Étymologie :
Étymol. et Hist. a) Ca 1400 « pouce » (Voyage de Jérusalem du seigneur d'Anglure, 262, var. ds T.-L.) ; b) 1697 Le Petit Poucet (conte de Ch. Perrault). Dimin. de pouce* ; suff. -et*.
Symbolisme :
François Flahault, propose dans L'extrême existence : essai sur des représentations mythiques de l'intériorité. (FeniXX, 1972) une lecture du conte liée à la cyclicité saisonnière :
[...] Poucette est construit à partir de données populaires et ne s'appuie pas directement sur l'inspiration personnelle de l'auteur. Le premier recueil de contes, publié en mai 1835 (contenant entre autres Le Briquet), reprenait sans changement des contes populaires, et Poucette n'a été écrit que quelques mois plus tard. Andersen ne commencera à publier des contes entièrement de son invention qu'à partir de l'année 1837.
Le conte d'Andersen, comme celui de Perrault, met en œuvre des oppositions qui relèvent d'un code spatial ; mais au lieu d'un code substantiel, il utilise des oppositions d'ordre saisonnier et affectif. L'armature elle-même, légèrement plus complexe que chez Perrault, reste organisée autour d'un centre-intérieur et le message est identique bien qu'il soit exprimé en un langage différent. [...] Voici résumée l'histoire de Poucette :
A une femme qui aurait bien voulu un enfant, une sorcière donna un grain d'orge. Il en poussa une fleur qui contenait une jolie petite fille haute comme un pouce. Une vilaine grenouille l'enleva dans l'intention d'en faire l'épouse de son fils et lui déclara qu'ils habiteraient tous deux au fond de la vase. Cependant, des poissons secourables détachèrent la feuille de nénuphar sur laquelle se trouvait Poucette, celle-ci dériva longtemps, portée par le courant et tirée par un papillon. un grand hanneton l'aperçut alors et l'enleva dans les airs pour la poser sur un arbre. Mais les demoiselles hanneton du voisinage la trouvant laide, l'insecte finit par s'en persuader lui aussi et Poucette fut déposée au pied de l'arbre. L'hiver vint, et Poucette souffrant du froid et de la faim trouva abri chez la bonne vieille souris des champs qui l'invita à demeurer au chaud chez elle tout l'hiver. Son voisin la taupe devint amoureux de Poucette mais n'en dit rien. Dans le corridor qui menait à la demeure de cet animal, Poucette découvrit une hirondelle qui semblait morte. Autant la taupe éprouvait d'aversion pour l'oiseau, autant Poucette l'aima, recouvrant le corps de coton moelleux pour qu'il fût au chaud dan la terre froide. La chaleur le ranima et Poucette, découvrant que 'l'oiseau n'était pas mort, en prit soin tout l'hiver pour qu'il pût voler à nouveau au printemps. L'été revint, la taupe se déclara, et il fut convenu que Poucette, malgré elle, se marierait dès l'automne. L'hirondelle proposa alors à Poucette de l'emmener jusqu'aux pays chauds pour qu'elle échappe à cette vie souterraine. Il s s'envolèrent ainsi et, après un long voyage, atteignirent un pays chaud et lumineux où Poucette épousa le Prince des fleurs et reçut une paire d'ailes.
