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Les Pierres d'éternité

Dernière mise à jour : 3 mars





Mythologie :


Charles illouz commence ainsi son ouvrage intitulé De Chair et de pierre, Essai de mythologie kanak (Maré - Îles Loyauté) (Éditions de la maison des sciences de l'homme, 2000) :


Sur l'île de Maré, les mythes sont jetés sur le sol comme des pierres. On les appelle toa-tit (i), « sièges de roche », ou ye-re-tit (i), « dires de roches ». De la chair à la pierre, il n'y a pourtant que l'avènement d'une concrétion. Car cette pierre, de forme si singulière, était autrefois la chair d'un être - humain, animal ou végétal -, aujourd'hui pétrifiée sur le territoire de sa geste. Que de héros ainsi tordus sur les chemins... La chair passe, la pierre demeure, encore pourvue du nom qui survit à son titulaire, pour toujours captif du sol. Le conteur nous dévoile ainsi un itinéraire insoupçonné parmi les ancêtres qui jonchent le territoire de l'île, une allégorie de pierres. Le récit est inscrit dans le paysage. Nous voilà entraînés à déambuler, car il s'agit de relever, tel un arpenteur de légendes, lieu après lieu, rocher après rocher, le cadastre mythique, véritable charte foncière du groupe du narrateur. C'est ainsi que perdurent les fictions, des rivages aux rochers, des rochers aux sentiers, des sentiers aux accès escarpés des falaises, ds bords des falaises à l'intérieur des terres, vers lesquelles à nouveau s'ouvrent nommément chemins et sentiers en direction des champs fertiles, marqués d'excroissances coralliennes. Châsses du mythe, les ancêtres sont chevillés au sol.

Le conteur de « logolithes » nous entraîne dans une longue marche sur un chemin tracé par les seuls passages répétés des hommes.

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Contes et légendes :


Dans ses Légendes rustiques (18) George Sand tente de sauver de l'oubli les croyances paysannes qui constituent pour elle le socle de "la fabulosité ou merveillosité universelle, dont les origines remontent à l’apparition de l’homme sur la terre et dont les versions, multipliées à l’infini, sont l’expression de l’imagination poétique de tous les temps et de tous les peuples."


Les Pierres-Sottes ou Pierres-Caillasses


« Quand nous vînmes à passer au long des pierres, dit Germain, il était environ la minuit. Tout d’un coup, voilà qu’elles nous regardent avec des yeux. Jamais, de jour, nous n’avions vu ça, et pourtant, nous avions passé là plus de cent fois. Nous en avons eu la fièvre de peur, plus de trois mois encore après moisson. »

Maurice SAND.


Au beau milieu des plaines calcaires de la vallée Noire, on voit se creuser brusquement une zone jonchée de magnifiques blocs de granit. Sont-ils de ceux que l’on doit appeler erratiques, à cause de leur apparition fortuite dans des régions où ils n’ont pu être amenés que par les eaux diluviennes des âges primitifs ? Se sont-ils, au contraire, formés dans les terrains où on les trouve accumulés ? Cette dernière hypothèse semble être démentie par leur forme ; ils sont presque tous arrondis, du moins sur une de leurs faces, et il présentent l’aspect de gigantesques galets roulés par les flots. Il n’y a pourtant là maintenant que de charmants petits ruisseaux, pressés et tordus en méandres infinis par la masse de ces blocs ; ces riantes et fuyardes petites naïades murmurent, à demi-voix et par bizarres intervalles, des phrases mystérieuses dans une langue inconnue. Ailleurs, les eaux rugissent, chantent ou gazouillent. Là elles parlent, mais si discrètement que l’oreille attentive des sylvains peut seule les comprendre. Dans les creux où leurs minces filets s’amassent, il y a quelquefois des silences ; puis quand la petite cave est remplie, le trop plein s’élance et révèle, en quelques paroles précipitées, je ne sais quel secret que les fleurs et les herbes, agitées par l’air qu’elles refoulent, semblent saisir et saluer au passage.

Plus loin, ces eaux s’engouffrent et se perdent sous les blocs entassés :


Et là, profonde,

Murmure une onde

Qu’on en voit pas.


Sur ces roches humides, croissent les plantes également étrangères au sol de la contrée. La ményanthe, cette blanche petite hyacinthe frisée et dentelée, dont la feuille est celle du trèfle ; la digitale pourprée, tachetée de noir et de blanc, comme les granits où elle se plaît ; la rosée du soleil (rosea solis) ; de charmants saxifrages, et une variété de lierre à petites feuilles, qui trace sur les blocs gris, de gracieuses arabesques où l’on croit lire des chiffres mystérieux.

Autour de ce sanctuaire croissent des arbres magnifiques, des hêtres élancés et des châtaigniers monstrueux. C’est dans un de ces bois ondulés et semés de roches libres, comme celles de la forêt de Fontainebleau, que je trouvai, une année, la végétation splendide et l’ombre épaisse au point que le soleil, en plein midi, tamisé par le feuillage, ne faisait plus pénétrer sur les tiges des arbres et sur les terrains moussus que des tons froids semblables à la lumière verdâtre de la lune.

Il n’est pas un coin de la France où les grosses pierres ne frappent vivement l’imagination du paysan, et quand de certaines légendes s’y attachent, vous pouvez être certain, quelle que soit l’hésitation des antiquaires, que le lieu a été consacré par le culte de l’ancienne Gaule.

