empire du champignon tout-puissant. Il est reconnu que ce champignon n’inspire pas tous les individus, mais qui empêche les femmes de faire semblant d’être inspirées ? En tout cas c’est déjà la défaite des procédés analytiques et des règles connues, en somme une libération exemplaire.
Ce n’est pas d’ailleurs une simple idée, comme on dit.
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