L'opposition entre belle te mauvaise saison passe ici au premier plan. Deux étés encadrent un hiver durant lequel Poucette mène une vie sédentaire puisqu'elle ne quitte pas la demeure de la souris, alors que les deux étés la voient voyager : dérive sur une feuille de nénuphar, ou vol sur le dos d'une hirondelle. Les deux voyages sont précédés du risque de vivre dans une demeure inférieure : sous la vase en compagnie d'un époux grenouille, ou sous la terre avec un mari taupe ; l'un et l'autre s'achèvent au contraire par un mouvement vers le haut : enlèvement de Poucette par un hanneton, ou cadeau qui lui est fait d'une paire d'ailes. Le code spatial s'exprime donc à travers les oppositions suivantes :
Intérieur | Extérieur |
Vie sédentaire. | Bas-haut - Voyage. |
Ces oppositions spatiales s'articulent sur le code saisonnier comme l'indique le tableau ci-dessous :
INTERIEUR | EXTERIEUR | |
ETE | - | + |
HIVER | + | - |
L'hiver venant, il n'est plus possible de vivre dans la forêt à cause du froid et du manque de nourriture. La bonne souris sauve alors la vie de Poucette en l'accueillant chez elle, s'en occupant comme une mère moyennant une participation aux travaux ménagers. L'été, au contraire, les valeurs de l'intérieur et de l'extérieur s'échangent : l'héroïne redoute d'avoir à rester sous terre et envoie l'hirondelle qui peut voler et chanter au grand air.
Enfin, au code spatial se superpose encore un codage des relations affectives. Un lien matériel est associé à la vie dans l'intérieur : l'héroïne est sauvé grâce à l'accueil maternel de la bonne souris : « Pauvre petite, dit la souris, car c'était vraiment une bonne vieille souris des champs, entre dans ma chambre chaude manger avec moi ». Poucette à son tour sauve l'hirondelle laissée pour morte en l'entourant des soins du même ordre : émue par le souvenir du chant estival de l'oiseau, elle l'embrasse, l'enveloppe d'une couverture et d'ouate, le nourrit : « Oh ! dit Poucette, il fait froid dehors, il neige et il grêle, reste dans ton lit chaud, je te soignerai. » En revanche, la vie au-dehors est sexuellement marquée : l'héroïne est attirée vers le bas pour être l'épouse du fils de la grenouille, et rejetée du haut de l'arbre par le hanneton qui ne la trouve plus jolie. Elle-même rejette le fiancé souterrain qui a attendu que l'été revienne pour se déclarer, car elle ne veut pas d'une taupe qui déteste les fleurs et le soleil. Elle se sent au contraire attirée par le prince des fleurs qui lui est proportionné à tous égards; l'articulation du code spatial sur le code affectif est résumée dans le tableau ci-dessous :
INTERIEUR | EXTERIEUR (haut-bas) |
Lien maternel | Répulsion ou attrait sexuel |
Nous pouvons maintenant construire le tableau général correspondant à la structure du conte (voir ci-dessous).
Le séjour chez la souris des champs, si fortement imprégné d'une ambiance maternelle, reproduit l'ambivalence centre-intérieur déjà présent chez Perrault avec l'épisode de la maison de l'Ogre. La souris remplit ici la fonction accueillante de la femme de l'Ogre, et la taupe, celle, dévoratrice de l'Ogre. Le codage alimentaire étant ici absent, c'est par la souterraine demeure de la taupe que Poucette doit être absorbée, et c'est sexuellement qu'elle risque d'être consommée. A cette ambivalence se superpose la tromperie qui l'annule, comme dans les contes du Poucet. C'est en effet à l'insu de la souris et de la taupe que Poucette ranime et soigne l'hirondelle ; elle se rend auprès d'elle, la nuit, de sorte que les deux animaux souterrains continuent de croire à la mort de l'oiseau. Ici aussi, les apparences sont l'inverse de la réalité et la mort se change en vie. A l'ambivalence du centre intérieur répond la duplicité de Poucette qui, objet des soins maternels de la souris, renverse la situation en dispensant à son tour ces mêmes attentions à un oiseau, changeant le mort en vivant, et sa perte en salut.
L'opposition entre chemin perdu et chemin retrouvé qui était utilisée chez Perrault pour qualifier l'espace extérieur négativement ou positivement est ici remplacée par les oppositions saisonnières qui qualifient l'espace extérieur de la même manière, par contraste avec un intérieur source de salut ou de perte suivant la saison.