Il y a aussi des noms qui, en dépit de la corruption amenée par le temps, sont assez significatifs pour détruire les doutes. Dans une certaine localité de la Brenne on trouve le nom très bien conservé des Druiders. Ailleurs, on trouve les durders, à Crevant les Dorderins. C’est un semis de ces énormes galets granitiques au sommet d’un monticule conique. Le plus élevé est un champignon dressé sur de petits supports. Ce pourrait être un jeu de la nature, mais ce ne serait pas une raison pour que cette pierre n’eût pas été consacrée par les sacrifices. D’ailleurs elle s’appelle le grand Dorderin. C’est comme si l’on disait, le grand autel des Druides.

Un peu plus loin, sur le revers d’un ravin inculte et envahi par les eaux, s’élèvent les parelles. Cela signifie-t-il pareilles, jumelles, ou le mot vient-il de patres, comme celui de marses ou martes vient de matres selon nos antiquaires ? Ces parelles ou patrelles sont deux masses à peu près identiques de volume et de hauteur, qui se dressent, comme deux tours, au bord d’une terrasse naturelle d’un assez vaste développement. Leur base repose sur des assises plus petites. J’y ai trouvé une scorie de mâchefer, qui m’a donné beaucoup à penser. Ce lieu est loin de toute habitation et n’a jamais pu en voir asseoir aucune sur ses aspérités aux fonds inondés. Qu’est-ce qu’une scorie de forge venait faire sous les herbes, dans ce désert où ne vont pas même les troupeaux ? Il y avait donc eu là un foyer intense, peut-être une habitude de sacrifices ?

J’ai parlé de ce lieu parce qu’il est à peu près inconnu. Nos histoires du Berry n’en font mention que pour le nommer et le ranger hypothétiquement et d’une manière vague parmi les monuments celtiques. Il est cependant d’un grand intérêt aux points de vue minéralogique, historique, pittoresque et botanique.

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Littérature :


Dans le roman policier intitulé Temps glaciaires (Éditions Flammarion, 2015) de Fred Vargas, les protagonistes du voyage fatidique en Islande découvre une pierre tout à fait incroyable :


- Qu'a raconté Sylvain ?

- Que le long de la côte de Grimsey, à un jet de pierre, parmi tous les îlots déserts qui la bordent, il y en avait un très particulier, aussi redouté que convoité. On disait qu'il y avait là-bas une pierre encore tiède, de la taille d'une stèle à peu près, et couverte d'inscriptions anciennes. Et que si l'on se couchait sur la pierre tiède, on devenait presque invulnérable, éternel quoi. Parce que l'on était pénétré par les ondes du cœur même de la terre. Enfin, ce genre de trucs. Il faut dire qu'il y avait pas mal de centenaires à Grimsey, et on expliquait ceci par cela. Sylvain a dit qu'il s'y rendait le lendemain pour examiner le phénomène en scientifique, mais qu'il ne fallait à aucun prix le dire, les habitants de Grimsey tolérant mal qu'un homme mette le pied sur cette îlot. parce qu'il était habité par un démon, un « afturganga », une sorte de mort-vivant. Le médecin a rigolé, on a tous rigolé. Il n'empêche qu'après une heure le groupe entier était partant pour accompagner le volcanologue, même le médecin. On joue les sceptiques, mais au fond, un petit accouplement avec une pierre d'éternité, cela tente tout le monde. Bien que chacun fît mine d'y aller par défi, ou comme à la suite d'un pari d'ivrognes. C'était à environ trois kilomètres, une heure à pied par la banquise, on serait rentrés pour le déjeuner. Tu parles qu'on est rentrés.

[...]

- On s'est mis en route à 9 heures, en partant du bout de la jetée du port. Sylvain nous a de nouveau mis en garde : pas un mot aux locaux, car outre l'« afturganga », ils avaient horreur que des touristes ignares aillent souiller la pierre tiède en posant leur cul dessus. Le temps était bleu, glacial et parfait, sans un nuage. Mais en Islande, ils disent que le temps change sans cesse, c'est-à-dire toutes les cinq minutes si ça lui chante. Du bout du port, Sylvain nous a discrètement désigné le rocher noir, avec sa forme étrange, en « tête de renard », disait-on, c'est-à-dire avec deux petits cônes qui le surplombaient, comme des oreilles, et sa plage sombre en forme de museau. On est arrivés sans encombre, en évitant les failles entre les blocs de glace. L'îlot était minuscule, on en a vite fait le tour, et c'est le cadre supérieur - Jean ? On l'appelait jean ? - qui a trouvé la pierre.

- Je croyais que vous aviez une mémoire d'exception, observa Danglard.

- Oh, je ne me souviens que de ce qu'on me demande. Ensuite j'efface, cela fait de la place. Vous n'effacez pas, vous ?

- Surtout pas. Et donc, ce Jean ?

- Il s'était allongé sur la pierre, et il riait, toute réserve envolée. Et à mesure que chacun faisait son petit tour sur la stèle - qui était tiède, c'est vrai -, le temps passait. Le type au crâne rasé s'était étendu dessus avec grand sérieux et sans dire un mot, fermant les yeux. Soudain, Sylvain l'a secoué et a presque crié : « On s'en va maintenant, on rentre. » Et du bras, il a montré une montagne de brume qui s'avançait vers nous. Si vite qu'après vingt mètres sur la banquise, Sylvain a renoncé et on a rebroussé chemin.

[...]

- Et pourquoi est-elle là, à ton avis ?

- Soit parce qu'elle pense que deux types come nous ne pourront pas survivre à l'expédition et qu'elle se sent le devoir de nous protéger contre les éléments hostiles.

- Soit parce quelque chose l'intéresse malgré tout dans l'énigmatique ile tiède.

- La pierre ? Tu crois qu'elle veut tirer quelque vigueur de la pierre ?

- Surtout pas, dit Adamsberg. Cela lui ferait trop de force, et au bout du compte, elle exploserait. Elle ferait mieux de ne même pas l'approcher.

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