Au caractère périodique des saisons, avec la disjonction qu'elles entraînent entre l'intérieur et l'extérieur, le dernier épisode du conte apporte un terme. Le voyage effectué par l'héroïne sur le dos de l'hirondelle ne constitue pas seulement une médiation entre le chtonien et l'ouranien à l'instar du premier voyage, fluvial au lieu d'aérien. Entre temps, Poucette est passée par le centre intérieur de l'hiver, elle a bouclé le cercle des saisons dans la diachronie pour parvenir enfin à l'éternel été. L'oiseau régénéré dans la chaleur d'un enveloppement maternel la conduit vers l'époux qui lui est proportionné, en même temps qu'il l'amène dans un pays où la périodicité saisonnière est dépassée ; voyage triomphant et ailé vers la réconciliation entre l'intérieur et l'extérieur : l'espace est accueillant par sa chaleur et sa beauté, et le caractère négatif de l'intérieur est annulé puisque le trou de la taupe appartient à des horizons que le grand vol de l'hirondelle a effacés. Au mari chtonien et répugnant (semblable en cela au fils de la grenouille), a maintenant fait place le prince des fleurs qui, justement, n'est « pas plus grand que Poucette ». La disproportion marquée à la fois sous le rapport spatial (risque de rester enfermée dans une demeure souterraine) et sous le rapport sexuel (risque d'un mariage satisfaisant pour la taupe, mais répugnant pour l'héroïne a été dépassée spatialement (voyage sur un oiseau migrateur, Poucette devenue à son tour ailée) et sexuellement (époux assorti et princier). Le temps dépassé répond à la disproportion comblée, puisque l'hirondelle laissée pur morte a pu être ranimée et que l'été éphémère a cédé au pays de l'éternel été. Le codage saisonnier dont s'enrichit cette nouvelle version des contes du Poucet n'est pas aussi naturel qu'il paraît. En effet, l'alternance des saisons a déjà été utilisée pour former des oppositions et des repères calendaires dans lesquels s'inscrivent les deux grandes fêtes chrétiennes de Noël et de Pâques. Les relations d'opposition et de continuité à la fois qui unissent ces deux fêtes sont en effet congrues aux oppositions saisonnières telles que le conte d'Andersen les définit. Le rôle du feu dans le centre-intérieur des contes du Poucet nous avait déjà conduit à des légendes de la Nativité et nous avons vu la maison de l'Ogresse explicitement associée à Noël dans l'Aventkalender. La grotte de la Nativité est bien un centre intérieur, source de tout réconfort, marqué par la relation entre la Mère et l'Enfant, foyer rayonnant que l'Eglise a placé au milieu de l'hiver. A cette grotte s'oppose le tombeau du Christ, creusée dans le rocher et par conséquent analogue au lieu de sa naissance. A la grotte où les bergers viennent adorer la présence du Christ répond le tombeau où les saintes femmes se rendent pour constater son absence : à Pâques, la vie est de nouveau à l'extérieur, la végétation refleurit et c'est sans doute la raison pour laquelle Jésus apparaît d'abord sous l'aspect d'un jardinier. Noël - le plus fêté chez catholiques et protestants - et Pâques, qui est au contraire la plus grande fête orthodoxe, doivent être lus en superposition, la seconde fête répétant la première, renaissance renouvelant la naissance, tout en l'inversant sous le rapport des valeurs sémantiques de l'intérieur et de l'extérieur. Il est clair que le christianisme, intimement mêlé par ces fêtes aux oppositions saisonnières présentées par la nature, n'a pas peu contribué à exprimer en même temps qu'il les formait les structures mentales les plus profondes de l'homme occidental. Noël et Pâques ne sont pas de simples symboles d'une idéologie religieuse, mais constituent au contraire les repères emblématiques autour desquels se sont cristallisées des structures mentales qui s'expriment tout autant (quoique avec moins d'évidence) dans la vie quotidienne ; définissant par exemple l'espace vécu de la maison par contraste avec l'espace extérieur, refuge où l'on s'enferme dans la chaleur familiale, mais aussi qui sépare du vaste monde et de la belle Nature. L'opposition Noël-Pâques a donc contribué - puisqu'elle imprégnait profondément la société où il vivait - à orienter Andersen vers la définition en termes saisonniers de l'ambiguïté du centre-intérieur, « demeure tiède » et « pleine de grain », mais aussi, l'été venu «sombre caveau de terre ».
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Selon Eleonora Hotineanu, autrice d'un article intitulé "Variations de la différence dans les contes d’Andersen." (In : CoSMo| Comparative Studies in Modernism, 2016, no 9) :
Un conte semblable à celui du « Vilain petit canard », où le personnage subit le même poids de la différence, c’est « Poucette ». Cette fois-ci c’est la taille de la fillette, petite tel un pouce – Poucette, présente un préjudice. Davantage exposée aux aléas de la vie, elle est piégée dans son tourbillon. Le même parcours initiatique au contact d’une certaine faune métaphorique – cafards, crapauds, souris, rats – auprès de laquelle Poucette peine à trouver sa place. Sa dissemblance avec les personnages croisés dans son chemin, la fait douter d’elle – même et souffrir, pareil comme le petit canard :
« Tout de même, elle n’a que deux pattes, cela fait minable ! disait l’une. – Elle n’a pas d’antennes ! disait une autre. – Elle a la taille si grêle ! pouah ! elle a l’air d’un être humain !comme elle est laide ! » dirent toutes les femelles hannetons, et pourtant Poucette était charmante. C’est aussi ce que trouvait le hanneton qui l’avait prise, mais comme tous les autres disaient qu’elle était affreuse, il finit par le croire également et ne voulut pas d’elle : elle pouvait s’en aller où elle voudrait ! Ils la descendirent de l’arbre et la posèrent sur une marguerite. Là, elle pleura parce qu’elle était si laide que les hannetons ne voulaient pas d’elle, et pourtant c’était la créature la plus délicieuse que l’on pût imaginer, délicate et pure comme le plus beau pétale de rose. »
En quête identitaire, Poucette s’éprend de l’ange de la fleur, qui à peu près lui ressemble physiquement. Pour effacer complètement la différence et donc renforcer cette ressemblance, une paire d’ailes est accrochée au dos de la petite fille. Une nouvelle identité est littéralement née :
« Tu ne dois pas t’appeler Poucette ! lui dit l’ange de la fleur, c’est un vilain nom et tu es si belle. Nous t’appellerons Maya ! »
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Littérature :
Partant du principe qu'il s'agit d'un patrimoine littéraire commun à tous, qu'on soit né d'un côté ou de l'autre de la rive, Leïla Sebbar étend ses références au conte et analyse Poucette, le conte d'Andersen, dans une de ses lettres à Nancy Huston :
Je suis à la fois émue et troublée de me trouver corps et âme avec une petite fille qui n'est pas la mienne, menue et dodue à la fois... Comme Poucette, on pourrait presque la tenir dans la main, elle dormirait dans une coque de noix à l'ombre d'une feuille de tilleul. . . Et moi, je repense à cette vieille taupe, mâle riche et installé qui convoite Poucette dans le terrier où elle se retrouve, et je comprends, avec cette fiction d'Andersen, le sentiment douloureux de l'impossible maternité où sont les hommes et ce qui les jette parfois dans des gestes de folie propriétaire et meurtrière lorsqu'ils sont en présence d'une petite fille.
La clé de lecture psychanalytique avancée par l'auteur, qui se situe dans la lignée des travaux de Bruno Bettelheim sur le conte (19), permet de lui conférer un statut d'autorité. En effet, son positionnement la fait passer du lecteur enfantin au lecteur critique, sa quête identitaire se trouve maîtrisée par une référence qui la nourrit et qui lui permet de poser ensuite un regard distancié sur sa propre maternité et sur son rapport à l'enfant. La référence fait ici office de fonction métatextuelle.
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